Les jours qui se succèdent en Egypte, après la Tunisie, sont incontestablement historiques. Les peuples du Maghreb et du Moyen-Orient ou, à tout le moins certains d’entre eux, sont peut-être en train de vivre leur chute du Mur. A la fin de cette journée, le « jour du départ », Hosni Moubarak pourrait devoir quitter le pouvoir. Passerons-nous à côté de l’évènement, comme d’autres à l’époque ?
Je me souviens toutefois, à l’automne 1989, d’un enthousiasme sans nuance. Cette fois, le sentiment est plus mêlé. L’inconnu pèse de tout son poids. L’Egypte, c’est depuis trente ans un régime stable, semblant contenir la menace islamiste. L’Egypte, c’est aussi les Coptes, dont le massacre est encore dans les esprits. L’Egypte, c’est le seul allié d’Israël, avec lequel elle partage une longue frontière de 300 km. Alors, demain : la démocratie, ou l’islamisme ? Ou encore : la démocratie et l’islamisme ? Ou demain la démocratie, après-demain l’islamisme ?
Peut-on se contenter de soutenir par principe un mouvement apparemment démocratique, et négliger les conséquences ? On note toutefois que le mouvement n’est pas parti sous l’impulsion des Frères Musulmans, mais sous celle d’une jeunesse aspirant à la liberté. Quant au régime, il révèle ces jours-ci sa face la plus noire, celle que, touristes, on s’efforce de ne pas voir. Une face qu’Olivier Bonnel, un ami journaliste, connaisseur de l’Egypte, avait rencontrée. Aujourd’hui, sur ordre, des policiers et des civils traquent les journalistes internationaux, comme on l’a rarement vu ailleurs. D’autres images sont douloureusement éloquentes.
Pour leur part, la nature exacte des Frères Musulmans me paraît encore incertaine. Pour les uns – mais sont-ils clairvoyants, ou de ceux pour qui tout musulman est un islamiste masqué ? – les Frères Musulmans ne sont qu’un mouvement islamiste ménageant un semblant de vitrine respectable. Sont-ils un Hamas cachant son extrémisme sous son action sociale ? Pour d’autres, ils seront amenés à modérer leurs discours les plus extrêmes s’ils devaient entrer dans le jeu démocratique.
Peut-on soutenir la stabilité au prix des exactions du pouvoir ? Et si, comme le disent certains, c’était au contraire ce régime qui nourrissait l’islamisme ? Si c’était la corruption et l’incurie qui nourrissaient l’attirance pour les islamistes, et leur action sociale ? Et si, précisément, la bonne entente entre des régimes autocratiques corrompus et les pays occidentaux disqualifiait tous nos discours, donnait du crédit à celui des islamistes dénonçant leur hypocrisie, et nourrissait le rejet de l’Occident par les petits, les pauvres, premières victimes des corrompus ?
Alors, les pays occidentaux peuvent-ils faire autrement que de soutenir cette révolution en cours ? Ils réclament la démocratie : peut-on imaginer de faire autrement que la soutenir ? Pourra-t-on invoquer sérieusement demain les « valeurs occidentales » et considérer aujourd’hui que la démocratie n’est bonne que lorsqu’elle est compatible avec nos intérêts ? Peut-on douter que les Egyptiens soient « prêts pour la démocratie » ? Au nom de quelle supériorité ? D’ailleurs, l’étions-nous en 1789 ? L’avons-nous instaurée sans heurts ni coulées de sang ? La Turquie, « avec toutes ses limites », l’était-elle ?
Pour le moment, la position exprimée par les pays occidentaux paraît respecter un bon équilibre.
Tant de questions, tant d’incertitudes, qui expliquent mon silence jusqu’ici. Trop de paramètres que l’on ne maîtrise pas. Restent les principes : ils militent pour un soutien. Sans aucune naïveté sur la suite. On observe, on espère.
credit photo (j’insiste) : Muhammad Ghafari
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« Tant de questions, tant d’incertitudes, qui expliquent mon silence jusqu’ici. »
Oui, pas facile de savoir par quel bout prendre et commenter. Cela fait une semaine que je remanie un billet qui ne sortira jamais.
Si on ne peut qu’espérer une plus grande liberté pour ces peuples, on serait naïf de penser, effectivement, que la démocratie sortira du chapeau. Surtout si les révolutions s’enlisent, elles créent leur lot de rancœurs, de règlements de compte inassouvis, etc.
