Pronostic vital engagé

Il a suffi d’un mot, dissolution, et les enjeux ont basculé. C’est notre démocratie qui paraît bien malade, d’une affection grave, dont on va espérer qu’elle n’est pas incurable. Il faut dire que la médication appliquée en 2017 n’a en rien enrayé le travail de la maladie. Bien au contraire. Emmanuel Macron revendiquait de faire barrage aux extrêmes et, fort du vieil adage selon lequel le pays se gouverne au centre, il s’est enorgueilli de dépasser un clivage gauche/droite obsolète, nous installant, pensait-il, dans la modernité.

Nous découvrons pourtant, mais un peu tard, une vertu peu vantée à ce clivage : la possibilité pour ceux des Français dont le vote peut varier d’exprimer leur opposition, leur mécontentement, sans monter aux extrêmes. Aujourd’hui c’est le pistolet pointé sur la tempe par une camarilla de stratèges de bazar pris d’un coup de folie qu’on les somme de faire un choix de raison. Mais combien accepteront de contenir leur colère et un goût déjà bien français de l’insurrection ? Loin d’être moderne, le dépassement du clivage gauche/droite en 2017 n’était que la dernière lueur d’une vieille lune. L’une de ces idées qui l’emportent sur le fil, à la tourne d’une page, pour s’imposer à contretemps.

Car notre modernité n’est pas faite pour le centre. Elle est celle des outrances, des émotions, pas de la réflexion. C’est le temps des buzz, des vues et des algorithmes qui surexposent les expressions sommaires, lâchées en quelques mots, en une brève vidéo. C’est un temps de « bruit et de fureur », comme taillé tout exprès pour Jean-Luc Mélenchon et les appels au vote défouloir à l’extrême droite. Face à cette dernière, le non est et reste définitif. Mais au nom de quoi n’aurait-on pas, à l’égard de LFI, les mêmes hautes exigences démocratiques qu’avec le RN ?

Pour Emmanuel Macron, ce serait une recomposition, une clarification. Recomposition, soit. Clarification, à voir. En s’alliant avec un extrême, les plus pondérés ne font qu’acquiescer à leur effacement. Qui donc entend celui des deux qui est toujours le moins-disant, le moins tonitruant ? Il se radicalise ou disparaît. Les outrances ne disqualifient plus. D’ailleurs, qui a entendu Olivier Faure, ou quelque socialiste que ce soit, depuis 2022 ? Qui a entendu les écologistes, réduits au silence dans un temps qui devrait leur être favorable ?

Certains croient voir le retour du clivage autrefois honni, mais c’est un clivage extrême gauche/extrême droite qui s’impose. Alors si l’on pouvait trouver le premier stérile, que faut-il penser du second ? Il est audacieux de voir une clarification dans les trois hypothèses qui se dessinent : une alternance d’extrêmes, une assemblée ingouvernable ou un pouvoir par défaut, aux convictions versatiles, inconnues de l’électeur et variant au gré des alliances. Voilà à quel vote veut nous contraindre un pouvoir en échec : un mandat en blanc, sans lisibilité. Alors aujourd’hui, une seule chose unit peut-être les électeurs à chaque bout du spectre : c’est la colère, et c’est un péril mortel en démocratie.


Photo de Hasan Almasi sur Unsplash


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6 commentaires

  • Constat lucide hélas et reflet d’une société dans laquelle l’envie de vivre ensemble se délite. Cette situation se double des effets délétères d’une situation économique et internationale difficile et de l’absence de leadership visionnaire et crédible (à commencer par notre Président). Le déclin du débat démocratique à l’Assemblée, l’obstruction et les invectives systématiques, les soit-disant avancées sociétales parasitent le débat et ne donnent pas envie de faire nation ensemble.
    Et pourtant ! La situation sociale n’est pas mauvaise en France si on se compare à nos voisins. Les acquis sociaux et la protection des faibles sont considérables et les sanctuariser devrait être un objectif collectif partagé, au prix d’ajustements nécessaires. Chacun prendra ses responsabilités mais on voit se profiler une accélération de la fracture et une fragilisation de la situation politique et sociale. J’essaierai de contribuer au bien commun dans mes engagements associatifs et de privilégier le dialogue en restant cependant attentif aux fondamentaux. Je ne suis pas naïf, mais j’ai une conviction : prenons soin « les uns des autres » car nous sommes appelés à continuer de vivre ensemble quoiqu’il arrive.

  • Bien vu, mais le nouveau front populaire ne se réduit pas à Jean-Luc Mélenchon. Et, nous le voyons bien depuis quelques années, l’extrémisme se manifeste aussi à l’autoproclamé « centre ». Le choix se fera presque certainement entre le NFP et le RN dans la plupart des circonscriptions, qu’on le veuille ou non. Je vous rejoins pleinement sur votre non définitif à l’extrême droite, qui fait courir un grave danger à notre pays par son inféodation à un certain Poutine qui se frotte ouvertement les mains à la vue du chaos actuel, et qui a juré notre perte.

    Dominique Manchon, alias DM63

  • On pourrait résumer votre pensée ainsi : il y a pire que voter pour Macron, c’est voter contre. Comme si Macron n’était pas un extrême non plus. Le temps est aux extrêmes car les modérés on failli. Ils ont été tièdes, sans convictions. ça fait 30 ans que l’on le voit venir et ceux qui n’ont cessé d’appeler à voter pour des tièdes ont pavé le chemin aux extrêmes. ils s’en mordent les doigts mais refusent toute responsabilité. « Qui pouvait s’imaginer une loi sur l’euthanasie ? » m’a-t-on dit ce week end. en 2017 ? tous les esprits lucides. en 2022 ? ceux qui voyaient ce qu’ils voyaient.

    • Merci de ne pas résumer ma pensée. Ceux qui le font ne le font généralement que pour la trahir.
      Pour ce qui est de la lucidité des esprits qui voyaient une loi sur l’euthanasie en 2017, ils auront fait erreur, puisque vous aurez constaté qu’aucune loi n’a été débattue pendant 5 ans. Quant à la conséquence implicite de votre questionnement, qui conduit à voter Le Pen, elle est un peu lassante.

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