Just another texte d’évêques ? Chaque élection, la Conférence des Evêques de France publie un texte. Pistes de réflexion ou points d’attention, il vise à inciter les catholiques à éprouver leur choix spontané à la cohérence globale de la pensée de l’Eglise. Mais nous n’en sommes plus là. Ces pistes-là ont été publiées en juin. Ils le disent : les évêques ont ressenti le besoin d’aller plus loin. En conclusion, ils ont ce mot, qui n’est pas anodin chez ceux qui affectionnent l’espérance : la tristesse. « Il y a de la tristesse dans notre pays« . Au-delà encore, les enjeux du politique aujourd’hui sont graves.
Leur questionnement porte l’essentiel : le politique, la recherche du sens, la parole, le collectif, l’identité. C’est que nous ne sommes plus dans une période ordinaire et que le prochain quinquennat ne peut pas être un autre quinquennat pour rien, des polémiques orchestrées camouflant l’impuissance. Nous vivons sous une double menace intérieure : elle vient de la violence directe exercée par le terrorisme islamiste, elle vient de notre propre réaction à cette violence.
Or, et cela n’est pas étranger – quoique second – à la dérive islamiste, notre pays vit une période dans lequel le collectif est omis, la vérité paraît douteuse, le projet est en panne, la parole politique est discréditée, les plus hauts politiques se perdent en pipolades, confidences malvenues et polémiques délétères mais supposées rentables électoralement. Les évêques évoquent aussi les réseaux sociaux et je suis notamment convaincu que Twitter concentre, à côté de certains intérêts, tous les défauts dont nous devrions nous garder dans la période menaçante actuelle : dérision permanente, vision péremptoire, agressivité, immédiateté. Ce n’est pas avec cela que nous ferons face à des défis immédiats et il est temps de regagner en dignité et en gravité.
Les évêques relèvent certes la belle capacité de réaction aux divers attentats mais se demandent « ce qu’il en reste quelque temps après. Comme si notre société qui se trouve souvent prisonnière du piège des images et des apparences, manquait d’intériorité, de profondeur et d’enracinement ».
Ils s’inquiètent. Du principe de précaution qui, absolutisé, finit par laisser croire que nous pourrions vivre sans le risque. De la consistance de nos principes, ces « valeurs républicaines de « liberté, égalité, fraternité », souvent brandies de manière incantatoire, [qui] semblent sonner creux pour beaucoup de nos contemporains sur le sol national ». Du sort que nous réservons à la différence culturelle. C’est un fait : la Nation n’est plus homogène, elle est devenue, disent-ils, « pluriculturelle »[1]. Comment le gérons-nous ? A juste titre, ils pointent le risque d’envisager l’ensemble des enjeux sous l’angle culturel. Si la culture joue un rôle, il n’est pas exclusif.
Les évêques pointent encore la résurgence des questions identitaires et le risque qu’elles se muent en « enfermements identitaires » et en « postures racistes réciproques ». Ils ont à cet égard une formule édifiante, que l’on doit retenir lorsque l’on réfléchit à ces questions d’identité :
Plus que d’armure, c’est de charpente dont nos contemporains ont besoin pour vivre dans le monde d’aujourd’hui.
La question est moins de nous défendre que d’être debout et consistants.
Contrairement à ce que certains ont cru bon de dénoncer, pas toujours de bonne foi, ce constat du pluriculturalisme n’efface pas la contribution spécifique apportée par le christianisme. Et les évêques soulignent l’équilibre à trouver :
Dans notre société, profondément redevable à l’égard de son histoire chrétienne pour des éléments fondamentaux de son héritage, la foi chrétienne coexiste avec une grande diversité de religions et d’attitudes spirituelles. Le danger serait d’oublier ce qui nous a construits, ou à l’inverse de rêver du retour à un âge d’or imaginaire ou d’aspirer à une Église de purs et à une contre-culture située en dehors du monde, en position de surplomb et de juge.
Les évêques montrent encore une certaine impatience en dénonçant, dans les circonstances actuelles, de bouleversement de nos cadres, repères et identités, « la faiblesse du discours et de la réflexion politique » et une politique qui a trop souvent renoncé à être porteuse de sens et de projet pour se faire gestionnaire de l’immédiat.
Vigilants sur ses « stériles instrumentalisations politiques », comme sur les tentatives de « dépasser son objectif en voulant faire de la laïcité un projet de société« , les évêques défendent une laïcité dans laquelle « l’Église ne commande pas à l’État et l’État ne commande pas à l’Église ». Il faut avouer que l’on aimerait que la société puise plus souvent à la sagesse qui a présidé aux réactions à l’exécution du Père Hamel ou, plus largement, que chacun se montre plus soucieux du bien commun que de l’intérêt partisan, ou communautaire.
Si le texte laisse un peu insatisfait quant aux réponses à mettre en place, le fait est que, par principe, les évêques s’abstiennent de donner des directives politiques[2]. C’est le cas a fortiori lorsqu’ils consacrent leur texte au politique et relèvent qu’il « précède la politique, [et] ne se résume pas à sa mise en application ». A nous de prendre la mesure de l’inquiétude qui a suffisamment étreint les évêques face à la crise politique pour qu’ils décident d’adresser un nouveau texte au pays. Une crise qui s’installe au moment précis où nous avons besoin de l’autorité que confère une vision sûre alliée à la sagesse.
