Son père l’aperçut et fut saisi de compassion

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Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers.

Si seulement je savais peindre ! Je donnerais à voir ce moment précis de la célèbre parabole, plus encore que le fils à genoux du célèbre Rembrandt : le vieux père qui s’élance, les bras qui s’avancent, son pied qui quitte le sol.

Ce père méprisé et rejeté par son fils, qui l’a voulu comme mort – car demander sa part d’héritage, c’était bel et bien cela, l’enterrer symboliquement[1] – ne laisse pas même le temps à son fils de demander pardon. Le texte que ce fils avait prévu, il n’a pas le temps de le dire que son père, déjà, s’est élancé et l’a accueilli, lui qui attendait son retour et, certainement, guettait sa silhouette au détour d’un chemin de terre. C’est cet instant précis, dans le temps suspendu, que j’imagine. Ce corps qui s’élance, d’un père malheureux, qui n’attendait que le signe que son fils le cherchait pour se précipiter. Il n’attend pas les excuses, qu’il devine ou sait déjà, ne fait pas la leçon, il n’adresse pas de reproches. La miséricorde est première.

C’est le même mouvement que je trouve dans l’exhortation apostolique Amoris Laetitia. Le pape donne à voir cette miséricorde du Père en guettant ceux qui sont encore loin, mais peut-être sur le chemin. Et il appelle une fois encore les catholiques à les guetter avec lui, et se réjouir avec lui. Et pourtant, nous avons beau être mis en garde depuis tant de siècles contre la réaction du fils aîné, craignant que l’amour donné par le Père au fils retrouvé soit autant qui lui soit retiré, volé, j’ai constaté malgré tout avec incrédulité des réactions surprenantes à cette encyclique, de ceux qui semblent penser que l’ouverture faite à d’autres minore leur parcours. L’ouverture, soupesée, aux divorcés-remariés atteindrait donc la valeur de leur mariage ? A ce rythme, les saints devraient s’offusquer du pardon des pécheurs : c’est bien la peine d’avoir fait tout cela s’ils sont accueillis aussi.

Amoris Laetitia n’est, heureusement, pas un texte que l’on épuise en un billet. Depuis l’épanouissement de l’enfant jusqu’au dialogue dans le couple, du rôle du père et de celui de la mère, de la répartition des tâches, en passant par l’érotisme et les relations avec la belle-mère (traités séparément), ce texte aborde le vaste horizon des relations familiales. Il faut lire ses lignes sur le dialogue (pts 136 et suivants), dont l’esprit dépasse le seul dialogue conjugal et pourrait inspirer tout dialogue sincère.

Si vous avez la certitude que les modèles récents offrent le bonheur, alors ne  lisez pas ce texte. Si vous pensez que les familles que vous proposent l’air du temps et le magistère audiovisuel sont la voie de l’épanouissement, si vous vous dites parfois à en écouter certains que vous êtes bien coupables de ne pas offrir à vos enfants la joie du divorce et de la famille recomposée, alors Amoris Laetitia vous gonflera. Je n’oublierai pas, pour ma part, ce professeur qui, sur mes 25 ans, à l’âge où l’on rencontre son conjoint, nous avait dit ceci : « c’est la deuxième femme qui est la bonne ». La « deuxième femme »… Promesse d’échec d’un adulte à des jeunes.

Mais avec le pape, et quinze ans de mariage, j’ai malgré tout le sentiment que la voie que propose l’Eglise, le mariage qu’elle célèbre, est encore la mieux à même de combler nos aspirations véritables. Car oui, je pense que bien des mariages échouent de n’avoir pas cru la réussite possible. « Soyons sincères et reconnaissons les signes de la réalité » (pt 123) : cette aspiration au définitif, au lien indéfectible, est légitime et elle est réaliste. L’espoir que nous portons tous en nous – cette promesse que nous ne serons pas abandonnés (cf. pt 132) – est fondé.

Cette voie est réaliste et cet espoir est fondé, à supposer qu’ils soient empruntés et entretenus par des personnes mûres elles-mêmes, ce qui n’est pas nécessairement la caractéristique première d’une société qui s’entretient dans une permanente adolescente. Car le pape le souligne aussi, se marier, ce n’est pas se promettre de vivre sans fin exactement les mêmes émois répétés, y compris sexuels, de la première rencontre :

Nous ne pouvons pas nous promettre d’avoir les mêmes sentiments durant toute la vie. En revanche, oui, nous pouvons avoir un projet commun stable, nous engager à nous aimer et à vivre unis jusqu’à ce que la mort nous sépare, et à vivre toujours une riche intimité. L’amour que nous nous promettons dépasse toute émotion, tout sentiment et tout état d’âme, bien qu’il puisse les inclure. C’est une affection plus profonde, avec la décision du cœur qui engage toute l’existence. (pt 163)

Relisant ce passage au moment de le citer, je relève cette expression que l’on pourrait croire contradictoire : la « décision du cœur ». Une décision peut-elle véritablement venir du cœur ? Pourtant, oui, je le crois : s’il faut bien que l’amour spontané irrigue de lui-même cette décision, il y a une décision qui alimente le cœur, comme un mouvement perpétuel entre la raison et le sentiment.

Intervient malgré tout la séparation, le divorce. Séparation parfois « moralement nécessaire » (pt 241) en cas de violence. Séparations pour les motifs aussi variés qu’un couple puisse produire, depuis la naïveté jusqu’à l’intransigeance, en passant par les blessures personnelles, blessures d’enfance ou d’adulte, les modèles familiaux déficients, les incapacités à aimer ou à croire à un « toujours » possible.

Le pape s’adresse à eux, dans des développements qui ont naturellement majoritairement retenu l’attention, et dont la portée dépasse la seule question de l’accès à la communion et à l’absolution des divorcés-remariés (à tout le moins de ceux qui cheminent vers cette maison de la parabole du fils prodigue ou, comme je viens de le lire, du père miséricordieux).

Le pape mène en effet toute une réflexion sur le rôle d’une norme dans l’Église catholique. La discussion porte toujours sur le rapport entre la vérité et la charité : l’Église ne peut jamais exclure l’une ou l’autre. La charité sans la vérité est autant une tromperie que la vérité sans la charité. La juste charité est vraie et la bonne vérité est charitable. Toute la difficulté réside dans l’identification du bon ajustement.

Car le pape le rappelle : l’Église n’aura jamais de cesse de proposer « le mariage chrétien, reflet de l’union entre le Christ et son Église, [qui] se réalise pleinement dans l’union entre un homme et une femme qui se donnent l’un à l’autre dans un amour exclusif et dans une fidélité libre s’appartiennent jusqu’à la mort et s’ouvrent à la transmission de la vie, consacrés par le sacrement qui leur confère la grâce pour constituer une Église domestique et le ferment d’une vie nouvelle pour la société » (pt 292). Telle est toujours notre volonté, notre idéal et notre espérance aussi.

Mais elle a à cœur aussi d’« accompagner d’une manière attentionnée ses fils les plus fragiles, marqués par un amour blessé et égaré, en leur redonnant confiance et espérance, comme la lumière du phare d’un port ou d’un flambeau placé au milieu des gens pour éclairer ceux qui ont perdu leur chemin ou qui se trouvent au beau milieu de la tempête » (pt 291). Dès lors, il convient que la norme ne soit pas tranchante, ne soit pas une blessure supplémentaire, « comme des pierres lancées à la vie des personnes » (pt 305).

Il s’appuie sur Saint Thomas d’Aquin pour exposer les limites qui peuvent frapper une approche pleine et entière du mariage chrétien, au-delà même de la variété des hypothèses de séparation (en particulier le cas du conjoint abandonné) ou encore de la méconnaissance de la norme (pt 301), ainsi que sur le Catéchisme de l’Église catholique qui reconnaît l’existence de conditionnements ou de facteurs atténuants dans la responsabilité des personnes. A dire vrai, il faut sortir du « blanc ou noir » (pt 305) et même d’un raisonnement norme / exception – ce qui ne serait pas idiot, pour les disciples du Christ, qui s’est si souvent affronté aux Docteurs de la Loi – comme le traduit ce passage :

Certes les normes générales présentent un bien qu’on ne doit jamais ignorer ni négliger, mais dans leur formulation, elles ne peuvent pas embrasser dans l’absolu toutes les situations particulières. En même temps, il faut dire que, précisément pour cette raison, ce qui fait partie d’un discernement pratique face à une situation particulière ne peut être élevé à la catégorie d’une norme.

Cette approche est incroyablement plus exigeante. Elle est évidemment bien moins confortable que de bénéficier d’un recueil de textes à appliquer. Mais n’est-ce pas à l’évidence ce que nous devons avoir le courage de suivre si nous suivons celui qui disait, contre les pharisiens que « ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur ; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui rend l’homme impur » (Matthieu 15, 11) ou encore que « le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat » (Marc 2, 27) ?!

