Un ami prêtre auquel j’avais confié mes doutes, ou mes mauvaises certitudes, m’avait dit : « sur la foi, l’acte de croire, tu devrais lire Newman ». Newman… le cardinal ? Quelques recherches, et j’envisageais cash le saut le plus ambitieux : lire « la grammaire de l’assentiment« , son grand oeuvre, l’ouvrage dans lequel il aborde mes problèmes.
Oui mais : 650 pages. Vraiment pas un saut de fillette. Par chance, à ce jour, il n’était plus publié[1]. Je m’endormais donc sur cette recommandation, la laissais au rang de ces saines intentions que je regretterai sûrement de ne pas avoir suivies, mais plus tard. Et voilà que le cardinal Newman sera béatifié deux ans jour pour jour après cet échange : le 19 septembre prochain. Coïncidence certainement, mais qui avive ce petit goût d’interpellation personnelle.
Deux ans et quelques brouettes avant, Newman frappait encore à ma porte. Cet aimable rappel empruntait la plume de Patrick Kéchichian, auquel je suis lié par son petit éloge du catholicisme. Interpellation personnelle, de nouveau. Alors, je me suis résolu à faire connaissance avec John Henry Newman. Doucement. Par une introduction à sa pensée, les accords d’un non-croyant, et une biographie.
Je suis déniaisé en Newman.
Ce billet ne peut être que petit, tout petit. Par son ambition. Il est de ceux que l’on craint d’écrire. Comment ne pas trahir une pensée que l’on n’a soi-même qu’effleurée ? Aussi bien, je vous en conjure : allez boire à la source et vous y lavez, comme qui dirait, et si certains points vous paraissent obscurs, certains développements insuffisants, n’en blâmez pas Newman et allez au moins lire Honoré. Et puis, d’ici quelques jours, Benoît XVI béatifiera le cardinal Newman, que l’archevêque de Cantorbéry lui-même, qui aurait pu l’avoir mauvaise, qualifia de « grand intellectuel du XIXème siècle »[2]. Alors il fallait au moins tenter la chose.
*
Le cardinal Jean Honoré, auteur de l’introduction et de la biographie évoquées, souligne comme Newman « s’est toujours appliqué à suivre ce que sa conscience lui présentait comme son devoir ». C’est cette conscience qui l’a amené à prendre la tête du « Mouvement d’Oxford », qui voulait ranimer l’Eglise anglicane. Cette conscience, qui le conduisit à la conversion, une conversion courageuse dans une Angleterre qui ne rechignait pas à colporter les plus impensables calomnies contre les catholiques. Une conscience qui le fit rester droit dans ses convictions alors que, loin d’être accueilli avec toute la bienveillance que l’on réserve aux convertis, il connut rapidement les intrigues, la réprobation. Parce que le cardinal Wiseman s’abstint de transmettre à Rome la réponse de Newman à sa demande d’explication, Newman connut aussi la disgrâce, avant d’être créé cardinal.
Newman n’a pas rechigné à croiser le fer – intellectuel – avec la société anglaise du XIXème. Il s’est, écrit le cardinal Honoré, « parfois avancé sur un terrain dont il n’avait pas perçu les difficultés et qui ne pouvait déboucher que sur une impasse. A cela, Newman ne pouvait se résoudre. Non pas, répétons-le, qu’il fût tellement sûr de soi ! Mais il se savait comptable devant sa conscience, et sa conscience l’inclinait à poursuivre ».
On découvre aussi, à la lecture de ces ouvrages, toute l’actualité de la pensée de Newman. Ainsi par exemple du rapport entre l’Eglise et le monde[3]. Je n’ai pu réprimer un sourire coupable devant le sort réservé à certaines thèses luthériennes, et notamment à la doctrine de la scriptura sola, qui lui paraît être, selon le cardinal Honoré, « un mépris radical de la Révélation »[4]. De même sur la doctrine de la justification, Newman prend certes acte de la « part de vérité que contient la protestation luthérienne » mais « il ne suffit pas de refuser l’erreur pour penser juste. La vérité est autre chose que la négation d’une négation ». Si notre salut ne peut reposer exclusivement sur nos oeuvres, « la grâce qui justifie (…) n’exprimerait pas la plénitude de l’évènement salvifique (…) si elle n’était assez puissante pour faire participer le chrétien lui-même à son salut »[5]. Il faut toutefois se garder de voir en lui le bras armé d’une quelconque forme de suprématie catholique, sous peine de négliger la vérité de son parcours intellectuel et religieux, et toute la portée oecuménique du personnage. Même à regret.
*
Mais c’est sur la foi que j’attendais Newman. Et peut-être m’a-t-il trouvé. Newman est anti-rationnaliste. Un choix audacieux à l’époque, plus audacieux peut-être aujourd’hui encore. Peut-on seulement critiquer la raison ? Pourtant, si les contempteurs de la foi dénoncent l’obscurantisme, la raison seule n’a pas évité les heures sombres.
Mais Newman ne néglige pas la raison. Comment un homme si intelligent le pourrait-il ? Il lui réassigne sa juste place, en même temps qu’il la réhabilite dans la plénitude de son terrain d’action. Newman, explique le cardinal Honoré, « sait trop bien ce que peut faire et défaire le pouvoir dialectique de la raison ». Et, « si le rationalisme consiste à croire qu’on n’arrive à la vérité que par la voie déductive ou par la toute-puissance de la logique, alors « Newman est antirationnaliste»»[6]. Toutefois, « dans la Grammaire, ce qui est mis en cause, ce n’est pas la raison elle-même, mais la prétention de limiter son exercice dans le sens exclusif de la logique discursive » .
Voilà bien la limite de la raison : elle n’accepte que les certitudes qui entrent dans le champ de la preuve et de la démonstration. D’aucuns se demanderont comment il pourrait seulement en être autrement. Or, il existe une « logique spontanée » qui est à l’oeuvre quotidiennement, sans que nous ne mobilisions la démonstration et le syllogisme. Nous parvenons ainsi à des certitudes par l’appréhension globale d’une situation, sans attendre que soient réunies les preuves de la conclusion à laquelle nous parvenons. Or, ne reconnaître de validité qu’à la raison, c’est réduire l’homme, l’amputer d’une dimension également légitime. Cette part de l’Homme lui est en effet tellement inhérente, elle occupe une telle place dans son fonctionnement intellectuel de chaque instant que la dénigrer – pour ne reconnaître que la légitimité de la raison – serait refuser la condition humaine.
Newman distingue encore l’inférence formelle de l’inférence non formelle. La première relève de la pure démarche scientifique. « Elle favorise (…) la communication de la pensée entre les esprits » mais « elle est impuissante à fonder la certitude dans le domaine des réalités concrètes. Les formules qu’elle manipule ne peuvent étreindre que ce qui est général; le singulier concret leur échappe »[7][8].
L’inférence non formelle est « le processus d’une pensée qui va d’emblée à la conclusion à partir d’antécédents dont elle perçoit la signification dans une sorte d’intuition globale (…) l’inférence non formelle est un vrai raisonnement; mais son articulation est tout implicite. Le vrai est atteint à partir d’indices dont la visée est convergente. La raison discerne cette convergence et celle-ci lui assure cette certitude »[9].
Or, nous y voici : pour Newman, la foi est une certitude pratique, concrète, personnelle. Si les intuitions de Newman peuvent parfaitement rejoindre un non-croyant – comme en témoignent les écrits de Ramon Fernandez – elles visaient avant tout à justifier la foi de ceux qui ne sont pourtant pas en mesure d’en exposer tous les fondements et articles. Parce que leur raisonnement, s’il ne procède pas d’une logique réflexive, est tout aussi légitime.
*
Après plusieurs lectures, j’ai fini par comprendre que si les conclusions de Newman ne me satisfaisaient pas pleinement, c’est que Newman ne répondait pas tellement à ma question, mais à celle qu’il avait posée. Ce qui n’est pas con, en somme. Les chemins spirituels sont à l’image de ce sketch de Thierry Le Luron, imitant Georges Marchais : « – Mais… Ce n’est pas ma question ! – Oui, mais c’est ma réponse ».
Et après tout, cette réponse, pourquoi pas ? Peut-être, si ma foi est confuse, dispose-t-elle des bases pour appréhender l’ensemble ? Peut-être ses lacunes théoriques sont-elles très relatives, si elle porte en germe un assentiment global ? Et si ce n’est pas encore la réponse à la question de la réalité de ma foi, il faut peut-être déduire de tout ceci que l’erreur est bien de chercher dans le propos des autres ce que l’on ne trouve qu’en soi. C’est aussi un enseignement de Newman, dont je ne peux qu’aimer l’intelligence concrète, qui intègre vraiment la pleine nature de l’homme.
Le cardinal John Henry Newman, dont je viens à peine de faire la connaissance sera, donc, béatifié le 19 septembre prochain. Il n’est pas bien difficile d’imaginer les thèmes que pourrait aborder Benoît XVI à cette occasion, depuis la pleine compréhension de Vatican II et le rôle du laïcat, à l’œcuménisme, au rapport entre l’Eglise et le monde, jusqu’au rapport entre foi et raison. Je mets un bifton sur la table, rendez-vous dans un peu plus de dix jours. D’ici là et ensuite, que John Henry Newman contribue à la mission que s’est donnée Benoît XVI : « affermis tes frères dans la foi ».
- il le sera, semble-t-il, dans deux jours [↩]
- source : Zenit, 24 novembre 2009 [↩]
- « Newman demeure très sensible au fait qu’entre le monde et l’Eglise subsiste toujours, par la force des choses, une sorte de malentendu. Le chrétien lui-même, s’il est fidèle à l’intégralité de sa vocation, n’échappe pas à ce malentendu. Il doit porter témoignage des valeurs évangéliques, et celles-ci n’ont pas cours dans les affaires du monde. Pourtant le chrétien ne peut s’évader de sa condition humaine; il vit au monde, lié à ses contingences et ses contraintes, il est solidaire des autres hommes et c’est au sein de la communauté humaine qu’il forge son propre destin » – La pensée de John Henry Newman – Une introduction, p. 51 [↩]
- « le dogme sacro-saint de la foi et de la foi seule se retourne, dans la pratique, contre la vérité religieuse qu’il veut garder. Il finit par enfermer le croyant sur lui-même, le repliant dans la subjectivité de son moi, au lieu de l’ouvrir sur quelqu’un et de le projeter, par l’oubli de soi, vers la personne du Christ sauveur. C’est l’homme pêcheur qui devient le centre de sa propre justification; l’oeuvre du salut perd la signification profonde qu’elle tient du Seigneur et de lui seul. Paradoxalement, le grief protestant fait aux catholiques de compter plus sur leurs oeuvres que sur le Christ peut également être imputé aux disciples de Luther. Ils mettent la foi et la conversion avant le Christ » – ibid, p. 116 [↩]
- ibid, p. 123 [↩]
- Newman, Ramon Fernandez, ed. Ad Solem, préface Irène Fernandez, p.14 [↩]
- La pensée de John Henry Newman, une introduction, p. 104 [↩]
- « L’abstrait peut seulement conduire à l’abstrait« , Grammaire de l’assentiment, Desclée de Brouwer, Paris, p.342 [↩]
- ibid, pareil [↩]
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Moi qui projetais un billet relatif aux dernières déclarations d’Hawkins, je vais surseoir à sa rédaction car je sens qu’une dose de Newman me sera très profitable ! Merci Koz, pour lui mais surtout pour nous, pour cette publicité fort opportune !
Et à l’année prochaine pour mon billet sur le sujet…
C’est ce que je suis en train de faire : lire Newman… (débute la lecture de l’Apologia) J’avoue que j’ai un peu anticipé sur le 19 septembre prochain, en le priant un peu plus spécialement le 11 août dernier…
Encore un qui a n’a pas voulu faire du droit pour être saint… Bon, on ne lui en voudra pas! C’est une pensée qui pourrait permettre de dépasser le clivage entre tradi et libéraux. Sa théorie du développement du dogme en particulier est séduisante notamment pour comprendre ce que l’on peut mettre derrière l’herméneutique de la continuité cher à Benoit XVI. Sur la question de la foi, peut-être qu’il faut regarder notamment ce que Newman a écrit sur la conscience.
Pour les anglophones curieux : http://openlibrary.org/works/OL1144823W/An_essay_in_aid_of_a_grammar_of_assent
Pour se renseigner aussi sur Newman, je vous conseille aussi les écrits du Père Keith Beaumont, oratorien d’origine australienne, grand connaisseur du cardinal Newman.
Très intéressant, tout cela. Est-ce que je me trompe si j’y vois, en creux, une apologie du libre arbitre ?
Merci Koz de cette mise en bouche sur Newman.
Information capitale : le livre est réédité http://www.ad-solem.com/livre.php?id=149 pour 35€, tu vas pouvoir bientôt mettre en pratique ton auto-suggestion : « tu devrais lire Newman » 😀
J’avoue n’avoir jamais lu Newman dans le texte. J’en ai seulement une connaissance indirecte, notamment parce que mon père spirituel est un oratorien (comme Newman !) et que j’ai également un peu discuté avec un ami oratorien qui est le spécialiste français de Newman, oratorien également, Keith Beaumont. Ce que j’ai retenu d’intéressant pour moi, c’est cette doctrine du « développement du dogme », à savoir que l’Eglise définit des dogmes comme des balises au fur et à mesure de son histoire pour fixer le contenu de la foi des origines. Il me semble qu’il y a dans cette idée de développement du dogme des éléments qui peuvent parler au monde contemporain, ou du moins nous aider comme Eglise dépositaire de la Foi au Christ face à la modernité, à la fois dans ses défis sociaux que sur des aspects plus philosopiques.
