Si l’Epidémiologiste veut bien se donner la peine

« Il devrait finir épidémiologiste ». Les courtisans n’en peuvent plus de célébrer le pari fait par Emmanuel Macron en refusant, seul, de prendre des mesures face au risque d’emballement porté par les divers variants. A court terme, l’évolution de l’épidémie semblant lui donner raison, on célèbre l’« émancipation » du Président, le politique remis au milieu du village et les scientifiques renvoyés à leur rôle de conseils accessoires.

Soit. Ce n’est pas aux scientifiques, irresponsables politiquement, de gouverner. Assurément, leur tropisme peut les conduire à n’envisager la crise que par le petit bout de l’éprouvette quand le politique embrasse l’économique, le social et la sacro-sainte acceptabilité des mesures. Mais reconnaissons-lui des horizons plus larges encore : son regard altier porte jusque sur l’approbation médiatique, la courbe des sondages et les perspectives de réélection prochaine. Si les scientifiques risquent de sombrer en Cassandre éternels, les politiques ont-ils en eux assez de ressource pour adopter des mesures d’autant plus impopulaires qu’au-delà des restrictions qu’elles supposent, leur éventuelle efficacité les condamne à être jugées rétrospectivement excessives ?

Si le politique est vraiment de retour, qu’il l’assume, vite ! Car si l’on observe une décélération inexpliquée des contaminations, un professeur de droit, Nicolas Molfessis a émis une hypothèse troublante : celle que, sous l’emprise du Covid, nous ayons perdu le goût. Celui des libertés et le goût de la rencontre. Que nous nous soyons autoconfinés. Nous sommes à la croisée des chemins : face à la menace des variants mais aussi à l’épuisement psychologique, soumis à un Covid qui rappelle si bien la figure du pervers ordinaire, alternant les espoirs et les soudaines menaces, réduisant notre volonté au creux de son poing. Quelle est alors la stratégie du politique pour nous sortir de cette lente évaporation, lui dont le principe est l’action ? Ne parlons même pas de la Bérézina vaccinale. Certains martèlent un « tester, tracer, isoler », d’autres prônent un « Zéro Covid ». Que propose Emmanuel Macron ? D’autres pays ont fait des choix : quel est le sien ? Vivre avec le virus ? Naviguer à vue de statistiques en fin de semaine ? La réalité, c’est que nous vivons à front renversé : aujourd’hui ce sont les scientifiques qui proposent un cap, et le politique qui godille. Quand le politique s’enorgueillit de lui-même, qu’il se souvienne que gouverner, ce n’est pas s’adapter, c’est prévoir.

Chronique en date du 17 février 2021, rédigé quelques jours plus tôt. Depuis, la situation a évolué : le gouvernement a su anticiper avant que la situation n’explose à Nice, à Dunkerque et bientôt en Île-de-France, et le politique en gloire a appris l’humilité.

L’illustration, trouvée en ligne, est plus sarcastique que mon propos. Ceci étant dit, étant en isolement depuis 1 semaine et pour 1 semaine encore afin de bien finir les vacances, je peux me le permettre.


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8 commentaires

  • Il est vrai qu’avec Koz c’eut été beaucoup mieux géré mais il ne faut pas qu’il oublie que lorsque le critique s’enorgueillit de sa critique, qu’il se souvienne que critiquer, ce n’est pas seulement s’opposer , c’est le plus souvent ne rien proposer.

    • Cher Monsieur,

      La figure est connue mais je vous invite à la pousser plus avant. Que penser de la vacuité du critique du critique ? Et de la formule selon laquelle critiquer serait ne rien proposer ?

      Le fait est qu’il n’est pas de mon ressort de proposer une stratégie de santé publique. Vous seriez probablement là pour me le reprocher si je le faisais. Alors quoi ? Pas d’alternative à l’approbation béate ?

      Des propositions, il y en a, plusieurs, sur la table, émises par des gens très qualifiés, et j’en cite déjà deux dans l’espace limité de cette chronique. On peut tenter le Zéro Covid. On peut procéder à un confinement suivi d’un dépistage massif et de l’isolement des malades. etc. Que propose Macron ? Quelle est sa stratégie ? Je le redis : mon propos est surtout de réagir à l’absurdité de la position selon laquelle il faudrait se réjouir d’un retour du politique, se féliciter d’une reprise du pouvoir aux scientifiques. Je m’en féliciterais si cela débouchait sur quelque chose.

      Quand je lis, dans Les Echos, qu’un proche du président déclare que : « on pensait l’éviter, mais on va très probablement se prendre un mur« , oui, ça me met en rogne. Un artiste disait à Macron récemment de se montrer Churchillien. Moi, ce que ça m’a évoqué, dès le 28 janvier et la conférence de presse catastrophique de Jean Castex, c’est « vous aviez le choix entre les morts ou le confinement, vous aurez les morts et le confinement« .

      Et oui, il était possible de l’anticiper. Cela fait depuis décembre que l’on sait que le variant va débarquer mais on préfère regarder les Britanniques de haut, comme on a regardé les Italiens de haut, après les Chinois.