Oublions cette inquiétude que la moindre inflexion dans une norme générale en réduise le sens à néant, comme si notre vie et notre foi étaient des châteaux de carte qu’un souffle d’ouverture jetterait par terre, comme si le pardon au fils prodigue, ou même pas prodigue mais seulement blessé, nous enlevait l’amour du Père ! Rien ne m’interdit personnellement de poursuivre l’accomplissement du mariage chrétien dans toute sa plénitude.

Aussi le pape ouvre-t-il une porte aux divorcés-remariés dans leur accès à la communion et à la confession. Ce n’est pas une norme, pas une décision générale, encore moins la reconnaissance d’un deuxième mariage religieux – l’Église ne vient pas reconnaître la validité de cet autre mariage. C’est une main tendue à ceux qui voudraient la saisir et se donneraient les moyens d’un discernement sincère et approfondi dans lequel devront être garanties « les conditions nécessaires d’humilité, de discrétion, d’amour de l’Église et de son enseignement, dans la recherche sincère de la volonté de Dieu et avec le désir de parvenir à y répondre de façon plus parfaite » (pt 300). Pour une personne sincère, ce ne sont pas des conditions si aisées à remplir.

Ces « fidèles qui vivent des situations compliquées », le pape les invite à « s’approcher avec confiance de leurs pasteurs » (pt 312).

*

« Saint Thomas disait qu’on utilise le mot ‘‘joie’’ pour désigner la dilatation du cœur » (pt 126).

C’est bien ce que je ressens à la lecture de l’exhortation apostolique, comme souvent à la lecture de ce pape. Une joie qui est, physiquement, une dilatation du cœur. Joie à l’annonce de l’ouverture publique aux « fidèles qui vivent des situations compliquées » – nous en connaissons tous et je porte leurs prénoms avec moi. Joie que l’Église ne soit plus publiquement rigoureuse et confidentiellement miséricordieuse. Joie de lire la beauté de l’amour véritable : lisez donc le chapitre 4 – « L’amour dans le mariage » – de l’exhortation, cette grande méditation sur l’hymne à la charité de Saint Paul (« L’amour prend patience… »), proposition renouvelée d’un engagement qui vous permettra de révéler toutes les potentialités de l’amour, comme l’on révèle les arômes d’un vin, qu’on laisserait vieillir tout en l’oxygénant lentement…

Il reste à cette exhortation à faire son chemin, à être pleinement reçue sans extension abusive ni restriction mesquine. Je vois le père sur le seuil de sa maison, jetant à toute heure un regard vers le dernier lacet de ce sentier caillouteux où pourraient apparaître ces fils et ces filles qu’il attend, anxieux de les voir apparaître, déjà prêt à s’élancer pour leur dire : soyez les bienvenus chez vous ![2]

  1. merci Père Jacques pour votre dernière homélie []
  2. et n’hésitez pas à cliquer sur les vignettes – que vous pouvez aussi diffuser – qui vous donneront un panorama plus élargi des thèmes abordés dans ce texte riche []

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43 commentaires

  • C’est vrai qu’à force de lire des ratiocineurs qui évoquent un de « état objectif de fornication » (lol) , je commençais sérieusement à me demander ce que je fais dans mon église tous les dimanche matins…

  • @ bernard : il fut un temps où, lisant certains textes qui me procuraient cette dilatation du cœur dont parle Saint Thomas d’Aquin, je lisais aussi l’analyse de ceux dont je pressentais la réaction négative. Mais je ne veux plus ressentir ce sentiment de nécrose accélérée du même cœur. Je sais que ces gens existent, tellement légalistes lors même que je ne suis pas non plus fondamentalement hippie, mais ce qu’ils peuvent écrire ne m’intéresse pas. Je n’ai pas de temps à perdre avec leurs mesquineries et leurs aigreurs. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas ce qui permet à un maigre pourcentage des déjà 5% de catholiques pratiquants de se sentir confortés dans leur perfection, mais ce que nous avons à dire au vaste monde.

    Et ce que le pape nous en dit est beau, fort, vivant et dynamique. C’est plus exigeant, plus difficile à comprendre, moins facile à appliquer parce que cela nous demande de discerner au lieu de nous référer à quelconque codex. Mais c’est précisément en cela que c’est en prise avec la vie. C’est le critère de sa justesse.

    @ Yves, @ Au fil des ouvrages : merci à vous (et François 😉 )

  • Je suis un vieux fan de Benoît XVI. J’étais mal à l’aise avec la façon dont avaient été gérées les deux sessions du Synode, qui me rappelait les techniques trotskistes des AG de mai 68, anxieux dans l’attente de ce texte.

    Et bien je suis très heureux de ce que j’y lis. Le réel est affronté dans sa complexité, la miséricorde n’est jamais seconde, l’exigence reste là, à sa juste place. J’ai participé pendant cinq ans au groupe de préparation au mariage de ma paroisse. J’étais frappé par ces nombreux fiancés qui nous disaient : « l’Église est la dernière institution à prendre le mariage, et donc notre projet d’engagement, au sérieux ».

    Un mot en passant. La question des séparés réengagés, qui ne sont pas nécessairement en état de « péché mortel », ne doit pas faire oublier qu’il y a des époux abandonnés qui ont fait le choix de vivre la fidélité à leur premier engagement. Tous ne sont sans doute pas appelés à cet héroïsme. Il ne faudrait cependant pas donner l’impression à ceux qui le vivent que leur sacrifice est vain.

  • En effet, et je ne le pense pas. Mais une fois encore, le percevoir ainsi ne serait-il pas tout de même très proche de la réaction du fils aîné ?

  • Amoris Laetitia par sa miséricorde chasse un vent de tempête et ouvre toutes grandes nos fenêtres pour laisser entrer le vent de fraîcheur que nous propose votre texte.

    Je suis une grand-mère qui a publié un livre comme testament à léguer à mes petits-enfants. Mon témoignage révèle mon expérience et mon questionnement en tant que divorcée/remariée qui a eu l’audace de vivre cette expérience en Église. J’estime que le divorce est le pire fléau de notre société à cause des séquelles que vivent les enfants et qui les marquent à vie. J’ai voulu démontré bien candidement et humblement comment un mariage catholique vécu sans Dieu est voué à l’échec et comment un remariage empreint d’un cheminement spirituel en présence du Christ, malgré les embûches d’une famille reconstituée peut progresser dans l’Amour. Au détour de mes expériences vécues, j’insère des versets de la Bible qui viennent appuyer et soutenir l’expérience relatée.. Perpétuel tourbillon ou le parcours périlleux d’une grand-mère, publié à la Société des écrivains.en format papier ou numérique.

  • @ koz « Mais je ne veux plus ressentir ce sentiment de nécrose accélérée du même cœur. Je sais que ces gens existent, tellement légalistes lors même que je ne suis pas non plus fondamentalement hippie, mais ce qu’ils peuvent écrire ne m’intéresse pas. Je n’ai pas de temps à perdre avec leurs mesquineries et leurs aigreurs » :
    Magnifique et… instructif : il est vrai que j’ai encore trop souvent le réflexe de grincer des dents et de m’énerver à la lecture de certains « docteurs de la loi ». Il me reste à apprendre à les ignorer 🙂

  • Petite question indiscrète : les vignettes sont de vous je suppose. Est-il possible de les utiliser en paroisse, comme point de départ en catéchèse pour adultes par exemple ? Merci.

  • Bonjour Koz !

    Merci pour ce beau billet. Même si je n’ai pas achevé ma lecture d’Amoris Laetitia – je viens juste de débuter le chapitre 3 – je souscris sans réserve à ton propos et à celui de l’exhortation : proposer un idéal ne suppose pas mettre de côté tous ceux qui n’y arrivent pas (à ce moment-là de leur vie, faut-il le préciser).

    J’ai néanmoins une remarque concernant ce passage du billet : « (…) l’ouverture faite à d’autres minore leur parcours. L’ouverture, soupesée, aux divorcés-remariés atteindrait donc la valeur de leur mariage ? »

    Cet argument m’interpelle, parce que, peu ou prou, c’était celui des partisans du mariage pour tous qui disaient : « en quoi la mariage gay enlève quelque chose au mariage hétéro ». J’étais de ceux qui pensaient que le débat ne se situait pas à ce niveau-là.

    De fait, si on n’enlève rien à ceux qui ont des droits acquis, en quoi cela pourrait poser problème à étendre ces droits à ceux qui en sont exclus ? A priori pas. Mais peut-on raisonner comme cela à propos de l’accès à l’eucharistie ?