Le « peuple », abstraction trompeuse, n’est pas intrinsèquement bon – ni mauvais.
Oublie-t-on que notre 1789 a ouvert une parenthèse que certains n’estiment refermée qu’en 1871 ?
Pourquoi le seul fait de renverser un tyran impliquerait-il de tendre naturellement vers une démocratie ? C’est pourtant bien ce que nous expliquions doctement aux Américains en 2003. Qu’il soit renversé par l’extérieur ou par une partie du peuple, aussi majoritaire soit-elle, ne change pas l’affaire outre mesure, à mon sens.
La question qui se pose (et qui rejoint mon commentaire sur ton précédent billet) : ceux qui prendront le pouvoir rejetaient-ils le dictateur… ou la dictature ?
Bref, des événements sans aucun doute nécessaires, mais incertains…
Bonnes questions tout à fait complémentaires de celles que j’ai posées avant hier sur mon blog « Espoirs et questions ». Comment ne pourrions-nous pas soutenir des peuples qui se lèvent, qui se battent pour leur liberté? Et effectivement demeurent bien des interrogations; toute situation a ces deux côtés. espoir et lucidité, donc
Personnellement, je pense que l’heure n’est plus au silence. Il faut au contraire susciter l’espérance, avoir la conviction du mieux et même du meilleur pour ces peuples. Mais il faut aussi prendre conscience que ces soulèvements successifs vont changer l’ordre mondial, de nouveau (jeu de mots). Sommes-nous prêts à en assumer les conséquences, nous convertir à plus de solidarité, à moins de confort pour que les peuples qui crient sous les dictatures émergent de leur situation de sous-humanité ?
« D’ailleurs, l’étions-nous [prêts pour la démocratie] en 1789 ? »
Eh oui : treize siècles d’éducation chrétienne !
L’Iran (la Perse) n’était pas un peu plus prête en 1979 que ne l’est aujourd’hui l’Egypte ?
Pouvez-vous penser que la démocratie est une loi générale applicable partout. D’ailleurs elle est en bout de course (un petit signe à la HALDE si mon mot vous semble limite !).
Le peuple égyptien veut du pain et des jobs.
Si le départ de Moubarak peut être une issue tant mieux … pour les Frères Musulmans certes !
René de Sévérac a écrit : :
Faut-il que je vous rappelle 1792, la Terreur, Carrier, les « mariages républicains », Turreau et les colonnes infernales ? Combien de massacres et de milliers de morts ? Ca ne cadre pas bien dans le tableau. Pour la période actuelle, Jean-Pierre Denis cite, en plus de la Turquie, l’Indonésie. Combien de siècles d’éducation chrétienne, pour eux ? Vous avez une analyse plutôt sélective des faits et de l’Histoire.
Bravo d’oser dire quelque chose, même et surtout si c’est pour avoir le courage de dire « je ne sais pas ». En effet, bien arrogant celui qui peut prétendre parier sur un avenir en particulier dans cette histoire. Je crois qu’il faut prier et espérer, et à défaut de mieux, rappeler qu’on n’est pas indifférent à cette situation même si on n’a pas de solution miracle à proposer.
Juste pour nous, qui suivons ça de loin, je crois que c’est une situation qui force l’humilité : l’humilité du commentateur, l’humilité de l’occidental plein de bons conseils et de valeurs, l’humilité du géopoliticien « spécialiste de ces question »… et l’humilité de celui qui, d’une manière générale, suit ça de loin confortablement assis dans son fauteuil.
Je ne souhaite pas aller trop loin. Mon but n’était pas de parler « charité chrétienne »
Marcel Gauchet a une expression à propos du christianisme :
« La religion de sortie de la religion ». Je parle ici de sociologie. Et vos exemples illustrent bien ce fait (Carrier, Turreau dont je ne connais rien en fait d’éducation) mais on peu en citer d’autres, en particulier le capucin Chabaud (enragé).
Chesterton a aussi une superbe expression.
Toutefois, mon but n’est pas de convaincre mais d’éviter de passer pour un con. Salut.
Pour ma part, je comprends d’autant mieux les hésitations décrites dans ce billet, que je nous crois plutôt mal placés pour dire aux Égyptiens, Tunisiens et autres ce qu’il faut faire.
