Sonate pour un homme bon

Il y eut Good Bye Lenin. Il y a La vie des autres. L’un et l’autre traduisent certainement une réalité de l’Allemagne de l’Est, des allemands de l’Est. Mais on peut difficilement, après avoir vu celui-ci, repenser au premier sans lui reprocher un peu d’inconséquence.

Crier au chef d’oeuvre vous expose à ce que l’un ou l’autre vous délivre en retour une leçon de peinture, de littérature… de cinéma. Alors, on se retient. Et pourtant, qu’y-a-t-il dans ce film qui ne soit admirable ? J’ose à peine l’énoncer de peur de ne faire qu’effleurer, maladroit, sa grandeur.

De la première image à l’ultime, et à l’ultime réplique, La vie des autres est incroyablement maîtrisée, servie par un scénario, une mise en scène et un acteur, Ulrich Mühe, d’une justesse et d’une mesure frappantes.

La vie des autres est autant un témoignage historique qu’une oeuvre psychologique. Et ce n’est certainement pas après l’avoir vu une unique fois que l’on en perçoit l’intensité, la densité. Ce que l’on entrevoit, toutefois, est déjà rare.

C’est la République Démocratique Allemande du début des années 80. Un système dans lequel le but affirmé, pour la Sécurité d’Etat, est de tout savoir. Et l’on perçoit formidablement bien l’horreur d’un tel système totalitaire, véritablement totalitaire puisqu’il sait tout, qu’il est partout. Alors, la nostalgie des pionniers de Good bye Lenin pâlit un peu…

Un homme, Gerd Wiesler, officier instructeur de la Stasi, est chargé de la surveillance d’un auteur de théâtre, pour une raison bien moins politique que de convenance personnelle pour le Ministre de la Culture. Peut-être est-ce cela, la découverte de la perversion totale d’un système qu’il sert pourtant de tout son être, face à la sincérité de ce couple d’artiste si légèrement contestataire, et à l’amour qu’il porte qui l’amène à tronquer – ou compléter – ses rapports. Homme intègre ou intégral, froid, implacable dont, peut-être, ce sens si affirmé des principes est la voie même par où percera l’humanité, « accouchée » par l’art.

Et dans ce cadre oppressant, ce film angoissant, tragique, pourtant, on trouve aussi l’espoir, l’espoir en l’homme. Et, peut-être, une telle raison de vivre, la seule qui vaille, peut-être, pour un artiste et pour tout homme : transmettre l’espoir ?


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22 commentaires

  • Oui, c’est un des plus beaux films que j’aie jamais vu. Très subtil, très humain.

    Un film qui donne envie de faire le bien autour de soi.

  • Mouais.

    La vie des autres est un excellent film du point de vue de la mise en scène, du jeu des acteurs. Mais franchement, j’en suis ressorti avec une sorte d’incrédulité sur le scénario : le mec qui a eu une longue, belle carriere à la Stasi, qui est un « expert en interrogatoire » (imaginer ce que ca recouvre coupe l’appétit), qui decouvrirait la lumière tout d’un coup ? Qui se rendrait compte que parmi les gens emprisonnés, espionnés, torturés, il y a des innocents ? qu’en fait, sous l’administration du Parti, les carrieres marchent au piston, et que les grosses huiles se servent au mépris de l’ideal communiste ?

    C’est un homme neuf, Gerd. C’est le François Bayrou de la Stasi.

  • un trés bon film qui cherche aussi à nous alarmer sur les dérives sécuritaires des appareils en place et leurs dangers.

  • C’est plus qu’une oeuvre d’art , on blémit de comprendre ce qu’était la vie quotidienne dans un pays qui prétendait assurer le bonheur de l’individu. Je savais que le flicage était de mise mais je n’avais pas imaginé les débordements qu’il pouvait nourrir
    Cela devait être sympa d’expliquer à une belle femme qu’elle devait s’executer et vite ,un rêve. J’ai vraiment de la nostalgie pour ces pays que nos intellectuels nous ont tant vantés en connaissance de cause. Ils n’ont pas baissé d’un ton pour autant.
    Plutôt que de demander à la France de s’excuser de son passé, ils devraient nous presenter leurs excuses et les intellectuels de droite devraient perpetuer un devoir de mémoire sur ces régimes idylliques

  • J’ai moi aussi trouvé ce film admirable mais avec Matthieu je reste perplexe devant la soudaine conversion de cet officier froid et méthodique. L’amour de l’art, la lecture de Brecht, l’amour tout court, peuvent-ils expliquer un tel revirement? Je ne suis pas entièrement convaincu. Cette légère critique n’enlève rien aux grandes qualités d’un film qu’il faut absolument aller voir.