  • Bonjour Koz,
    Merci pour cet article qui rapproche catholiques et protestants. Nous sommes tous bénis par le pape François.

  • A propos de l’Eucharistie, voici ce qu’écrivait l’abbé Lyonnet en 1948 dans « Préambule à l’Acte de foi » : « Pain des voyageurs, des pèlerins que nous sommes. C’est-à-dire nourriture que l’on doit aller prendre parce que l’ON EN A BESOIN et que, sans Elle, on risque vite de défaillir. C’est une FORCE que l’on va chercher et non PAS UNE RÉCOMPENSE destinée aux meilleurs » (c’est lui qui souligne).
    Ce texte m’interpelle toujours car qui, sinon les « plus pécheurs », a un besoin vital de cette nourriture ?

  • Je pense à cet homme, catholique non pratiquant, abandonné par sa femme au bout de 25 ans de mariage. Il m’a confié que chaque matin, il pleure, car pour lui, s’il s’est marié, c’est pour la vie, et maintenant, il est sous anti-dépresseurs. Avec cette catastrophique Exhortation « Amoris Laetitia », je ne sais plus que lui dire. Cet homme fidèle, que peut-il penser d' »Amoris Laetitia » ? Comment pourrait-il retourner un jour à l’Eglise ?

    En l’occurrence, permettre au cas par cas la communion aux divorcés-remariés, c’est une manière de céder aux plus forts, leur distribuer des rôles voyants tels que catéchistes, cela revient à légitimer leur remariage. C’est quand même le comble ! Pourquoi ne pas donner ces rôles voyants aux divorcés non remariés ? Si on suit « Amoris Laetitia », comment peut-on prier le Notre-Père ? Si les divorcés-remariés ont mauvaise conscience, l’avantage, c’est de les orienter vers le vrai chemin : vivre comme frère et sœur, et si l’on croit que ce soit impossible, c’est qu’on est dans la désolation spirituelle.

    Autre cas, il y a des divorcés qui se réconcilient, et on n’en parle jamais. Notre ministre Cazeneuve s’est remarié avec sa femme dont il avait divorcé, preuve que la fidélité ne concerne pas que les catholiques, mais qu’elle est inscrite dans le cœur humain.

  • Bonjour Koz,

    La question qui se pose pour l’accueil des divorcés-remariés est la suivante: comment les accueillir dans l’Eglise sans renoncer à indissolubilité du mariage ? Car après plusieurs années, il est fort probable que la majorité d’entre eux qui veulent nous rejoindre soient sincères dans leur démarche. Dans le même temps, nous ne pouvons pas non plus faire un exception la règle car cela dépend de la situation de chaque couple. Pourquoi ne pas créer un ordre des pénitents pour eux par exemple ? Cela leur permettra de comprendre réellement le péché du divorce mais de recevoir aussi le sacrement de miséricorde suite à un parcours bien précis. Ce n’est qu’une proposition parmi d’autres mais je sais qu’elle est en réflexion dans certains groupes.

  • Merci pour cette mise en appétit 🙂

    Je n’ai pas encore eu l’occasion de faire mieux que picorer une ou deux pages au hasard, mais déjà je peux dire que je reconnais la patte de François dans ce texte, en ce que son langage est direct et concret. Rien que par cela, Amorisi Laetitia est source de vitalité: si le message lui-même n’est pas révolutionnaire (il n’a pas à l’être), la manière, elle, est nouvelle et rafraîchissante.

  • @ Pepito et @ Cardabelle, merci. Vous pouvez bien sûr, Cardabelle, utiliser ces vignettes à votre convenance, comme indiqué en note de bas de page.

    Jibitou a écrit :

    Cet argument m’interpelle, parce que, peu ou prou, c’était celui des partisans du mariage pour tous qui disaient : « en quoi la mariage gay enlève quelque chose au mariage hétéro ». J’étais de ceux qui pensaient que le débat ne se situait pas à ce niveau-là.

    De fait, si on n’enlève rien à ceux qui ont des droits acquis, en quoi cela pourrait poser problème à étendre ces droits à ceux qui en sont exclus ? A priori pas. Mais peut-on raisonner comme cela à propos de l’accès à l’eucharistie ?

    Pour tout vous dire, ce n’était pas le plus mauvais argument des partisans du mariage pour tous, à mon sens. Mais pour autant, le raisonnement est différent.

    Ici, l’Eglise continue de dire que le mariage chrétien, dans sa plénitude, est « l’union entre un homme et une femme qui se donnent l’un à l’autre dans un amour exclusif et dans une fidélité libre s’appartiennent jusqu’à la mort et s’ouvrent à la transmission de la vie, consacrés par le sacrement qui leur confère la grâce pour constituer une Église domestique et le ferment d’une vie nouvelle pour la société « .

    Si des personnes n’ont pas réalisé ce mariage chrétien dans sa plénitude, cela n’enlève rien au fait que la plénitude du mariage chrétien, c’est cela. Après tout, nous sommes tous pécheurs : est-ce qu’un moine totalement dédié à Dieu, priant, humble, aimant etc. me regarderait, moi, communiant, en considérant que l’eucharistie a finalement moins de valeur pour lui parce que moi aussi, j’y accède ?!!

    L’Eglise accueille néanmoins ceux qui ne réalisent pas la plénitude du mariage chrétien et leur ouvre la voie aux sacrements, sous certaines conditions. Le pape évoque d’ailleurs comme exemple archétypal la « seconde union consolidée dans le temps, avec de nouveaux enfants, avec une fidélité prouvée, un don de soi généreux, un engagement chrétien, la conscience de l’irrégularité de sa propre situation et une grande difficulté à faire marché arrière sans sentir en conscience qu’on commet de nouvelles fautes ». Il reste toujours un idéal qui est promu. C’est tout à fait différent dans le cadre du mariage civil : personne ne dit que le mariage entre un homme et une femme est un idéal, mais que faute de pouvoir le conclure, bon, ok pour un mariage entre personnes de même sexe. Dans le mariage civil, il y a une question d’identité de situation, alors que cette approche n’est même pas applicable dans le cas du mariage chrétien : il y a des progressions différentes sur le chemin de la sainteté (sans d’ailleurs que la fidélité à son mariage soit un critère qui épuise l’appréciation de la sainteté d’une personne).

    Nous cherchons tous à nous rapprocher de la sainteté, si l’on comprend bien ceci comme une adéquation toujours plus grande à l’Evangile. Très sincèrement, quand bien même je suis marié et pas divorcé, je n’aurais pas le cœur de me prétendre plus avancé sur le chemin de la sainteté qu’un divorcé-remarié. Nous sommes tous sur nos voies personnelles, nos chemins personnels, et le chemin qu’emprunte mon voisin n’a pas d’impact sur le mien.

    Esprit critique a écrit :

    Cet homme fidèle, que peut-il penser d’ »Amoris Laetitia » ? Comment pourrait-il retourner un jour à l’Eglise ?

    Eh bien je pense, pour ma part, à cet ami, qui a refusé le divorce par consentement mutuel, qui a refusé le divorce pour faute, qui s’est battu en justice parce qu’il refusait d’admettre pour la galerie qu’il aurait commis une faute quelconque dans son mariage, qui a « gagné » en ce sens que le divorce a été prononcé mais sans faute mise à son passif. Il continue de considérer qu’il est marié avec son épouse. Je l’ai croisé très rapidement samedi dans la rue et il me disait que cette exhortation ne le concernait pas parce qu’il n’avait pas l’intention de se remarier, mais qu’il en était heureux pour d’autres. Je pense que c’est ce que votre ami pourrait penser d’Amoris Laetitia, et je pense qu’il ne devrait pas y voir un obstacle quelconque à « retourner à l’Eglise » qu’il n’avait au demeurant aucune raison de quitter.

    Je pense, aussi, qu’il serait bienvenu que vous lisiez l’exhortation apostolique que vous critiquez avec tant de véhémence. Permettez-moi d’ailleurs de penser que, si vous voulez vous montrer un catholique aussi rigoureux que vous semblez vouloir être, lire un document du pape, successeur de Pierre, avant de le critiquer et de le déclarer « catastrophique », n’est pas seulement recommandé, ce serait même un devoir de conscience.