A nous aussi de nous montrer exigeants et rigoureux. Exigeants sur le sens, rigoureux sur la parole. Responsables, aussi, par notre vote, dans nos échanges publics et jusque dans notre utilisation des réseaux. C’est plus surprenant d’un point de vue physique, mais la solution peut aussi infuser d’en-bas.
- ce qui n’est en rien un appel, contrairement à ce que certains journalistes colportent, mais un constat et n’exclue pas l’existence d’une culture dominante [↩]
- ils nous incitent d’ailleurs à y réfléchir avec des questions qui doivent être le point de départ d’un échange [↩]
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Pour être franc, j’ai toujours été dubitatif sur l’acumen politique des évêques. Sur longue période, ils se sont souvent trompés, parfois lourdement.
Eh bien là, chapeau. Pas de langue de buis, pas de misérabilisme ni de triomphalisme ni d’angélisme, un appel à des adultes pour qu’ils s’assument en responsables.
Aux Etats Unis les évêques se sont aussi manifestés dans la campagne des présidentielles, voir lien suivant: http://paris-international.blogs.la-croix.com/les-eveques-americains-se-tiennent-a-distance-dhillary-clinton-et-de-donald-trump/2016/08/12/
Je ne suis pas un lecteur et je n’ai jamais été un lecteur de Libé, j’ai donc été surpris par un article que l’on m’a montré, voir lien suivant: http://www.liberation.fr/france/2016/10/13/messieurs-les-eveques-la-republique-vous-remercie_1521811
Sur un plan personnel je dois avouer que je n’ai découvert que très tard dans ma vie la doctrine sociale de l’Eglise catholique. Qui a déjà 125 ans d’âge.
Honnêtement, je suis également désabusé et déprimé. La campagne qui s’annonce est terrifiante. Et le plus dur est que je dois, jour après jour au travail, donner des raisons d’espérer et trouver du sens.
Je suis professeur d’histoire-géographie, mais aussi d’éducation morale et civique.
Si vous avez des pistes, je suis preneur.
Très intéressant, en effet. Ce sont des principes généraux, qui ne rentrent dans aucun détail programmatique. Mais après tout, nous avons besoin de cela : des grands repères qui fixent notre constellation, une belle philosophie politique pour guider les pas de notre engagement politique. Cela me fait penser à une parabole amusante de Chesterton, sur l’action politique : « Supposez qu’un tumulte s’élève de la rue à propos de n’importe quoi, d’un réverbère, mettons, que maintes personnes influentes désirent démolir. Un moine, vêtu de gris, qui est l’esprit du Moyen Âge, est sollicité sur la question et il commence par dire, à la manière aride des scolastiques : « considérons tout d’abord, mes frères, la valeur de la lumière. Si la lumière est en soi bonne… » A ce moment-là, on le jette à terre, ce qui est assez compréhensible. Tout le monde se précipite sur le réverbère, qui se retrouve par terre au bout de dix minutes, et chacun s’en va en félicitant son prochain de ne pas manquer de sens pratique. Mais, avec le temps, les choses ne se résolvent pas aussi facilement. Certains ont démoli le réverbère parce qu’ils voulaient la lumière électrique; d’autres parce qu’ils voulaient de la vieille ferraille; d’autres encore parce qu’ils voulaient l’obscurité, pour dissimuler leurs mauvaises actions. Certains pensaient qu’il ne suffisait pas d’un réverbère, d’autres qu’il était de trop; certains se comportèrent ainsi parce qu’ils voulaient détruire le matériel municipal; d’autres parce qu’ils voulaient casser quelque chose. Et c’est la guerre dans les ténèbres, personne ne sachant qui il frappe. Ainsi, progressivement et inévitablement, aujourd’hui, demain ou le jour suivant, la conviction reviendra que le moine avait raison après tout, et que tout dépend de ce qu’est la philosophie de la lumière. Seulement, ce dont nous aurions pu discuter sous la lampe à gaz, il nous faut en discuter à présent dans l’obscurité. »
Merci Koz pour cette synthèse 🙂
@Armand017 : J’étais assez désabusée et désespérée jusqu’à lire le texte de juin des évêques qui m’a enthousiasmée et donne envie de se coller à l’analyse des programmes malgré tout…
D’ailleurs Koz, tu nous referais pas un petit tableau comme en 2012 ? 😉 https://www.koztoujours.fr/je-sus-president-a-defaut-voici-4-candidats-sur-le-grill
Bon, je tente de faire mon petit excel
Merci à vous et désolé pour mon silence. Vous ne tarderez pas à savoir que ce n’est pas que je reste inactif par ailleurs.
@ Eliette Sjtm : a priori non, je ne referai pas de tableau de ce type. Notamment parce que je ne vais pas m’amuser à éplucher le programme des candidats à la primaire – lire celui du candidat de droite à la présidentielle me suffira. Et puis, par la suite, comme précisé plus haut, parce que c’est beaucoup de boulot et que je vais être bien occupé à la même période.
Disons, en revanche, que si un certain risque semble prendre trop corps, je serai doublement présent.