Je ne parle même pas de ceux que je n’identifie pas. Parmi les autres, je suis surtout déçu par Meryl Streep. Pas toi, pas moi, pas nous.
Cette photo a été vue, a-t-on lu, des millions de fois. Retweetée des dizaines de milliers de fois. Et pour finir, la voilà sur mon blog. Comme je suis vicieux, que Samsoaule, je l’ai salement amochée. C’est la réponse du mouton à la bergère.
À l’origine, il y a un moment d’anthologie. Autant de lauréats des prestigieux Oscars souriants, hilares, tout simplement heureux, réunis sur une même photo à l’initiative de l’un d’entre eux (que je n’identifie pas, d’ailleurs). Ils sont là, un peu comme toi et moi et surtout toi, pris dans l’euphorie d’une soirée magique qui voit leur consécration et ils se rassemblent vite fait pour garder un souvenir, une photo de promo des Oscars 2014. Parce qu’ils sont excités, que le moment est unique et qu’ils le raconteront à leurs petits enfants. Alors, spontanément, ils ont pris un selfie. Comme toi et moi et surtout toi.
Mais le selfie était sponsorisé. 20.000.000 $. Le miroir se fendille. C’est la même photo, ce sont les mêmes visages mais ce ne sont plus les mêmes expressions. Le selfie est un fake. Je reprends la photo, chaque sourire est illusion, chaque attitude, composition. La spontanéité, préméditée. Bien sûr, ils ne sont pas comme toi. Bien sûr, ils ne se sont pas regroupés dans un grand moment de convivialité, tout à leur joie d’être distingués, oubliant un instant la comédie, volant quelques secondes d’émotion libre au business. Tu crois quoi ? C’est Hol-ly-wood. Rien ne se perd, rien se crée, tout s’achète. Ça vend du rêve. Vraiment. Hollywood, la ville où l’on achète aussi la spontanéité.
Rien de nouveau, certes. C’est la ville dans laquelle la vie privée a un prix, la ville dans laquelle l’intimité a un prix. Mais la spontanéité…
Et toi ? Eh bien, toi, tu t’es fait ce que l’on attendait de toi : support de publicité. Témoin enthousiasmé d’un moment de liberté sans filtre, juste entre eux, tu as retweeté. Ton clic, ton retweet a justifié ces 20.000.000 $, et la part de bénéfices de chacun. Aujourd’hui, tu diras que non, bien sûr, tu n’y as pas cru, tu n’es pas crédule. Mais le fait est que tu y as cru au moins le temps d’un retweet, et qu’au fond de toi, il y a un regret, parce que ça non plus, ce n’est pas vrai. Et tu n’es pas à blâmer d’avoir eu cette innocence ordinaire le temps d’un regard. Non, bien au contraire. Tu espères encore un peu en la spontanéité, en la sincérité et même en la gratuité. Tu as encore un peu de cette beauté d’âme.
Et je ne les envie pas, eux, qui trompent et qui, non contents d’avoir trompé, te feront en outre passer pour crédule. Je ne les envie pas, eux par qui le monde est faux. Sous les ors et les flashs, les bijoux et les grandes robes, leur monde est un peu triste.
Regarde-toi et regarde-les. Deux mondes avec deux codes. Au milieu, un miroir, un écran. Tu regardes vers leur monde et l’on te dit que tu dois en comprendre les codes, savoir que la comédie, c’est du toc et du blé. Eux, de l’autre côté du miroir, de l’écran, regardent vers notre monde, ils en décryptent le code. Qu’attend ce monde ordinaire, simple, normal ? Ils savent que ce monde attend cette gratuité, qu’il accorde du prix à cette spontanéité. Mais ils ne sont pas prêts à l’offrir, ils le font payer. Et oui, ils trompent car ce qu’ils vendent au monde, ils en ont ôté la valeur. D’ailleurs, regardent-ils vraiment vers notre monde ? La mode du selfish a cette particularité que, bien souvent, au lieu de regarder vers l' »autre » à travers l’objectif, on ne regarde que soi à travers l’écran.
Je les plains, ces marchands d’orviétan, eux par qui d’autres vendront leur liberté sur une île, dans un loft, monnayant aussi la médiocrité. Eux par qui tout se vend, tout a un prix : une photo de soi, un instant privé, un moment gratuit.
Je plains cette petite élite qui devrait être un modèle mais qui dévalorise le monde. Fort heureusement, il nous reste la possibilité de réorienter notre regard, chercher et trouver un bonheur véritable non dans ce monde à l’éclat imposteur mais autour de nous, dans le sourire gratuit d’un homme qui va seul dans la rue, les yeux d’un enfant, ceux, complices, de ce vieil homme à moustache. Détourner le regard et le porter vers l’essentiel. Donner asile en soi à l’émerveillement attaqué, contre le cynisme de ceux qui faillissent.