    Le point 297 de l’exhortation évoque précisément ce que vous indiquez:

    Personne ne peut être condamné pour toujours, parce que ce n’est pas la logique de l’Évangile ! Je ne me réfère pas seulement aux divorcés engagés dans une nouvelle union, mais à tous, en quelque situation qu’ils se trouvent. Bien entendu, si quelqu’un fait ostentation d’un péché objectif comme si ce péché faisait partie de l’idéal chrétien, ou veut imposer une chose différente de ce qu’enseigne l’Église, il ne peut prétendre donner des cours de catéchèse ou prêcher, et dans ce sens il y a quelque chose qui le sépare de la communauté (cf. Mt 18, 17). Il faut réécouter l’annonce de l’Évangile et l’invitation à la conversion. Cependant même pour celui-là, il peut y avoir une manière de participer à la vie de la communauté, soit à travers des tâches sociales, des réunions de prière ou de la manière que, de sa propre initiative, il suggère, en accord avec le discernement du Pasteur.

    Quant aux divorcés qui se remarient, oui, c’est fort et beau. En quoi est-ce mis de côté par l’exhortation ?

    Antoine a écrit :

    comment les accueillir dans l’Eglise sans renoncer à indissolubilité du mariage ? Car après plusieurs années, il est fort probable que la majorité d’entre eux qui veulent nous rejoindre soient sincères dans leur démarche. Dans le même temps, nous ne pouvons pas non plus faire un exception la règle car cela dépend de la situation de chaque couple

    Vous trouverez la réponse dans l’exhortation apostolique, y compris sur le rapport entre la règle et l’exception, comme mentionné dans mon billet.

    Par ailleurs, je ne crois pas justifié de penser qu’il faille faire prendre conscience aux fidèles du « péché du divorce ». Peut-être devriez-vous réaliser que les fidèles qui auront à coeur d’emprunter le chemin ouvert par le pape afin de pouvoir accéder de nouveau aux sacrements ont une connaissance aigüe de leur situation et, bien souvent, en souffrent profondément ? Créer un « ordre des pénitents » me paraît tout à fait déplacé. Quant au parcours permettant de retrouver l’accès aux sacrements, il est évoqué par le pape dans l’exhortation, même si, là encore, il fait confiance aux prêtres – et vraisemblablement aux évêques – pour le déterminer, sans proposer une quelconque checklist.

    @ Gwynfrid : oui, je crois qu’il a vraiment à cœur que ses textes puissent véritablement être lus et parler facilement au plus grand nombre.

  • Il est fort possible, et même probable, que certains prêtres et certains évêques interprèteront Amoris Laetitia comme ouvrant sans discernement l’accès à la communion à toutes les situations irrégulières.

    Ils en porteront la responsabilité et, soyons lucides, la plupart n’ont pas attendu le Pape pour agir ainsi.

    Entre prendre le risque que certains clercs se laissent aller à la facilité et s’illusionner sur l’efficacité pratique d’une rigidité pastorale qui décourage par ailleurs les brebis qui cherchent sincèrement à progresser, François a fait le bon choix. Il y aura des abus, c’est inévitable, plus qu’avant, ce n’est pas évident. Et au moins les pasteurs et les brebis qui s’efforcent en vérité d’être fidèles à la doctrine de l’Église sur le mariage sont positivement encouragés.

  • @ koz « Très sincèrement, quand bien même je suis marié et pas divorcé, je n’aurais pas le cœur de me prétendre plus avancé sur le chemin de la sainteté qu’un divorcé-remarié ». Quel bonheur de lire ces mots (dans la droite ligne de la pensée du pape François) ! On aimerait les entendre un peu plus souvent dans nos églises.

  • @Koz Le point 297 que vous citez est dangereux car il entérine l’endurcissement dans le péché par la dévotion et les bonnes œuvres, sauf la bonne œuvre principale, la réconciliation avec son conjoint. Mais Jésus nous dit : « Quand donc tu présentes ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère » (Evangile selon St Matthieu, 5 23-24). Et le baiser de paix échangé pendant la messe n’est pas anodin, même si c’est un rite facultatif, car il indique la nécessité absolue d’être en paix avec ses frères avant de communier.

    Cette malheureuse exhortation fait une impasse totale sur le « va et ne pèche plus » de Jésus et sur le « Changez de vie et croyez à la Bonne Nouvelle » du mercredi des Cendres.

    Les bonnes pages de l’exhortation ne sauvent pas les mauvaises, ce sont les mauvaises pages qui annulent les bonnes. Le pape François a dit qu’on pouvait critiquer ce texte, il faut le faire et il faudrait même en fait que ce texte soit réécrit, pour orienter les couples irréguliers vers la conversion de vie, au lieu de leur proposer des fonctions dans l’Eglise, comme si ces lots de consolation étaient des tranquillisants de la conscience.

    En tout cas, pour revenir à cet homme abandonné par sa femme, je ne sais que lui dire ni que lui conseiller, je prie pour lui et sa femme et, comme il est artisan, j’ai décidé de le choisir plutôt qu’un autre si besoin est, afin d’encourager son entreprise, car une personne comme lui ne peut pas se permettre d’avoir des difficultés financières.

  • @ Esprit critique:

    « les couples irréguliers » sont une catégorie très hétérogène et il me semble que le point du Pape est que donc il faut apprendre à discerner.

    Par ailleurs le Pape ne dit pas que ces couples, comme les couples « réguliers » d’ailleurs, peuvent se satisfaire de leur état spirituel présent.

    On peut bien sûr avoir une lecture laxiste de Amoris Laetititia, et elle sera faite par certains. Mais cette lecture ne s’impose pas.

    Ce qui me gêne le plus, c’est l’absence totale de reconnaissance et d’encouragement pour ceux qui injustement abandonnés ont fait un choix héroïque. Ce n’est pas mon cas personnel, mais j’en connais, leurs blessures et leur fardeau méritent mieux que l’indifférence du Pape à leur égard. Pourquoi un telle sélectivité dans la miséricorde ?

  • Esprit critique a écrit :

    Le point 297 que vous citez est dangereux car il entérine l’endurcissement dans le péché par la dévotion et les bonnes œuvres, sauf la bonne œuvre principale, la réconciliation avec son conjoint

    Comment peut-on seulement lire ce que vous dites dans ce point ?! Je continue de me demander si vous avez seulement lu ce texte, que vous critiquez tant. Si vous ne l’avez pas fait, je crois qu’en conscience, et dans la fidélité à l’Eglise et au pape qui semble être importante pour vous, vous devriez cesser la critique et commencer la lecture.

    Esprit critique a écrit :

    Cette malheureuse exhortation fait une impasse totale sur le « va et ne pèche plus » de Jésus et sur le « Changez de vie et croyez à la Bonne Nouvelle » du mercredi des Cendres.

    C’est absurde et affirmer cela me semble relever d’un terrible manque d’humilité. Restons sérieux dans nos approches, tout de même. Nous parlons du pape, d’un croyant sincère. Croyez-vous seulement qu’il puisse faire l’impasse là-dessus ? Simplement, contrairement à d’autres, il ne fait pas du jugement, du diagnostic, le point central du rôle d’un pasteur.

    Esprit critique a écrit :

    Les bonnes pages de l’exhortation ne sauvent pas les mauvaises, ce sont les mauvaises pages qui annulent les bonnes.

    Qu’est-ce que c’est que cette logique ?! Si effectivement c’est la vôtre, le reste de vos commentaires ne m’étonne pas vraiment. Il faudrait d’abord considérer qu’il y a de mauvaises pages, ce que je vous laisse certes penser. Mais donc, les mauvaises paroles annulent les bonnes ? Les mauvaises actions annulent les bonnes actions ? C’est ainsi que vous envisagez chrétiennement la vie ?

    Esprit critique a écrit :

    Le pape François a dit qu’on pouvait critiquer ce texte, il faut le faire et il faudrait même en fait que ce texte soit réécrit, pour orienter les couples irréguliers vers la conversion de vie, au lieu de leur proposer des fonctions dans l’Eglise, comme si ces lots de consolation étaient des tranquillisants de la conscience.

    Tout est absurde. Je laisse à chacun le soin de relire le point concerné, cité dans mon commentaire plus tôt. Je ne pense pas nécessaire d’expliquer davantage.

    Aristote a écrit :

    Il est fort possible, et même probable, que certains prêtres et certains évêques interprèteront Amoris Laetitia comme ouvrant sans discernement l’accès à la communion à toutes les situations irrégulières.

    Ils en porteront la responsabilité et, soyons lucides, la plupart n’ont pas attendu le Pape pour agir ainsi.

    Entre prendre le risque que certains clercs se laissent aller à la facilité et s’illusionner sur l’efficacité pratique d’une rigidité pastorale qui décourage par ailleurs les brebis qui cherchent sincèrement à progresser, François a fait le bon choix.

    Tu as tout à fait raison. Au passage, l’autre approche a aussi ses dérives et ses excès. Je ne sais si l’on peut placer sur une balance excès de rigueur et excès de miséricorde, mais ça pourrait se discuter.

    Comme il le dit souvent : « je préfère une Église cabossée pour être allée sur les routes ».

