Trop, c’est trop

Faut-il rappeler les noms de Nadine Devillers, Vincent Loquès, Simone Barreto Silva ? Tous trois assassinés dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption le 29 octobre 2020, eux qui étaient venus y prier. Ils ont payé de leur vie leur appartenance à ce pays et la vision islamiste d’une France nécessairement chrétienne. Faut-il rappeler que, dans cette affaire, les catholiques sont des cibles et non des menaces ? Fallait-il donc qu’ils meurent, pour ce pays aussi, pour qu’on les oublie aussitôt et que, trois mois plus tard, le député Florent Boudié, rapporteur du projet de loi « séparatisme » imagine mettre en cause le consentement des enfants à leur première communion ? Ont-ils versé leur sang pour que Gérald Darmanin déclare qu’il ne peut discuter avec quelqu’un qui refuse d’écrire que la loi de la République est supérieure à la loi de Dieu ? Si chacun se souvient légitimement de Samuel Paty, leurs noms ont, eux, été rapidement effacés et leur mémoire, flétrie.

Faut-il rappeler encore le nom de Jacques Hamel, égorgé dans son église, lui qui entretenait des rapports fraternels avec la mosquée voisine et rappeler aussi les remerciements de François Hollande aux catholiques qui n’ont, à aucun moment, crié vengeance mais ont tenu serrés les liens de la République ? Son sang a-t-il coulé pour que l’on entende à l’Assemblée Eric Cocquerel fustiger les voiles des mariées et Alexis Corbière le vœu des Echevins ?

Si l’on attend peu de ces derniers, comment accepter les propos de Marlène Schiappa sur les prétendus certificats de virginité chez les Evangéliques ? Ceux de Gérald Darmanin les qualifiant de « problème important pour la République » ? Comment ? A quel titre ? Lesquels ? Quand donc mettent-ils en danger la République ? Quand entretiennent-ils un quelconque séparatisme ? Le ministre n’a jamais répondu. On peut évidemment ne pas croire en Dieu, on peut aussi croire en Lui et ne pas suivre les Evangéliques, on peut même s’opposer aux pratiques de certains (et j’ai eu à le faire, fortement, dans une rame de RER) sans généraliser ni y trouver une menace quelconque.

J’ai longtemps cru que la France était piégée par les nécessités concomitantes de viser les seuls comportements véritablement inquiétants – liés à l’islamisme radical – et l’impossibilité de discriminer entre les religions. J’ai cru que ces politiques jactants n’affligeaient les chrétiens que par cynisme et opportunisme, pour se dédouaner de toute islamophobie. Mais l’hostilité forcenée à toutes les religions dont le flot des déclarations de ces jours derniers témoigne paraît bien assumée. La République – à tout le moins certains, en son sein hospitalier – renoue avec ses vieux démons, sa lutte contre les croyants, du temps où elle expulsait des Français de leur propre pays pour la seule raison qu’ils étaient religieux, avant de ficher les officiers catholiques.

A quoi riment aujourd’hui les déclarations d’hier, quand Emmanuel Macron déclamait « qu’une Eglise prétendant se désintéresser des questions temporelles n’irait pas au bout de sa vocation » et s’enthousiasmait ainsi, aux Bernardins :

Lorsque vient l’heure de la plus grande intensité, lorsque l’épreuve commande de rassembler toutes les ressources qu’on a en soi au service de la France, la part du citoyen et la part du catholique brûlent, chez le croyant véritable, d’une même flamme.

Discours du Président de la République Emmanuel Macron devant les Evêques de France, 9 avril 2018

Qui, parmi nous, écrirait ces lignes vibrantes qu’il a prononcées alors ?

Si les catholiques ont voulu servir et grandir la France, s’ils ont accepté de mourir, ce n’est pas seulement au nom d’idéaux humanistes. Ce n’est pas au nom seulement d’une morale judéo-chrétienne sécularisée. C’est aussi parce qu’ils étaient portés par leur foi en Dieu et par leur pratique religieuse.

Discours du Président de la République Emmanuel Macron devant les Evêques de France, 9 avril 2018

Ces paroles avaient-elles un sens pour Emmanuel Macron ? Il est des moments où le « en même temps » a le goût amer de l’habileté dérisoire et de l’inconséquence, par-delà le grotesque. Quand donc ce pouvoir montre son vrai visage ? Si c’est aux Bernardins, alors rappelez vos troupes, Monsieur le Président !

Rappelez-les car elles sont insultantes.

Rappelez-les car elles sont blessantes.

Rappelez-les car elles sont une menace pour la République.

Si l’appréciation du catholique que je suis (chronique du 2 février 2021, La Vie) ne saurait convaincre un athée militant, celle, quasi-identique dans ses termes, de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme pourrait rappeler certains aux principes qu’ils proclament : « le projet de loi prend le risque de fragiliser les principes républicains au lieu de les conforter » (avis sur le projet de loi confortant les Principes de la République, 4 février 2021).

