Totems migratoires

La politique vit trop souvent au gré de ses « marqueurs », tabous et totems inversés d’un camp et de l’autre. Chargés de dessiner la ligne de partage, ils ne s’embarrassent guère de vérité ni de nuances. L’immigration en est un. La gauche s’abîmera dans une générosité aveugle, la droite dans une sévérité bornée. L’insupportable drame qu’est le meurtre de la jeune Philippine de Carlan, solaire et généreuse, intervenu alors que déjà le débat renaissait, était probablement la plus indécente occasion de le relancer.

L’ancienne ministre Laurence Rossignol suggérait d’ailleurs que, plus que la défaillance dans la gestion d’un étranger, ce soit la sous-évaluation de la dangerosité d’un violeur qui a conduit au drame. Aurait-on, dit-elle, remis en liberté un terroriste sous OQFT ? La comparaison est outrée mais pas infondée. Pour autant, peut-on, pour écarter tout débat sur l’immigration, minorer l’implacable réalité factuelle : cet homme n’aurait pas dû se trouver sur le sol français, Philippine de Carlan n’aurait pas dû croiser sa route ? Par un hasard de calendrier, le jour même où la situation du meurtrier était révélée, Lucie Castets se prononçait pour la régularisation de tous les sans-papiers. Rattrapée par la patrouille socialiste, elle est revenue sur ses propos, concédant que : « bien sûr, si une personne sous OQTF a déjà été condamnée pour des faits graves, elle ne doit pas faire l’objet d’une régularisation ». Même assortie d’un « bien sûr », la nécessité de le préciser laisse pantois. On savait que, en s’opposant à ce qu’elle a appelé la « double peine », la gauche refusait déjà l’expulsion d’une personne condamnée. On est rassuré d’apprendre qu’elle n’est pas favorable à sa régularisation. Il ne serait pourtant pas aberrant, pour une bonne lisibilité de notre politique et son acceptation large, que les lois de l’hospitalité reconnues dans le monde entier – et la sanction de leur violation – s’appliquent en France également. Elle a suffisamment à faire avec ses propres pervers pour ne pas gérer en outre les criminels étrangers.

Le hasard du calendrier veut que, dans le même temps, la droite nouvellement aux affaires réaffirme sa volonté de supprimer l’AME (Aide Médicale d’Etat). Ce totem de la droite s’affranchit des faits. En décembre 2023, Patrick Stefanini a remis un rapport sur ce dispositif. Pourtant connu pour ses positions dures sur l’immigration, celui-ci déclarait à cette occasion que l’AME n’était pas un facteur d’attraction des étrangers. On sait aussi qu’elle représentait en 2022 moins de 1% des dépenses de santé… qu’une suppression pourrait en revanche significativement accroître. Où est le courage, lorsque l’on se refuse à l’expliquer à ses électeurs ? Où est la vérité ?

Peut-être faut-il se résigner à ce que l’immigration soit un sujet de tiraillement permanent entre notre souci d’humanité et son acceptabilité. Mais, au moins, abattons nos totems.


Photo de Metin Ozer sur Unsplash

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3 commentaires

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  • Au risque d’être irrespectueux, j’allais six semaines par an chez mes grands-parents, dans un hameau de 80 habitants, au fin fond de l’Yonne. Les 8 ou 10 familles d’agriculteurs savaient très bien ou mettre des barrières entre différentes sortes d’animaux, pour éviter des … problèmes, de … cohabitation. Je ne développerai pas.

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    • Les métaphores agricoles ont toujours le vent en poupe pour s’autoriser du « bon sens terrien ». Mais c’est rare qu’elles aient un sens. Au moins avez-vous la sagesse, compte tenu de ce qu’augure votre commentaire, de ne pas développer.

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