En effet, le développement du dogme suppose une idée de hiérarchie des dogmes, tous sont importants, mais il y en a des plus essentiels que d’autres. Par exemple, l’Immaculée Conception, avant-dernier venu sur la scène, est un dogme secondaire dans le sens qu’il n’est qu’une balise supplémentaire pour renforcer le dogme de la Théotokos, Mère de Dieu, lui-même n’étant que le développement du Christ vrai homme et vrai Dieu. Il me semble que cette vision permet d’avoir une approche oecuménique raisonnable, et d’aborder les autres confessions sur les points de convergences essentiels au lieu de se focaliser sur les points secondaires, sans pour autant dénaturer l’originalité et la cohérence de la position catholique.
Peut-on transposer cette idée de développement du dogme, qui est une sorte de relativité interne des doctrines de foi, à des éléments plus pastoraux et sacramentels ? A une époque charnière où bien des choses sont remises en question, tant du dehors que du dedans de l’Eglise, il ne serait peut-être pas non plus inintéressant de se demander, en matière de sacrements ou de liturgie, quels sont les éléments plus fondamentaux et ceux qui sont secondaires.
Il semble que Newman ait beaucoup à nous dire sur ces sujets, et ce n’est sans doute pas un hasard si sa béatification arrive prochainement.
@Henry je me suis dit à peu près la même chose. Mais je veux aussi lire Hawking (avec un G) dans le texte original, pas la bouillie qu’en ont fait les journalistes. + Fides et Ratio bien évidemment. Et je n’ai pas d’excuse, il faut que je me procure la dernière œuvre de JH, que j’ai jadis croisé.
J’aimerais en particulier creuser si l’inférence non-formelle que tu cites peut s’appliquer valablement à autre chose qu’à la foi, ou si c’est un concept ad-hoc. Et pourquoi le singulier concret échapperait-il donc à la raison ?
Bon, avant de répondre, je replace un petit caveat nécessaire : je ne fais, ici, que dire ce que j’ai compris de la pensée de Newman. Le livre du cardinal Honoré est vraiment précieux car il est très clair et, somme toute, facile à lire. On loue la fluidité de l’écriture de Newman, il semble que le cardinal Honoré soit l’un de ses disciples à cet égard également. Il y a toutefois un certain nombre de distinction : conscience / raison, assentiment notionnel / assentiment réél, inférence formelle / inférence non formelle, qu’il faut savoir manier, et je suis loin d’être certain de le faire correctement, même si j’ai fait mes meilleurs efforts en ce sens.
hipparkhos a écrit : :
Dans ce cas, tu pourrais lire le petit opuscule rassemblant les textes de Ramon Fernandez (là). J’ai été un peu décontenancé au début parce qu’il fait souvent référence à Proust et que je n’en suis pas un familier. Mais la préface par sa fille, et la dernière partie, sont tout à fait appréhendables sans cette référence (que tu as peut-être, d’ailleurs). Comme l’a souligné Patrick Kéchichian, le grand intérêt de ces textes est que Ramon Fernandez n’est pas du tout croyant et ne suit pas Newman dans les conclusions qu’il tire, sur la foi. En revanche, il partage et admire manifestement les développements sur le mécanisme de l’assentiment, la place que l’on doit reconnaître à la raison, selon quel mode.
Pour ce qui est du singulier concret, je crois comprendre qu’il n’échappe pas à la raison, mais à une forme de raison, en l’occurrence à la raison conçue comme un décalque de l’expérience scientifique, de la démonstration. Il ne dénigre pas cette raison : l’inférence formelle est indispensable pour nous permettre de partager la pensée. Mais elle est amenée à conceptualiser, donc à abstraire. Or, il y a une part du fonctionnement de la raison qui est rétive à l’abstraction, qui est particulièrement liée à l’homme dans sa personne même, ce qui fait que l’inférence formelle ne nous permet que de naviguer d’abstrait en abstrait (cf. la nbdp 8).
Rubin a écrit : :
Non. Certains disent que Newman est un personnaliste avant le personnalisme. Cela me semble impliquer cette reconnaissance du libre arbitre, qui n’est pas très différent de la conscience. C’est aussi en cela que l’on souligne que Newman est un inspirateur du Concile Vatican II. Celui-ci a souligné, ce que l’on méconnaît beaucoup, le rôle de la conscience. Mais attention, il ne peut pas s’agir d’une conscience isolée, auto-centrée : comme certains le disent, le catholicisme est une religion de la parole et de la rencontre. La conscience doit être éclairée, par un travail purement personnel, cherchant à discerner authentiquement la vérité, ainsi que par le magistère (ie l’enseignement de l’Eglise). Et, pour Newman, de toutes manières, il n’y a que « moi » qui puisse me déterminer :
NM a écrit : :
En effet, c’est effectivement très intéressant également et très actuel.
Nicolas a écrit : :
Non moins capital : c’est ma première note de bas de page 😉
Cela dit, je préfère approcher délicatement, et profiter d’abord des éclairages de commentateurs reconnus.
Nicolas a écrit : :
Non, en effet. Ca me fait penser que l’on ne retient souvent que des impératifs de calendrier pour les béatifications ou canonisation. Il y a aussi parfois d’autres enjeux. Béatifier Newman maintenant a de multiples résonances : sur la réception de Vatican II, annoncée par un des plus grands théologiens qui l’ont précédé, avec le rôle des laïcs mais surtout la question de l’herméneutique de la continuité mais également sur les rapports de l’Eglise catholique avec les protestants et tout particulièrement avec l’Eglise anglicane et toujours le rapport entre foi et raison…
@ Bob: intéressant en effet. Et voir une édition quasi-contemporaine de Newman, lire la préface, dans laquelle il évoque l’épreuve du procès Achilli, est assez touchant.
Nous ne percevons jamais la réalité du monde qu’à travers notre instrument de connaissance : le filtre de notre pensée et de nos émotions. Et cet instrument est, il le prouve tous les jours, extrêmement apte, voire même farouchement résolu si son propre équilibre est en jeu, à nous induire en erreur.
Nous constatons tous les jours, autour de nous et en nous-mêmes, à quel point nos pensées et nos sens sont influencés, à quel point notre perception du monde est biaisée, malléable, peu fiable. Et cela est bien confirmé par d’innombrables exemples, de l’anecdote la plus triviale aux études scientifiques les plus pointues sur le sujet.
Alors comment croire que plonger à l’intérieur de soi-même, s’appuyer sur son intime conviction, invoquer « l’inférence non formelle » puisse nous apporter la moindre compréhension de la nature de l’univers ?
N’est-il pas infiniment plus probable (ok, je ne dirai pas « certain ») que nous n’y rencontrions que nous-mêmes, nos peurs, nos phobies, nos espoirs, remodelés et projetés sur la « nature du monde » tel que nous souhaitons profondément qu’il soit ?
Quelle que soit la force, l’évidence même à nos yeux de la « révélation » que nous trouvions en nous, comment penser qu’elle nous éclaire sur autre chose que sur la nature profonde de notre propre psychisme ?
Appelez cela du « scientisme » si vous voulez, mais l’expérience matérielle, mesurée, reproductible, scientifique pour tout dire, me semble la seule façon de prétendre atteindre autre chose que nos propres obsessions.
On parle un peu de biblio alors voici une autre suggestion : la petite anthologie du P. Keith Beaumont chez Artège (http://www.artegespiritualite.fr/t_Livre/john-henry-newman-keith-beaumont-9782360400034.asp). Même appréciation sur Le combat de la vérité du Card. Honoré : excellent sur le fond, claire dans la forme. A compléter par une bio pour remettre les choses dans un ordre plus chronologique.
Sinon, j’ai lu il y a presque dix ans l’Essai sur le développement du dogme et quelques pages des sermons. Le style n’est pas toujours aussi facile qu’on le dit (peut-être la traduction ; peut-être moi…). L’apologia semble très prometteuse… Quant à la Grammaire, elle attendra un peu même si elle est une des rares oeuvres à ne pas avoir été suscitée par l’évènement, ce qui peut lui donner une portée particulière…
Yogui a écrit : :
Je pourrais presque me risquer à considérer qu’effectivement votre message témoigne de vos obsessions. Wow, scientisme, je ne sais pas, mais pessimisme et déprime, c’est certain. C’est si noir que ça, au fond de vous-mêmes ? Si oui, je comprends que vous n’ayez pas trop envie de vous y aventurer et encore moins de vous y fier. Mais, en cherchant un peu, vous ne trouvez vraiment pas une meilleure part ? Et rassurez-moi, quand vous prenez une décision, au quotidien, il vous arrive de ne pas vous tromper, ou est-ce que vous prenez systématiquement la mauvaise ? Avant de faire un choix, vous posez vous systématiquement pour prendre le temps de la réflexion, voire expérimenter ?
La pensée de Newman n’est pas binaire : il ne dit pas qu’il faut choisir l’inférence non formelle et nous en tenir là.
De même, il ne dit pas qu’il n’y a que l’assentiment réel qui soit légitime, contre l’assentiment notionnel. Son propos initial est d’expliquer la légitimité de la foi de ceux qui, pourtant, ne peuvent en démontrer les dogmes, les articles. Mais dans le même temps, il me semble bien qu’il considère que d’autres sont en mesure de le faire, et utiliseront pour cela une logique qui fait appel à l’inférence formelle (même si je crois comprendre que pour leur conviction personnelle, ils en passent également par l’inférence non formelle). Bref, inférence formelle et non formelle sont deux parts de la raison, également légitimes, notamment parce qu’elles n’ont pas exactement le même job.
En tout état de cause, négliger l’inférence non formelle, c’est négliger une part de l’homme. Peut-on vivre sereinement et pleinement en négligeant une part de soi ?
Pour reprendre Honoré,
Si d’autres lecteurs d’Honoré ou de Newman veulent/peuvent confirmer/infirmer, je suis preneur.
@Koz: Purée il abuse le Newman, 6 jour plus tôt et on fêtait sa béatification à l’occasion de mon anniversaire! 🙂 Il me vole la vedette là! 🙂
Il me semble que cette remarque valide la proposition Yogui. « Je n’y crois pas parceque ce serait trop triste » (je caricature)…
Je suis assez d’accord avec l’idée du filtre déformant tel que décrit par Yogui. Si l’on s’efforce de faire avec, ce n’est ni gai ni triste. C’est simplement une donnée.
Négliger cette « part de soi », non. En prendre conscience, oui.
Je crains qu’on ne parte là sur une question parallèle, mais qui ne relève pas de la pensée de Newman. Il ne s’agit pas ici de prendre conscience ou non d’une part sombre en nous (comment un catholique, qui « reconnaît qu'[il est] pêcheur » pourrait se leurrer à cet égard ?) mais de prendre la mesure de la raison, qui n’est pas limitée à la « logique discursive » mais s’étend également à la « logique spontanée ».
Et pour commencer, il est impossible d’établir « discursivement » la rationalité de la « logique discursive ».
Limiter la raison à la logique discursive, c’est en fait la condamner à mort. Lisez Rorty, par exemple, qui fait ce choix et pense que notre « raison » n’est que le résultat aléatoire d’un processus d’évolution, qu’il est absurde de vouloir identifier avec une rationalité intrinsèque, objective.
Bonjour,
Deux petites choses qui me font réagir dans les commentaires…
1/ La remarque de Yogui, prolongée par Gatien : oui une part de notre moi fait plus ou moins procuration à ce qui passe au crible de la raison, avant d’en faire un acquis de la connaissance. La raison donne des résultats, lesquels entre parfois en contradiction, ou sont précédés, par une sorte « d’intuition » liée à notre expérience et notre subjectivité. Et oui, cette subjectivité est chargée de tout un tas de peurs, phobies, etc… Ce que propose Newman aux rationalistes, c’est de changer de paradigme : les données issues de la subjectivité ont-elles moins de valeur dans l’ordre de la connaissance ? ou pire une valeur parasite ? Ce que montre Koz dans son article, en présentant la pensée de Newman, c’est que l’exercice de la raison n’est pas plus parfait que l’exercice de la subjectivité, notamment si les axiomes ou certains mécanismes utilisés sont biaisés. Les deux, inférence formelle et non formelle, se complètent magnifiquement lorsque, disons l’intuition, passe au crible de la raison et qu’il en ressort un feu vert pour la connaissance. Dans le sens inverse, un prédicat peut valider l’épreuve de la raison, mais quelque chose en vous, d’émotionnel parfois, vous criera : « attention ! Non, je ne peux pas y croire ». Peut-être est-ce une peur. Mais la peur est-elle un message si peu digne d’intérêt qu’il faille ne pas en tenir compte dans ce que notre conscience retiens ou rejette ?
2/ Une chose que je me demandais, mais le commentaire de Koz à propos de Ramon Fernandez m’a encore plus perturbé… Je me demandais si Newman évoquait spécifiquement le rôle de la grâce dans l’inférence non formelle, et en particulier la communication angélique.