Parmi ces principes, et contrairement à ce que ce projet et les propos qui l’accompagnent croient pouvoir affirmer, il y a la séparation des Eglises et de l’Etat. Séparation, non soumission.

Les associations n’ont pas à « s’engager à respecter l’ordre public » tel que défini par tel gouvernement que l’avenir nous donnera ou tel potentat local selon son bon plaisir. Comme le souligne la CNCDH, cette disposition « ferait naître un climat généralisé de méfiance envers des associations qui pourtant ont un rôle fondamental pour faire vivre les valeurs de la République ». Combien d’associations d’inspiration religieuse, loin de pouvoir être suspectes de séparatisme, sont les premières – quand elles ne sont pas seules – à maintenir les liens de fraternité dans notre société ? Et quand bien même elles ne respecteraient pas l’ordre public tel que le pouvoir le conçoit, c’est parfois l’honneur d’une association ou de toute personne que de privilégier sa conscience aux lois circonstancielles.

On le voit à Calais, quand le Secours Catholique propose des douches aux migrants contre l’avis du préfet, tandis que cette fameuse République préfère lacérer leurs tentes, au beau milieu de l’hiver. On le voit en France, on le voit ailleurs ou en d’autres temps quand c’est au nom de leur foi que des chrétiens refusent de placer les lois de leur Etat plus haut que leur conscience, que ce soit hier en Autriche ou aujourd’hui à Hong-Kong, quand ce sont Joshua Wong, Agnès Chow ou Nathan Law, tous chrétiens, ou encore le patron de presse Jimmy Lai, catholique, qui portent les espoirs de liberté d’un peuple, et croupissent en prison. On est heureux alors que certains placent encore la loi de Dieu au-dessus de celle de César.

Il serait temps de rappeler aux troupes laïcardes et athées que nous ne sommes pas la chose de l’Etat, sa créature et son sujet. La personne préexiste au citoyen, elle n’abdique pas sa conscience dans le contrat social.

Il y a deux ans, celui qui écrivit : « Si je devais lever mon verre, je le lèverais d’abord à la conscience, puis au pape», John Henry Newman, fut canonisé. Même l’Eglise reconnaît la conscience éclairée comme le lieu ultime de la décision éthique. Il serait heureux que la République se mette à sa hauteur !


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22 commentaires

  • Magnifique chronique. Lumineuse. Salutaire.
    La seule minuscule chose à ajouter, ce serait que les « troupes » de l’actuel président de la République ne sont pas seulement « insultantes » et « blessantes », mais incultes et obtuses. Qu’elles ne sont pas seulement « une menace pour la République », mais plus généralement une menace pour l’intelligence.

  • « Ces paroles avaient-elles un sens pour Emmanuel Macron ? Il est des moments où le « en même temps » a le goût amer de l’habileté dérisoire et de l’inconséquence, par-delà le grotesque », écrivez-vous. C’est vrai, et il faut aussi se demander si M. Macron ne s’enivre pas parfois des tournures lyriques de ses discours, quoi qu’il y soit dit.
    Pour revenir aux propos – qu’il faut bien qualifier de délirants – de certains de nos chers députés et ministres, il est nécessaire de dépasser l’amusement, l’indignation et même (comme le fait remarquer Jean-Marie Salamito) le constat de l’ignorance crasse de leurs auteurs. Ces gens ne croient pas en Dieu ? Libre à eux.
    Tous ont le mot « République » à la bouche, à longueur de bavardage. Qu’entendent-ils par là ? Le régime politique en vigueur en France par les temps qui courent ? L’Etat et la manière dont il doit fonctionner pour être au service du pays (et du peuple) ? Ou quelque idole ramassée dans une brocante à laquelle ils auront donné un nom aux sonorités flatteuses et dont ils prétendront imposer un culte jaloux ?

    • Bonne question. Je n’imagine pas y répondre mais, même si la religion mérite des critiques, même si l’éclairage apporté par l’Eglise sur sin interprétation de la « loi de Dieu » peut être critiqué lui aussi, la « République » a des lois si variables et circonstancielles et pas toujours conformes à l’éthique, à la morale, au Bien, qu’exiger une adhésion permanente et par avance à tout ce qui serait voté donne effectivement un sentiment étrange sur ce qu’est pour eux la République.

  • Une bonne partie de LREM provient du PS laïcard. La question n’est pas pour eux de camoufler un anti-islamisme derrière le paravent d’un contrôle des religions, mais de régler son compte au christianisme, encore la plus importante des religions en France, en utilisant le levier de la lutte contre le séparatisme islamiste.

    • Tu as raison mais ce n’est pas suffisant : Darmanin n’en est pas issu. Il est pourtant l’auteur de nombres des déclarations les plus problématiques.

