Quitter l’Eglise ?

Il en est pour lesquels cela ne change rien. Ce serait l’inévitable part sombre de l’humanité, qui ne saurait occulter ce qu’elle produit de lumineux. Il en est pour lesquels cela change tout. Peut-on encore seulement admirer quelqu’un dans l’Eglise ou est-ce déjà paver le chemin de l’abus ? Le raccourci paraîtra abrupt, mais nous pourrions faire le chemin ensemble. Peut-on voir émerger telle figure – de prêtre souvent, de laïc parfois – en particulier sur les réseaux sociaux, voir grandir son réseau et son influence, sans en concevoir d’inquiétude dans le même temps ? Peut-on ignorer que les mêmes processus mortifères ne cessent de se reproduire ? Et si tous sont amenés à tomber, comment en suivre un seul – alors même qu’il ne pas peut être question non plus de n’écouter que soi ? Mais comment écouter l’un quelconque d’entre eux quand se superpose le sentiment profond de la trahison ? Car cette question de la commission et du traitement des agressions et abus sexuels et spirituels n’est pas seulement, pour l’Eglise, une faute comme s’en rendrait coupable une institution ordinaire, elle est la trahison de son essence même. Peut-on le vivre sans violence ? Et peut-on esquiver cette question : cela a-t-il un sens de rester membre d’une institution qui renie son fondement même ? Si être catholique, c’est suivre la Vérité, la cohérence ne commande-t-elle pas de partir ?

Je me décide à écrire ce billet après les nouvelles révélations concernant l’abbé Pierre, qui semblent rencontrer une forme de résignation lasse. Elles viennent après ce que nous avons appris sur Jean Vanier. Qui vient après ce que nous avons appris sur les frères Philippe : non seulement des agressions bien physiques mais la présentation comme l’avenir de l’Eglise catholique d’une communauté et d’un enseignement qui recélaient une sidérante hérésie[1]

Je ne cherche pas à apporter ici de réponse. La réponse ne peut être que personnelle. Je n’ai aucune qualité pour en apporter une. Je ne prétends pas mettre un point final à ma réflexion.

Il me semble en revanche qu’il est indispensable de se poser réellement la question. Quitte à renouveler ses vœux (si j’ose à dire) après (si j’ose encore) s’être « dépouillé de l’homme ancien« . Si je conçois encore un quelconque attachement à l’Eglise catholique, c’est à une Eglise qui fait de la conscience personnelle, libre et éclairée, une instance fondamentale. Ce n’est probablement pas sa réputation première, je crois pourtant que c’est essentiel.

*

Comment tuer Jésus ? n’est pas un manuel. Il n’est pas un traité de théologie. Il est une méditation biblique. Il est profondément dérangeant, perturbant même, ce qui est la moindre des choses sur un tel sujet. « Comment tuer Jésus ? » : c’est à cela que sont occupés les Grands Prêtres à Jérusalem plutôt qu’à préparer la Pâque. « La fête de la Pâque et des pains sans levain allait avoir lieu deux jours après. Les grands prêtres et les scribes cherchaient comment arrêter Jésus par ruse, pour le faire mourir » (Marc 14, 1). Les grands prêtres sont ainsi directement infidèles à leur mission. Le parallèle est évident.

Les violences dans l’Eglise ne sont pas un à côté, douloureux mais minoritaire, d’une institution par ailleurs en pleine forme. Elles sont le visage de ce qui est représenté quand est accompli liturgiquement le sacrifice eucharistique : l’innocent bafoué, interdit de parole, assassiné, qui ressuscite et vient juger les vivants et les morts.

Il faut probablement être saisi du vertige de cette représentation. Peut-être faut-il même intégrer le scandale de cette contradiction comme un avertissement chaque fois renouvelé ?

Recevoir le corps du Christ en méconnaissant, volontairement ou pas, toutes les victimes qu’il porte et fait désormais vivre en lui, c’est sans doute passer à côté d’un mystère essentiel, c’est fermer les yeux sur la présence des humiliés que le Corps du Christ nous met sous les yeux; c’est ne pas voir le Christ Lui-Même.

Être catholique suppose de reconnaître un sens à l’eucharistie. Si tel est le cas, on ne peut pas être dans le même temps de ceux qui ferment les yeux pour ne pas voir la nuit.