Koz a écrit : :
Miroir miroir … c’est vous qui interprétez mes mots en termes de pessimisme et de déprime, obéissant en cela strictement à votre dogme et à vos préjugés, qui soutiennent qu’il n’est de Joie qu’en Dieu et qu’un athée ne peut être que pessimiste et vivre dans un monde désenchanté. Ne voyez-vous pas ce biais d’interprétation ? Où y a-t-il la moindre trace de déprime dans mes propos ? Pourquoi ne pensez-vous pas possible de vivre soi-même, par soi-même, en soi-même, sans devoir y trouver une entité extérieure, transcendante, maternante ?
Vous commettez deux contresens, ou plutôt je me suis mal fait comprendre deux fois.
Tout d’abord je n’ai jamais dit qu’il fallait négliger son « instinct », son « inconscient » – ce qui est peu ou prou me semble-t-il ce que vous appelez « l’inférence non formelle » – dans la conduite de sa vie. Déjà parce que pour de nombreuses questions nous n’avons pas d’autre guide, et ensuite parce que cet « instinct » fait partie intégrante de notre nature, et qu’à ce titre il vaut en effet pour nos propres ressentis et la conduite de notre vie.
Mais par contre il ne faut pas prendre « l’inférence non formelle » pour ce qu’elle n’est pas. C’est un outil d’introspection, ce n’est pas une voie d’accès à la réalité extérieure. Ce n’est pas un outil de connaissance du monde, mais de nous-mêmes. Si la religion n’est qu’une affaire intérieure à chacun, cet outil d’accès à la connaissance me paraît valide (avec ses limites). Mais pour une religion qui prétend avoir quelque chose à dire sur la réalité du monde extérieur, il est totalement hors de propos.
Précisément. Là encore, pour ma part, je ne lis que votre éducation catholique qui s’exprime. Vous invoquez directement une « part sombre en nous » : où avez-vous vu une part sombre dans mes propos ? Une part d’inconnu, une part d’incontrôlable, une part d’instinctif bien sûr, et qui fait partie intégrante de la nature humaine. Mais elle n’a rien de « sombre » : elle est. Pourquoi ce jugement de valeur ? Au nom de quoi ? Sur quel critère ?
Pneumatis a écrit : :
La peur est une émotion, elle est subjective. Les uns ont peur de choses qui en laisseront d’autres de marbre. Notre peur parle de chacun de nous, en tant qu’individu singulier, elle ne parle pas du monde.
@ Yogui: je crains qu’il n’y ait là un malentendu. « Je » n’appelle pas tel ou tel raisonnement une « inférence non formelle », je n’ai pas non plus dégagé ce concept, même si je ne m’en porterais pas plus mal. Je fais un billet sur une introduction à la pensée de Newman. C’est lui qui évoque l' »inférence non formelle » et il me semble que vous devriez avoir davantage la curiosité de comprendre ce que cela recouvre pour Newman (parce qu’une fois encore il ne s’agit pas ici de ma pensée) que de chercher à en donner votre définition pour la critiquer. Je ne vois pas où cela peut nous mener si vous ne discutez pas sur la base de ce que Newman dit mais de ce que vous voudriez le voir dire (pour mieux le contredire, d’ailleurs).
Non, sauf à ce que vous me disiez que vous allez Newman et/ou Honoré et que j’aie mal compris ce que j’ai lu, l' »inférence non formelle » n’est ni l' »inconscient » ni un « outil d’introspection ».
Yogui a écrit : :
Je n’épiloguerai pas là-dessus. Peut-être ai-je mal compris, mais je ne crois pas que ce soit très important. Simplement, lorsque l’on vous parle de cette modalité d’exercice de la raison qu’est la « logique spontanée » ou l' »inférence non formelle » et que vous embrayez sur nos phobies et nos obsessions, le lien n’est pas vraiment évident. Même si, effectivement, on perçoit quelque chose d’obsessionnel là-dessous.
Yogui a écrit : :
Si ce n’est que Newman traite de l’assentiment, c’est-à-dire peu ou prou de l’accord, de l’acceptation. Il s’agit de la démarche par laquelle la personne établit sa certitude et, en l’occurrence, de la démarche par laquelle un croyant peut établir sa foi. Il dit bien, précisément, que tout ceci est éminemment personnel. Mais il ne parle aucunement de la « réalité du monde extérieur », ni d’accès à la connaissance. Ce n’est tout simplement pas son propos.
@ Yogui
Distinguer « le monde » de « l’individu singulier », bien sûr, mais la distinction, comment la comprendre ? Comment puis-je avoir peur « en tant qu’individu singulier », indépendamment du « monde ». Ne fais-je pas partie du monde ? Le monde, un « objet », posé là devant « moi » ?
Newman (que je découvre grâce à ce billet, merci), Chesterton, il semblerait que l’anglois catholique revienne en force. Intéressant. Newman, à la lecture de l’année de sa mort (cf wikipédia …. oui je sais) est de la Très Grande Epoque de l’Eglise : Pie IX et le Syllabus. Ensuite,….. Me reste le Syllabus.
En tout cas, une lecture à suivre avec vous.
j’avais lu qq part (ou entendu) -en tout cas retenu- que dans les actes du concile, il était écrit que
« l’Eglise s’arrête à l’autel de la conscience »,
et on ne sait pas assez que l’Eglise a dit ça,
ce qui était l’une des deux pierres d’achoppement des lefebvristes (avec le dialogue interreligieux)
(ce qui est d’ailleurs un non sens, puisqu’ils utilisaient justement leur conscience pour dire qu’ils n’étaient pas d’accord avec l’Eglise, et que donc ils faisaient exactement ce que l’Eglise préconisait, mais que eux refusaient… enfin, passons).
ça me paraît rejoindre sa pensée, ainsi que ces paroles de
Proverbes 3, 5-6 Repose-toi sur Yahvé de tout ton coeur, ne t’appuie pas sur ton propre entendement;
en toutes tes démarches, reconnais-le et il aplanira tes sentiers.
ou Proverbes 4, 23 Plus que sur toute chose, veille sur ton coeur, c’est de lui que jaillit la vie.
en fait, il y a plein de paroles qui vont dans ce sens, et ça me semble être aussi la véritable signification de la sagesse, qui est plus une disposition intérieure qu’un simple raisonnement, même si elle prend en compte aussi le raisonnement, mais pas seulement, aussi des « données » plus ou moins inconscientes, intégrées, liées à l’expérience.
Mais surtout, ça me semble une source d’espoir pour le rapprochement avec d’autres religions, moins naturellement portées sur la conscience,
car le court-circuitage de la conscience me semble être aujourd’hui le moyen via lequel des peuples sont manipulés par leurs dirigeants politiques et religieux, et c’est probablement le point fondamental que toutes les religions doivent régler si elles ne veulent pas devenir un rite mort qui ne peut plus compter que sur la violence pour s’imposer:
la voie que défriche Newman me semble essentielle pour échapper à la violence et construire la paix.
Enfin, c’est ce que ça m’inspire, tout ça. Bref, je vais aller le lire un peu moi aussi, donc.
en commençant par le Il Est Vivant que je viens de recevoir et qui lui est consacré, je signale en passant pour les feignasses comme moi qui ne voudraient pas faire l’effort de lire un vrai livre en premier.
La raison est limitée en ce qu’elle ne maîtrise pas les définitions des objets réels qu’elle étudie. Dans une théorie mathématique dont on pose les concepts au départ, elle suffit. A vrai dire, une fois les définitions bien posées, il n’y a plus qu’à dévider la pelote. Quant à décrire et comprendre le monde, elle est très limitée. Prenons l’existence de Dieu : la contredire de façon péremptoire (suivez mon regard) nécessite de définir des caractéristiques inévitables de Dieu puis de montrer qu’elles sont en contradiction avec la réalité. Probléme, Dieu n’est pas un objet mathématique découlant de la réflexion humaine, mais un élément de la réalité, voire un élément qui par définition est irréductible au simple entedement humain, et nous ne pourrons jamais distinguer entre la preuve de son inexistence et la preuve de notre erreur de définition au départ. Exemple : « Dieu ne peut pas exister car le mal existe » : FAUX, Dieu peut exister mais notre hypothèse de départ « Dieu gentil » est fausse, ou notre hypothèse implicite « il pourrait exister un monde sans mal mais avec libre arbitre » est fausse.
Or, n’en déplaise à Yogui, la raison ne nous impose de croire que ce qui est assurément démontré, et de rejeter que ce qui est assurément réfuté. Le reste du temps, on accepte une théorie tant qu’elle n’est pas contredite. Et chacun vit avec un ensemble de croyances pour appréhender le monde, croyances qu’il a fait le choix de retenir mais sur lesquelles il n’aura jamais de garantie. Ainsi nos éminents rationnalistes croient souvent au libre arbitre quand rien n’en prouve l’existence, croient en des grandeurs mesurées alors que le principe de toute mesure découle d’une théorie non contredite jusque là mais pas strictement prouvée…
Ceux qui réfléchissent à l’inverse (dans notre exemple, « je n’en ai pas eu la preuve donc ca n’existe pas ») devrait s’inquiéter de filtres et de phobies les poussant dans des raccourcis scabreux et hautement irrationnels. En somme la Raison nous apprend surtout à être très humbles et précautionneux dans nos certitudes (ce qu’on retrouve dans « Je ne sais qu’une chose, que je ne sais rien » ou le « cogito ergo sum » qui se limite à une évidence restreinte au minimum).
Si 0,01% de notre pensée est une certitude rationnelle, il faut bien combler les trous avec des croyances, ou intuitions, qui seront éventuellement contredites avec le temps et dont on pourra alors changer, a minima ou de A à Z. J’aimerais croire que quand nous nous serons débarassés de tous nos oripeaux, l’Amour sera notre dernière intuition synthétique.
Alors, qu’attendez vous pour le croire? 😉
@ Koz: J’ai bien noté que « l’inférence non formelle » était un concept de Newman ; mais j’essaie de la percevoir, et j’exprime mes doutes à son sujet, par rapport à la présentation que vous en faites, ou du moins ce que j’en comprends.
J’ai bien compris également que Newman et/ou Honoré ne décrivaient pas cette « inférence non formelle » comme étant l’inconscient. Mais c’est justement ma thèse, que c’est bien pourtant ce qu’elle est, quand bien même, de par leur approche du monde et leur système de valeurs, Newman et/ou Honoré ne la qualifient pas ainsi. Et j’aimerais d’ailleurs bien savoir, pour vous, selon votre compréhension du concept, ce qui la distingue d’un appel à « l’instinct » ou d’un appel à « l’inconscient ». Et c’est pourquoi j’embraye sur nos désirs, nos espoirs et nos obsessions, qui entre autres choses animent cet inconscient et déterminent ce que nous y trouverons.
Peut-être en effet m’abusé-je sur le sujet même de votre billet. S’il s’agit de savoir comment enraciner une croyance en soi, sans se soucier de savoir si elle correspond à une quelconque réalité, comment enraciner une croyance quasi arbitraire en somme, alors pourquoi pas. On pourra en effet chercher en soi les meilleurs leviers et points d’appui qui permettront de conforter et d’accepter cette croyance, quelle qu’elle soit.
Pour ma part j’imaginais – mais c’est sans doute mon biais rationaliste – qu’il s’agissait ici de trouver en soi une « validation », une « certitude intime » pour étayer une croyance portant sur une réalité extérieure, portant sur le monde réel : en l’occurrence, l’existence de Dieu et les éléments du dogme chrétien. Et ce n’est que dans ce cadre que j’élevais mon objection : en cherchant en soi on ne trouve que soi, ou mieux encore on y trouve nos désirs et nos obsessions.
Aristote a écrit : :
Excellente question ! Et si vous me disiez que Newman était bouddhiste, je ne pourrais qu’abonder dans la piste que vous ouvrez là ! Car dans une vision moniste, où nous sommes partie du Grand Tout, ce peut être légitime en effet que de chercher la vérité du monde à l’intérieur de soi. Mais cela ne me semble pas conforme à une approche chrétienne.
oim a écrit : :
Ce n’est pas tout à fait ça. Démontrer une inexistence n’est pas possible. Outre le monstre du Loch Ness, les licornes invisibles et les grenouilles qui parlent, je peux vous inventer dans la minute des centaines de concepts ou d’objets dont vous ne pourrez pas démontrer assurément l’inexistence. Surtout si je prends soin de les prétendre magiques ou omnipotents.
La raison, c’est de savoir faire fi de ces millions, de ces milliards de concepts improbables quoique imaginables, et en faire d’autant plus fi qu’ils ne sont corroborés par aucun élément tangible et qu’ils viennent en contradiction avec tout le reste de notre connaissance « positive » du monde.
Yogui a écrit : :
Pourquoi imposer une alternative « ou…ou » ?
Entre nier toute réalité à la distinction entre « le monde » et une « conscience personnelle », et poser le sujet comme souverain et autonome dans sa tour d’ivoire, considérant un monde « extérieur » sur lequel il porte de jugements de « vérité », il y a place pour une tradition qui considère que la relation à autrui, qui suppose l’existence d’un monde partagé entre autrui et moi, monde qui n’est donc ni lui ni moi, est constitutive de mon existence.