D’abord parce que nous n’avons qu’une influence très marginale sur ce qui se passe. Si nous décidions de soutenir Moubarak, il tomberait très probablement tout de même, sauf à aller jusqu’au bain de sang, et encore. Si nous décidions d’exiger son départ immédiat, cela le hâterait peut-être un peu, mais ce n’est pas sûr, et nous ne maîtriserions pas pour autant la suite.
Ensuite parce que, si nous ne nous voilons pas la face, nous devons bien admettre que nous (Occident en général) nous sommes très bien accomodés de tous ces dictateurs, sans discontinuer, depuis leur arrivée au pouvoir. Cela correspondait, tout simplement, à nos intérêts. Hier il nous fallait un rempart contre le communisme, aujourd’hui il nous en faut un contre l’islamisme, et de tout temps nous avons défendu nos intérêts économiques avant de défendre la démocratie. C’est moralement répugnant, mais c’est la vérité, que la droite ou la gauche soit au pouvoir.
Nous ne pouvons qu’espérer une transition démocratique sans trop de casse, et proposer notre aide, avec le moins d’arrogance possible.
D’ailleurs, regardons un peu notre nombril: chez nous, toutes les révolutions, sans exception, se sont soldées par le retour à un pouvoir plus ou moins autoritaire. Il a fallu une défaite militaire pour nous débarrasser de notre dernier monarque. Pas de quoi donner des leçons de transition à qui que ce soit.
Pneumatis a écrit : :
+1.
@ René de Sévérac: con, non, mais ne nous voyons pas trop rapidement comme prédisposés à la démocratie, voire au Bien, et les musulmans, non. En son temps, et même si je ne suis pas persuadé de la profondeur des sentiments chrétiens de Turreau et de Carrier, les Français n’ont pas fait preuve d’une grande capacité à instaurer la démocratie sans heurts.
Gwynfrid a écrit : :
Cela donne un petit sentiment de rattrapage in extremis pour que l’Occident donne encore le sentiment de soutenir les « légitimes aspirations des peuples »…
Gwynfrid a écrit : :
Thanks. Difficile d’écrire pour dire qu’on se pose surtout des questions. Difficile aussi d’assister à ces moments historiques et de ne rien en dire.
Rhaaaaa, ça fait un petit moment que je lisais tes posts en diagonales, certains m’intéressant peu.
Celui-là m’a plutot ému.
Sur le moment, on ne sait rien, bien sûr, et on a peu d’influence. Au reste, il y a un truc qui s’appelle la liberté, j’entends la liberté des responsables égyptiens, lesquels feront bon ou mauvais usage de cette liberté, mais elle limite, heureusement, notre capacité à prédire.
La vraie question, c’est que faire, sur le long terme, avec tous ces régimes qui ne sont pas « démocratiques ». Nihil novum sub sole, on a fait l’URSS, la Chine de Mao, la Russie de Poutine, l’Espagne de Franco, le Chili de Pinochet, le Vénézuela de Chavez, j’arrête…
Eh bien on fait avec, mais il y a une différence entre faire avec et en rajouter dans la connivence ou même la veulerie, voire la compromission intéressée.
Oeuvrer à renverser les tyrans ? Le tyrannicide est admis par l’Église, mais elle y met une condition très exigeante : être raisonnablement sûr que la suite sera meilleure que l’état présent. Euh…
Beau billet, tout simple, et qui comme le souligne Gwynfrid et Pneumatis ne prétend pas apporter des réponses que personne n’a.
Je trouve que tu touches particulièrement juste avec avec cet « espérer », en titre. On pourrait se contenter d’attendre, après tout. La première leçon que je tire de ces évènements d’Egypte et de Tunisie est que j’ai cru un peu facilement les pragmatiques/cyniques qui me certifiaient que tout cela n’était pas possible. Par frilosité, essentiellement, j’en ai peur.
D’autres oiseaux de mauvais augure m’invite maintenant à désespérer de l’Egypte. Comment tout cela pourrait il finir autrement que la Révolution Iranienne, voyons? Je n’en sais rien. Alors, osons, espérons.
+1. ça fait plaisir de voir une analyse humble mais respectueuse comme celle ci.
Ils veulent vivre mieux, ensemble, démocratiquement, de façon à ce que tous soient respectés:
on ne devrait pas faire autre chose que de les y aider.
et oui, c’est en conservant des dictateurs de peur que ce soit pire sans eux que ça devient pire, avec comme sans eux. la seule source de stabilité, c’est le bon sens du peuple des simples gens, lorsqu’ils sont le plus libres possible, le plus instruits possible, et c’est ça qu’on devrait soutenir. pas des solutions lâches et iniques.