  • Esprit critique a écrit :

    Le pape François a dit qu’on pouvait critiquer ce texte, il faut le faire et il faudrait même en fait que ce texte soit réécrit

    Si on peut critiquer ce texte, il serait préférable, je crois, de le faire avec un minimum d’humilité.

  • Depuis la parution de AL je lis à plusieurs endroits, et même sous la plume de certains cardinaux, que l’exhortation doit être lue à la lumière de la doctrine catholique « de toujours », et qu’elle ne peut donc pas aller contre le Catéchisme de l’Eglise Catholique.
    Loin de moi l’idée d’opposer le CEC à l’Évangile. Mais, pour en revenir au point de départ de ce post, à savoir la miséricorde divine, telle qu’elle apparaît en particulier dans la parabole du Fils prodigue, pourquoi ne pas mettre en lumière que le Pape s’appuie d’abord sur l’Évangile ? Car c’est quand même l’Évangile (Bonne Nouvelle !) qui est premier, non ? Par pitié, j’entends déjà certaines réactions : non, je ne suis pas protestante.

  • Merci, Erwan, pour cet article. Dans un article de mon blog, paru en octobre 2015 sur le thème de l’accès aux sacrements des divorcés-remariés, http://biblicom.net/blog/2015/10/25/joie-du-retour/, j’évoquais, comme je le fais souvent, l’attitude étonnante à mes yeux de tant de « fils aînés ». Et je remarquais, dans ce même article, que le pape François avait proposé la même référence dans son discours de clôture du synode…

    Il faut le dire et le redire comme vous le faîtes : la miséricorde faite au fils prodigue ne retire rien au fils aîné, et surtout pas la miséricorde qui lui est faite (« tout ce qui est à moi est à toi » Lc 15,31) ; en outre et surtout, à aucun moment dans la parabole, la gestion de la filiation par le fils prodigue n’est vantée ou même excusée : il n’en est tout simplement pas question et rien ne dit qu’il en sera ensuite question.

    Par moments, je me demande même si le veau gras et la fête ne sont pas un symbole de la communion retrouvée, surtout quand on sait que le festin des noces au paradis est symbolisé chez Isaïe (25,6) par un « festin de viandes grasses ».

  • Petite remarque complémentaire, avec une question pour laquelle je n’ai pas encore trouvé de réponse : la parole de Jésus attestée en Mc 10,9 et Mt 19,6 : « ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas », est toujours présentée comme une « règle ». Mais qui me dit qu’elle n’est pas, dans le contexte des controverses de l’époque, une « recommandation » ? Ce qui justifierait cet accommodement que lui donne saint Paul avec le fameux « privilège paulin » (1 Co 7,10-16).

  • Oui c’est l’Evangile qui est premier, comme la foi sur les oeuvres ; mais précisément l’Evangile n’est pas un roman baignant à l’eau de rose des bons sentiments et des bonnes intentions (ne parlons même pas des épîtres de Paul), et les évangiles dont les textes sont sujets à interprétation s’éclairent eux-mêmes à lumière de la tradition apostolique de l’Eglise.

    Et si l’on parle du fils prodigue, il faut aussi considérer le long chemin de conversion, c’est-à-dire étymologiquement de retour, que celui-ci effectue. La miséricorde et le pardon demande la conversion : le « bon » larron, Zachée, le fils prodigue etc. A contrario l’endurcissement du cœur, c’est-à-dire le refus de se convertir, est un obstacle empêchant la miséricorde et le pardon de se déployer.

    Pour le non accès au sacrement, il ne s’agit pas de condamnation, il ne s’agit pas d’une peine juridique infligée à un coupable, mais de la vérité objective du sacrement. Qu’est-ce que le sacrement de l’eucharistie en vérité ? qu’est-ce que le sacrement de réconciliation en vérité ? Le moyen de se réconcilier si l’on vit au moment même dans une situation contraire à la réconciliation ? C’est bien là toute la difficulté. A un moment l’Eglise (comme chacun de nous) doit aussi choisir faire ce qui est juste aux yeux de sa foi, non ce qui est facile et mondain- c’est tout le sens de ses non possumus dans l’histoire.

    Comme le disait feu mère Marie Angélique de l’Association « Plus nous servons de la bouillie au gens, plus nous essayons d’enrober la vérité de sucre pour ne pas les blesser, plus nous commettons une injustice. »

  • @ Hervé Ponsot o.p. : c’est un plaisir de vous voir passer par ici. En matière d’interprétation biblique, je me vois guère faire autrement qu’abonder dans votre sens. Et je vous remercie pour celle-ci, qui semble tellement évidente quand elle est signalée : comment en effet, comme vous le dites, ne pas faire de lien entre le veau gras et la fête et la communion retrouvée ?

    En ce qui concerne le fils aîné, l’attitude est bien compréhensible mais elle est si terriblement humaine. Parallèlement à cette parabole, je pense aussi aux ouvriers de la onzième heure, qui heurte tellement notre conception toute humaine de la justice mais illustre bien en revanche la miséricorde de Dieu… ce me semble.

    En ce qui concerne le « privilège paulin », j’avoue que j’ignorais son existence et je double ma honte par le fait que ce que j’ai trouvé de plus immédiatement accessible est sur wikipedia. Je comprends que, dans ce cas précis, une personne peut se marier sacramentellement alors même que son premier mariage est considéré comme valide. Ai-je bien saisi ?

    Courtlaïus a écrit :

    Et si l’on parle du fils prodigue, il faut aussi considérer le long chemin de conversion, c’est-à-dire étymologiquement de retour, que celui-ci effectue. La miséricorde et le pardon demande la conversion : le « bon » larron, Zachée, le fils prodigue etc. A contrario l’endurcissement du cœur, c’est-à-dire le refus de se convertir, est un obstacle empêchant la miséricorde et le pardon de se déployer.

    Pensez-vous véritablement que les divorcés-remariés dans la situation qu’évoque le pape dans son exhortation sont des personnes qui ne ferait aucun chemin de retour, dont le coeur serait endurci ?

  • @ Koz:
    Koz ou Erwan, bonjour.

    Oui, je passe en de multiples lieux mais ne signale pas toujours mon passage… Pour cette raison essentielle que je ne crois pas toujours nécessaire d’en rajouter sur des choses déjà dites, et que celles que je veux dire se trouvent sur mon blog Biblicom, « vieux » de près de dix ans maintenant. On y trouvera par exemple bien des choses sur la question des dérives religieuses qui vous occupe comme elle m’occupe et me préoccupe moi aussi.

    Le privilège paulin est une « affaire » compliquée applicable dans des cas précis et limités comme le rappelle l’article de Wikipedia que vous citez, mais qui, sur le fond, consiste bien, qu’on le veuille ou non, à ne pas considérer comme une « règle » absolue la parole de Jésus. Et elle est, à moins que je ne me trompe totalement, l’une des raisons qui me fait douter que cette parole soit une « règle » défiant le temps. Surtout si l’on tient compte de l’environnement littéraire de cette parole, clef de toute bonne interprétation. Maintenant, je suis peut-être hérétique !

    Pour le suite concernant le propos de Courtlaïus, je vous rejoins pleinement. Les divorcés-remariés que je connais et qui demandent à pouvoir communier ne le font pas sans avoir fait un long chemin. Sur je ne sais plus quelle réaction à je ne sais plus quel article de je ne sais plus quel blog ou page, je lisais que le Père Lyonnet (je crois) avait, il y a donc longtemps déjà, souligné que l’eucharistie n’était pas un cadeau, une récompense à l’intention des bien-pensants ou bien-agissants, mais un viatique sur la route de ceux qui peinent : au dernier repas, il semble d’ailleurs que Judas ait eu sa part. J’écris « il semble » parce que Jean, qui ne relate pas comme on le sait le déroulement du repas, évoque son départ de la table commune « la bouchée prise » (13,30), sans que l’on sache de quelle bouchée il s’agit.

  • @ Courlaïus « Et si l’on parle du fils prodigue, il faut aussi considérer le long chemin de conversion ». On donne souvent le Fils prodigue comme modèle de repentance ; il faudrait peut-être modérer un peu cet aspect car, au départ, pourquoi veut-il revenir vers son père ? Tout bêtement parce qu’il crève de faim, et non pas parce qu’il réalise qu’il a blessé son père : « 14 Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans l’indigence. 15 Il alla se mettre au service d’un des citoyens de ce pays qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. 16 Il aurait bien voulu se remplir le ventre des gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui en donnait. 17 Rentrant alors en lui-même, il se dit: « Combien d’ouvriers de mon père ont du pain de reste, tandis que moi, ici, je meurs de faim »! 18 Je vais aller vers mon père et je lui dirai: « Père, j’ai péché envers le ciel et contre toi. 19 Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Traite-moi comme un de tes ouvriers ». Si on lit attentivement la parabole, on perçoit bien qu’au départ sa « contrition » est imparfaite et qu’il n’en est qu’au début de son chemin de conversion lorsque son père se précipite vers lui.

