Pourquoi mentez-vous ?

Évangile selon saint Jean 18, 38 : « Qu’est-ce que la vérité ? » La puissance politique n’a même pas attendu Ponce Pilate pour marquer sa distance avec la vérité. Manœuvres, électoralisme, propagande ou raison d’État : il est acté que la vérité ne s’est jamais imposée comme la préoccupation majeure de la fonction. Pourtant, aujourd’hui, même le simple souci de l’apparence de vérité semble nous abandonner. Une fois encore, les États-Unis ont montré la voie, et Donald Trump a invoqué les alternative facts : les faits inexacts ne sont pas faux, ils sont alternatifs. Et nous leur emboîtons le pas.

La semaine dernière, un journaliste de Quotidien (sur TMC) interpellait, vivement, Nicolas Dupont-Aignan : « Pourquoi mentez-vous sur le traité d’Aix-la-Chapelle ? » Après avoir rediffusé une vidéo d’un cadre de son parti évoquant la vente de l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne, il affirme en effet que la France s’est engagée à partager son siège à l’Onu avec elle. C’est factuellement faux, et chacun peut le vérifier à la lecture de l’article 8 du traité (à la fin du lien). Pourtant, confronté à la réalité et indifférent à la vérité, M. Dupont-Aignan continue de l’affirmer. Avant cela, le président de Debout la France avait déjà affirmé sans aucun élément de preuve que le saccage de l’Arc de Triomphe, pris d’assaut par des « gilets jaunes » le 1er décembre dernier, était le fait des « petits casseurs de M. Castaner ».

Mieux, à la question précédente, il répond : « Et pourquoi vous mentez… vous aussi ? » et enchaîne : « Parce que vous êtes un menteur professionnel aussi. » De vous à moi, reproduisez la scène et observez. Sur l’affirmation d’un de vos proches, interpellez-le : « Pourquoi mens-tu ? » Lequel ne rétorquera pas : « Mais je ne mens pas ! » ? Il y a peu encore, si d’aventure il mentait, un responsable politique avait la décence de feindre d’y croire. C’était avant le populisme. Aujourd’hui, M. Dupont-Aignan ne se défend plus de mentir. Pourquoi le ferait-il ? Les théories complotistes font florès dans les groupes Facebook de ces « gilets jaunes » qu’il convoite, et les médias conspués lui tendent malgré tout leurs micros pour assurer le show : il lui suffit d’appuyer sur leur discrédit.

La vérité n’est certes pas un passage obligé vers le succès. On peut réussir sans elle. Mais s’il doit en rester pour la défendre, candidats, élus ou électeurs, que cela soit donc ceux qui suivent celui qui est « venu pour rendre témoignage à la vérité » (Évangile selon saint Jean 18, 37).


Les Gilets Jaunes ne sont pas les seuls à avoir un groupe Facebook. Je repars de zéro sur Facebook et viens de créer KolKoz. A défaut de passer aux Facebook lives, ou à Snapchat, je m’adapte tout de même.
 
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9 commentaires

  • « Tous ceux qui troublèrent l’État sous d’honorables prétextes, défense des droits populaires pour les uns, accroissement de l’autorité sénatoriale pour les autres, tous feignaient de soutenir l’intérêt public et luttaient en réalité pour leur propre puissance. Et la lutte n’avait ni modération ni mesure ; et les uns et les autres usaient cruellement de la victoire. »

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Salluste?fbclid=IwAR2m8oQ1go2hKl2GYjJz4CyvkryEWBj-gbLkPoqKvMa3OXQyoRhykpd_-Eg

  • On pourra observer également le mensonge éhonté de Mme Le Pen, énonçant que c’est l’UE qui souhaite le retour des « troubles » a Belfast et Derry en exigeant le rétablissement de la frontière dure entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord, étant très mal contredit par la journaliste en face. Alors que l’Irlande soutenue par l’UE milite pour le backstop que refusent les Communes. C’est également passer avec une mauvaise foi sans limite sur le fait que l’Irlande du Nord a voté majoritairement pour le Remain. Comment ce parti et cette dame qui se réclament « main propre et tête haute » peuvent ils proférer de tels mensonges sans avoir le rouge au front. Pour en revenir à M. Dupont Aignan, j’en veux tout spécialement à M. Wauquiez d’avoir re-monétisé ce poujadiste d’A86.

