Le ciel était clément. Sur le chemin, un tournage. Assise sur la margelle, Catherine Deneuve. Je ne vais pas m’attarder. Je dois tirer de l’argent pour payer mes bières. Et puis Jean-Pierre, moins blond, m’attend.
L’air est doux, et cette édition de la République des blogs, c’est un peu la charrue avant les bœufs, Pâques avant les Rameaux, la queue qui remue le chien. J’aime assez ce proverbe israélien : la queue qui remue le chien, c’est assez visuel. Vous me direz : la charrue avant les bœufs, aussi. Mais les bœufs pourraient pousser la charrue quand jamais la queue ne remuera le chien. Qu’on la mette devant ou qu’on la laisse derrière.
Le deuxième anniversaire de la République des blogs, en effet, c’est le mois prochain. Mais cette cuvée fleurait bon le cerisier rose, l’hirondelle alerte, le retour du printemps et, avec lui, celui de l’affluence. On se rappelait déjà cette soirée du 28 juin 2006.
Parmi les présents, hier soir, un blogueur, Jean-Pierre Raffarin. Blogueur et, ma foi, ancien Premier Ministre de la République Française, Vice-Président de l’UMP, et candidat à la présidence du Sénat. Je sais que vous le savez. Mais, parce que l’on en rajoute parfois dans le « so what, lui aussi connaît les matins difficiles et les ampoules au pied« , on minore parfois l’incontournable : l’homme en question a tout de même été le Premier Ministre d’un pays qui n’est pas le plus anodin.
Comme je le lui ai dit, mais en parlant d’Alain Lambert (à titre de contre-exemple de ce qui va suivre), j’ai davantage l’habitude du politique qui vous serre la main en vous gratifiant d’un sonore « cher ami » censé vous honorer auprès de vos proches, tout en la tirant imperceptiblement vers la file de ceux dont la main a déjà été serrée, le regard porté par-dessus votre épaule vers le prochain dont la main devra être serrée. Là, certains tentent parfois de caser quelques mots : « Ah, mais Monsieur le ___, nous nous sommes déjà croisés« . Regard ailleurs dudit ___, sourire : « ah oui ?« . Les mêmes, parfois, s’accrochent, il est vrai : « si, si, c’était au Carrefour de Montesson, vous présentiez la réforme des grandes surfaces, j’étais au rayon pastèques« . Il n’empêche : si certains sont crampons, d’autres croient sincèrement pouvoir échanger avec ledit politique. De fait, habituellement, j’évite de rechercher le contact. Pas ce soir-là. Après tout, jp et moi, on est potes de blogs.
C’est ainsi que nous taillâmes donc vespéralement la bavette avec Monsieur le Premier, Jean-Pascal son conseiller, Jules qui, primesautier, agita la main au-dessus d’une des têtes de la République en guise de salut, The Assistant, Authueil, Versac, Michaëlski…
Nous devisons de la pratique du blog, à laquelle JPR a manifestement accroché, occupant ses temps morts dans les gares et aéroports à la rédaction de billets. Nous avons deux points communs, JP et moi : le blog nous a permis de progresser sur le Net, et nous écrivons fréquemment dans les transports, derrière notre chauffeur, à la seule différence que nous sommes 1500 de plus dans mon véhicule.
Comme le relève Jules, dont le billet fidèle vous offre l’occasion de recoupements, nous évoquons notamment la liberté de ton qui peut être la sienne sur son blog. Ainsi, le même propos critique dans les colonnes du Figaro qui aurait suscité une vive réaction élyséenne serait, dit-il, admis dans cet « espace de liberté personnelle »[1]. Eh oui, même repris dans Le Figaro. C’est aussi, me dit-il, la raison pour laquelle il peut évoquer certaines convictions qu’il n’exposerait pas autrement. Nous n’avons pas pu pousser la discussion très avant, aussi je n’ai pas été fondamentalement convaincu par le parallèle entre le Saint-Esprit et la conscience de Luc Ferry, mais il me semble assez probable qu’un enchaînement m’ait échappé. C’est qu’il y avait du monde, ce soir-là.