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Ayant peu d’affection pour les américains, j’aurais tendance à dire que cela représente bien leur esprit : l’art de la composition, l’affection factice derrière lequel se cache un intérêt personnel est dans leur culture.
On parle souvent de l’ouverture américaine aux autres : très affectueux, les bras grands ouverts… et qui deviennent très froids, ne te reconnaissent plus lorsque tu ne leur apporte plus…
Mais peut-être que je suis cynique… et américanophobe… 😉
Bonjour,
Je lis votre blog toujours avec intérêt, et bien que nous n’ayons pas toujours les mêmes opinions, j’apprécie de lire votre point de vue.
Néanmoins je trouve que vous exagérez un tout petit peu dans ce billet. Ce n’est pas le selfie qui était sponsorisé, mais l’utilisation du smartphone de Samsung par Ellen DeGeneres pendant la cérémonie des oscars. En tout cas, c’est ce que je lis dans l’article du Wall Street Journal qui est à l’origine de l’article en français que vous citez. C’est donc un petit peu plus complexe que ce que vous décrivez – sauf erreur de ma part, Samsung n’a pas payé les acteurs et actrices qui sont sur la photo pour ce selfie – la société a sponsorisé la cérémonie des Oscars. On peut penser le plus grand mal du « product placement » dans le cinéma et la télévision aujourd’hui, et personnellement la cérémonie des Oscars me laisse toujours un goût assez désagréable, mais de là à en tirer une morale à la « tous pourris »… Je ne suis pas convaincue..
J’aurais dû pousser ma lecture jusqu’à celle du Wall Street Journal, dont la mention m’a échappé. Si cela laisse une petite marge à la sincérité de ce moment, j’en serai marri pour mon billet mais ravi pour le reste. Je reste toutefois très dubitatif sur le fait que, dans cette océan de marchandisation, les stars présentes sur le cliché aient consenti à l’utilisation de leur image sans rémunération.
@ Skeepy : je ne connais pas assez d’Américains 😉
Je tombe sur ce Gif pré-selfie juste après avoir lu ton billet, c’est l’illustration parfaite de ce que tu écris… Et j’ai le même malaise que toi devant ce genre de photo, encore un débordement de festivisme obligatoire et surfait. Un peu comme ces photos de famille où tout le monde sourit largement alors que toute l’année, on se déchire et on se trahit.
En parler c’est en faire de la promo, je ne l’avais jamais vu avant et avais à peine entendu parlé d’une photo retouité tout plein de fois.
En mal ou en Bien…. La seule manière de se débarrasser de ce monde de fake est de na pas en parler et ne rien acheter de ce qui en provient. enfin…
Voilà un grand classique du commentaire. Après 3 295 829 Retweets, 1 856 408 favoris, le Wall Street Journal, Le Figaro et 547.000 autres résultats sur Google Actus, il ne faudrait pas en parler sur Koztoujours.fr, même pour critiquer, parce que ça donnerait de l’ampleur au phénomène.
Je pense que vous avez compris où je veux en venir.
En cherchant un peu dans les nouvelles US, on voit en effet que ce n’est pas le selfie qui a coûté 20 millions à Samsung, c’est la valeur (estimée) des pubs passées pendant la soirée. Bien entendu, l’utilisation de l’appareil comme composante de l’animation était planifiée et Ellen DeGeneres avait ses instructions. Pour ce qui est des stars sur la photo, c’est pour se montrer qu’ils et elles viennent à la soirée, non? C’est peut-être un chouia décevant de découvrir que la spontanéité de la photo n’est qu’apparente. Mais on parle d’acteurs d’Hollywood, là: être payés (très cher) pour apparaître à l’image, c’est la définition même de leur métier. J’ai du mal à leur en vouloir.
Et la conclusion rigolote du truc : dès que la soirée se termine, Ellen DeGeneres se remet à twitter… avec son iPhone.
Gwynfrid a écrit :
Pour le reste, soit, et Starfish l’a déjà souligné. Mais là-dessus, non. Leur métier c’est d’apparaître dans un film ou une pièce de théâtre. Que l’on considère que toute apparition de leur part doive être rémunérée reste un dévoiement.
@ Koz:
Il semble que les personnes figurant sur ce selfie n’ont pas été rémunérées pour cela. Par ailleurs faire la promo de leurs films fait aussi partie de leur métier. J’avoue que j’ai du mal à voir ici plus de problème que dans n’importe quel talk show ou émission dominicale.