  • Bonjour Koz,

    En général, j’apprécie beaucoup vos billets. Mais un billet sur le mensonge se doit de ne pas commencer par « Une fois encore, les États-Unis ont montré la voie, et Donald Trump a invoqué les alternative facts : les faits inexacts ne sont pas faux, ils sont alternatifs ». En effet, cette phrase arrive à être fausse trois fois 🙂

    1. Les États-Unis n’ont pas ouvert la voie, les mensonges d’état sont une pratique très ancienne. L’établissement du communisme en URSS et en Chine était basé presque exclusivement sur des mensonges. La France a eu sa dose de mensonge depuis des décennies, on n’a vraiment pas eu besoin des américains pour brailler « pas de liberté pour les ennemis de la liberté », mensonge par construction.

    2. Ce n’est pas Donald Trump qui a utilisé la phrase « alternative facts », c’est Kellyanne Conway, cf https://en.wikipedia.org/wiki/Alternative_facts. Donald Trump, lui, utilise plutôt « fake news ». Je ne dis pas que Donald Trump ne ment jamais, ou que ses affirmations à l’époque sur la foule à son inauguration étaient correctes. Je dis juste que votre phrase à vous est fausse.

    3. Kellyanne Conway n’a pas utilisé la phrase « alternative facts » pour justifier un mensonge, mais pour dire que les « faits » dépendent souvent d’une interprétation ou d’une sélection. Je la cite: « Two plus two is four. Three plus one is four. Partly cloudy, partly sunny. Glass half full, glass half empty. Those are alternative facts. » C’est un peu comme en France où les chiffres de la préfecture de police sont souvent très différents de ceux des organisateurs, alors que le fait d’origine, la manifestation, est le même. Compte tenu de la difficulté à évaluer les foules (cf Manif pour Tous), je peux pardonner Kellyanne Conway; à ce moment précis, d’avoir dit qu’elle avait des chiffres différents de ceux donnés par le reporter.

    Je pense que c’est en réalité un vrai progrès philosophique que de savoir reconnaître qu’il y a plusieurs interprétations possibles d’une même réalité. Ceux qui affirment détenir les « faits » sont souvent dans l’erreur Il y a les données qu’on connaît, il y a celles qu’on ne connaît pas, il y a celles qu’on décide d’ignorer (biais de confirmation), et à la fin il y a le film qu’on se joue, l’interprétation, l’histoire telle qu’on la lit. Seul Dieu a la vérité, nous sommes quant à nous soumis au Prince du Mensonge.

    Je pense que l’analyse de Kellyanne Conway à ce sujet est en réalité assez fine. Toujours pour citer Wikipedia, « In a radio interview with Mark Simone that was described by Salon in February 2018, she claimed that professional fact-checkers tend to be political liberals and are « selecting what [they] think should be fact-checked…Americans are their own fact checkers. People know, they have their own facts and figures, in terms of meaning which facts and figures are important to them. »

    Cette analyse me semble tout à fait vraie. La plupart des « fact checkers » sont très orientés à gauche, y compris en France où on a par exemple les « décodeurs » du Monde. Cela part d’une dynamique simple : il est souvent très facile de trouver des mensonges dans le discours de l’autre. Mais; bizarrement, à chaque fois que je creuse un peu, je me heurte soit au fait que le « décodage » était franchement partisan, soit au « Puit de Scott Adams », ce moment où on réalise qu’on n’arrive pas à trouver assez d’info pour être sûr. Exemple de « fait »: « c’est un foetus ». Exemple de film: « donc ce n’est pas un être humain, j’ai le droit moral le tuer »

    Bref, c’est louable de parler de mensonge. Mais la vérité n’a rien de simple, et reconnaître l’existence de plusieurs visions toutes incomplètes de la réalité me semble, en réalité, plutôt une bonne chose. On est très loin de votre simpliste « les faits inexacts ne sont pas faux, ils sont alternatifs » qu’on dirait malheureusement directement tirée des bobards de CNN 🙂

    Sur le reste du billet, je suis presque d’accord avec vous, mais avec une forte nuance. Dupont-Aignan ment-il en connaissance de cause comme vous semblez l’écrire, ou (à mon avis plus probable) fait il simplement une lecture plus pessimiste (alternative) de l’article 8 du traité?

    Cet article 8, effectivement, ne dit pas littéralement que la France s’est engagé à « partager son siège à l’ONU avec l’Allemagne ». Mais il dit qu’ils mettront tout en oeuvre pour aboutir à une « position unifiée », ce qu’on peut tout à fait légitiment lire comme la France proposant de relayer les positions allemandes depuis son siège de membre permanent; et donc en ce sens, à partager ce privilège dont elle dispose.