Bonsoir Koz,
j’ai pensé depuis un certain temps qu’un changement de régime dans beaucoup de pays arabes était inévitable. Je n’ai par contre aucune idée de pourquoi celui-ci se passe maintenant.
Après la transition, et à l’image des pays de l’est, il est probable que certains de ces nouveaux régimes (mais pas tous) soient plus démocratiques, ce qui est pour moi globalement une bonne chose pour les peuples concernés. On peut s’attendre aussi à ce qu’une grande majorité de ces régimes utilise la « recette asiatique » et commence enfin un développement économique qui a trop attendu.
Avec la donne géopolitique globale qui change, ces régimes se sentiront sans doute, à l’image de la Turquie, plus libre de s’émanciper par rapport à l’occident, d’autant qu’ayant soutenu les dictateurs précédents, nous (l’occident) ne serons pas très populaires. Et les régimes les plus démocratiques ne seront probablement pas les plus faciles en politique étrangère: il est probable que la première décision d’un gouvernement arabe élu soit de durcir sa politique à l’égard d’Israël. On peut s’attendre aussi peut-être à des mouvements populistes qui prennent pour cible les minorités chrétiennes, plus que cela était le cas actuellement.
Ces transitions impliqueront inévitablement les mouvements islamiques: certains évolueront sans doute, à l’image des démocrates chrétiens, vers de respectables partis de gouvernements conservateurs. D’autres évolueront peut-être vers des semi-facismes à l’image des dictatures sud-américaines.
C’est en tout cas très probablement cette transition fascinante qui a commencée. Je vais terminer sur une réflexion personnelle: je trouve dommage que l’Union Européenne (entité récente non marquée par le colonialisme et qui n’a jamais été en guerre) n’ait pas un petit groupe d’experts et un « kit » de bonne transition vers la démocratie, pour aider ces pays qui ne savent peut-être pas trop comment s’y prendre, une sorte de FMI politique.
Je me retrouve tout à fait dans la réponse de Koz à René de Sévérac et c’est ce que j’ai essayé de dire dans le dernier article sur mon blog (direetredire.unblog.fr) « Miroir, mon beau miroir »: on peut, on doit parler, avec la nécessaire humilité et le regard sur nous-même
Et si tout simplement nous, citoyens, faisions confiance aux démocrates égyptiens?
Ne savent ils pas mieux que nous quel est le réel danger islamiste?
Ne sont ils pas directement concernés par les conséquences d’une éventuelle prise de pouvoir par les Frères musulmans ?
Si nous aimons la démocratie, notre soutien doit aller aux démocrates; sans illusions sur la facilité de la route
Le gouvernement n’a pas les mêmes contraintes que les citoyens? certes! Raison de plus pour que les citoyens usent de leur liberté
Verel a écrit : :
Bonjour,
c’est une question intéressante. Dans le cas de l’Iran, le peuple iranien s’est sans doute fait « confisquer » sa révolution. Mais peut-être cela a-t-il servi de leçon ?
Salut Koz
Tiens j’avais pas vu ton billet, hier, avant de pondre le mien. Je partage assez ton point de vue, au fond ; ceux qui soutiennent l’autoritarisme au nom de la menace islamiste contribuent à faire de l’islamisme la seule « voie » possible, à la fois moyen de fierté retrouvée et protestation anti occidentale. Et surtout, n’oublions pas que les associations musulmanes tiennent lieu de welfare state. Sans l’argent saoudien (du fait du pétrole de nos bagnoles et des 4×4 des ricains, mais bon) la version hard core de l’islam serait bien moins répandue. Et si l’Iran en est là aujourd’hui, c’est aussi la faute du régime du Shah.
Donc oui, espérons.
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Ce qui est sûr c’est qu’un jeune aspire à la liberté, surtout quand il naît et ne connait qu’un régime autoritaire Islamiste ou laïc, car il est alors moins perméable à l’idéologie officielle.