Yogui a écrit : :
Précisément, vous pouvez. Cela suffira-t-il pour que ces concepts remportent l’adhésion de milliards d’intelligences à travers les siècles et posent les bases de modèles de pensée, donnant sens au réel pour les mêmes milliards de personnes ? Vous êtes bien conscient que non : vous venez donc de démontrer l’existence de l’inférence non formelle.
La raison, de même que l’indémontrable, le mystère qui lui échappe, ne forcent pas, et bien souvent ne précèdent pas l’adhésion de la conscience à une idée. Prenez la volonté : faites-vous un raisonnement scientifique chaque fois qu’au quotidien vous avez à prendre une décision ? Ne vous engagez-vous dans une relation avec quelqu’un qu’après avoir pesé scientifiquement, statistiquement ou de manière exhaustive, l’ensemble des avantages et des inconvénients de cette relation ? Quelle part de vous-même se laisse volontiers gouverner par l’intuition, voire par l’imagination ? Il ne s’agit même pas ici d’inconscient, mais de l’ensemble de ce qui constitue la conscience ; laquelle n’est pas réductible au discursif ; laquelle inclue une proportion énorme de données non passées au crible de la raison. Non qu’elles soient simplement admises du fait d’un certain conformisme intellectuel, mais on peut adhérer à des idées en leur conservant leur part de mystère, simplement parce qu’elles nourrissent notre intelligence, parce qu’on les trouve belles, parce qu’en attendant de pouvoir être prouvées – si elles peuvent l’être, elles donnent sens à notre vie.
Credo ut intellegam, disait Saint Augustin. Je crois pour comprendre. Et c’est évident, attendu que les facultés de raisonnement d’un homme ne lui arrivent qu’après plusieurs années d’existence. Ainsi le voilà bien obligé, dans les premiers temps de sa vie d’adhérer à des idées et des modèles de pensée qui vont structurer son intelligence, selon des critères d’adhésion qui ne ressortent pas de la raison. Faut-il, une fois la raison acquise et maitrisée, que chacun déconstruise tout ce qui l’a formé, tout ce qui l’a fait vivre et toutes ses pensées, pour le passer au crible de la raison ? L’expérience de Descartes dans ce domaine n’a-t-elle pas suffit ? Ou ne peut-on simplement reconnaitre comme une évidence que l’expérience, et en particulier l’expérience née de la relation à l’autre (ou à l’Autre), précède de très loin la raison dans l’adhésion de l’intelligence à une idée ?
Admettons cela, et reconnaissons du même coup que la force du témoignage vivant dépasse de plusieurs longueurs la force du discours dans la formation des consciences, n’en déplaise aux magnifiques efforts de Socrate – qui ne démérite pas pour autant – pour les faire accoucher.
Pneumatis a écrit : :
Et elles ne lui arrivent que parce qu’il est en relation de confiance (c’est encore un enfant) avec une communauté humaine dont suffisamment de membres vivent en accord raisonnable avec ces facultés. La relation est bien première.
Je ne suis pas vraiment certain, Yogui, que vous cherchiez objectivement à comprendre. En tout cas, pas d’emblée. Vous cherchez à contester, voire à discréditer. Bon, ça m’arrive aussi, mais face à une pensée comme celle de Newman, élaborée sur (de mémoire) 20 ans, consignée dans un ouvrage dense (même si l’on peut dire longuement des conneries), et reconnu comme un grand penseur y compris par des non-croyants, il me paraît un peu hasardeux de contester de but en blanc le propos de Newman.
Ce qui est certain, c’est que vous démontrez assez, par votre réaction, que vous réagissez avec vos « antécédents personnels » (pour ne pas parler de vos obsessions). Vous voyez un chiffon rouge : que Newman vienne à démontrer l’existence de Dieu, ou la recevabilité de la foi. Il ne fait aucunement le premier et, s’il aborde la seconde, rien n’interdit de ne pas le suivre à cet égard. Ramon Fernandez considère qu' »entre tous les penseurs susceptibles de fournir des solutions aux problèmes modernes, Newman est sans doute un des plus inépuisables » ( Expérience, pp. 67-68). Pourtant Fernandez n’est pas croyant, ne l’est pas devenu et ne suit pas Newman jusqu’au bout.
Il me semble que vous entendez souligner que l' »inférence non formelle » ne serait pas fiable, ne serait pas une garantie et que ce qui s’en réclamerait ne serait pas vrai par nature. Mais ce n’est pas le propos de Newman.
Et la raison, dans son acception Newmanienne comme dans la conception qui prévaut désormais (ie réduite à la démonstration), n’est jamais synonyme de vérité. Newman conteste, me semble-t-il, l’extension du crédit accordé à la raison hors du terrain scientifique : là, effectivement, et sous certaines réserves, on peut atteindre une vérité, par la démonstration et l’expérience. Mais dans tout ce qui atteint l’humain, les convictions, les certitudes, les croyances, ce n’est pas le cas. Par l’usage d’une raison purement démonstrative (circonstance assez hypothétique au demeurant), on peut aussi parfaitement conduire l’autre à l’erreur. Est-ce que cela vous suffit pour discréditer la raison démonstrative ? La « logique spontanée », l' »inférence non formelle » ne sont pas plus, mais pas moins, des garanties que la certitude en cause est vraie, fondée, universelle.
Ce que je retiens essentiellement de tout ceci, c’est non seulement l’égale validité de l' »inférence non formelle » dans l’établissement de nos certitudes mais surtout l’appréhension globale de l’homme : en ne retenant que la raison démonstrative, on ne peut avoir qu’une vision tronquée du monde.
Pour ce qui est de la foi et, encore une fois, à ce que j’en comprends, Newman ne se place aucunement dans une démonstration de l’existence de Dieu (il me semble même qu’il en rejette la perspective comme ne pouvant être déterminante) mais s’emploie à détailler le processus de l’assentiment de ceux qui ne peuvent en exposer ou démontrer tous les dogmes ou articles (ce qui, en passant, est mon cas).
Au-delà de tout cela, son propos a aussi un impact important sur la Révélation. Je trouve intéressant de noter que, pour lui, la Révélation est close avec le dernier des apôtres, mais qu’il serait trompeur de limiter pourtant l’objet de la foi à ce qu’ils ont explicitement formulé.
Socrate disait à peu près la même chose que Newman, à une grosse nuance près, dans le « Ménon » par ex (si tant est que j’ai bien compris la pensée du cardinal telle qu’exposée ici :-)). L’opinion droite produit le même effet que la science – ou la raison :
C’est grâce aux dieux qu’ils obtiennent tant de grands succès en parlant, sans rien savoir des choses dont ils parlent. »
Quant à nous chrétiens, nous avons la grâce de la Révélation : Deus caritas est. C’est de là par ex. qu’est inférée, de manière raisonnable et certes non spontanée, toute l’anthropologie chrétienne – notamment de la dignité et du libre arbitre. Et il est facile d’observer que chaque fois que l’homme (y compris l’Eglise d’ailleurs) s’est écarté de cette anthropologie, il en est résulté les pires catastrophes, pour son plus grand malheur. On jugera donc de la justesse de cette anthropologie.
Faites du catéchisme à des élèves de seconde sans rendre raison de ce en quoi vous croyez, et vous n’obtiendrez qu’un silence poli au mieux, une émeute le plus souvent ! La pédagogie par l’argument d’autorité montre rapidement des limites – ce qui ne veut pas dire que la raison communique la foi. Elle lève des obstacles tout au plus ; elle permet aussi de détruire les opinions fausses. A notre époque qui a abandonné la raison pour l’idéologie, c’est un véritable bouillon de culture.
@Aux scientISTES
On n’arrivera jamais à démontrer L’INEXISTENCE de Dieu
Cqfd ! 😉
Soit dit en passant, c’est un argument qui m’a bien plu un temps, jusqu’à ce que l’on me fasse remarquer, à raison à mon avis, que c’est celui qui affirme que quelque chose existe qui est censé le démontrer.
Et soit dit en repassant, ne nous éloignons pas de Newman.
J’aime bien cette notion d’inférence non-formelle. Après avoir reçu une éducation très scientifique, je me suis aperçu que j’étais devenu trop rationnaliste et il a fallu que je réalise un effort sur moi-même pour libérer un peu l’intuition, l’intime conviction.
La force de la rationalité est qu’elle aboutit à des certitudes, mais sa faiblesse est que son champs d’application est extrêmement limité. Seule une faible partie de notre réalité concrète est formellement démontrable et établir une certitude prend souvent un temps incompatible avec les contraintes réelles. Va-t-il pleuvoir aujourd’hui? Dois-je faire confiance à cette personne? Qu’est ce qui fera plus plaisir à ma femme comme cadeau de Noël? Dois-je prendre ce nouveau job ou conserver l’ancien? Augmenter les charges sociales est-il bon pour les pauvres?
Renoncer à faire usage de l’inférence non-formelle est un terrible inhibiteur de l’action. Si on ne fait que des choses dont on est sûr du résultat, on ne fait jamais rien.
Cela m’évoque cette maxime attribuée à Cicéron : « Certains combats doivent être engagés pour savoir comment on va les gagner ».
Je cite Lib : » Renoncer à faire usage de l’inférence non-formelle est un terrible inhibiteur de l’action. »
Mais alors comment reconnaître objectivement, par exemple, la qualité morale d’un acte posé ? Pile ou face, pifomètre, d’où vient le vent ? Voilà le meilleur moyen de paver l’Enfer à peu de frais, et je ne vois pas comment blâmer celui qui prend la peine de réfléchir avant d’agir – les deux ne sont pas incompatibles, c’est même précisément ce que l’Eglise appelle la vertu de « prudence ».
Quant à la maxime de Cicéron, il est plutôt certain que les chevaliers fançais auraient mieux fait de l’oublier pendant la guerre de Cent Ans. Mais ceci est une pure inférence non-formelle 🙂
@ Koz: Cruel dilemme. Dois-je poursuivre ce débat ou ne fais-je que pourrir la vie du lectorat ? Mes remarques ne font-elles qu’illustrer la vacuité de ma pensée tout en étouffant dans l’oeuf toute tentative de réflexion sur ce fil ? Les réponses dont on me gratifie contribuent-elles à éclairer le sujet du billet ou ne sont-elles que de charitables tentatives visant à me faire enfin cesser ? Je suis mal placé pour en juger.
Dans le doute, je serai bref, et pour illustrer ma bonne volonté de compréhension de l’argument central, je me risque à en proposer le (très grossier) résumé suivant : « on peut aussi arriver à la vérité par l’intuition ».
Je crains simplement que Newman ne sous-estime tant notre capacité à nous leurrer nous-mêmes, que les bénéfices apportés par « la communication de la pensée entre les esprits » qu’il dit favorisée par la raison.
Pneumatis a écrit : :
Résolument, si. Le potentiel de longévité d’une affabulation pure nous est démontré par les Raëliens, les Mormons ou les scientologues. Et je ne nie certainement pas l’existence de l’inférence non formelle, ni ce qu’elle peut nous dire sur la nature humaine ; j’en suis même, sur ce domaine précis, son ardent défenseur.
Je crains que selon cette logique aucun progrès intellectuel ne soit jamais possible.
Bonsoir,
il est intéressant de parler de la logique, mais celle-ci reste un outil, au même titre que d’autres outils utiles, comme par exemple, la géométrie euclidienne. Ce qu’il y a au coeur de la science, c’est l’expérience qui confirme les théories, toujours dans une certaine limite. Les techniques fonctionnent de la même façon, en concevant des objets concrets cette fois qui répondront, avec toujours plus de fiabilité et de performance, à des besoins.
Donc, je pense que les sciences et les techniques n’ont rien à faire avec Dieu, ou la foi et vice versa. L’église n’a pas à avoir d’avis sur la physique newtonienne, et un astrophysicien n’a à mon avis rien à dire sur Dieu.
Par contre, je crois qu’il faut reconnaitre que les sciences physiques et les techniques ont atteint au cours de siècles d’expérimentations, d’erreurs, de fausses pistes, et de constantes améliorations, un niveau de perfectionnement que les autres champs des activités humaines sont loin d’égaler. J’aimerais bien avoir un système politique, économique, ou même une institution religieuse qui ait atteint l’efficacité d’un avion de ligne ou d’un grand ordinateur. J’étends sans trop de problèmes mon compliment à la biologie et à la médecine qui est aussi en progrès constant.
Je pense que ce mécanisme de preuve et d’expérimentation est beaucoup plus fiable que l’intuition. Si quelqu’un prétend me dire quelle est, par exemple, le moteur d’avion le plus fiable, à l’intuition, c’est un imposteur qui ne m’intéresse pas.
Par contre, il y a beaucoup de domaines pour lesquels la preuve et l’expérimentation est difficile, et il faut faire au mieux. Si la médecine et la biologie méritent à mon avis de figurer au côté des sciences fiables (on peut expérimenter sur un cancer, ou sur la transmission du sida dans une population), on atteint parfois les limites des sciences et techniques pour la sociologie, l’histoire, les sciences politiques et l’économie, pour lesquels il est difficile de faire de vraies études.