Philippe Lefebvre souligne les mécanismes d’emprise et d’abus qui sont exposés dans la Bible, jusqu’à évoquer une scène de viol collectif à la fin du livre des Juges et même à s’interroger sur les supplices réellement infligés à Jésus, peut-être plus scandaleux à nos yeux aujourd’hui que cette Croix à laquelle il semble que nous nous soyons habitués. Et il interpelle, nécessairement, sur le rôle du clergé et des évêques en particulier.

Où est l’Eglise, véritablement ? Parmi d’autres, Philippe Lefebvre éclaire un passage des Evangiles d’un sens qui m’avait échappé : lorsque, au cours d’un dîner chez un pharisien, « survint une femme de la ville, une pécheresse. (…) Tout en pleurs, elle se tenait derrière lui, près de ses pieds, et elle se mit à mouiller de ses larmes les pieds de Jésus. Elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et répandait sur eux le parfum » (Luc 7, 36). Alors même qu’il revenait aux Grands Prêtres d’accomplir ce geste, c’est donc cette pécheresse qui réalise l’onction que devait recevoir le Messie. L’auteur appuie encore sa réflexion et sa conclusion en évoquant le sort du général Urie, dont le roi David s’approprie l’épouse, Bethsabée. Celle-ci tombant enceinte, David veut accorder une permission au général afin que celui-ci la retrouve et puisse se voir attribuer la paternité de l’enfant. Mais Urie refuse : ses compagnons d’arme dorment dehors avec l’arche d’alliance et il ne saurait faire autrement. Ainsi « quand le messie David s’éloigne de ce que Dieu est et demande, un autre prend immédiatement le relais pour vivre la communion, la fidélité aux engagements pris, pour honorer Dieu et son arche sainte qui combat avec son peuple« . Et, pourtant, c’est David. Et son fils sera Salomon. Pour notre histoire contemporaine, le frère Philippe voit en ces victimes qu’il a côtoyés « l’Eglise véritable [, en donnant] le visage violenté et rayonnant tout à la fois« . Il poursuit :

Le lieu de Dieu ne disparaît pas si l’on y fait le contraire de ce que Dieu est et attend; ce lieu migre et porte, d’une autre manière, avec d’autres « partenaires », tout ce qu’il est appelé à manifester. Cela n’invalide certes pas l’Eglise « officielle », mais cela déplace ce que j’ai appelé le « visage » de cette Eglise.

*

Qu’on ne s’empresse pas de se conforter à bon compte. Au bout du chemin, l’auteur aurait donné la bonne réponse : « tout est bien qui finit bien : il reste. Epargnons-nous le chemin« . Une fois encore, je n’entends pas apporter une réponse. Mais il me semble que ce chemin doit être fait sauf à ce qu’être membre de l’Eglise ne soit qu’une habitude et un réconfort. On peut espérer, en passant, que ce chemin soit profitable s’il restitue à la Bible, à l’Evangile, son sens et sa puissance.


  1. Songer que des personnes instruites et censément respectueuses de la foi chrétienne aient pu entériner l’idée de relations incestueuses entre le Christ et Marie est vertigineux. []

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14 commentaires

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  • Un article très intéressant; tout au long de la Bible, ancien et nouveau testament, les fidèles ont la nuque raide, récriminent dans le désert ou encore sont hypocrites, il n’y a donc rien de nouveau, même si les manquements de certains sont plus choquants que d’autres.
    Merci encore.

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    • La seule évolution nouvelle et positive, ce serait bien que l’on se soucie et n’accepte plus ce qui l’a été pendant des siècles. Pour le reste, si ce n’est pas nouveau, c’est désolant en revanche qu’on ne cesse de le reproduire.

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  • L’Eglise est une construction humaine donc imparfaite.
    Mais Dieu et la Sainte Trinité restent, c’est l’essentiel.
    Les épreuves aident à grandir et à s’améliorer.

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    • Il y a aussi des épreuves qui abattent. Surtout quand certains préfèrent les nier, ou reproduisent les schémas qui nous ont conduit aux abus.