  • Eh bien, d’une part, il s’agit d’une fiction malgré tout, d’autre part, j’ai le sentiment que l’art se conjugue avec un décillement plus profond. Il y a la coïncidence entre la découverte de la sincérité, de l’intégrité de ce couple d’artistes en voie d’être des réprouvés du système, et le spectacle des compromissions des représentants du système. Wiessel a un côté psychorigide mais entier, aussi. Et, en fin de compte, il me semble que ce qui le convainc, c’est aussi l’entièreté de ce couple, ce que – initialement – ils acceptent de risquer (et Wiessel sait parfaitement ce qu’il en est) pour leurs principes, au rang desquels l’amour.

    Au final, l’Homme est surprenant. Si l’on peut rester sceptique devant cette « conversion », elle n’est malgré tout pas impossible, même si elle n’est pas nécessairement des plus probables (ou fréquentes).

  • Bravo Azer!!! Tu as bien raison: le procès de Nuremberg du communisme manque vraiment.

    Peut-être que cela ouvrirait les yeux de ces « illuminés » (je reste correct!!!) qui votent encore pour le PC en France ou de ceux qui soutiennent cet homme profondément « humain » qui s’appelle Battisti.

    En attendant ce procès (une attente sans fin??), je ne saurai trop vous recommandez la lecture des oeuvres géniallissimes de Soljénitsyne, « le livre noir du communisme » de Courtois, ainsi que les livres de Chalamov, ou de Zinoviev. Si cette liste vous effraie, lisez au moins « un exil de partagé » d’Elena Bonner qui raconte l’acharnement de Moscou contre Sakharov (le père de la bombe H soviétique qui a osé critiquer le PCUS!!!)

    Si vous avez aimé les acteurs du film, allez voir le film « black book » de Verhoven (un maître de la zone grise, entre le bien et le mal) où vous retrouverez Sebastian koch (le dramaturge de la vie des autres

  • Je suis stupéfait de constater combien le film « Good Bye Lenin » est si souvent caricaturé et si mal compris. A croire que ceux qui en discutent n’en parlent que par ouï-dire !

    En effet, « Good Bye Lenin », loin d’être un film « ostalgique » gentil-gentil, montre que le régime a détruit la vie d’une famille heureuse. Contrairement à ce qu’imagine le héros du film (« ma mère ne survivra pas à la fin du communisme »), on se rend compte vers les 2/3 du film que c’est justement ce régime qui est responsable du désespoir caché de sa mère. Pour ceux qui ont vu le film, la scène décisive se passe lors de la visite à la datcha.

    Pour ce qui est de « La vie des autres », je souscris à tous vos éloges avec un bémol qui vous retourne le reproche que vous faisiez à « Good bye Lenin », celui d’infidélité à la réalité. Des amis est-allemands m’ont dit que la figure centrale du film, Gerd, manquait de vraisemblance, notamment par sa conversion subite.

    En tout cas, par pitié, ne réduisez pas « Good Bye Lenin » à la caricature médiatique qui en a été faite.

  • Je vais essayer de ne pas trop spoiler (n’hésite pas Koz à me censurer si tu trouves que j’en dis trop).

    Pour moi, ce qui explique la conversion, c’est l’épisode du passage à l’Ouest. Par bonté, Wiesler commet là une entorse mineure à ses principes. Par un terrible concours de circonstances, son acte généreux se retourne contre ses bénéficiaires. Il se retrouve alors face à un dilemme moral. Soit il reste loyal au parti et son acte généreux aura été le principal responsable de la chute de Georg et Christa-Maria, soit il bascule complètement.

  • [quote comment= »11527″]En tout cas, par pitié, ne réduisez pas « Good Bye Lenin » à la caricature médiatique qui en a été faite.[/quote]

    Ah non, hein, mes caricatures, je les assume. Bon, cela dit, je prends connaissance de votre lecture, et revisiterai la mienne.

    [quote comment= »11530″]Je vais essayer de ne pas trop spoiler (n’hésite pas Koz à me censurer si tu trouves que j’en dis trop).
    [/quote]

    Ce serait totalitaire de ma part 😉

  • Je n’avais pas compris la critique de Koz sur « l’inconsequence » de good by lenin. Il faut que je le revoie, mais je ne me souviens pas d’y avoir vu de l’angelisme. peut-etre de la nostalgie… quoi de plus normal apres avoir vecu sa vie sous ce regime. mais, surtout, une astuce scenaristique pour « peindre » les souvenirs de ce monde disparu.

  • Ce film est excellent notamment car tout y est gris. Pas de bon pur, pas de salaud tout noir.
    Peut-être un brin machiste tout de même : la traîtresse est la femme alors que la solidarité masculine joue à plein.
    J’ai vu du Stefan Zweig dans ce film bien plus psychologique que politique.