  • @ Cardabelle:
    Très juste, Cardabelle, et j’ajouterais simplement deux choses. 1) Fût-elle encore imparfaite, avec des motifs très terre à terre, cette contrition est déjà l’œuvre de miséricorde de Dieu dans le fils prodigue. 2) Et c’est encore cette même miséricorde qui va achever ce qui a commencé, pour paraphraser une formule bien connue du monde religieux (« Que Dieu achève en vous ce qu’il a commencé »).

  • Super billet Koz, très bien écrit, tu t’es surpassé, bravo.

    Je n’ai pas le droit de me marier à l’église puisque ma femme est divorcée. Difficile de dire que c’est une souffrance. Quand je pense à Dieu c’est plutôt pour le remercier d’aimer et d’être aimé, d’avoir pu construire une famille avec de beaux enfants en bonne santé qui paraissent heureux. Pas trop pour me plaindre d’avoir subi une discrimination. Ceci dit, je ne suis pas très pratiquant et je peux comprendre que pour certaines personnes dans ma situation, ce soit douloureux. Aussi je trouve que le Pape a raison d’ouvrir la porte. Il ne me semble pas que faire souffrir soit très chrétien, les valeurs sont plutôt le pardon et le merci.

    En plus, il fait ça avec finesse et prudence. Ce n’est pas open bar, « j’y ai droit, j’ai cotisé ». Le Pape insiste sur le chemin, sur la sincérité de la démarche. Bien sûr, il y a des gens qui tricheront, des prêtres qui seront trop coulants… Mais ce qui compte c’est la sincérité de notre engagement à Dieu, l’Eglise est un outil imparfait pour nous y aider. On peut tricher avec l’Eglise mais je ne crois pas qu’on puisse pipeauter Dieu.

    Le dernier point, et on retrouve le côté facétieux de François, c’est effectivement la réaction du fils aîné. Beaucoup trop de catholiques (et je m’inclue dans le lot) cherchent plus volontiers le péché chez les autres que chez eux-mêmes. Et l’opprobre sur les divorcés peut encourager ce défaut. En l’amenuisant, François nous aide à nous détourner de la critique des autres.

  • « Décision du cœur ». Ce n’est pas à comprendre dans le sens actuel sentimental du mot cœur, auquel cas en effet la passion qui ressent paraît s’opposer à la raison qui décide. Mais c’est à comprendre au sens biblique : le cœur est l’intériorité la plus profonde et décisive, l’âme vive, le centre vital. Comme le cœur de l’arbre, ou lorsqu’on dit que l’on est touché en plein cœur.

    C’est surtout, sous la plume d’un pape jésuite, une référence aux Exercices de Saint Ignace, qui est par excellence une spiritualité de la prise de décision et de la volonté. Cf. 5e annotation : « Il est d’un merveilleux avantage pour celui qui reçoit les Exercices d’y entrer avec grand cœur et avec libéralité à l’égard de son Créateur et Seigneur, lui offrant tout son vouloir et sa liberté, afin que la divine Majesté dispose de lui aussi bien que de tout ce qu’il a, selon sa très sainte volonté. »

    Voir aussi par exemple cet article de la NRT (jésuites belges) :
    Th. Lievens, s.j., « Se laisser choisir pour choisir. Exercices spirituels de S. Ignace et théologie morale », NRT 124/1 (2002) 79-93
    http://www.nrt.be/docs/articles/2002/124-1/534-Se+laisser+choisir+pour+choisir.+Exercices+spirituels+et+théologie+morale.pdf

  • « Aussi le pape ouvre-t-il une porte aux divorcés-remariés dans leur accès à la communion et à la confession. »

    C’est beaucoup dire. Le texte ne le dit pas. On ne parle pas de communion mais de sacrements, et on ne dit pas qu’il s’agisse des divorcés-remariés, mais cela vise les situations irrégulières en général.

    Gardez vous de transformer une morale de la loi en une autre casuistique. Les contraires se rejoignent dans un même genre. L’économie générale du texte est toute autre, qui dépasse l’aporie par le sommet et oblige à investir toutes les ressources de la théologie morale pour bien le comprendre.

  • Bienvenue Frère Thomas (notamment après avoir lu votre texte au Salon Beige, dont j’ai apprécié l’équilibre, connaissant vos réserves par ailleurs),

    Je ne sais si l’on peut se faire plus jésuite qu’un pape jésuite, mais j’en ai peut-être une meilleure idée. Car, tout de même, on ne parlerait pas de communion mais de sacrements, et on ne dirait pas qu’il s’agirait des divorcés-remariés ?

    Sans vouloir me fonder sur la compréhension générale de ce texte par nombre de commentateurs, qui ne relèvent pas tous d’une sphère médiatique portée à la confusion, je me permets de procéder par déduction. Or, compte tenu du fait que l’on peut raisonnablement exclure de la liste des sacrements concernés par les développements du pape celui de l’ordre, celui du mariage, celui du baptême et de la confirmation, il ne nous reste guère que les sacrements de l’onction des malades, de la réconciliation et l’eucharistie. Je ne néglige aucunement la portée de la réconciliation et même du sacrement des malades (même s’il est appelé à être un peu moins fréquent) pour des personnes, divorcés et remariées, que je présume être d’une foi sincère puisque désireuses d’y avoir de nouveau accès. Mais j’ai du mal à penser que l’on pourrait parler des sacrements à l’exception précise de l’eucharistie, sans que cela soit explicite et alors que quiconque a suivi les débats sait que c’était au centre des préoccupations. Pour le coup, ce serait de la part du pape une manière de jouer sur la confusion qui serait bien peu honnête. Et c’est une hypothèse que je ne peux retenir.

    Ne parlerait-on pas des divorcés-remariés mais des situations irrégulières en général ? Oui, c’est certain. Néanmoins, il ne vous a pas échappé qu’au rang des situations « irrégulières » (je reprends les guillemets employés par le pape), seules deux situations sont évoquées explicitement : le concubinage et le cas des divorcés-remariés. Et ce dernier cas est le seul qui reçoive des développements conséquents. Il occupe la moitié si ce n’est les 2/3 du passage en 5 points consacré au « discernement des situations dites « irrégulières » ». Je me réjouis évidemment que l’approche miséricordieuse appliquée explicitement au cas concret des divorcés-remariés puisse s’appliquer plus largement à toute autre « situation dite « irrégulière » ».

    En ce qui concerne l’accès aux sacrements, je pense que mon passage est assez clair. Je ne dis pas que le pape ouvre « la » porte, mais « une » porte, et ce n’est pas une nuance que j’aurais voulu imperceptible, puisque le passage complet est celui-ci :

    Aussi le pape ouvre-t-il une porte aux divorcés-remariés dans leur accès à la communion et à la confession. Ce n’est pas une norme, pas une décision générale, encore moins la reconnaissance d’un deuxième mariage religieux – l’Église ne vient pas reconnaître la validité de cet autre mariage.

    J’ai donc bien conscience du fait que le pape n’a pas pris une décision normative applicable à toutes les situations, comme il le dit explicitement à plusieurs reprises. J’ai conscience aussi que le chemin qu’il propose est exigeant pour quiconque le vivrait en toute sincérité. En particulier, il me semble difficile dans un divorce d’exclure absolument sa part de responsabilité.

    Pour autant, si le pape n’a pas voulu prendre une décision normative et si l’usage de la note de bas de page est probablement à considérer comme une façon de faire encore un pas de côté par rapport à l’autorité naturellement attachée à un tel texte, on ne peut pas faire l’impasse sur les notes de bas de page 336 et 351.

    Dans chacune de ces notes de bas de page, il renvoie lui-même à Evangelii Gaudium numéros 44 à 47. Le pt 47 comporte tout de même ceci, que l’on a peu relever à l’époque :

    il y a d’autres portes qui ne doivent pas non plus se fermer. Tous peuvent participer de quelque manière à la vie ecclésiale, tous peuvent faire partie de la communauté, et même les portes des sacrements ne devraient pas se fermer pour n’importe quelle raison. Ceci vaut surtout pour ce sacrement qui est “ la porte”, le Baptême. L’Eucharistie, même si elle constitue la plénitude de la vie sacramentelle, n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles. Ces convictions ont aussi des conséquences pastorales que nous sommes appelés à considérer avec prudence et audace. Nous nous comportons fréquemment comme des contrôleurs de la grâce et non comme des facilitateurs. Mais l’Église n’est pas une douane, elle est la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile.