Ensuite il suffit de regarder la moyenne d’âge des populations des pays du Moyen Orient (cf infographie http://goo.gl/KLscG un exemple parmi d’autres), et on peut-être sûr qu’à un moment ou l’autre (sauf dans les petits émirats pétroliers achetant la paix sociale et encore), cette jeunesse va avoir envie de faire sauter le couvercle de la marmite ou elle marine (cf Iran, Tunisie, Egypte, d’autres à suivre), avec plus ou moins de succès et sans préjuger du changement de régime.
Mais le fait qu’un jeune aspire à la liberté et « respirer » c’est à mon avis un truc qui transcende culture et religion…
Je retiens de la semaine dernière la journée de vendredi où l’on a pu assister à ce superbe moment, qui, même s’il ne dissipe pas les craintes, donne beaucoup d’espoir dans l’humanité :
http://www.boingboing.net/2011/02/04/how-to-counteract-re.html
Joyeux Acier a écrit:
Sauf que la Turquie (qui semble effectivement faire figure de modèle pour beaucoup d’arabes) n’a aucune envie de s’émanciper.
Au contraire, elle désespère d’entrer un jour dans l’Union Européenne, depuis que quelques populistes ont cru bon de lui claquer la porte au nez pour des motifs fallacieux (la vraie raison étant bien-sûr qu’il faut savoir surfer sur la peur de l’Islam).
Entre le soutien aux dictateurs arabes et le rejet de la Turquie, qu’est-ce qui est le plus débile?
@Aristote
Les questions philosophiques c’est très bien, mais un peu de pragmatisme ne nuit pas. Il faut parfois tourner les yeux vers les régimes qui dépendent directement de la politique française. Prenons le Tchad par exemple. Il suffirait que la France cesse son soutien pour que la dictature s’écroule en quelques semaines. Procédons par ordre, pour la Russie on verra après.
Quand au Vénézuela, c’est une démocratie tant que Chavez respecte le verdict des urnes. C’est le cas jusqu’à maintenant.
@ Gatien
Et au Tchad, il se passe quoi, si on arrête le soutien ? La doctrine du tyrannicide est très exigeante.
Pour ce qui est de Chavez, il a perdu des élections dont il avait truqué le découpage électoral pour minimiser ses pertes de sièges, puis s’est fait voter les pleins pouvoirs par l’assemblée sortante pour pouvoir légiférer par ordonnance, et lui a fait également nommer une palanquée de juges choisis parce que chavistes.
Formellement, tout cela est « légal », semble-t-il. Cela sent quand même très mauvais, surtout quand le chef d’état major déclare publiquement que le peuple ne saurait accepter la défaite de Chavez aux prochaines présidentielles.
J’ai beau être « philosophe », je suis raisonnablement au courant…
Gatien a écrit : :
On a les complaisances qu’on peut.
Et là, le moins que l’on puisse dire est que vous n’êtes pas très cohérent.
Hosni Moubarak a été élu en 1981, en 1987, 1993, 1999 et en 2005. Un grand démocrate, Hosni. Comme Chavez.
Gatien a écrit : :
Aux dernières nouvelles, ce n’était plus vraiment le cas.
Guillermo a écrit : :
Oui, nous sommes d’accord. Et, dans la mesure où la culture occidentale n’est pas toujours irréprochable, ni nécessairement séduisante dans son matérialisme, si en plus de cela elle se paie le luxe d’être incohérente en vantant la démocratie tout en soutenant les pouvoirs autoritaires locaux, cela devient du… pain bénit pour les islamistes.
@ blogblog : en effet, la démographie est très probablement un facteur essentiel dans tout cela.
JLA a écrit : :
Oui, c’est une magnifique image. De même que le fait que, là (la même place, je veux dire) où les musulmans ont prié, les coptes ont dit une messe. Des musulmans ont protégé la messe de Noël des Coptes, des Coptes ont protégé des musulmans qui priaient. On nous dit pourtant, on nous ressasse, que musulmans et chrétiens ne peuvent vivre ensemble. Et que les religions incitent à la violence… C’est un contre-exemple parfait de ceux qui prédisent l’affrontement.
Bonjour Koz,
l’homme reste l’homme, qu’il soit musulman ou chrétien. Etre chrétien c’est d’ailleurs croire en l’homme peut-être avant de croire en Dieu, ou en tous cas avant de croire à un système de pensée quelqu’il soit. Si je puis rajouter ma petite analyse sur ce sujet fort complexe comme tu l’as bien décrit, je dirais qu’il ne faut effectivement pas carricaturer les choses. La face violente de l’islamisme de type Al-Qaida n’est pas le seul islamisme. Par islamisme on entend une doctrine qui ferait de la Chari’a la constitution d’un état. Cela ne signifie pas que tous les musulmans souhaitent cela, notamment ceux qui prônent une dimension seulement religieuse et mystique de la foi musulmane, sans l’aspect géo-politique typique de l’islamisme.
