Personne ne peut dire où va l’Eglise mais, dans ces temps de douloureuses révélations, il est heureux de l’apercevoir précisément là où elle doit être. Elle était, jeudi dernier, dans l’un des endroits les plus tristes de Paris, coincé entre deux voies rapides, dans le virage d’un métro aérien, là où reposent un temps les assassinés, les suicidés, les morts de la rue : l’Eglise était à l’Institut Médico-Légal, la morgue, dans la sinistre zone des départs. Elle était là, autour du corps de Laurent Barthélémy Ani Guibahi, le jeune Ivoirien mort dans un train d’atterrissage entre Abidjan et Paris. Elle était là, pour ne pas laisser partir un enfant sans au revoir, pour ne pas laisser seul un père, Marius, pour l’accompagner dans la douleur et dans les larmes, dans la colère. Pour chanter Kyrie Eleison – Seigneur, prends pitié.
Elle était ce petit « hôpital de campagne » d’une trentaine de personnes réunie par la communauté Sant’Egidio. Sant’Egidio s’est mobilisée spontanément dès l’annonce du décès de Laurent Barthélémy et n’a pas relâché son attention jusqu’à ce rapatriement, malgré les embûches et d’impensables vautours. Et elle était là, humblement, avec ses Jeunes pour la Paix : des étudiants, des lycéens, anonymes, venus là parce qu’il fallait y être. Vingt jeunes, qui ont offert trois heures pour aller, dans les ténèbres, « soigner les blessures », apporter le témoignage de notre tristesse, de la compassion, et « pleurer avec ceux qui pleurent ».
En parcourant son site Internet, on découvre un communauté engagée ici, et là-bas. A Abidjan, elle s’élève contre « l’émigration clandestine ». Le 5 février, au cours d’une conférence dans le lycée de Laurent Barthélémy, un de ses membres exhortait la jeunesse à « construire son avenir là où l’on vit » pour« ne plus désirer d’abandonner sa propre terre ». Quelques jours avant, la communauté était passée dans les écoles du quartier, pour « connaître les rêves » des jeunes et aider à « un avenir différent en terre ivoirienne ». Alors, naïve, cette Eglise, sur les migrations ? Disons plutôt qu’elle tient les deux bouts d’une position tiraillée : l’impératif de l’accueil, et le droit de ne pas émigrer.
Ce jeudi, l’Eglise était dans ces profondeurs, formant le pont de notre commune humanité entre la France et l’Afrique, unie dans la souffrance et la consolation. Et s’il est vrai que quand « deux ou trois sont réunis en son nom, [il est] là, au milieu d’eux », alors elle n’y était pas seule.
Photo : Laurent Barthélémy, dans sa classe à Abidjan
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Merci pour ce bel hommage. ce texte est empreint d’une grande tristesse mais aussi de paix. Il ouvre mon coeur, même si je ne peux rien dans ce cas précis. Il élève mon âme et m’amène à prier pour tous ces peuples et à être attentive aux actions qui sont menées pour que chaque être humain trouve le moyen de vivre heureux sans risquer de briser sa vie.
merci pour ce texte; j’ai beaucoup admiré le premier que vous avez consacré à cet enfant. Le plus touchant, cette fois, c’est de vous voir rester sur le sujet, prendre le temps de réfléchir encore, vous voir résister, batailler encore pour sa dignité, celle de son père et la nôtre, au lieu de bondir vers le prochain sujet et la dernière actualité, l’oubliant avant que votre encre ne soit sèche.
Votre texte est un cadeau qui nous aide à faire silence et à écouter la voix basse de notre coeur
Je remercie Valérie Régnier, de Sant’Egidio, qui m’a prévenu de la levée du corps. Je n’avais pas oublié ce jeune garçon, mais cela m’a donné l’occasion de lui rendre, d’une certaine manière, un dernier hommage, et de témoigner auprès de son père que nous ne sommes pas des Occidentaux indifférents.
J’ai appris qu’une fresque à l’effigie de Laurent Barthélémy est sur le point d’être réalisée dans Paris. C’est un autre beau témoignage.