    Du coup, dire que Dupont-Aignan est « factuellement faux » me semble très exagéré. Pour moi, cela ne relève pas du mensonge mais de la divergence d’interprétation du texte. Et ce d’autant plus que le deuxième paragraphe vise très explicitement à donner à l’Allemagne un siège permanent, ce qui irait franchement dans le sens de la lecture de Dupont-Aignan. Si la France serait prête à ce que l’Allemagne ait elle aussi un siège permanent, n’est ce pas un sens possible de « la France est prête à partager son siège avec l’Allemagne » ?

    En conclusion, les nouvelles technologies ont rendus les faits plus vérifiables, mais aussi, par voie de conséquence, la réalité plus fragmentée. Je peux lire le même texte que Dupont-Aignan et vous même, et y lire les deux interprétations simultanément. Du coup, j’ai atteint mon « Puit de Scott Adams », je ne suis pas capable de trancher, n’ayant pas accès aux auteurs du texte pour leur demander quelle intention ils avaient. Je suis face à un « alternative fact ».

    Eh… peut être que dans ce domaine, Donald Trump a effectivement ouvert une voie en communiquant directement via Twitter pour minimiser les interprétations sélectives et les citations hors contexte 🙂

    • Bonjour,

      Je suis ravi que vous appréciez ordinairement mes billets. Pour répondre concrètement à vos critiques sur celui-ci.

      1. Si vous avez lu le début de cette chronique, qui n’est pas bien longue, vous n’aurez pas pu manquer ceci : « Manœuvres, électoralisme, propagande ou raison d’État : il est acté que la vérité ne s’est jamais imposée comme la préoccupation majeure de la fonction. » Je suis informé de la période soviétique. Mais le rapport de Donald Trump à la vérité est d’une nature différente;

      2. Je vous remercie pour votre remarque sur Kellyanne Conway. Il ne vous a pas échappé qu’elle est le conseiller de Donald Trump et répondait en défense de ses propos et de ceux du directeur de la salle de presse Sean Spicer. L’expression « alternative facts » a été largement défendue par l’administration de Donald Trump.

      D’un point de vue prosaïque, ces chroniques ne peuvent être aussi longues que, par exemple, votre commentaire.

      3. Votre présentation est amusante. Mais inexacte. La différence d’affluence entre les cérémonies d’investiture de Barack Obama et de Donald Trump était tellement flagrante qu’elle était visible à l’œil nu, suffisamment pour que même Fox News se fende, en début de mandat, d’un « Trump is wrong ». Et c’est bien tout le problème que vous essayez de nier : il ne s’agit pas d’interprétations divergentes, il s’agit de nier des évidences, de persister dans le mensonge face à une réalité patente et de l’assumer. Dire « deux plus deux égal quatre; trois plus un égal cinq » ne signifie rien. Ce n’est pas une question de prisme, de regard, c’est une question de vérité.

      Nicolas Dupont-Aignan ment-il en connaissance de cause ? Après avoir affirmé que les casseurs du 8 décembre étaient envoyés par Castaner, après avoir rediffusé la vidéo de Monnot sur la cession de l’Alsace et de la Lorraine à l’Allemagne ? Oui, j’en suis convaincu, comme sa réaction spontanée le souligne d’ailleurs.

      Sait-il lire un texte ? J’ai tendance à le penser, le garçon ayant fait l’ENA. Y-a-t-il dans l’article 8 du Traité d’Aix-la-Chapelle quoi que ce soit qui dise que la France partagera son siège au Conseil de sécurité de l’ONU ? Non, rien. Rien qui permettre de privilégier cette hypothèse à celle d’une refonte du Conseil, de l’admission de nouveaux membres.

      Pour ce qui est des intentions, vous me permettrez de vous rappeler qu’en droit, on n’y a recours que si la lettre du texte n’est pas claire. Dire que la France partagera son siège est une possibilité. Dire que l’Union Européenne aura un siège unique est une possibilité. Dire que le Conseil de Securité sera intégralement remanié en est une autre. En affirmer péremptoirement l’une est un mensonge.