      Cela fait plusieurs semaines que des épidémiologistes pointent le scenario d’une chute de la souche sauvage que croise une explosion du variant britannique. Je l’évoquais moi-même ici il y a 15 jours, après l’avoir lu plusieurs fois. Alors oui, ça me sidère qu’aujourd’hui on présente la réalisation de ce scénario comme une surprise.

      Et quand je lis que Gabriel Attal déclare que : « Notre ligne de conduite n’a pas changé : d’abord des ripostes ciblées, des mesures de freinage précises et les étendre si cela est nécessaire« , je ne suis pas le seul (probablement le moins qualifié en revanche) à me lamenter que nous en soyons encore à croire que l’on doit « riposter » à une épidémie. On doit anticiper. Et tout ce qui se produit aujourd’hui (au JT de France 2, ce soir, on vient d’évoquer le dépassement du pic de la première vague !) était annoncé depuis des semaines.

      Alors oui, certainement, si je l’ai longtemps soutenu trouvant moi-même la critique facile, aujourd’hui il me paraît évident que les circonstances électorales pèsent sur les décisions, et que clairement, oui, nous pouvions faire mieux.

  • Vous me permettrez de tiquer devant une représentation de M. Macron en Staline. Je ne crois pas que cela fasse avancer quoi que ce soit, au niveau du débat et de la réflexion : on est là plutôt dans l’invective.

    Ceci étant écrit, je suis atterré depuis le retour (fin janvier) de la notion « d’acceptabilité » de la politique menée. La dernière fois que je l’ai vue, c’était en 2015, au plus fort de la crise des réfugiés, quand le gouvernement, et l’ensemble de la classe politique, a fermé le yeux et n’a pas été capable de se donner un cap : oui, sauver des vies ; oui, porter les valeurs qui sont les nôtres ; oui, donner l’exemple. Les Allemands l’ont fait, et nous étions en train de nous boucher les yeux, nous chamailler ou faire une course à l’échalote vers la droite (Sarkozy et son inondation).
    Et voilà qu’on en revient à fermer les yeux en espérant que ça se règle tout seul, façon Guerre des mondes. Que le virus attrape un virus, et meure bêtement : happy end !

    Je vais continuer à déprimer, je crois.

    • Je vous le permets, mais je vous permets aussi de lire mon PS. Avant l’invective, il y a le sarcasme et oui, je suis d’humeur sarcastique quand je vois les courtisans du petit père des peuples vanter ses qualifications en épidémiologie, jusqu’à hier encore.

      • Il y a quand même quelque chose de juste dans cette image : certes, M. Macron n’a rien d’un Staline ou de quelque dictateur sanguinaire que ce soit, mais il faut reconnaître que ses courtisans vont souvent loin dans le dithyrambe, comme cela pouvait (ou peut) être fait dans certaines dictatures (au présent, les photos représentant Kim Jong Un donnant des conseils aux agriculteurs, aux éleveurs de poisson ou aux métallurgistes sont éloquentes). Je ne crois pas que ces dithyrambes confinant au délire rendent service à M. Macron. Si jamais il a vu cette image, qu’il réfléchisse à la perception qu’ont certains de son ego et à l’intuition de ce que celui-ci peut l’amener à commettre des erreurs parfois graves.

      • Je confesse que je n’avais pas vu le PS.

        Ceci dit, M. Macron n’est pas le premier à jouir d’une flatterie éhontée ; j’y vois plutôt la conséquence du modèle de la 5ème République, monarchie républicaine au dernier degré.

    • J’avais initialement prévu de parler des « courtisans ordinaires », mais le nombre de signes est limité dans une chronique et ça n’était pas essentiel. Mais non, il n’est évidemment pas le seul. Et qu’ils soient rois, présidents ou chefs d’entreprise, le risque est permanent de n’être entouré que de cette sorte de personnage.

      @Sven Laval : ils ne lui rendent en effet pas service et ils sont d’autant plus déplacés qu’ils sont méprisants envers les épidémiologistes. Penser que l’on peut lire toutes les études est déjà absurde compte tenu de tout ce qui se publie, et penser que l’on peut les interpréter convenablement sans formation est assez arrogant. Il reste que je me réjouis qu’il lise par lui-même, puisque c’est à lui de décider en dernier ressort. Mais je ne suis pas d’accord avec ses dernières orientations (sans parler des absurdes conférences de presse de Jean Castex qui vient nous dire qu’il n’a rien à nous dire).

      • Très juste : un président, chargé de décider, doit le faire en s’appuyant sur quelque chose. J’ose espérer qu’il lit des synthèses lui présentant les orientations possibles avec les conséquences de chacune. L’impression donnée est plutôt celle de décisions (ou de non-décisions) prises à l’emporte-pièce ou au petit bonheur. Ou encore sur la base d’informations non filtrées, vite lues, et dont probablement ni M. Macron, ni vous ni moi ne sommes capables de tirer quelque conclusion que ce soit. Quant aux conférences de presse de M. Castex… soyons charitables.

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