  • Tu vas pas nous faire ta chienne de garde, tout de même… La traîtresse est la femme parce que c’est elle qui se trouve sous la pression. Allez, s’il vaut vraiment voir ce film sous l’angle sexué, au contraire, on dira qu’il met en valeur la difficile situation de la femme…

  • [quote comment= »11527″]. Des amis est-allemands m’ont dit que la figure centrale du film, Gerd, manquait de vraisemblance, notamment par sa conversion subite.[/quote]

    est-ce vraiment une conversion si subite ?
    magnifique film. et dire que ce genre de police existe encore dans certains pays…brr…que de Nuremberg en perspective.
    En général je n’aime pas les films violents et angoissants mais tout ici est délicatesse et j’aime beaucoup la comparaison de Carolus ave Stéphan Zweig.
    J’ai juste une frustation. L’hommage final est très beau, surtout pour un écrivain, cependant et c’est vrai dans la vie en générale, les choses importantes passent pour moi par la parole et le regard…

  • Bien sur que c’est invraissemblable, c’est une épure, une réflexion universelle sur les suspenses de la conscience et les ambivalences de l’idéal.
    Une très belle réflexion aussi sur le renoncement à la volonté de puissance.

  • Je ne comprends pas pourquoi vous trouvez ce revirement incroyable. Cet homme, Wiessel, qui a les mains sales, découvre la vie de ce couple et à travers lui de la Culture. Tout ça le renvoie à son propre enfermement et à sa propre solitude. Il va donc être fasciné par tout ce qu’il découvre et exister à travers eux. Il ne peut pas couper le lien avec sa double vie.
    Sauf qu’ à un moment il devra choisir entre vivre sa propre vie ou celle d’autres.
    pour moi, dire que ce n’est pas vraissemblable, c’est imaginer que la conscience de l’homme est linéaire et je ne le pense pas.

  • [quote comment= »12374″]
    … à un moment il devra choisir entre vivre sa propre vie ou celle d’autres.
    [/quote]
    Parfaitement en phase avec votre point de vue, sauf celui-ci. C’est précisément parce qu’il ne vit que par ces « autres » qu’il choisit de les protéger.

    D’ailleurs, il n’est pas mis en danger de mort. Il s’agit plutôt de sa position sociale, de son confort, contre ce qui fait la vie de ces autres.

    Tout est gris, cet homme est loin d’être un saint désintéressé.

  • [quote comment= »12382″][quote comment= »12374″]
    … à un moment il devra choisir entre vivre sa propre vie ou celle d’autres.
    [/quote]
    « Parfaitement en phase avec votre point de vue, sauf celui-ci. C’est précisément parce qu’il ne vit que par ces « autres » qu’il choisit de les protéger. »
    Je pense qu’il hésite à un moment car il sait que tout peut basculer mais il doit faire vite…il choisit effectivement de les protéger.

    « D’ailleurs, il n’est pas mis en danger de mort. Il s’agit plutôt de sa position sociale, de son confort, contre ce qui fait la vie de ces autres ».
    je suis d’accord

    « Tout est gris, cet homme est loin d’être un saint désintéressé ».
    je n’ai pas cette impression. C’est un homme solitaire qui découvre la vie et en ce sens c’est porteur d’espoir.
    [/quote]
    Koz, excusez moi mais je n’ai aucune idée du fonctionnement « des balises html »

  • Das Leben der anderen… Je l’ai vu 2 fois ici, en Allemagne où j’habite. Grand silence dans la salle à chaque fois. C’est le communisme liberticide, le socialisme national à visage réél, celui qui, en France, se cache derrière les discours, pleins de bonnes intentions de tous les pourfendeurs de nos libertés, de Laguiller à Royal. Un très grand film.

  • Ça y est, j’ai enfin vu ce film. Et en VO, pour quelqu’un qui n’a pas fait d’allemand, admirez l’exploit…

    Tout d’abord, les premières scènes m’ont furieusement évoqué l’Archipel du Goulag de Soljenitsyne, dans lequel l’écrivain russe expliquait et décrivait par le menu, les méthodes de torture des agents communistes. Il montre à quel point du temps et l’absence de sommeil suffit pour faire dire n’importe quoi à n’importe qui.

    J’ai vraiment eu l’impression que l’agent de renseignement, une vraie crapule au début du film, découvre tout simplement la vie de ceux qui espèrent, qui ont un but, un idéal à partager.

    En comparaison avec sa vie des plus grises (les scènes dans l’appartement de Wiesler sont à cet égard révélatrices), Wiesler, qui n’est rien d’autre qu’un pion sans âme, ne fait que constater la richesse de ceux qui, bien que persécutés, ont une vie, eux.

    Un bon film.

  • [quote comment= »42282″]C’est un film que je n’ai pas vu, mais j’en ai beaucoup entendu parler, et vous me donnez envie de le louer.

    [/quote]

    Plus vite que ça Damo, c’est dur mais tellement beau !

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