Nous sourîmes de Ségolène Royal[2], celle qui « séduit au loin, mais irrite au près » et qui, vu les temps qui court, a plutôt tendance à se retrouver vent debout, c’est dire si elle irrite[3]. Lui, s’est contenté d’une moue de connaisseur lorsqu’on lui a rapporté – preuve qu’il n’en est pas obsédé – la dernière idée de Ségolène Royal, vider le PS de ses cadres. Comme le rappelle si bien Jules, il lui reconnaît un talent, un flair formidable, ce ptit truc qui lui fait sentir son car de belges au fond d’une salle à Vesoul. Ah Ségolène, comme elle hume l’opinion du lendemain… Le changement de cap de la Royal sur la compatibilité du socialisme et du libéralisme ne l’a donc ni surpris ni choqué. Blasé qu’il est. Moi, tout de même, je reste pantois qu’elle juge aujourd’hui incompatible ce qu’elle considérait hier indissociable. Mais je suis encore trop frais.
Sur l’interrogation de Guillemette Faure, de Rue89, « vous arrive-t-il de vous dire : si j’étais premier ministre, je ne ferais pas les choses de la même manière ? », Jean-Pierre Raffarin fait une réponse que je tente de reformuler ainsi : « Le couple ne fonctionne pas comme il devrait. Il y en a un qui s’expose trop et un qui ne devrait pas se planquer« . Etonnament, ma reformulation ne l’agrée pas. Il ne « le dirait pas comme ça« , considérant plutôt que l’exposition de l’un protège l’autre, qui sans que l’autre cherche nécessairement la protection. Toujours est-il que, s’il considère qu’aujourd’hui, il n’y a pas de facteurs évidents d’une possible cristallisation[4], il déplore le fait que, avec la pratique du pouvoir présidentiel par Nicolas Sarkozy, en cas de vraie « cristallisation« , aucune option ne s’offre véritablement à lui, la démission ou le limogeage du Premier Ministre ne pouvant avoir qu’un trop faible effet sur une éventuelle agitation populaire. Moi, je dis que, ouais, c’est un risque.
Enfin, retour au blog, pour souhaiter que davantage de sénateurs s’engagent dans cette voie, ce qui aurait effectivement pour effet de les faire davantage connaître puisque, à l’exception de quelques grandes figures, ce sont de grands inconnus. Sans vouloir être exigeant, si, de surcroît, ils l’ouvrent aux commentaires (ne suivez pas mon regard), l’expérience pourrait être véritablement enrichissante.
Vous l’aurez compris, donc, notre futur Président du Sénat – car, pour en moderniser l’image, ce président ne peut bien évidemment être que blogueur or Jean-Claude Gaudin n’a pas de blog, et celui de Gérard Larcher est, comment dire… pas des plus convaincants – notre futur Président du Sénat donc, écrivais-je avant de m’interrompre, fut d’un abord fort agréable.
La soirée n’étant pas finie, je poursuivais ma discussion avec Raveline, qui a toujours un mot aimable pour moi, me considère somme toute pervers et hypocrite, de mauvaise foi voire malhonnête, qui « réprouve [à la fois mon] style et [mes] méthodes »[5] et avec lequel j’ai passé un très agréable moment, sans toutefois bien percevoir encore comment je peux cumuler autant de perversités. Entretien, en compagnie de Charle’s (chef d’entreprise écrivain musicien parolier éditeur blogueur), qui faisait suite à celui que nous eûmes avec Matthieu Collet, des Euros du Village, sur l’Europe, les anti-européens, Henri Guaino, le libéralisme, Ségolène Royal, le PS.
Je finis sur la publicité pour les boissons alcoolisées, avec deux assistants parlementaires, sans que le lien entre ces deux informations soit clairement établi.
*
Voyez donc : cette édition fut des plus fastes. Et pourtant, l’anniversaire, c’est le 25 juin prochain. Ce jour-là, indubitablement, Ségolène Royal, la femme politique 2.0, sera de la fête. On commence déjà à pendre les roses par la queue.
crédit dessin : l’inénarrable Langelot
- ou espace de liberté personnel [↩]
- c’est encore le mieux qui peut lui arriver [↩]
- Eh oui, car la Royal Navy(gue) [↩]
- Guillemette Faure n’a semble-t-il pas entendu la même chose [↩]
- rien de moins [↩]
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Je confirme il n’y absolument aucun lien entre l’alcool et l’assistanat parlementaire.