Par exemple, sur une question comme le rôle positif ou négatif du porno dans la société, il y a certes des études sociologiques (ou l’on corrèlera par exemple taux de violence sexuelle et diffusion du porno) , mais celles-ci ne sont pas aussi fiables qu’un résultat de science physique, et sont souvent contradictoires. Face à cette situation peu satisfaisante, il y a deux approches:
la première est de constater que les résultats ne sont pas fiables, et essayer, avec bonne foi, de les trier et de réparer les limites des raisonnement, et surtout, on peut se dire que ces résultats n’étant pas fiables, il est avant tout important d’être mesuré dans les mesures que l’on compte prendre.
On peut aussi décréter qu’il existe d’autres sources de vérité que l’expérience du monde réel, que ce soit la philosophie, une vérité révélée ou l’intuition humaine. Cela peut bien marcher pour choisir un cadeau à sa femme (encore que, il est parfois plus efficace de passer un petit coup de fil « expérimental » à sa meilleure amie pour se renseigner, si l’on ne veut pas retrouver son cadeau sur e-bay le lendemain), cela me semble très dangereux sur les sujets importants. J’ai très peur des penseurs intuitifs qui veulent imposer leurs idées aux autres.
Pour être tout à fait honnête, les « vérités révélées » sont aussi historiquement le résultat d’un processus assez darwinien de sélection des cultures anciennes, et elles ont, en ce sens, une valeur intrinsèque (elles ont prouvé qu’elles étaient à une certaine époque globalement positive, sinon les sociétés qui les portent n’auraient pas survécu). Mais les interprétations qu’on en fait, et les positions politiques de tel ou tel prélat me semblent avoir beaucoup moins de valeur.
@Uchimizu : même si comme vous je ne peux que reconnaitre avec admiration la formidable technicité à laquelle les sciences modernes nous ont conduit, je m’oppose totalement au fait d’en conclure qu’elles constituent un modèle d’appréhension du réel exemplaire, tel que vous semblez le décrire (sauf si j’ai mal compris). Ca rejoint un petit truc que j’ai écris ce midi rapidement, sur la base d’une autre problématique, mais qui rejoins le propos ici. Je vous laisse éventuellement le lire, plutôt que de le re-développer ici : http://pneumatis.over-blog.com/article-etats-generaux-du-christianisme-la-science-a-t-elle-du-sens-56709800.html
Bon, évidemment il faudrait que je lise Newman, moi aussi… mais je voudrais revenir sur ce que je comprends des concepts évoqués, et ce que je suppose des développements qui en sont fait dans sa pensée, notamment au niveau de la formation des dogmes.
Je crois que c’est particulièrement intéressant aujourd’hui, tant la notion de dogme a pris un caractère péjoratif, comme quelque chose d’imposé à la pensée de manière péremptoire et que l’on devrait accepter sans réfléchir. Voilà ce qu’on dit aujourd’hui quand on parle d’un dogme.
Pourtant, c’est bien différent, en ce qui concerne la foi chrétienne en tout cas. Nous pouvons établir une analogie entre le fonctionnement de la conscience individuelle et la conscience par l’Eglise universelle de la révélation divine. Si nous avons reconnu l’évidence que la conscience se laisse nourrir par autre chose que les résultats d’une logique formelle, nous pouvons faire le même constat pour l’Eglise, dépositaire de la révélation. Dans un cas comme dans l’autre, sans forcément passer par une analyse formelle des données du réel qui s’offre à nous, notre intelligence adhère à une certaine conception immanente du réel, et c’est ainsi que se forme en grande partie notre conscience du réel. Il en va de même avec la révélation, et c’est ce qu’on appelle précisément la foi. C’est là qu’il est important de rappeler la définition qu’en donne Saint Thomas d’Aquin, pour bien voir le lien. Il dit de la foi qu’elle est l’adhésion de l’intelligence à la vérité révélée. Le processus est le même, et ne rend pas plus (ni moins) nécessaire une inférence formelle dans l’adhésion à une idée, qu’elle soit de source immanente ou transcendante.
Mais nous avons vu aussi que ce à quoi l’intelligence a adhéré par inférence non formelle, peut être soumis plus tard, ou parallèlement, à l’épreuve de la raison. C’est le cas principalement quand un acquis est remis en doute, de nous-même ou par une confrontation extérieure. Dans ce cas, on mobilise la raison, et le discours, pour valider ou invalider ce qui a été inféré de manière non formelle.
Si le raisonnement invalide l’acquis, il se peut qu’on y revienne encore et encore, tant il parait que notre conscience s’accroche à certains acquis envers et contre toute rationalité. Cependant, un discernement honnête et juste permettra normalement d’appuyer le résultat formel par une nouvelle inférence non formelle, un quelque chose qui nous dira au plus profond de nous-même : mais oui, bon sang mais c’est bien sur, qu’est-ce que j’ai été bête !
Si le raisonnement valide l’acquis, celui-ci sera renforcé et transmissible de manière formelle, par le discours notamment. Cela ne veut pas dire qu’il sera démontrable scientifiquement, avec des preuves, une reproductibilité, ou je ne sais quoi encore… Mais il sera acquis comme une donnée rationnelle de la conscience et nous pourrons l’affirmer avec d’autant plus de force. A l’échelle de l’Eglise, je crois que c’est précisément ce qu’on appelle un dogme.
Tout ça pour dire – et j’en profite ainsi pour répondre à l’absurde thèse de Frédéric Lenoir dans son livre « Comment Jésus est devenur Dieu » – que lorsque l’Eglise proclame que Jésus est vrai Homme et vrai Dieu quelques 300 ans après la venue dudit Jésus, elle n’invente pas ou ne propose pas à la connaissance des chrétiens une nouvelle vérité révélée. Cette vérité était acquise par l’Eglise dès les temps apostoliques, c’était leur foi, l’adhésion de leur intelligence à cette vérité, mais par le biais d’une inférence non formelle. C’est seulement parce que 300 ans plus tard, cette adhésion commença d’être remise en cause par certains au sein même de l’Eglise, qu’il fut donc nécessaire de poser un discernement, et d’avoir recours à une validation formelle et cohérente au regard de la Tradition. Il en a surgit l’affirmation d’un dogme. Évidemment si cette croyance s’était avérée irrationnelle et incohérente, le discernement aurait conduit à condamner cette croyance. Il aurait pu se faire qu’on n’ait pas suffisamment d’éléments à notre disposition pour que la raison nous permette de valider le prédicat. Mais dans le cas où l’inférence formelle peut rejoindre l’inférence non formelle, par une validation de la raison, et à l’échelle qui plus est d’une réflexion collégiale, le dogme peut alors être affirmé clairement et considéré par la communauté des chrétiens comme définitivement acquis.
J’aime bien cette idée d’inférence non formelle.
Cela dit, cela ne correspondrait-il pas à un mode de raisonnement de ceux qui n’ont pas tous les outils, ou pas le temps, pour faire une suite de déductions logiques ? du bon sens, quoi ?
Ma réflexion est sûrement caricaturale, n’ayant pas encore lu ses écrits.
Il me semble bien que la majorité des problèmes viennent d’erreurs de perception plutôt que d’erreurs de raisonnement, de logique, d’inférence si vous voulez – formelle ou non. Du coup, j’ai comme l’impression que les argumentaires passent à côté de l’essentiel.
Dire que les mathématiques (ou la logique) ne permettent pas de décrire le monde, c’est enfoncer une porte ouverte. Décrire le monde, c’est le rôle des sciences physiques.
Opposer l' »inférence non-formelle » à la raison me rappelle une anecdote de lycée, ou un certain professeur de philosophie brandissait devant un professeur de maths un article sur la logique floue : « tu vois, on te l’avait bien dit que les maths ne suffisaient pas ». Il n’avait simplement pas compris que la logique floue était une théorie mathématique comme une autre, parfaitement logique, qui n’avait de floue que le nom…
http://www.lavoisier.fr/notice/fr039081.html
Gatien a écrit : :
Vous allez trouver que je chipote, mais c’est justement la dérive que je pointe dans mon texte. les sciences physiques n’ont pas pour rôle de décrire le monde (ou le réel, etc…). Elles ont pour rôle de décrire le monde PHYSIQUE. Et le seul fait de cette ambiguïté pointe une dérive idéologique, qui ne se confond pas nécessairement avec le rationalisme qui serait remis en cause ici notamment par Newman, mais qui en est disons une sorte de cousin germain (scientisme, je crois qu’on l’appelle).
Bien sûr, bien sûr, c’était implicite. J’évoquais les rôles respectifs des maths et de la physique dans le champs qui les concerne. Il n’est pas absurde pour autant de faire un parallèle avec la logique et la perception (au risque de se voir infligé l’anathème « scientiste »).
En gros, je lis beaucoup de commentateurs qui, pour « attaquer » la raison, pointe les limites du connu, la nécessité d’hypothèses, ou intuitions. Mais le choix des hypothèses, c’est un problème de perception, pas de raisonnement (ou comment l’on retombe sur le problème du filtre déformant), et rien n’empêche d’adopter une attitude raisonnable face à l’incertain.
Opposer l’inférence non formelle à la raison, c’est dire qu’en partant des mêmes hypothèses, il vaudrait mieux parfois ne pas trop réfléchir pour arriver à une « bonne » conclusion. C’est ce que je comprends des commentaires, je ne dis rien de Newman.
En fait si, on peut « démontrer » qu’il y a Dieu, mais effectivement pas par les sciences physiques ; uniquement par une réflexion métaphysique. Ceux, donc, qui ne considèrent a priori comme « preuves » et source de connaissance réelle que les sciences physiques, ne considéreront jamais cela comme une preuve.
Ce n’est pas tant que « la religion et la science ne parlent pas de la même chose », c’est simplement que les sciences (physique, mathématique, biologie…) se déploient dans un certain champ – l’univers matériel – pour le décrire, et que la question métaphysique porte sur ce qui donne son existence à ce champ d’expérience, ce qui est à son origine, donc à ce qui est par définition extérieur à ce champ.
Par définition, donc, les sciences qui décrivent l’univers matériel ne peuvent tout simplement pas du tout saisir un objet hors de leur champ d’étude.
Aussi bien, on pourrait demander aux mathématiques de décrire mathématiquement ce qu’est une métaphore ou une anacoluthe : la question elle-même n’aurait pas de sens.
C’est ce qui invalide d’emblée, d’ailleurs, les récents propos de Stephen Hawking, qui a loupé une étape (logique) dans le raisonnement.
@Gatien : j’entends bien vos précisions, et justement je reviens sur une de vos remarques que vous prolongez dans votre dernier message:
Gatien a écrit : :
Je chipote encore un peu… Pas des erreurs de perception, quoiqu’elles arrivent mais les délires et autres hallucinations ne sont quand même pas si répandues que ça. Je dirais plutôt des erreurs d’interprétation, ce qui déjà met en jeu un type d’inférence.
L’interprétation d’une perception met en jeu des mécanismes formels, faisant appel à divers logiques, ET des mécanismes non formels faisant appel à l’expérience, en particulier via la mémoire, mais aussi l’intuition et volontiers certains mécanismes inconscients, reconnaissons-le. C’est, si j’ai bien compris, ce que décrit Newman. Et donc on est loin de passer à côté de l’essentiel. Certains mécanismes seront peut-être plutôt parasites quand d’autres seront au service d’une juste interprétation. C’est là que dans les commentaires on flirt tout le temps avec cette tentation de rentrer dans un jugement quasi-moral de tel ou tel mécanisme à l’oeuvre dans la conscience, en les opposant un peu trop systématiquement comme vous le soulignez. Il ne s’agit pourtant pas de les juger, mais au contraire de prendre conscience qu’ils sont là, et que leur collaboration plus ou moins équilibrée dans le processus d’adhésion de l’intelligence à une idée est beaucoup plus importante qu’on ne le croit.
Je prends deux exemples.
1/ La foi en Jésus vrai homme et vrai dieu. C’est une croyance rationnelle (cohérente dans le système anthropologique et théologique global dans lequel elle s’inscrit). Ce n’est pas un savoir issu d’une étude scientifique, dans la mesure où je crois cela parce que untel en a témoigné comme d’une vérité, que je fais confiance en son intelligence et que ça me parait tout à fait cohérent. Il y a un mélange d’inférence formelle et non formelle dans mon adhésion à ce principe. Evidemment, ceci est indémontrable scientifiquement. Pour le démontrer il faudrait pouvoir faire l’expérience que Jésus est vraiment dieu, ce qui est une aberration métaphysique. Seul l’existant qui possède l’être en question peut faire l’expérience de cet être, et encore ça pourrait être sujet à débat. En gros, au mieux, seul Jésus peut faire l’expérience « scientifique » qu’il est vraiment Dieu, et donc seul lui peut le savoir. Partons de l’idée qu’il le sait et qu’il a transmis ce savoir. Ce savoir est reçu et transmis à nouveau, sur le mode tout à la fois de la confiance, et de la raison dans la mesure où la proposition est possible, et loin d’être déconnante sur le plan métaphysique.