En tant que chrétiens, nous devons bien prendre à garde à distinguer les personnes des doctrines. Le pécheur reste un homme aimé de Dieu, et c’est la doctrine seulement que l’on doit critiquer et, s’il le faut, condamner.
Tout cela pour dire que la mouvance des Frères Musulmans est réellement islamiste au regard de la définition que je viens de donner, même si l’utilisation de la violence pour atteindre le but d’un état isalmique n’est pas systématique comme elle semble l’être chez Al-Qaïda. Un bon exemple de l’utilisation de la démocratie par les Frères Musulmans est la prise de pouvoir par le Hamas dans la bande de Gaza. Cela s’est fait suite à des élections démocratiques et sans violence, au moins dans un premier temps. Après, il y a eu élimination, non démocratique, des opposants du Fatah. Je ne voudrais pas rappeler ici quelques exemples historiques de dictateurs qui ont réussi à prendre le pouvoir par des moyens démocratiques, on pourrait gagner un point Godwin un peu trop facilement.
Clairement, l’islamisme se présente comme une alternative crédible à la corruption des régimes dictatoriaux soutenus par l’occident. Il semble être en train de devenir le porte-parole des pauvres du tiers-monde. L’Islam comme « religion des pauvres », cela devrait nous interpeler en tant que chrétiens, au-delà de toute considération géopolitique.
C’est toute la différence. Chavez a perdu des élections (ex. référendum sur le changement de constitution). Moubarak ne peut pas en dire autant.
Autre différence avec Moubarak le bon copain: Chavez a été enlevé au lendemain de sa première élection, lors d’un coup d’état soutenu très officiellement par les US. Comme quoi la démocratie n’est bonne que quand elle donne le résultat qui nous arrange.
Ceci dit, il est tout à fait possible que j’ai raté des développements récents impliquant des trucages d’élection au Vénézuela. Dans ce cas, merci de m’indiquer des sources crédibles sur le sujet, ça m’intéresse.
Dans tous les cas, il est inutile d’essayer de me faire passer pour un supporter du populisme à la Chavez.
@Aristote
Des accords prévoyant le partage du pouvoir avec l’opposition pour aller vers des élections libres ont été signés en 2007 par Déby. Il n’a jamais respecté ces accords, mais a en revanche fait enlever et assassiner une partie des co-signataires.
Que demandaient les mouvements rebelles lors des derniers soulèvements au Tchad? L’application des accords de 2007… Réaction de la France: soutien inconditionel du régime, sur tous les plans (diplomatique, opérationel, logistique), allant jusqu’au don de véhicules blindés.
Voir sur ce sujet cet article et bien d’autres sur le même site: http://survie.org/francafrique/tchad/article/la-france-reste-alignee-derriere
Il ne s’agit pas de dire que tout serait simple si on lachait Déby, pas plus que tout n’est simple aujourd’hui en Tunisie. Alors quoi? Pour éviter la complêxité, on envoie la légion en Tunisie et on remet Ben Ali sur son trône?
Celle là elle est bien bonne! On passe en revue les nominations à la cours suprême sous Bush Jr. ou les promotions sous Chirac et Sarkozy histoire de rigoler un peu?
http://www.patrimoinorama.com/index.php?option=com_content&task=view&id=1824&Itemid=30
@ Gatien:
Entre un vote nommant à la sauvette un grand nombre de juges par un parlement qui n’a plus que quelques jours à vivre et la publicité entourant les débats de confirmation au Sénat d’un juge proposé par un Président américain, il a une différence notable.
Que vous n’aimiez pas les juges nommés par Bush, c’est une autre histoire.
Sur le reste :
http://www.lefigaro.fr/international/2010/12/16/01003-20101216ARTFIG00753-hugo-chavez-se-fait-attribuer-les-pleins-pouvoirs.php
Source, le Figaro, pas un ami de Chavez d’accord, mais les faits sont incontestés.
Chavez est évidemment un grand démocrate, soucieux de la liberté d’expression, comme en témoignent L’Express, Le Monde, le JDD, et même Courrier International.
