
C’était il y a cinq ans et, dans une juxtaposition irréelle, le temps du deuil, de la souffrance et de l’angoisse pour les uns a coïncidé avec une halte générale et improbable pour beaucoup d’autres. Le ciel était favorable, il ne connaissait plus ses zébrures aériennes. Dans son bleu uniforme, le chant des oiseaux ne souffrait aucune concurrence. L’effroi se déployait dans le calme. Soudain mis à l’arrêt, beaucoup se sont autorisés à imaginer un « monde d’après ». Ils ont été moqués et peut-être les ricaneurs ont-ils eu raison, même si leur refus d’espérer n’est pas pour rien dans l’échec des utopies.
De cette parenthèse inédite, il ne reste plus guère que des pistes cyclables au succès discuté et quelques masques obstinément portés sous le nez. Même le souci des plus fragiles d’entre nous a retrouvé son rang d’accessoire. Le monde et l’Histoire se sont bien rattrapés, ils ont repris leur marche dans un fracas inégalé. L’Europe des mobilités douces s’est heurtée aux bombes à la tonne. Le monde d’après n’était pas le même pour Poutine – bien sûr. Difficile aujourd’hui d’éviter l’amertume au souvenir des scenarios d’hier. Ils semblent grotesques au regard des défis rencontrés ensuite, face au vacarme brutal de ceux qui ont fait main basse sur nos jours. Était-ce un loisir coupablement naïf d’Occidentaux pérorant, un kéfir à la main, sur la reconnexion à la nature pendant que d’autres massaient leurs fantassins ? Ce serait, déjà, croire que l’engouement pour ce « monde d’après » était exempt de lucidité sur notre promptitude prévisible à en retrouver la marche ordinaire.
Mais il n’y a pas de honte à avoir tenté d’incarner un temps l’espérance, à avoir manifesté l’espace de deux tous petits mois les aspirations qui pouvaient être les nôtres si le monde, par impossible, n’était pas celui qu’il est. Il n’y a rien à envier au réalisme supposé d’un Poutine. Rien à envier à la fascination productiviste d’un Trump, au transhumanisme de Musk, à leur brutalité inconséquente, à leur rythme insensé, licenciant par milliers pour réintégrer par centaines, imposant des droits de douane un jour pour les suspendre le lendemain, et recommencer un mois plus tard – jusqu’à rencontrer un jour leur propre mur des réalités.
L’utopie n’écarte pas l’engagement : souvenons-nous de ceux qui, au cœur du pire conflit, ont rêvé la France et l’Europe d’après. Pas de remords, alors. Pour nous, cela vaut peut-être encore la peine de garder en mémoire l’esprit de la pause, du pas de côté auquel la période nous invite, afin que la noria du désastre ne nous entraîne pas, qu’à la brutalité ne réponde pas notre emportement. Que la colère et l’effroi ne nous enlèvent pas. Une pause, quotidienne ; un pas de côté, constant – parallèle à notre route, pour enraciner une juste et ferme résolution. Soyons ce qu’ils ne sont pas et sachons le défendre. Ne leur laissons pas le monde d’après.
Photo de Giorgio Trovato sur Unsplash
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Je suis éboulis par ton style, par ta maitrise des mots, des nuances et je pense que si je n’étais pas ta mère, je serais moins exigeante ! N
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