2/ Le soleil est une étoile composée d’hydrogène et d’hélium dont on connait approximativement (mais assez précisément quand même) le diamètre et la température. J’y crois, dans la mesure où je fais confiance à celui qui m’a transmis cette connaissance, lequel l’a reçu de quelqu’un d’autre, etc… D’autant que, même si l’exemple est mal choisi, on peut dire que c’est une information cohérente, rationnellement acceptable. A la base de cette croyance, il a bien fallu que quelqu’un n’y croit pas, mais le sache. Il l’aura su, normalement par une démonstration scientifique, et les modalités d’acquisition et de transmission de ce savoir font qu’on y croit sans avoir besoin de recalculer cette distance terre/soleil. D’autant que j’en serais bien incapable. Ceci constitue donc pour moi une sorte de dogme, en l’état actuel des choses. J’y crois parce que je sais qu’il y a à l’origine de cette connaissance un savoir cohérent, transmis de manière juste avant d’arriver jusqu’à moi.
Les deux mécanismes sont similaires. Sauf, me direz-vous, que les découvertes scientifiques sont reproductibles, voire même qu’elles évoluent. Bien sur, parce que l’objet de leur étude n’est pas le même. La foi chrétienne repose sur l’intelligibilité d’une révélation qui se présente elle-même comme achevée. Par définition sa réception directe n’est plus possible. Les sciences physiques reposent sur l’intelligibilité d’un monde physique toujours là (expériences reproductibles) et en perpétuel changement (évolution des données). Vous me direz, c’est pratique de dire que la révélation est achevée. Cela fait parti de la cohérence de l’ensemble. Comme font parti de la cohérence de l’ensemble des savoirs scientifiques la confiance dans nos perceptions et nos mesures, dès lors qu’on arrive à les corréler X fois.
Je crois qu’il faut vraiment essayer, ça ne peut pas faire de mal, de relativiser un peu la supériorité des savoirs scientifiques. Non pas pour les remettre systématiquement en question, mais pour au moins les remettre épistémologiquement sur un plan d’égalité, et je dirais même pour les chrétiens sur un plan de soumission (voir Pie XII, je crois, mais j’ai zappé le nom de l’encyclique), au dépôt de la foi chrétienne. Il ne s’agit pas de dire que l’un peut remplacer l’autre, mais que l’un et l’autre sont complémentaires dans la compréhension du réel. Et pour les chrétiens, que les vérités scientifiques ne peuvent susciter l’adhésion de l’intelligence que dans la mesure où ils ne contredisent pas l’intelligence de la vérité révélée (la foi).
@Yogi
1)
. Nous constatons tous les jours, autour de nous et en nous-mêmes, à quel point nos pensées et nos sens sont influencés, à quel point notre perception du monde est biaisée, malléable, peu fiable.
Soit, mais :
– cette affirmation, cette certitude, que vous nous exposez de façon certaine, qu’est-elle, dans ce cas, sinon votre propre perception du monde ? Donc fatalement biaisée et peu fiable. Puisque toute connaissance sur le monde et sur vous-même vous parvient forcément par le canal de vos pensées et de vos sens.
du coup, on tourne un peu en rond, c’est le grand retour d’Épiménide le crétois : « on ne peut rien affirmer de façon certaine« , joli exemple de phrase paradoxale auto-référente.
. la connaissance scientifique, de même, ne nous parvient qu’à travers, forcément, le filtre de nos sens et de nos pensées : l’expérimentation suppose de percevoir les résultats de l’expérience, ce qui jusqu’à preuve du contraire se fait par les sens.
. Si donc, de l’affirmation « notre perception est biaisée » il fallait conclure de façon absolue et certaine, comme vous le proposez, « donc on ne peut rien connaître par nos intuitions (je résume), alors on devrait en toute logique conclure la même chose au sujet de toute connaissance, y compris scientifique, qui passe forcément elle aussi par le filtre de nos sens.
(sans sens, pas de sciences.)
2)
Vous arrivez à proposer d’emblée et immédiatement une explication et une « théorie » élaborée et sûre d’elle au sujet de l' »inférence non formelle » de Newmann…
…sans même avoir réellement pris connaissance de quoi il retourne, simplement en ayant lu une invitation à la lecture par Koz ?
Impressionnant. Et, vous ne croyez pas que tout ce que vous veniez d’exposer s’applique très précisément à votre cas, ici, encore plus qu’à tout autre ?
Une réaction aussi spontanée, assurée, sans aucune réelle connaissance du sujet, ne nous en apprend-il pas bieeeeen plus sur vous, vos peurs et votre inconscient, que sur l’inférence non formelle ? 🙂
(indice : ce n’est pas une vraie question.)
3)
Si l’on doit, comme vous le proposez, ne s’en tenir qu’à « l’expérience matérielle, mesurée, reproductible, scientifique pour tout dire » (qui passe pourtant tout autant par le filtre de nos sens),
alors comment pouvez-vous même écrire des mots comme « je », et nous proposez votre avis ou votre pensée ?
À ma connaissance, il n’existe aucune démonstration scientifique de « je », de l’individualité.
Vous devrez également faire sans l’amitié, et ne jamais prétendre aimer qui que ce soit.
Et l’on devra également conclure que le médecin du travail qui pèse et mesure son patient, le connaît donc bien mieux et bien plus réellement que les amis dudit patient qui n’ont aucune mesure scientifique matérielle reproductible à l’appui de leur prétendue connaissance.
4)
Cela n’a rien de spécifiquement moniste ni bouddhiste de penser trouver des vérités en soi : aussi bien, du point de vue catholique, Dieu est parfaitement transcendant ET immanent, puisque présent en chaque être existant comme source d’existence de chaque chose existante.
Que ce genre de principe, par contre, soit à manier avec une extrême prudence, au risque de prendre pour « la vérité universelle » un simple mélange de ses propres impressions nombrilistes, nous sommes d’accord.
PS : j’ai retrouvé l’encyclique de Pie XII en question, il s’agit de Humani Generis. http://www.vatican.va/holy_father/pius_xii/encyclicals/documents/hf_p-xii_enc_12081950_humani-generis_fr.html
@ Pneumatis:
C’est amusant… le premier livre de Newman a porté sur les ariens au IVe siècle et la réponse qu’a apporté le Concile de Nicée ! (Bref excellent exemple)
Petites questions : peut-on admettre une rationalité non scientifique ? La raison ‘est-elle le monopole de la science ? N’est-il pas dangereux de mesurer quelque chose avec un instrument inadapté ?
Soit dit en passant, le chrétien met sa foi, sa confiance dans une personne. Les outils rationnels pour appréhender le christianisme ne peuvent être que des outils comparables à ceux qui nous permettent de traiter des relations entre personnes. C’est déjà difficile… Quand on admet (j’avoue qu’il y a là un saut que certains ne peuvent pas faire même en imagination) qu’une des personnes (Dieu) est Amour, il est évident que la raison scientifique n’a rien à faire là dedans. [NB: dites moi si je suis hérétique]
@ PIC: avec toutes les précautions nécessaires puisque, in fine, moi non plus je n’ai pas lu ses écrits mais uniquement une bonne introduction par un spécialiste (et les développements de R. Fernandez), non, il ne s’agit pas uniquement de sens commun. Voir, là-dessus, ce que je citais, plus haut :
Honoré évoque à un autre moment une autre notion employée par Newman, qui vous aidera peut-être à saisir la première :
Gatien a écrit : :
Qui, en effet, ne s’oppose pas à la raison. Comment le pourrait-il d’ailleurs, alors que c’est bien la raison qu’il emploie pour ordonner ses développements ? Il n’est pas anti-rationnel mais anti-rationnaliste, c’est-à-dire que dans un contexte précis où l’on tentait de (et où l’on est parvenu à) étendre le mode scientifique de la raison à l’ensemble du fonctionnement de la raison, il s’oppose au fait que seul le syllogisme ou la logique démonstrative puissent être reconnus comme valides.
A cet égard er/ou pour développer, j’aime assez cet autre passage cité par Honoré (merci de noter que je me casse la nénette pour vous donner des passages précis) :
Et il cite :
J’en reviens à ce que j’aime assez donc, dans ce que je comprends de Newman : le fait qu’il prend l’homme dans sa globalité, sans en disqualifier une part. Je suis assez marqué par cette idée que l’on ne peut obtenir qu’une représentation du monde partielle et tronquée si l’on commence par tronquer une part du fonctionnement de l’esprit humain (sans, en aucune manière partir sur les chemins de l’irrationnel, mais d’une autre rationalité – et encore une fois, l’inférence non formelle n’est pas un « sentiment »).
Koz a écrit : :
Oui, merci. Je découvre avec plaisir cette distinction entre inférence non-formelle et inférence naturelle qui devrait me donner à réfléchir un moment. Ca devient subtil et coriace. Mais… oui, je sais, je devrais lire Newman.
NM a écrit : :
A mon sens, oui. Comme le dit Koz dans son dernier message, le rationalisme d’abord, puis le rationalisme scientifique, s’est érigé en monopole. Mais de même que la raison n’a pas le monopole des faveurs de notre intelligence, la raison scientifique (disons de ce qui est mesurable) n’a pas le monopole du rationnel. Pensez à la métaphysique, par exemple. La logique pure, elle-même, est un outil au service de la science, mais ne se résume pas à la science. La preuve, c’est que dans le domaine de l’intelligence de la foi, elle est au service de la « croyance ». J’espère ne pas répondre trop à côté de la plaque…
Tiens mon dernier commentaire est en attente de validation… y a pas de lien dedans pourtant.
Dans ce cas, il faut attendre la validation 😉
Parfois wordpress se vexe. C’est comme ça.
Koz a écrit : :
Ouais, désolé 😛 En fait mon second message, c’était plus une sorte de test/rappel (m’est arrivé sur un blog wordpress d’avoir un commentaire qui reste bloqué une semaine parce que l’admin l’avait pas vu). Désolé.
« Petites questions : peut-on admettre une rationalité non scientifique ? La raison ‘est-elle le monopole de la science ? N’est-il pas dangereux de mesurer quelque chose avec un instrument inadapté ? »
J’ai l’impression que certains mélangent la possibilité que nous avons tous de raisonner logiquement sur la foi et la faculté d’établir une connaissance scientifique sur un objet réel.
Si la foi en Dieu peut-être regardée, analysée sous l’angle de la raison, elle demeure une confiance et une croyance et à ce titre pas un savoir scientifiquement établi dans la mesure où Dieu n’est pas observable avec des instruments de mesure.
Concernant le débat (certes un peu éloigné de Newman, je m’en excuse) entre les différents moyens d’atteindre la vérité (intuition versus raison, si j’ai bien lu), j’ai été surpris, de la part des commentateurs chrétiens, de ne pas voir abordée (à moins que je n’aie sauté quelques lignes…) la question de la grâce.
Pour le chrétien, on n’atteint la vérité ni par l’intuition, ni par la raison. Ce n’est pas nous qui allons à Dieu (même si on peut faire une partie du chemin), en définitive, c’est Dieu qui vient à nous. La vérité est une Rencontre. Qui, de fait, déclenche une certitude profonde qui emporte la raison.
Mais ce processus n’est pas déductif ni intuitionnel. C’est n’est pas nous qui faisons, c’est Dieu qui fait en nous. Reste à l’accepter.
PS: je profite de mon premier commentaire sur ce blog pour féliciter le taulier de la qualité de ses proses, que je suis depuis près d’un an maintenant.
Vianney Mone a écrit : :
En fait j’ai posé la question dans un commentaire plus haut sur la place de la grâce et de la communication angélique pour Newman dans l’assentiment de l’intelligence, et si en particulier elle intervenait dans l’inférence non formelle, mais je n’ai pas eu de réponse… Faudra lire Newman pour savoir j’ai l’impression.
Merci Vianney pour votre ps.
En ce qui concerne les anges et la grâce, en effet, il vous faudra lire Newman pour savoir. Bon, moi, en trois bouquins, je n’en ai trouvé trace et j’avoue que ça me laisse perplexe. Non pas de ne pas en avoir trouvé trace, mais de vouloir rechercher l’intervention de Dieu en la matière. Ma certitude peut porter sur toute sorte de choses. Reprenons l’exemple du paysan qui prédit le temps : est-ce Dieu qui agit par sa grâce ? De même pour le policier qui trouve le meurtrier ? Vous me semblez extrapoler un peu largement sur le terme de vérité. Pour ce qui est du « chemin, la vérité, la vie », ok, je vous le concède, il serait fort délicat de prétendre y parvenir par nous-mêmes. Mais pour ce qui est de la météo ou de mes certitudes quotidiennes (qui ne se confondent pas nécessairement avec des vérités), je suis dubitatif sur la nécessité l’intervention divine.
Serais-je un mauvais chrétien ? Je me rassure en me disant que ce n’était manifestement pas premier non plus chez Newman, et qu’il sera béatifié dans 10 jours.
Pneumatis,
comme précisé par Gatien, je pense qu’il ne faut pas opposer logique et dogme, mais plutôt expérience / démarche scientifique et dogme.
La logique, et plus généralement les mathématiques, sont un outil qui marche très bien (avec quelques limites) pour des phénomènes déterministes « binaires », mais cette logique me semble par exemple totalement hors de propos pour, par exemple, la politique. Par simple logique, je peux assez facilement arriver à déduire tout et n’importe quoi. En partant de la proposition « l’homme est égoiste », j’arrive à reconstruire assez logiquement le communisme, qui, en pratique, ne marche pas (à mon avis, on peut l’affirmer maintenant après des échecs à degrés variables dans une trentaine de pays).