Vous nous apportez tout de même une étonnante confirmation de la relativité des convictions démocratiques. Quand un autocrate rejoint votre sensibilité, vous semblez aussi exigeant qu’une Internationale Socialiste avec un Ben Ali.
Gatien a écrit : :
Je rigole, en effet. La procédure de nomination à la Cour Suprême étatsunienne est probablement la plus transparente et la plus démocratique qu’on puisse concevoir. Y compris sous l’administration Bush : lorsqu’il a tenté d’y nommer sa conseillère juridique, il a dû renoncer, alors que pourtant les Républicains disposaient d’une nette majorité au Sénat.
On peut taper sur les Ricains pour plein de raisons, mais sur ce point particulier, c’est sur eux que tout le monde ferait bien de prendre exemple, à commencer par la France.
@Gatien
Aie, vous allez encore servir de méchant officiel sur ce fil. J’aurais bien joué au centriste dans votre échange sur Chavez avec Aristote, mais moi, c’était avec cette partie de votre commentaire que j’avais un problème.
« Au contraire, elle désespère d’entrer un jour dans l’Union Européenne, depuis que quelques populistes ont cru bon de lui claquer la porte au nez pour des motifs fallacieux (la vraie raison étant bien-sûr qu’il faut savoir surfer sur la peur de l’Islam).
Entre le soutien aux dictateurs arabes et le rejet de la Turquie, qu’est-ce qui est le plus débile? »
Bon déjà, j’ai du mal à voir le rapport, ce qui n’est pas si grave, les analogies n’étant pas interdites. Mais bon, vous placez vraiment sur le même plan l’accession ou non à un espace comme l’UE, et l’accession à la démocratie? Moi aussi je suis un européiste convaincu, mais quand même, ça heurte mon sens des priorités. Sinon, si c’est si important, il va fallloir se dépécher d’ouvrir les discussions d’accession avec le nouveau gouvernement tunisien, histoire que les choses sérieuses commencent pour eux :-).
Ensuite, pour vos « vraies raisons » du refus de l’entrée de la Turquie dans l’UE, tout simplement, non. Je suis contre l’entrée de la Turquie dans l’UE. J’y met peut être de la crypto-haine des musulmans, même si je serais le premier surpris. A toute fin utile, je précise aussi que je suis par principe contre l’entrée du Guatemala, de la Namibie et de la Corée du Sud. En fait, bêtement, j’ai tendance à penser que si l’on appelle un truc « Union Européenne », il va falloir lui définir des frontières, sinon, on choisit un autre nom et on monte un autre projet: ONU, OTAN, OMC, G[1-500]… Je n’ai pas l’intention de revenir sur les raisons qui me font placer la Turquie en dehors de ces frontières, parce que c’est vraiment du réchauffé.
Je ne suis pas assez naif pour penser que tous ceux qui partagent mon opinion le font pour les mêmes raisons. Ni que tous ont une vision aussi peu conflictuelle que la mienne de ce qu’est une frontière. Pour autant, j’apprécierais que l’on puisse ne pas partager ma position sans la qualifier de « débile », voire m’accuser de nourrir une vague de haine sur laquelle « quelques populistes » auraient loisir de surfer. J’ai vraiment rien contre les Namibiens, après tout.
J’entends bien toutes les dérives de Chavez, mais c’est curieux quand même que vous ne voyez pas la différence entre un Chavez et un Ben Ali.
Au Vénézuela, l’opposition fait campagne, et d’après l’article du Figaro cité par Aristote :
Si je lis bien le français, celà indique que Chavez ne décide pas totalement du résultat qui sort des urnes et qu’il existe une vraie opposition dans le système politique. On cherchera en vain l’équivalent dans le système Ben Ali ou le système Déby.
Le simple fait de relever cette différence suffit à Koz pour me ranger parmis les sympathisants de Chavez semble t’il. Il ne me reste plus qu’à m’incliner devant cette implacable perspicacité. Je suis démasqué! Oui, je suis un de ces gauchistes qui dorment en dessous d’un poster de Chavez!
D’ailleurs, malgré les apparences, je soutiens aussi secrètement Ben Ali, camarade éminent de l’internationale socialiste.
@Vivien
En effet, je suis le vilain de service, et ça m’enchante. 🙂
Bien reçu. Disons que l’adjectif « débile » (de toute façon provocateur) s’applique au refus motivé par des motifs qui ne sont pas les votres.