Bonsoir Koz,
il me semble qu’il ne faut pas généraliser à toute notre société les travers d’Hollywood, un endroit réputé pour ses egos et sa vénalité, mais qui fait par ailleurs souvent de bons films à mon avis.
D’une façon plus générale, on accorde à mon avis beaucoup trop d’importance aux excès que permet la liberté américaine, et pas suffisamment à la vie « de bon père de famille » qui mènent, grâce à cette liberté, la plupart des américains dans une société qui me semble, sous bien des aspects, plus saine que la notre.
Je terminerai sur un paradoxe : le sponsoring, dont cette histoire est un exemple, est souvent un moyen de faire croire à la gratuité illusoire de certains biens, dont par exemple les grandes chaines de télévision privées, qui appartiennent en fait à leurs annonceurs, que cela vous plaise ou non. Paradoxalement, certaines relations commerciales honnêtes sont pour moi plus saines.
@khoz
non.
En fait je crois que vous n’avez pas compris ou je veux en venir.
Nous vivons une société du spectacle, de la « culture » à la politique, en passant par la sociétal ou le religieux. Tout tourne autour de l’image que l’on veut donner, et tout est fait pour coller à une image. Oui pourquoi pas le dénoncer, mais ca devient un peu un marronnier, le truc que l’on écrit lorsqu’on est en panne ou que l’on ne veut pas aborder d’autres sujets ou pour se détendre.
Je veux bien croire que certains, en france (et dans le monde), ne s’en sont pas aperçus, mais ils ne viennent pas lire ici. Il y a donc ici que des gens qui savent que le mythe de la caverne est notre nouvelle réalité. C’est comme en salle des profs lorsqu’on lit la énième copie d’un élève qui maîtrise à peine la langue : c’est pour se détendre, pas pour « dénoncer » ; c’est comme des avocats discutant de la clémence régulière de tel ou tel magistrat pour tel ou tel personnage : ce n’est pas pour dénoncer mais se détendre, comme parler du beau temps.
Alors qu’on l’aborde au sein d’une discussion – c’est un « fait de société » – pourquoi pas, en faire le contenu d’un billet me laisse bien plus perplexe. Si c’était la dernière chose à régler pourquoi pas. Ceci dit chacun étant libre chez soi cela ne me dérange pas plus que cela.
Mais si l’objectif du « happening » était de placer un téléphone samsung, cette reprise dans un billet (avec la photo du dit téléphone) pousse encore le bouchon en atteignant les personnes qui n’ont pas eu le touit, ne l’ont pas en favori et ne lisent ni le figaro, ni le wall street journal et encore moins google actu. Ce serait en quelque sorte le service du dernier kilomètre pour les isolés de la propagande qui avaient réussi à passer au travers.
Maintenant ce n’est pas très grave en soi, juste qu’un niveau méta communication dénoncer une campagne de pub par diffusion d’une photo « happening » en diffusant la dite photo, c’est croquignolet.
Uchimizu a écrit :
Certainement.
Uchimizu a écrit :
Les grandes chaînes télés, ou la presse. Papier ou numérique. Et surtout numérique, le financement supposant la multiplication de pages vues, donc l’addition de contenus, donc nécessairement son appauvrissement (puisqu’on ne peut pas produire à la chaîne du contenu de qualité) et donc au final une désaffection des lecteurs.
herve_02 a écrit :
Ca, vous voyez, c’est le deuxième plus grand classique des commentaires.
Celui du gars qui te reproche d’avoir consacré un billet à un fait sans importance et qui, pour ce faire, consacre un commentaire à t’expliquer le sens des priorités. Pourquoi ne s’abstient-il pas de commenter ce commentaire d’un fait sans importance ? Cela, bien évident, reste assez mystérieux.
herve_02 a écrit :
Google Actus reprenant en somme toutes les sources d’information, à l’exception des sites à auteur unique, vous me dépeignez le portrait d’un visiteur très singulier.
Sans compter que la marque du téléphone n’apparaît pas dans le billet.
Bref, la sodomimucyne fait rage.
Je trouve amusant que l’unique façon d’inciter les gens à utiliser un téléphone Samsung est de les payer. De toutes manières, on peut acheter n’importe qui. Tout le monde a un prix, il suffit qu’il soit assez élevé. En ce qui me concerne il faudrait qu’on me paie beaucoup, rien en dessous de
10’00020’000 €, pour que j’utilise ce produit qui manque tellement d’élégance à tous les niveaux.@Pepito
A la limite, on pourrait centraliser les demandes ici, lister les volontaires et les tarifs, et Koz fait une demande de financement groupée ?