Par contre, je souhaiterais souligner le fait que les sciences « physiques » (étendues à la biologie qui marche aussi plutôt bien), et les techniques associées ont atteint, dans leurs domaines, un niveau de perfectionnement remarquable. Je ne dis pas que le but de la société est de faire de beaux avions et de beaux ordinateurs, mais je pense pouvoir affirmer que nous savons concevoir et produire efficacement des avions et des ordinateurs d’excellente qualité (avec une fiabilité de l’ordre de 99.9xxx%)
J’ai l’impression que beaucoup d’autres domaines sont beaucoup moins efficaces. Par exemple, j’ai l’impression que les hommes politiques, les philosophes, ou les religieux quand ils s’expriment sur les problèmes de société (je ne parle pas ici de foi qui est une autre histoire) se plantent plutôt beaucoup plus. Si j’avais à évaluer, j’ai quand même l’impression que le taux de grosses bêtises dans ces domaines est plutôt proche de 30 ou 50% que des taux de succès que l’on a dans les sciences et les techniques: pour être plus clair, je pense qu’au moins une politique publique sur trois, et une position majeure de l’église sur trois est à côté de la plaque.
Certes, les problèmes que traitent politiques et religieux sont difficiles. Mais il me semble que c’est aussi parce que ceux-ci refusent d’apprendre du réel qu’ils sont si inefficaces. Et c’est d’autant plus dommage que les domaines touchant à la politique et la morale sont très important, plus que les ordinateurs ou les avions.
@ Uchimizu
Votre distinction me paraît incorrecte. Si les sciences physiques ont autant de succès et d’applications techniques frappantes, c’est tout justement parce qu’en dernière analyse elles ont décidé de se déployer en prenant entièrement appui sur l’outil mathématique, et que les mathématiques ont dépassé largement ce rôle d’outil pour acquérir un statut parfaitement mystérieux.
Ce qui est frappant en effet, c’est la pertinence de concepts développés de façon purement abstraite et gratuite en mathématiques (ou, de plus en plus, par des physiciens théoriciens eux-mêmes), leur universalité (si ce champ a tant d’efficacité, c’est que nous comprenons et pouvons développer tous les mêmes maths) et leur incroyable adéquation aux réalités matérielles. Juste un exemple : l’invraisemblable correspondance entre les particules élémentaires et les représentations de groupes, avec le fait qu’on ait pu prédire l’existence de nouvelles particules, avant leur découverte effective. Comment le comprendre ?
On constate ainsi l’actualité toujours plus éclatante de cette intuition de Galilée : le monde est écrit en langage mathématique. Un langage incroyablement beau, merveille de la Création, ciselé par Dieu lui-même, et qu’il nous donne de pouvoir explorer et dominer de mieux en mieux.
@ Uchimizu: je vous renvoie à mes précédents commentaires, et j’ajoute à votre réponse que la logique c’est la logique. Un de ses fondements par exemple étant le principe de non contradiction (à savoir qu’on ne peut pas affirmer une chose et son contraire sous le même mode) et c’est valable quel que soit le prédicat. Comme vous dites, la logique est un outil. Elle sert à valider des théorèmes fondés sur des axiomes, des hypothèses, des combinaisons, etc… Evidemment que le résultat dépend de ce qu’on y met, évidemment que c’est complètement neutre sur le plan moral. Encore une fois, il ne s’agit pas de juger la logique. Ce que vous décrivez des difficultés de la logique à s’appliquer à certains domaines tient à :
1/ la complexité est grande du fait du grand nombre de paramètres non maitrisés et non évalués
2/ des intérêts conflictuels, comme l’opposition entre l’intérêt personnel du politicien et le bien commun qu’il est censé rechercher, qui font qu’il mettra parfois sa raison de côté pour y aller purement à l’instinct, par peur, manque de rigueur, … parfois il se salira simplement la conscience en préférant servir d’autres intérêts que ceux qu’on s’attend à le voir servir.
@Flam
Je suis en total désaccord avec ça. Il n’y a rien de mystérieux dans les mathématiques, juste un jeu de construction logique, éventuellement complêxe, allant d’un « si » à un « alors ». Le nombre de théories mathématiques inutilisées est immense, simplement parceque la physique, ou la vie réelle, n’ont jamais initié le « si » correspondant. D’un autre côté, les contraintes économiques et sociétale font qu’une part des mathématiciens ont tendance à se concentrer sur des problèmes qui pourraient avoir un lien avec un « si » réel.
L’exemple d’Einstein est éclairant. Il a formulé un ensemble d’hypothèses à partir desquelles il était totalement incapable d’arriver à la moindre conclusion. Pour l’aider, les (ou « un », je ne sais plus) mathématiciens ont développé l’algèbre tensorielle, et un système de notation que l’on appelle encore « convention d’Einstein » (http://fr.wikipedia.org/wiki/Convention_de_sommation_d%27Einstein), que j’utilise tous les jours.
Einstein n’a jamais décidé de « prendre appui » sur les mathématiques, il en a simplement eu besoin, comme résumé dans cette citation fameuse : « Ne vous inquiètez pas, si vous avez des difficultés avec les maths, je peux vous assurer que les miennes sont bien plus importantes ».
Qu’est-ce qui est invraisemblable? Que des physiciens posent un problème formel auquel des mathématiciens ont déjà pensé? C’est très banal. Vous mettez 2 iphones dans un sac, puis encore 2, vous comptez : il y en a quatre. Incroyable! Les grecs avaient déjà prévu que 2 iphones + 2 iphones = 4 iphones.
Pas vraiment, mais on fait ce qu’on peut pour l’y réduire, car ensuite on peut appliquer la méthode Feinman : « Ferme-la et calcule ».
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_de_Copenhague_%28physique%29
@ Uchimizu
Nous savons construire des avions et des ordinateurs d’excellent qualité. Mais le vrai problème, c’est à quoi nous utilisons ces avions ou ses ordinateurs, depuis faire la guerre jusqu’à sauver des vies.
L’efficacité de la science est purement instrumentale. C’est déjà très bien, mais cela ne répond pas à notre problème.
@Gatien : vous vous trompez sur l’exemple d’Einstein, qui montre le contraire. En effet, l’algèbre tensorielle prédate Einstein de plusieurs dizaines d’années (les idées ont été mises en place par Gauss dans la première moitié du XIXe, avant que la présentation soit renouvelée par Grassmann puis par les géomètres italiens des années 1890 tels que Ricci). On lit dans la WP anglaise :
Einstein had learned about them, with great difficulty, from the geometer Marcel Grossmann. Levi-Civita then initiated a correspondence with Einstein to correct mistakes Einstein had made in his use of tensor analysis. The correspondence lasted 1915–17, and was characterized by mutual respect, with Einstein at one point writing :
“ I admire the elegance of your method of computation; it must be nice to ride through these fields upon the horse of true mathematics while the like of us have to make our way laboriously on foot. «
Le fait de prédire l’existence d’une particule pour raisons de modèle mathématique, puis de l’observer exactement telle que décrite me semble parfaitement irréductible. Si les mathématiques n’étaient qu’un outil suffisamment souple pour être plaqué sur n’importe quelle réalité, elles ne permettraient pas ce genre de découverte (d’un objet nouveau).
Quant aux thèses de l’école de Copenhague, je ne vois pas le rapport avec le sujet : il s’agit surtout des « règles » pour une bonne traduction des concepts de la mécanique quantique, pas de considérations sur la nature même du lien entre les mathématiques et le réel. De la physique, pas de la métaphysique.
@Flam
Merci de me corriger. C’est donc seulement le système de notation qui a été adapté pour Einstein.
Ca ne change rien à ma remarque, qui est que la chronologie n’a aucune importance. Je ne vois rien d’étonnant dans le fait qu’un physicien construise un modèle mathématique (typiquement un système d’équations) que les mathématiciens ont déjà étudié sans se soucier des applications ultérieures.
Ce ne sont pas les mathématiques qui prédisent des choses, mais bien les modèles qui sont proposés par des physiciens.
Je dis : le monde est écrit en langage mathématique… par les physiciens!
Pour être aussi positiviste, vous devez être mathématicien? 😉
@Gatien (suite) : Qu’est-ce qui est invraisemblable? Que des physiciens posent un problème formel auquel des mathématiciens ont déjà pensé? C’est très banal.
Je renvoie la question : connaissez-vous beaucoup de théories mathématiques qui n’ont pas d’application physique ?
Des « études de systèmes formels » on peut en mener dans absolument toutes les directions, et pourtant en mathématiques, on ne cherche pas n’importe quoi. Ce qui prévaut dans le développement des mathématiques ce sont
des considérations utilitaires (je cherche à modéliser telle réalité) : normal que ça colle à la réalité
des considérations purement esthétiques (et loin d’être arbitraires !), ce sont celles que je qualifie de gratuites, et il est surprenant qu’elles ne restent pas gratuites longtemps.
Pour en revenir à Newman, cette idée d’inférence non formelle me paraît très intéressante et correspond à quelque chose de familier sur lequel j’avais du mal à mettre un nom. Je remercie Koz pour ce billet, ainsi que les riches commentaires, ça donne envie de continuer à creuser !
Les mathématiques ce n’est pas « des systèmes d’équations ». C’est bien plus la recherche de l’élégance formelle, dans une exigence de cohérence bien sûr (mais on ne développe pas n’importe quels trucs du moment qu’ils sont cohérents : seulement ceux qui sont beaux). Et je suis très loin d’être positiviste même si je pratique les maths (sans prétendre à un titre de mathématicien). Je crois en effet que c’est Dieu qui tient la plume et qui nous donne d’apprendre à lire le langage dans lequel il a écrit la Création (du moins sa part matérielle – et encore, hors miracles).
@Flam
Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas. J’ai écrit : « un physicien construi[t] un modèle mathématique (typiquement un système d’équations) « .
Un modèle mathématique, ce n’est pas les mathématiques, c’est là-dessus que je vous trouve un peu flou. Les mathématiques ne disent rien du réel. Les modèles mathématiques (fabriqués par/pour la physique, l’économie, la biologie, la climatologie, etc.), si.
Je pense que nous aurons du mal à accorder nos violons. Il n’y a pas assez de place ici. Dommage.
Bonjour Flam,
Je ne vois pas bien ce qui vous étonne. Ce sont des considérations de symétrie qui ont conduit les physiciens à envisager l’existence de nouvelles particules, or, la théorie des groupes est justement cela : un outil pour envisager les symétries. Il est tout à fait naturel qu’on l’applique à la mécanique quantique (et au réel en général, qui ne semble pas avare de symétrie).
De plus, il ne s’agit jamais, pour le physicien, de piocher dans la théorie mathématique une équation idéale qui, ô merveille, donnerait déjà la réponse à leur problème. Dans le cas d’espèce, la théorie des groupes ne fait que définir les propriétés générales des groupes, pas leur contenu, et il y autant de groupes différents que vous le voulez. Il a donc fallu aux physiciens piocher dans les différents groupes, et débusquer l’un d’eux, qui correspondait à leur problème, de préférence déjà bien analysé pour se faciliter la vie, mais ce n’était même pas obligatoire. (En l’occurrence, ils se sont servis de groupes matriciels, comme souvent en physique, et là encore, quoi de plus normal ? Pour organiser un ensemble de données à n dimensions, c’est parfaitement adapté. Et que les mathématiciens les aient déjà analysés aussi : c’est extrêmement utile dans bien des domaines, dès qu’il s’agit d’analyser des données complexes.) Reste à le nourrir des données du problème, à l’adapter aux réalités. Tirer enfin quelques prédictions de sa structure de groupe n’était que parfaitement naturel.
On s’émerveille souvent à tort de l’adéquation des mathématiques au réel. C’est à l’inverse qu’il faut prendre le problème. Les mathématiques peuvent tout formaliser. Reste à trouver le bout de réel qui leur correspondra.
Koz,
Certainement, mais j’aurais du mettre un V majuscule à ma Vérité. Je parlais en effet de la Vérité qui nous fait avoir puis découvrir la foi, de la Vérité ultime, et non de celles qui nous amènent à prédire la météo. (Bien que, selon le mot de Fabrice Hadjadj, « ce n’est pas nous qui avons la foi, c’est la foi qui nous a »)
Concernant les vérités plus simples, les petites vérités quotidiennes, j’aurais tendance à penser que les deux tentations sur ce point sont de nier tout hasard (qui conduit à “croire au destin” et à s’imaginer que tout est écrit d’avance depuis longtemps, que l’Homme n’a aucune liberté, et, pour le croyant, à voir Dieu partout, ou pire, à tout justifier par Dieu) et de dire que tout est hasards et coïncidences (qui conduit à rejeter toute croyance en bloc, et à penser que l’humanité progresse systématiquement à l’aveugle).
N’oublions pas cependant que certains, chez les catholiques, ont pu dire « Tout est grâce », et s’en trouver canonisée.
Mais je m’éloigne du sujet.
Ces échanges sont passionnants.
Juste une petite conclusion intermédiaire et personnelle : articuler plutôt qu’opposer.
Flam,
Les sciences physiques, autant que je les comprenne, sont faites de périodes où l’on a un système d’outils mathématiques,et des règles de physique qui marche bien, et de périodes où cela est plus difficile.