    L’indication est tout de même en elle-même assez explicite et, en visant ces passages que le pape a dû relire s’il les avait oubliés (oui, bon, j’ai le droit d’être taquin), il a bien conscience qu’y est mentionnée explicitement l’eucharistie, seul sacrement qui est en jeu dans la situation des divorcés-remariés.

    Cette première note de bas de page est insérée lorsque le pape dit que les conséquences d’une norme identique ne peuvent pas toujours être les mêmes, pour préciser que tel est le cas également en matière de discipline sacramentelle.

    La deuxième note de bas de page est insérée lorsque le pape écrit que : « À cause des conditionnements ou des facteurs atténuants, il est possible que, dans une situation objective de péché – qui n’est pas subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement – l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse également grandir dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet effet l’aide de l’Église.« .

    Dans ces conditions, je ne pense pas faire une interprétation abusive de l’exhortation apostolique, tout en reconnaissant le cadre qui lui est délibérément fixé par le pape, qui se refuse à en faire une norme.

    Michelet Thomas a écrit :

    « Décision du cœur ». Ce n’est pas à comprendre dans le sens actuel sentimental du mot cœur, auquel cas en effet la passion qui ressent paraît s’opposer à la raison qui décide. Mais c’est à comprendre au sens biblique : le cœur est l’intériorité la plus profonde et décisive, l’âme vive, le centre vital. Comme le cœur de l’arbre, ou lorsqu’on dit que l’on est touché en plein cœur.

    Vous avez raison, et je l’ignore d’autant moins que j’ai eu plaisir à méditer – et à délivrer un topo, diantre – sur le thème du pèlerinage des pères de famille il y a quelques années : « donne-moi Seigneur un cœur qui écoute ». J’aurais probablement dû le préciser dans le texte. Cela dit, le fait que le coeur, tel qu’il est conçu au sens biblique, soit le lieu d’un colloque entre, pour faire vite, le sentiment et la raison, me va bien, et n’est pas bien différent de l’idée que je voulais exprimer : dans le mariage, à mon sens, la décision de s’engager dans un lien durable alimente le sentiment et le sentiment alimente cette décision.

  • Lib a écrit :

    Le dernier point, et on retrouve le côté facétieux de François, c’est effectivement la réaction du fils aîné. Beaucoup trop de catholiques (et je m’inclue dans le lot) cherchent plus volontiers le péché chez les autres que chez eux-mêmes. Et l’opprobre sur les divorcés peut encourager ce défaut. En l’amenuisant, François nous aide à nous détourner de la critique des autres.

    Oui, et comme je le disais plus haut, cette parabole comme celle de l’ouvrier de la onzième heure nous montrent très clairement notre petit égoïsme, notre petite jalousie. Nous voudrions que Dieu nous préfère, tout de même, pour tous les efforts que nous avons accompli. Pourtant, et spécialement dans le cas des ouvriers de la onzième heure, ils n’y sont pour rien : certes, ils n’ont travaillé qu’une heure, mais on ne leur a rien demandé avant, ils ne connaissaient pas le maître avant.

  • A propos de la parabole du Fils Prodigue ; j’ai souvent entendu dire « mais le fils, pour être pardonné, a dû regretter, revenir, se repentir. Ce n’est pas le cas de telle personne et donc c’est logique qu’il ne puisse pas y avoir de pardon ».
    Cela paraît clair et logique, conforme à la loi, et pourtant pas tant que ça. Le fils, comme dit le P. Poinsot, a une contrition très faible, au départ. Il décide de revenir vers son père non pour lui demander pardon mais pour bouffer. Pour cela, il devra manifester du repentir, mais c’est clairement un appel du ventre.

    Quand quelqu’un nous a blessé, pour lui pardonner, nous attendons de lui qu’il nous demande pardon, qu’il s’humilie dans les règles, dans nos règles à nous (et c’est humain) ; et alors, devant son attitude, dans notre dignité retrouvée, ok, nous lui pardonnerons. Mais Dieu n’en attend pas autant. Pour le fils prodigue, il se « contente » de bien moins. A sa place, voyant mon fils revenir sur le chemin, son attitude ne m’aurait sans doute pas suffi, il aurait fallu qu’il fasse plus pour se racheter.
    Tout cela pour dire que, côté miséricorde, Dieu n’entre pas dans nos calculs, dans notre conception humaine blessée qui tient à garder la tête haute. Lui, il attend un tout petit peu, un millimètre, et il s’engoufre. Au risque de nous choquer d’ailleurs.

    Si je dis cela, ce n’est pas pour ouvrir les vannes des sacrements à tout le monde sous prétexte de « miséricorde ». Mais quand je lis des textes très tatillons concernant l’exhortation apostolique et son paragraphe « désastreux », je pense qu’il faut se rappeler que parfois, face à une personne en chemin qu’ils connaissent bien, les pasteurs peuvent être amenés à donner, sans aucune raison valable, en ayant toutes les raisons canoniques pour ne pas le faire, juste par surcroît.

  • Pour revenir sur l’attitude du fils prodigue, je trouve pour le moins assez condescendante la façon dont certain(e)s le jugent ici : il revient parce qu’il crève de faim. Certes. C’est le cas de nous tous pécheurs : nous revenons parce que nous crevons faim – comme nous revenons vers un feu quand en s’en écartant nous prenons conscience du froid. Pour le reste rappelons ses paroles : « Père, j’ai péché envers le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Traite-moi comme un de tes ouvriers ». Celui qui est capable de telle parole ? Celui qui est capable de se faire justice de la sorte ? Remarquons aussi que ce n’est pas le père qui est allé le chercher – s’il le devance, il ne va pas plus loin qu’un certain seuil, afin de permettre à son fils de faire le chemin de conversion qui convient.

    Pour les divorcés-remariés je ne sais pas dire s’ils n’ont pas fait un tel chemin : je n’ai pas le pouvoir de juger les reins et les cœurs. Je peux simplement dire ceci : les sacrements ne sont pas de droit humain, mais de droit divin : il n’appartient pas aux hommes de décider de qu’ils doivent être, de leur réalité objective. Ce n’est pas aux pasteurs ou à l’évêque de telle ou telle Eglise de décider de cette réalité. On peut sur ce sujet se reporter avec profit à l’exhortation Sacramentum Caritatis §28 &29. Plus que la situation individuelle des divorcés-remariés, il s’agit d’abord des sacrements et de leur réalité, et à cet égard une certaine « protestantisation » des esprits chez certains catholiques est plutôt inquiétante.

    La charité et la miséricorde ne sont pas de la gentillesse, qui elle est purement mondaine – nous parlons de compassion dans une exigence de vérité comme le rappelle le billet. Ce que l’on attend aussi du pape, c’est qu’il affermisse la foi de ses frères et rappelle l’enseignement exigeant du Christ (la tentation d’enfouir la Croix est toujours présente) tel que la tradition apostolique nous l’a transmise, en la ré-exprimant si besoin au langage de l’époque. « Que ton oui soit un oui et ton non un non, ce qu’on y ajoute vient du malin » – et chez Jacques : « Mais que votre oui soit oui, et que votre non soit non, afin que vous ne tombiez pas sous le jugement. »

    En résumé en effet le pardon à un tel ne m’enlève rien, ne me lèse en rien, n’étant pas comptable de la bonté du Père. Toutefois les sacrements, reconnus tels par le discernement de l’Eglise, n’ont pas été institués par les hommes, mais par celui qui a dit : « je suis le chemin, la vérité et la vie ». Les hommes n’en disposent donc pas à leur gré.

  • Merci Koz pour cet article et vos commentaires très étoffés, c’est toujours avec un grand intérêt que je vous lis bien que je trouve trop rarement le temps de participer.

    Je discutais hier soir avec un prêtre qui, tout en appréciant le pape François, trouvait assez déstabilisante cette exhortation (et pas uniquement sur la question des divorcés-remariés).

    « François », disait-il, « gouverne un coup à droite, deux coups à gauche, et on ne voit pas quel cap il cherche à suivre. C’est la 1re fois depuis
    3 siècles qu’un grand nombre de cardinaux se rebiffent contre un texte pontifical. »

    Si j’ai bien compris son propos, ce qui le gênait, ce n’était pas tant le contenu du texte, que le fait qu’il émane du magistère. En gros, pour lui, le texte n’apportait rien de nouveau d’un point de vue pastoral, dans la mesure où dans leur grande majorité les prêtres ont l’habitude de composer avec des personnes qui ont perdu tout repère chrétien. Par contre, le fait qu’il émane du magistère pouvait faire croire que l’idéal du couple chrétien fidèle était devenu inaccessible et en un sens périmé.