      Et même si j’imagine assez que vous pensez aussi aux victimes, et ne veux pas être dans le procès d’intention, c’est assez largement inaudible pour elles. A la fois que leur calvaire puisse servir à l’Eglise à grandir, et que les épreuves aident à s’améliorer. Bon, j’ai conscience que ma réponse est un peu déloyale et je ne veux pas vous faire dire ce que vous n’avez pas dit. Mais on ne peut pas raisonner que « pour le bien de l’Eglise ».

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      • Je hais cette affirmation que l’Eglise est humaine, donc imparfaite, mais que Dieu est là, donc tout va bien (ou « c’est l’essentiel »).

        Non. Sans même parler des victimes, l’Eglise fait, par son aveuglement et sa tolérance des actes comme ceux de l’abbé Pierre, un mal de chien aux adultes qui voient ce qui s’est passé, des dégâts invraisemblable aux enfants qui l’apprennent, et accélère la déchristianisation. Quoi, confier des enfants à des prêtres, quand on sait ce qui peut se passer ? Ou aux scouts ? ou au privé catholique, avec des aumôniers ? Comment parler de Dieu et de l’Eglise à des enfants quand on sait ce qui se passe, quand on entend un autre sens aux phrases des textes et des chants : « laissez venir à moi les petits enfants » et « tu es là présent livré pour nous, toi le tout petit » ? Mes enfants ont entre 5 et 12 ans.
        Par ailleurs, mon père est passé par les Frères des Ecoles chrétiennes. Je tremble encore du jour où je lui ai demandé s’il ne lui était rien arrivé, et qu’il m’a répondu que non, mais qu’il en avait connu… Je me rappelle aussi de ce formateur lors de ma préparation au mariage qui a raconté ce qui lui était arrivé… un prêtre, à nouveau.
        Je suis un re-converti, à l’âge adulte. Heureusement pour l’Eglise que, marié devant elle, j’ai promis d’élever mes enfants dans la foi catholique, et que moi au moins je tiens mes promesses. Sans cela, depuis des années j’aurais claqué la porte.

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  • Votre question me touche, m’étant fait la réflexion en octobre 2021, de savoir si nous n’étions pas, à rester dans cette institution que j’ai la faiblesse d’aimer, un peu comme les derniers communistes tentant de se convaincre que « ce n’est pas le vrai christianisme ». je n’ai pas de réponse… Mais de fait, je me permet de prier depuis longtemps, avec bienveillance, pour des gens comme vous, le Fr. A Candiard, Sr V. Margron, Sr. A Lecu, entres autres, pour que vous « n’entriez pas en tentation », parce que vous êtes utiles . Pr le Fr. Ph Lefebvre également, dont j’avais lu ce livre difficile et exigeant mais éclairant.
    ça ira mieux demain?

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    • Je pense souvent à ces derniers communistes aussi. Mais le livre de Philippe Lefebvre aide aussi à comprendre que non, ce n’est pas le vrai christianisme. Que ces actes et leur mauvais traitement par l’Eglise en sont même une odieuse et coupable trahison dont nous aurons à répondre.

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  • Saint Augustin a déjà traité le sujet il me semble au IVe siècle. On a appelé ça le donatisme. C’est une hérésie. Non l’Eglise ne se déplace pas. Non un catholique ne peut pas quitter l’Eglise (ou cela s’appelle l’apostasie). L’Eglise n’est pas une association, un parti ou autre. C’est le corps mystique du Christ. Ce n’est pas une église protestante déviante. L’Eglise est composée d’hommes donc elle prêtera toujours le flan au péché. L’homme est pécheur. Mais quoi ? il faudrait faire sans l’homme ? Il y a des prêtres pécheurs, des laïcs pécheurs, rien de nouveau sous le soleil. C’est justement avec l’Eglise que l’on peut lutter contre le péché.

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    • Je ne crois pas que cela ait grand-chose à voir avec le donatisme, mais le réflexe consistant à taxer quiconque s’interroge d’hérésie est un réflexe commun, même s’il est déplorable et dénote une absence de confiance dans ses positions – l’anathème faisant office d’argument.

      Pour le reste, on ne peut pas tout mélanger. L’Eglise comme corps du Christ et l’Eglise comme institution.

      Quant à considérer que « c’est avec l’Eglise que l’on peut lutter contre le péché », cela fait bien, dit comme ça. Mais la difficulté surgit précisément quand c’est l’Eglise qui entraîne au péché, qui protège le pécheur, et ignore la victime.