Quand on a un système d’outils mathématiques qui marche bien, et une série de lois de physiques correspondant bien au réel, on peut effectivement faire de gros progrès grâce au calcul. Les meilleurs exemples sont peut-être la physique de Newton (1), et les débuts de la relativité / l’électromagnétisme. Mais même dans ces périodes, les mathématiques n’agissent pas seul: c’est bien le physicien qui a écrit les équations de Maxwell (2), qui ont permis ensuite, grâce, il est vrai aux outil mathématiques associés (analyse…) de faire d’énorme progrès. Et ces progrès sont intéressants parce qu’ils ont été confirmés par l’expérience, qui est un pilier fondamental des sciences. Mais ces progrès ont toujours une limite.
Il y a aussi des périodes où cela pédale dans la choucroute. C’était le cas quand on a commencé à trouver que les calculs de la physique newtonienne ne correspondaient pas au mouvement des planètes, et c’est également le cas maintenant, puisque l’on est, semble-t-il, en train de s’apercevoir que les théories les plus récentes de la physique ne mènent pas à grand chose, malgré le développement d’outils mathématiques extrêmement puissants, mais qui ne correspondent simplement pas au réel. En tout cas, ces dernières années, il semble que ce soit bien la physique qui tire les mathématiques, et pas l’inverse. C’est pour répondre à des besoins de calcul précis des physiciens que les mathématiciens développement leurs outils.
Pour changer de sujet, Aristote, je sais bien que le plus important n’est pas de bien construire un avion, mais de l’utiliser pour quelque chose d’utile. Et je regrette profondément que ceux qui prétendent nous dire comment utiliser l’avion fassent beaucoup plus mal leur travail que ceux qui le construisent, et se réfugient souvent derrière une certaine paresse idéologique. C’est vraiment parfois donner de la nourriture aux cochons.
(1) Apparté numéro un: on ne parle pas assez de Newton, que certains considèrent, à mon avis à juste titre, comme l’homme le plus important de l’histoire de l’humanité.
(2) Apparté numéro deux: je pense que les équations de Maxwell sont un exemple intéressant de la beauté incroyable que peuvent avoir les mathématiques. peut-être que Koz pourrait aussi nous citer quelques exemples de texte de loi qui sont aussi d’une grande beauté: je suis sûr qu’il y en a.
P = mG !
Le sort de l’Humanité en a été bouleversé…
Quelles vues étroites. C’est atterrant.
Bon on est en train de bassiner l’assistance avec des chamailleries, alors j’en écris un petit dernier pour la route puis j’arrête c’est promis.
Je constate que l’on prête une plasticité aux mathématiques, qui semblent être pour beaucoup une sorte d’outil à rendre compte de n’importe quoi, qu’elles sont loin d’avoir. Ceci explique sans doute une grosse part du désaccord d’interprétation.
Je rebondis juste sur la remarque que des résultats de physiques qui ne résultent « que de considérations de symétrie » seraient « banals ». C’est peut-être maintenant considéré comme banal, parce que 100 ans se sont passés depuis la systématisation de l’idée de symétrie abstraite en physiques (avec l’apport de Pierre Curie), elle-même issu de la systématisation de son introduction en maths (avec le programme d’Erlangen de Felix Klein). Mais cette notion même de « symétrie » est une vraie découverte, une vraie irruption en mathématique, fruit des travaux de Gauss et Galois.
Si on reprend le film à l’endroit, tout ça n’a rien d’évident : d’abord, Galois met en évidence dans un concept de nature purement mathématique (les solutions d’équations polynomiales) une forme de régularité abstraite (la notion abstraite, et délicate, de symétrie, en termes mathématiques, une action de groupe). Klein et d’autres se rendent compte que de très nombreux domaines mathématiques (comme la géométrie) s’agencent merveilleusement bien en les refondant sur cette idée structurante de symétrie. Et enfin, ultérieurement, on réalise que si on introduit cette idée de symétrie (la symétrie abstraite, pas la symétrie « bête »), elle parvient à rendre compte de certaines des plus fines réalités physiques. Et même, elle rend compte de ces réalités à un degré d’exactitude qui rend invraisemblable l’idée commune : « de toute façon y aura toujours un modèle mathématique qui colle plus ou moins bien ».
Et maintenant, comme on nous apprend la science dans un ordre inverse de l’ordre historique, ce qui a été le plus long à émerger nous semble le plus commun. On considère qu’il a toujours été évident que la symétrie abstraite et la symétrie « bête » c’est la même chose.
Enfin, si on estime que les maths sont juste une boîte à outils qui se développe suivant sa logique propre sans rapport avec la réalité physique, on devrait trouver des quantités de concepts mathématiques simples sans traduction concrète. Où sont-ils ?
PMalo,
Newton, ce n’est pas seulement la gravité, ce sont aussi les trois lois universelles du mouvement (toute la physique classique), l’optique (dont le premier télescope rempli), un peu d’acoustique, une partie des mathématiques modernes (avec Leibniz). Cela fait beaucoup.
Certains considèrent que sans Newton, les sciences physiques auraient pris plus de 50 ans de retard. Et les progrès des sciences ont été très certainement l’élément majeur de l’histoire de ces 400 dernières années en Europe, par les effets directs pour le mode de vie. Mais je pense que les sciences modernes ont aussi, indirectement, permis l’émancipation de la société européenne.
Vous pouvez regarder une tentative intéressante d’un américain de classer les personnes les plus importantes de l’histoire humaine à cette addresse: http://en.wikipedia.org/wiki/The_100 .
@ PMalo:
Puisque certains jouent les prolongations, je me permets de réchauffer un plat. Merci Gatien pour votre sollicitude sympathique, voire affectueuse, mais pas sans arrière-pensée. Quand j’écris « quand nous nous serons débarassés de tous nos oripeaux », par oripeaux j’entends nos certitudes non démontrées, en aucun cas nos croyances, qui sont une nécessité. Quand j’écris « l’Amour sera notre dernière intuition synthétique », je m’exprime à titre collectif et avec une sincère inquiétude : je pense honnêtement que le désespoir et l’individualisme progressent à une vitesse phénoménale et je m’interroge très sincèrement sur le fait que l’Amour tiendra encore debout à la fin. En d’autres termes, dans combien de temps les gens remettront-ils majoritairement en cause le postulat selon lequel aimer les autres est « bien ». Quant à votre arrière-pensée, j’associe intimement Dieu et Amour, car j’estime avoir été au bout de ma démarche matérialiste et n’y avoir trouvé aucune trace d’Amour.
Je rebondis alors sur la réponse de Yogui, égal à lui-même, et répète : La raison n’impose que ce qu’elle peut démontrer (inférence formelle). En revanche elle est effectivement utile à faire le tri dans notre expérience du monde, de façon statistique d’une certaine façon, ou synthétique plutôt, pour trier dans nos croyances. Cette intuition est sans doute de la raison également mais elle n’a aucune autorité définitive, et tout ce que vous écrivez, Yogui, est donc « ma vision du monde est celle-ci, et je m’arroge la raison, donc tous doivent être d’accord avec moi sous peine d’être déraisonnables/abrutis ». Et là je dis, si Yogui avait conscience que son matérialisme est une croyance en se débarrassant de l’oripeau de la certitude,il serait moins psychorigide et pourrait beaucoup mieux s’enrichir de ce débat-ci (sur d’autres sujets, sa participation est plus intéressante).
Inférence informelle à rapprocher d’intuition synthétique, là j’en viens à Koz, qui estime que c’est à celui qui affirme l’existence de Dieu de faire la preuve. Pas d’accord, la différence existence/inexistence est factice et il n’y a pas de preuve à faire. Une intuition synthétique ne prend pas un petit bout du système pour s’interroger sur sa réalité, elle prend un système complet de croyances et s’assure qu’il n’y a pas d’incohérence manifeste (ce système de croyances inclut également dans mon esprit des éléments que l’on qualifierait de matériel, objectif). En résumé pour l’exemple en cours, il faut comparer un système de croyances où seule la matière existe, à un système de croyances où Dieu créateur existe, et non pas particulariser la question de Dieu pour faire surgir une notion artificielle d’existence ou pas.
Pour conclure, là où l’inférence formelle, ou démonstration, est hyper puissante, c’est pour juger de la validité d’un système de croyances. Celle-ci se mesure à la cohérence des différentes assertions qui le composent. Si deux croyances de votre système de pensée aboutissent à des conclusions irréconciliables, changez-en. Et ça marchera comme je le disais plus haut, car dans nos systèmes de croyances, c’est nous qui maîtrisons les définitions de départ. A ce titre, quand Yogui écrit qu’il est impossible à la raison de démontrer une inexistence, il a tort, et un peu tort (et ne respecte pas beaucoup la Raison soit dit en passant). Tort parce que même si nous maîtrisons très mal des définitions complètes, il est parfois possible d’isoler des caractéristiques inévitables de l’objet en étude, et de démontrer que cette caractéristique est en elle -même incompatible de telle ou telle constatation : il y a alors impossibilité de l’existence. Un peu tort, parce qu’il suffirait qu’il donne plus de détail sur sa définition du monstre du Loch Ness pour que la raison puisse en démontrer l’inexistence, typiquement en vidant le Loch et en regardant ce qu’on y trouve au fond. Quant aux grenouilles qui parlent, je serais excessivement prudent étant donné le nombre faramineux d’espèces non connus dans les forêts vierges et la capacité de certains oiseaux tropicaux en la matière…
En résumé (je sais j’abuse), l’inférence non formelle est un outil très utile pour émettre des hypothèses pas trop improbables pour appréhender le monde, hypothèses à faire tester par l’inférence formelle par la suite. En se limitant strictement au « je ne crois que ce que je vois », je doute un peu qu’on ait jamais découvert l’atome, le système héliocentrique ou que les Noirs avaient une âme…
Cher Uchimizu, je prierai tout spécialement pour vous, pour que votre vue s’élargisse, prenne de la profondeur, de l’ampleur… !
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Eh bien dites-moi, ça va pas mieux, au Temple 😉
C’est donc après la bataille et de brefs congés que me revoilà. Lira qui pourra.
Flam,
Vous dites : « Enfin, si on estime que les maths sont juste une boîte à outils qui se développe suivant sa logique propre sans rapport avec la réalité physique, on devrait trouver des quantités de concepts mathématiques simples sans traduction concrète. Où sont-ils ? »
Partout. Prenez la théorie des cordes, qui se casse la figure en ce moment même sous nos yeux ébahis. Exemple parfait d’arrogance théorique : les outils mathématiques sont là, pourquoi ne pas les utiliser ? Et pourquoi ne pas ajouter des dimensions pour concaténer nos données, tenez ? Oh et puis zou, plaçons-nous dans une structure E8 à 248 dimensions, histoire de pouvoir décrire les symétries d’objets qui en comporteraient jusqu’à 47, tant qu’on y est ? Pourquoi ne pas « voir » du réel dans cette adéquation parfaite ? Bah oui pourquoi pas ?
Eh bien, parce que tout cela ne correspond à rien, en réalité. Tout cela n’est justifié par aucune expérience ne serait-ce qu’imaginable. Tout cela est ad hoc. Tout cela ne dit rien du monde. Il ne fait que le modéliser.
Lorsque vous affirmez cela, pardon, lorsque vous posez cette question, c’est vous qui en réalité prenez l’histoire à l’envers. Vous oubliez les quantités astronomiques de théories, de notions mathématiques oubliées car n’ayant jamais à rien servi. Que faites-vous des infinitésimaux ? Pour revenir à Galois, que faites-vous des tonnes et des tonnes de papier noircies dans l’espoir de résoudre les équations quintiques ? Que faites-vous des factorions dont tout le monde se fout à tel point qu’ils n’en ont jamais connu même le nom ?
Et ce n’est pas fini. Si nous affirmions que l’adéquation des mathématiques avec le réel est si belle, si magique, de quelles mathématiques parlerions-nous exactement. Quelle géométrie, euclidienne, riemannienne, lobatchevskyenne ? Et l’axiome du choix ? L’hypothèse du continu ? D’accord, pas d’accord ? Et puis allons. Suivons Gödel : à votre avis, le réel est-il incomplet, ou plutôt contradictoire ? Il faut choisir, semble-t-il. Les mathématiques ne sont pas au pluriel pour rien. Décidément oui, cela me semble être à rebours que de choisir les bouts qui conviennent en physique et de déclarer : regardez cette magnifique adéquation !
Je vous taquine (enfin, si vous me lisez, ce qui est tout à fait improbable), mais en résumé : la modélisation du monde par les mathématiques est un long processus, chaotique, qu’on serait tenté de lisser lorsqu’on le survole, mais qui de près affiche échecs (Russell !), erreurs (Leibniz !), et allers-retours (les vecteurs, qui viennent de la physique), comme s’il en pleuvait. Mais c’est qu’il y a une grande ingéniosité humaine, et une pugnacité non plus petite, qui font que lorsqu’un modèle existe, il y a fort à parier que quelqu’un, un jour, probablement aidé par les travaux d’un millier d’autres, le trouvera. Et boum, eurêka, nous ne retiendrons que la bonne formule.
À côté de ça, des bouts de réels de grande importance, sur lesquels on s’échine depuis des siècles, n’admettent qu’un modèle au mieux statistique. Et nous l’utiliserons quand même car, même confuse, toute théorie nous sera utile, tant qu’elle sera un tant soi peu prédictive. Demandez donc à miss météo.
Bref.
C’était bien, koz, vos vacances ?