  • Ben voilà, les masques du conservatisme tombent enfin !
    Non, il n’y a pas que les laïcards qui soutiennent la loi séparatisme mais des catholiques aussi qui en ont assez des jugements des parfaits qui étouffent la spiritualité. Oui, je confirme que la loi est nécessaire pour contenir les dérives ordinaires quotidiennes des religions : surdimentionnement du péché, dénigrements, mépris et isolement de ceux qui voudraient faire avancer une autre église, une autre fraternité. Sortez de votre bulle !

    • J’imagine que j’ai affaire à une experte, en matière de bulles. Il faut ça pour imaginer que la loi sur le séparatisme ait l’objet que vous lui prêtez.

  • Ne pensez vous pas que les illustrations « « « catholiques » données par les rapporteurs/ défenseurs de la loi contre les séparatisme ont surtout pour objectif de se dédouaner de la critique d’islamophobie ?

    • C’est ce que je crois depuis longtemps, comme je l’explique dans le billet. Mais j’en suis bien moins convaincu aujourd’hui, et une conversation récente avec un/e ami/e (permettez que je brouille un peu les pistes, au cas où) journaliste va dans ce sens. Pour eux, il n’y aurait qu’une différence de degré entre les actes reprochés, mais tout serait de la même nature, justifiant un combat contre toutes les religions.

      Je suis donc aujourd’hui bien moins convaincu que ce ne soit qu’une habileté, ou un manque d’intelligence.

  • Encore merci Koz. Je ne commente pas toujours vos articles mais il est rare qu’ils me soient indifférents. Aujourd’hui, j’ai besoin de vous dire : essayez de le faire paraître ailleurs que chez vos lecteurs. Cet article devrait figurer à la une des journaux et surtout des journaux lus chez nos « intellectuels » si l’on appeler comme ça les incultes athées et hargneux qui nous gouvernent.
    Je vais essayer d’envoyer l’article à plusieurs de mes connaissances.Courage. Tenez bon.

    • Merci à vous. De temps à temps, j’aime bien nourrir mon blog d’un texte en primeur. Mais évidemment, je ne détesterais pas lui donner plus d’audience. Après, je publie déjà, au moins, dans La Vie (cf le lien dans mon billet, et sa reprise dans ma publication précédente ici).

  • Je pense qu’il faut effectivement attendre la majorité de l’enfant pour qu’il décide de se faire baptiser. De même, il faut attendre la majorité pour qu’il se choisisse un prénom, pour qu’il décide d’aller à l’école, pour qu’il se fasse vacciner. Il ne faut surtout pas l’inscrire au club sportif avant 18 ans, ni lui payer des leçons de conduite….

    • … Et s’interdire de lui apprendre à parler avant sa majorité. Il pourra alors exprimer plus librement le choix de sa langue maternelle.

      • Mais au fait, j’y pense! N’est-il pas criminel d’avoir des enfants? Personne ne leur demande leur consentement pour les créer 🙂

  • « Il serait temps de rappeler aux troupes laïcardes et athées que nous ne sommes pas la chose de l’Etat, sa créature et son sujet. La personne préexiste au citoyen, elle n’abdique pas sa conscience dans le contrat social. »
    Merci Erwan.

  • La conscience peut conduire à la foi, la foi à l’Espérance, l’Espérance et la Confiance sont sœurs, confiance en la prière : Seigneur fais de nous des instruments de Ta paix.
    MERCI

  • Merci pour ce billet.

    J’avoue que je suis atterré par l’ensemble des dérives en cours. C’est profondément affolant.

  • Et si l’on recherchait les doctrines philosophiques où les croyances que professent les députés, spécialement de la République en Marche, que trouverions-nous ? Est-ce que nous ne trouverons pas beaucoup beaucoup de franc-maçons, notamment de l’obédience du Grand Orient qui se veut une obédience athée et détestant la religion catholique ? Rappelons-nous que ces députés pour la plupart viennent de nulle part, n’ont pas de passé politique. Ils ont été choisis, sélectionnés par Delevoye et un comité qui l’entourait Or Delevoye est franc-maçon. Il serait temps pour des raisons d’honnêteté que chaque député ou personnes aspirant à des fonctions politiques publiques affiche au nom de quoi il agit: en tant que chrétien? en tant que socialiste? en tant que communiste? en tant qu’attend? en tant que musulman? en tant que franc-maçon?

  • rendez à César et rendez à Dieu : cette séparation sans doute propre au christianisme n’est pas naturel à César. L’empire romain d’Orient quoique catholique ne l’acceptait pas vraiment, l’empereur l’emportait sur le patriarche, et le pape était loin de Constantinople, dans une Rome déclassée.

    Nos politiques montrent que la liberté de penser , d’opinion, etc, ne leur est pas naturelle. Sans doute avons nous une fausse image de la Révolution, son héritage propre n’est-il pas surtout la levée en masse, le service militaire, la transformation du manant en chair à canon. Il en a été de même en URSS.

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