Sinon des blogs intéressants au Sénat il y en a un autre qui est sorti : http://www.comfinances.fr/index.php
qui me plait bien, en attendant ceux des 2 autres candidats Gaudin et Larcher. Entre les deux, mon préféré est quand même celui de Larcher 🙂
Eh oui, car la Royal Navy(gue)
mais oui la royal(e) navigue, voir à ce propos l’excellent ouvrage de Jean Randier : « La Royale, la vergue et le sabord » éditions de la cité 🙂
Houlà… c’est vrai que j’ai « toujours un mot gentil », selon votre délicieuse formule. Je dois faire une fixation. Je promets d’essayer de m’amender au moins de ce côté là !
Internet possède une dynamique propre, une sorte de mouvement incontrôlable et vigoureux qui dépasse ses utilisateurs.
Quelque chose qui ressemblerait à ce qu’on sait de l’expansion de notre univers.
A lire ce billet, j’ai l’impression qu’à côté des mutations qui se préparent pour la presse et l’information parce qu’internet existe, se profilent pour la même raison, d’autres changements pour les politiques au sens large et leur pouvoir.
Les blogueurs, au départ simples preneurs de parole plus doués en informatique que la moyenne,se voient reconnaître aujourd’hui un statut et une influence par les pouvoirs traditionnels, une forme de cooptation.
Cette reconnaissance, ils ne l’ont pas demandée, ils peuvent même ne pas en vouloir, mais ils n’ont pas de prise là dessus.
Même les plus sages, les plus modestes, les plus critiques, les moins sensibles aux caresses dans le sens du poil, ne peuvent qu’apprécier, au delà de toute coloration politique, qu’un ancien premier ministre se dise blogueur comme eux, et il n’est pas donné au premier venu de discuter des intuitions de Ségolène Royal avec J.P.Raffarin.
Il y a les blogueurs reconnus, qui comptent, qui ont un pouvoir d’attraction, qui satellisent des commentateurs et vont créer de nouvelles formes de communautés, qui sont lus aujourd’hui comme les grands chroniqueurs de journaux hier.
Au delà de toute fausse modestie, c’est une nouvelle donne dans le paysage politique.
Difficile de dire ce qu’internet changera réellement dans la vie politique de demain mais il y aura nécessairement changement.
Ce qui se voit déjà, ce sont des relais qui remontent les préoccupations et les interrogations du plus grand nombre vers ceux qui ont le pouvoir de faire les choix, avec une réactivité qui dépasse les capacités du meilleur député parlant au nom de ses électeurs.
Parmi les bouleversements majeurs qu’a connu récemment l’humanité, figurent selon moi, la contraception et internet.
La contraception a sorti les femmes ( occidentales ) de leur dépendance à l’enfantement, leur a permis d’être autonomes, a modifié leur place définie jusque là par les hommes, a modifié le tissu social, l’économie, et a ébranlé la stabilité familiale.
Les conséquences à long terme nous échappent encore, surtout si la mondialisation fait son oeuvre.
Pour internet, ce qui frappe est ce mouvement perpétuel impossible à contrôler alors que toutes les organisations humaines tendent au contraire vers plus de règles, de cadres, de contraintes, une sorte de soupape tendance schizophrène dont personne ne peut prédire la portée future.
Je ne connaitrai pas ce futur là et je ne suis pas certaine de le regretter, mais tout de même, il s’agit d’une véritable aventure au sens de la découverte, il ne s’agit pas de territoires vierges à explorer mais de nouvelles façons de vivre ensemble à inventer et c’est plutôt exaltant…
Il est doué ce langelot 🙂
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Purée, la classe, le trackback de JP Raffarin. J’aime beaucoup le « Carnet de Jean-Pierre Raffarin » dans mes « derniers commentaires »
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