@khoz
Oh, non je ne donne pas de priorité. Mais je crois que nous ne nous comprenons pas, ce qui n’est pas très grave dans l’absolu.
Le seul truc rigolo c’est que vous n’arrivez pas à conceptualiser que l’on puisse échapper à cette chose toutié partout. Vous avez tellement intégré dans votre conceptualisation du monde que l’on ne peut pas y échapper et que la seule chose à faire est de dire tellement c’est pas bien. Mais j’y avais échappé.
Bon maintenant que j’ai vu je n’ai rien de plus (ni de moins). Cela ne m’a pas pourri ma semaine et je ne vais pas en faire un billet de blog car cela m’indiffère au plus haut point.
J’imagine que ce doit être le 3ème type de commentaire : celui qui s’en fout et en parle quand même. Mais pour chaque commentaire de chaque blog (et même chaque billet), on peut toujours trouver un classement moqueur, c’est tellement simple. Le truc c’est que cela ne grandit pas celui qui le fait. Ce qui fait qu’un homme n’est pas un animal, c’est qu’il cherche le bien dans l’autre plutôt que le mal.
Mais ca doit être un 4ème type de commentaire… c’est une boucle sans fin.
Si tu le veux bien , je le remets sur mon site , car ton article est tout simplement parfait et magnifiquement bien écris.
Cordialement.
romain.
Pingback: Un peu de lecture…. « ROMAIN GIROD, Photographe amateur, Oyonnax, Ain, Rhone Alpes, FRANCE.
Merci Koz, j’apprends du vocabulaire ! Enfin, vendeur d’orviétan, je suis pas sûre d’arriver à le recaser, et puis sodomimucyne, d’après google, ça ne se dit que chez vous 🙂
Koz a écrit :
Je suis convaincu que faire payer les lecteurs des sites internets de petites sommes (car internet permet d’être beaucoup moins cher qu’un livre / magazine) , avec une technologie pratique, ferait beaucoup de bien. Je paierais ainsi bien volontiers 5€ par an pour tout ce que je lis dans wikipedia, quelques pièces par an également pour venir me battre avec Koz sur l’église catholique, et que sais-je encore. Je pense que si c’était, même un peu, payant, je ferais plus attention au temps que je passe sur internet, en me concentrant sur certains sujets de qualité.
Non. Celui-là, c’est celui qui dit « faites ce que je dis, pas çe que je fais ». Mais c’est vrai, c’est aussi un classique.
Uchimizu a écrit :
Parce que vous ne le faites pas déjà? Il me semble bien que la campagne de financement annuelle de Wikipedia est mondiale?
Koz a écrit :
Bien entendu. Dans le présent cas, cependant, c’est le dévoiement commercial et publicitaire d’un événement dont l’objet est déjà commercial et publicitaire. Désolé si je parais cynique, mais il y a plus grave. Par exemple, je suis plus fâché par le placement de produits dans les films eux-mêmes.
herve_02 a écrit :
La mise en abyme, ça peut être drôle, mais au bout d’un moment, on peut se lasser.
Gwynfrid a écrit :
Il y, aussi, les enfants qui meurent au Soudan 😉
Mais tous mes billets ne sont pas nécessairement consacrés à ce qui fait chavirer le monde, à tout le moins pas le plus évidemment.
Gwynfrid a écrit :
Bonsoir,
j’ai fait je crois une fois un don à wikipedia, mais il est vrai que je ne le fais pas systématiquement.
Je préférerais un service légèrement payant pour plusieurs raisons: d’abord j’imagine que le prix (quelques fractions de centimes par page) reflète mon usage réel, et pas un chiffre arbitraire.
Ensuite, j’ai comme ligne de conduite d’être un « citoyen honnête » et d’arrêter à cela ma contribution à la société. Plus précisément, je paie mes impôts ( je ne cherche pas spécialement les niches fiscales et autres astuces), je respecte la loi (je ne pirate pas, même sur internet, je ne mets pas la vie des autres en danger sur la route), et je fournis un travail de qualité (professionnellement, je suis plutôt une bonne affaire). Et … c’est tout. Le reste du temps, c’est pour moi et ma famille.
Dans ce contexte, tant que quelque chose est gratuit, je l’utilise sans trop réfléchir. Si cela devient payant et que j’en ai besoin, je paierai.
L’hypothèse de la spontanéité des selfies Samsung a du plomb dans l’aile. Signe que, peut-être, je n’étais pas tout à fait dans le faux…