    C’est une objection tout à fait recevable et qui mérite qu’on s’y attarde (ce que je n’ai pas eu le temps de faire hier soir autant que je l’aurais souhaité).

    J’y répondrai en 3 points, déjà évoqués ici et là, et notamment sur ce blog ; vous me pardonnerez je pense si mes réflexions à ce sujet (entre autres) rejoignent très souvent les vôtres. 😉

    Le premier point est conjoncturel : la prédication du pape change de forme parce que la communication elle-même change de forme.

    Le modèle traditionnel, en caricaturant un peu, était le suivant : le pape s’occupait essentiellement de doctrine, de discipline, de théologie, c’est-dire qu’il était l’autorité qui tranchait dans les débats théologiques, et qui donnait le cap, la règle de vie idéale. Son message s’adressait essentiellement aux théologiens, au clergé et aux fidèles très investis dans l’Église et se diffusait peu auprès du grand public (qui ne savait pas forcément lire au demeurant).

    Sur le terrain, le curé de campagne faisait de la pastorale, c’est-à-dire qu’il donnait des conseils pratiques de vie à ses fidèles en fonction de leur situation concrète (en principe tout au moins).

    Entre temps, les moyens de communication ont évolué radicalement, et de plus en plus vite : journaux, radio, télévision, internet…

    La 1re réaction de l’Église fut d’adapter ses modes de communication, mais pas ses modalités : délaissement du latin au profit des langues usuelles, lancement de journaux, radios, télévisons chrétiennes, comptes twitter, etc.

    Ce faisant, la parole du magistère s’est mis à toucher de plus en plus de personnes – via le filtre médiatique qui (et de plus en plus) ne retient qu’une ou deux phrases d’une longue interview ou d’un document de 250 pages.

    Dans le même temps, l’Europe occidentale a vécu une profonde déchristianisation, qui fait que ces personnes avaient de moins en moins de références chrétiennes permettant d’en comprendre vraiment la teneur.

    De son côté, la pastorale en a aussi pris un coup : moins de personnes dans les églises, prêtres peu nombreux et débordés de travail. Le message du curé atteint essentiellement aujourd’hui la petite minorité des pratiquants réguliers.

    Bilan : le grand public reçoit un message doctrinale, inaudible et tronqué. À l’inverse, les fidèles réguliers reçoivent un message pastoral parfois un peu faiblard là où ils auraient besoin d’être affermis dans leur foi (à moins de faire l’effort de se former par eux-mêmes).

    François est le 1er pape à avoir vraiment acté ce changement de paradigme : il parle moins longuement, il s’exprime simplement, il fait des actes forts et prononce des paroles chocs, pour passer le tamis médiatique, et imprévisibles pour ne pas être (trop) récupérées par un camp ou l’autre. C’est risqué, certes, mais même le fieffé couard que je suis est bien contraint de reconnaître que l’annonce de l’Évangile ne se fera pas sans sortir dans l’arène.

    En contrepartie, il me semble important que le curé, de son côté, et sans négliger la pastorale, fasse quelques rappels (?) de doctrine – et il me semble que c’est de plus en plus souvent le cas.

    (Au passage, s’il en était besoin, à titre de contre-exemple, la sortie de Mgr Lalanne sur la pédophilie montre bien les dégâts que peuvent faire une parole mal pesée à un auditoire qui n’a aucune référence théologique : quel bien y a-t-il à dire des choses justes si l’auditoire n’en perçoit qu’un contre-sens ?)

    Le 2e point, c’est qu’il y a des précédents. On nous dit que François perturbe les fidèles. Certes. Mais en son temps, un certain Jésus était bien connu lui aussi pour déstabiliser constamment son auditoire et en particulier les pratiquants réguliers (pharisiens) dont il faisait pourtant lui-même parti.

    Songez un peu : il va au delà de la loi de Moïse, en rappelant que Dieu a voulu que l’union de l’homme et de la femme soit indissoluble (et donc en condamnant le divorce autorisé à l’époque, pour les hommes du moins). Il explique que le simple fait de désirer une autre femme est déjà de l’adultère (et à l’époque, adultère = peine de mort, en gros c’est « vous méritez tous d’être lapidés ! »).
    Et à côté de cela, il pardonne à la femme adultère (à ce propos, attention à bien lire le texte : il ne dit pas « je te pardonne à condition que tu ne pèches plus », non, il pardonne sans condition, puis exhorte à ne plus pécher).
    Il explique qu’il n’est pas venu pour supprimer un iota de la loi ; pourtant il guérit le jour du shabbat, et laisse même ses disciples glaner quelques épis lorsqu’ils ont faim (« le shabbat est fait pour l’homme, et non l’homme pour le shabbat »).
    On pourrait continuer longtemps (« Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. », les marchands du temple molestés, le figuier desséché alors qu’il ne cesse d’expliquer qu’il faut rendre le bien pour le mal, pardonner jusqu’à 77*7 fois, tendre la joue à ceux qui frappent. Le pauvre Pierre est bien excusable de prendre le fameux « Que celui qui n’a point d’épée vende son vêtement et achète une épée » au pied de la lettre ; évidemment il se fait on ne peut plus clairement désavouer par Jésus qui guérit le serviteur auquel Pierre venait de trancher l’oreille.)

    L’Évangile n’est pas une liste de précepte à suivre, une recette miracle pour avoir à coup sûr la vie éternelle.

    Au contraire, Jésus secoue constamment son auditoire quand celui-ci croit avoir compris, pour l’inciter à aller plus loin, à aller au fond des choses : l’important, c’est Dieu, c’est-à-dire l’Amour et toute discipline de vie (dont on ne saurait se passer) n’a vocation qu’à faire grandir en nous l’amour de l’autre et du Tout Autre, à travers le don de soi.

    Allez, un dernier point (désolé d’être aussi verbeux !).

    Comme Koz, c’est la parabole des ouvriers de la 11e heure qui m’est venu aussitôt à l’esprit.
    Quelle injustice ! Ces gens qui se sont éreintés toute la journée sous un soleil de plomb reçoivent le même salaire que ceux qui n’ont travaillé qu’une petite heure dans la douceur du soir. Pire, le maître semble prendre un malin plaisir à les payer en dernier, comme pour leur faire croire qu’ils recevront davantage.

    À la lecture de cette parabole, on a envie de s’exclamer, comme Thérèse d’Avilla : « Si c’est ainsi que tu traites tes amis, Seigneur, ce n’est pas étonnant que tu en aies si peu ! »

    La réponse du maître à ceux qui récriminent est cinglante : « Dois-tu être mauvais parce que moi je suis bon ? »

    Souvenons nous aussi de la parabole du débiteur : le roi remet une somme incommensurable à son serviteur et ce dernier à peine déchargé de sa dette se montre sans pitié aucune envers son compagnon.
    Si nous avions conscience de notre petitesse, nous qui retombons constamment dans les mêmes travers, toujours pardonnés, nous verrions que notre attitude est souvent celle de nains se disputant « pour savoir qui est le plus grand » ! Tous, nous sommes misérables, tous nous avons constamment besoin de la miséricorde de Dieu.

    Oui, mais, quand même, c’est trop facile : comment éviter que l’ouvrier de la 1re heure ne se pointe qu’en fin de journée après tout ?
    Relisons bien la parabole : le maître croise des personnes, et à chaque fois leur propose de travailler à sa vigne. L’ouvrier de la dernière heure est celui qui croise le maître à la dernière heure, pas celui qui remet à plus tard le travail à la vigne. Chacun est appelé à répondre à l’appel qu’il entend, quand il l’entend. Nous n’avons pas tous le même parcours, et nous ne savons pas ce que nous serions devenus dans un autre contexte.

    Si je me penche sur moi avec lucidité, il me faut reconnaître que dans une grande mesure, je ne suis pas responsable de mon caractère ou de ma situation. Dès lors, comment juger l’autre dont au fond nous ne connaissons rien ? Je me suis engagé dans le mariage en toute connaissance de cause, en ayant bénéficié d’une famille aimante et d’un exemple parental remarquable, d’une formation solide. Tout cela m’a été donné, sans que j’en aie le moindre mérite. Comment pourrais-je m’estimer, moi, fidèle dans le mariage, moins pécheur qu’un autre qui n’a pas bénéficié des mêmes choses ?

    En se retournant, Pierre aperçoit, marchant à leur suite, le disciple que Jésus aimait. […]
    Pierre, voyant ce disciple, dit à Jésus : « Et lui, Seigneur, que lui arrivera-t-il ? »
    Jésus lui répond : « Si je veux qu’il reste jusqu’à ce que je vienne, est-ce ton affaire ? Mais toi, suis-moi.»

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