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      • L’Eglise comme institution est totalement inclue dans l’Eglise corps du Christ. non ça ne fait pas bien de dire ça, c’est juste le Credo. L’Eglise est sainte. ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de pécheur à l’intérieur. c’est le principe du catholicisme de se reconnaitre pécheur. ca n’est pas l’Eglise qui pousse au péché mais certains de ses membres. Le Christ a bâti l’Eglise. il n’a pas bâti une organisation ontologiquement perverse. c’est un drôle d’argument. Oui la tentation de considérer qu’il y a des gens qui ne font plus Eglise et que cette dernière s’est déplacée vers d’autres gens qui eux le méritent plus, c’est bien un avatar du donatisme. D’ailleurs François a bien identifié cette menace. Pensez vous aussi que François a un discours déplorable et manque de confiance dans ses positions ? ça n’est pas mon avis. Ce qu’avaient fait les chrétiens rejetés par Donat était effroyable. Cependant Saint Augustin dit que non l’Eglise ne s’est pas déplacée, il n’y a pas les saints et les autres et il a raison. L’Eglise est restée au même endroit malgré les péchés de ses membres.

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        • Que voulez-vous que je vous dise ? Crier à l’hérésie est tellement ordinaire. C’est la tentative habituelle et pathétique de clore le débat avec un « argument » d’autorité. On m’a fait le coup si souvent. Qui croyez-vous impressionner ? Croyez-vous convaincre quiconque en agitant la menace d’être hérétique ? Vous êtes tellement empressé que vous ne vous donnez pas la peine d’entrer dans la compréhension du propos. Contrairement à ce que vous devez penser, cela ne donne pas une image de grande confiance en ses positions. Maintenant, si ça peut contenter votre formalisme, dites-vous que ce livre a obtenu à la fois son imprimatur et son nihil obstat, chose peu probable pour un propos prétendument hérétique. Mais Philippe Lefebvre ne parle même pas d’une Eglise qui se serait déplacée. Il parle de « ce qu[il] a appelé le « visage de l’Eglise ». Ni lui ni moi ne contestons que l’Eglise soit l’ensemble, salopards compris.

          Pour le reste, libre à vous de croire que le Christ a décidé du fonctionnement institutionnel précis de l’Eglise. Libre à vous de croire, notamment, que l’Eglise maronite – qui autorise le mariage des prêtres – soit une Eglise hérétique (pas loin, horresco referrens, des « églises protestantes déviantes »). Je ne le crois pas. Mais, de vous à moi, si vous continuez à brandir vos anathèmes, l’échange va vite tourner court.

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    • « L’Eglise est composée d’hommes donc elle prêtera toujours le flan au péché. L’homme est pécheur. Mais quoi ? il faudrait faire sans l’homme ? »

      Excusez-moi, cela signifie-t-il qu’il faille fermer les yeux et passer les milliers, les je ne sais combien de victimes, par pertes et profits, parce que certains ne sont pas fichus de tenir leurs voeux, leurs promesses et leurs engagements ? Que ces infâmes vivent confortablement dans la lumière de leur gloire de ce monde pendant que les victimes, cabossées à vie, souffrent dans leur ombre ? Qu’en fait, vous êtes tellement perdu dans votre vision de l’Eglise qu’il ne faut pas remettre en cause que vous acceptez, clairement, que tous les prêtres pourraient être des prédateurs (car « hommes »), et que ce n’est pas grave ? Mais ne voyez-vous pas que comme les pharisiens en d’autres temps, vous n’êtes qu’un sépulcre blanchi ! Comment le disait le Christ, dans Matthieu, 23 :
      02 « Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. 03 Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas. 04 Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. 05 Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens : ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges ; 06 ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues 07 et les salutations sur les places publiques ; ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi. 23 Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous payez la dîme sur la menthe, le fenouil et le cumin, mais vous avez négligé ce qui est le plus important dans la Loi : la justice, la miséricorde et la fidélité. Voilà ce qu’il fallait pratiquer sans négliger le reste. 24 Guides aveugles ! Vous filtrez le moucheron, et vous avalez le chameau ! 25 Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous purifiez l’extérieur de la coupe et de l’assiette, mais l’intérieur est rempli de cupidité et d’intempérance !

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