      Au demeurant, lorsque vous dites que la France et l’Allemagne s’engagent à adopter une « position unifiée », ce qui accréditerait l’hypothèse d’un partage du siège de la France au Conseil de Sécurité de l’ONU, j’imagine qu’il s’agit d’une vérité alternative. Non tronqué, le texte est le suivant : « Ils mettront tout en œuvre pour aboutir à une position unifiée de l’Union européenne au sein des organes appropriés des Nations Unies. »

      Article 8

      (1) Dans le cadre de la Charte des Nations Unies, les deux États coopéreront étroitement au sein de tous les organes de l’Organisation des Nations Unies. Ils coordonneront étroitement leurs positions, dans le cadre d’un effort plus large de concertation entre les États membres de l’Union européenne siégeant au Conseil de sécurité des Nations Unies et dans le respect des positions et des intérêts de l’Union européenne. Ils agiront de concert afin de promouvoir aux Nations Unies les positions et les engagements de l’Union européenne face aux défis et menaces de portée mondiale. Ils mettront tout en œuvre pour aboutir à une position unifiée de l’Union européenne au sein des organes appropriés des Nations Unies.

      (2) Les deux États s’engagent à poursuivre leurs efforts pour mener à terme des négociations intergouvernementales concernant la réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’admission de la République fédérale d’Allemagne en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies est une priorité de la diplomatie franco-allemande.

      Quant à Donald Trump, le fait est qu’en ouvrant un compte twitter, il a donné un accès sans filtre à des contenus ahurissants et des mensonges dont il ne peut répercuter la responsabilité sur ses subordonnés.

  • Je ne peux vous suivre sur votre lecture de la réforme de l’ONU et le siège de l’Allemagne,. Il est évident qu’une réforme du Conseil de sécurité, implique l’entrée d’un cetain nombre de pays ( Inde, Japon, Brésil, Nigeria, Indonésie, tous pays largement plus peuplés que nous) et il en résultera un affaiblissement de la position de la France, sauf si la France en fait un argument politique d’ouverture au monde, c’est légitime mais alors il faut en débattre à l’Assemblé Nationale, soit la france partage son siège avec l’Allemagne. il n’ y a pas de troisième solution.

  • Bonjour,
    Ce que dit Christophe des dictatures communistes URSS et en Chine s’applique à presque toutes les dictatures. Quand dire la vérité est passible de peine de mort les dirigeants ne risquent pas trop la contradiction. Difficile de ne pas penser à George Orwell.

    Ce qui est un peu plus nouveau avec Trump c’est que les Etats-Unis sont une démocratie. Quand Trump dit n’importe quoi des millions de d’américains s’en apercoivent, et le disent haut et fort. Ca ne leur vaut aucune condamnation. Et pourtant Trump continue. C’est très difficile à expliquer sans admettre qu’il y a d’autres millions d’américains qui sont réceptifs, soit sous-éduqués, soit très éloignés de la rationalité, soit de cyniques manipulateurs (Dupont-Aignant se classant à l’évidence dans le dernier groupe, en France).

    Ce qui me semble le plus inquiétant n’est pas que cette population existe, ni qu’elle ait élu Trump. Ca pourrait n’être qu’un accident. Non, ce qui est plus inquiétant c’est l’exportation systématique, industrielle, du mensonge d’une dictature vers les démocraties. La Russie. La stratégie est bien coordonnée et bigrement efficace. De l’élection de Trump aux infox des gilets jaunes en passant par le brexit, on retrouve des traces de désinformation russe partout. Sans oublier les Macron-leaks à la veille du second tour de la présidentielle, que nous avons un peu vite oubliés.
    Associée à des investissements considérables dans les médias et les partis politiques (financement du FN notamment), cette stratégie a de quoi inquiéter.

    On entend des gilets jaunes affirmer que Russia Today France est la seule source d’information fiable (« Le Média » s’applique à faire concurrence sur ce créneau). Dans les pages d’actualité de Google, RT apparaît peu ou prou au même niveau que Le Monde.

    On apprend cette semaine que jusque dans les services de sécurité du premier ministre on peut craindre des connexions avec la Russie. Quand simultanément une partie des concitoyens gavés de désinformation russe croit vivre en dictature et prétend renverser le gouvernement élu, il y a de quoi frémir. En cas de troubles graves en France, de quels leviers disposerait Poutine exactement?

    Trump est l’arbre qui cache (bien mal) la forêt russe. L’objectif est clair, abattre les démocraties en utilisant le vote des crédules. Et grignoter l’Europe de l’Est à mesure que les démocraties occidentales s’affaiblissent.

    Pourquoi Dupont-Aignant ment il?
    Parcequ’entre la démocratie et autre chose il a choisi son camp.
    Comme le Pen.
    Comme Mélenchon.

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