Pour la frontière de l’Europe, il me semble que la capitale de la Turquie est pile dessus… mais on s’éloigne encore un peu plus du sujet. 😉
@ Gatien
Chavez a pris le pouvoir dans un pays qui avait déjà une tradition démocratique établie. Le Venezuela n’a jamais été la Suisse, mais il a connu un véritable exercice de la démocratie. Il était difficile pour Chavez d’adopter immédiatement un comportement à la Castro. Mais la direction où il va est assez claire : contrôler les médias, contrôler la justice et l’armée, réduire l’importance du secteur privé, « gérer » les élections, etc.
Ben Ali, pour ne pas parler de Déby, ont pris le pouvoir dans des pays où le passé démocratique est mince, sinon inexistant.
Les situations ne sont pas les mêmes, mais Chavez n’est pas plus un démocrate que Ben Ali.
Aristote a écrit : :
C’était quoi, déjà, le sujet ? Ah oui: la politique étrangère de la France vis-à-vis des dictateurs.
Je ne sais pas si Chavez est un démocrate, mais ce qui est sûr, c’est que Chavez est un appeau à trolls de première classe. Dites, Aristote, vous ne l’avez pas fait exprès, au moins ?
🙂
@ Gwynfrid
Non, je suis un grand naïf.
Quant à moi, pour rester dans le sujet, je constate qu’Aristote a placé Pinochet dans sa liste de dictateurs. Certains ne l’auraient pas fait.
Pinochet, c’est un peu le Chavez des couillons de droite, non ? Un peu le même genre d’appeau à troll -certes d’une variété différente, mais finalement si proche ? Trouvez pas ? Non ? Si ?
Hum. Pardon Koz, je sors.
(C’est un peu ma façon de dire le bien que je pense de votre article : comme vous, n’étant absolument pas spécialiste de la question, j’ai plein de questions, et, face aux divergences des opinions que l’on peut entendre de toutes parts, aucune réponse… Reste l’espérance.)
PMalo a écrit : :
Ben, non.
Mais tous mes compliments pour cette belle illustration du célèbre principe « à troll, troll et demi ». 🙂
De même. D’autant que je ne trouve pas très aimable de traiter Gatien de couillon.
Au fait Gatien, Gbagbo il est toujours dans l’internationale socialiste ou ils l’ont viré discrètement comme Ben Ali?
Aucune idée. Je suppose que Gbagbo peut être toujours membre?
Ils ont viré Ben Ali? C’est ridicule. Il fallait soit le virer avant (*) soit assumer le fait que l’IS est ouverte à n’importe quelle chèvre avec une étiquette « socialiste ».
(*) En prenant exemple sur l’UMP, dont l’activisme diplomatique à l’encontre de la dictature tunisienne fût remarquable.
@ Gatien: « Pour la frontière de l’Europe, il me semble que la capitale de la Turquie est pile dessus… mais on s’éloigne encore un peu plus du sujet. »
Ankara est sur la frontière de l’Europe?
Oui, bon, je sais, on va pas relancer le débat…
@Koz
« ne nous voyons pas trop rapidement comme prédisposés à la démocratie, voire au Bien, et les musulmans, non »
Je ne crois pas que c’était exactement le sens des propos de René de Séverac. La démocratie, bien sûr, est à la portée de tous les individus, et avec le temps, de tous les peuples. Et bien sûr, elle ne s’est pas installée en un jour chez nous. Justement… C’est l’aboutissement d’un long processus. Il ne s’agit donc pas de « prédisposition » mais d’Histoire. Je n’aurais pas forcément choisi 1789 comme symbole, mais il faut bien reconnaître que la démocratie est née en terre chrétienne – davantage aux Provinces-Unies et en Angleterre qu’en France, sans doute. Je crois effectivement qu’elle est une application du programme chrétien. Si elle est exportable, c’est parce que le christianisme, fondamentalement, est un universalisme. Si elle n’est pas si facile à adopter, c’est parce qu’elle suppose un long apprentissage, que nous avons traversé.
Il ne s’agit pas de dire christianisme = démocratie. Je sais bien qu’iI y a eu trop de dictatures chrétiennes pour que ce soit vrai. Je dis que la démocratie et l’universalisme des droits de l’homme ont été inventés dans un laboratoire chrétien, parce que le christianisme contient en lui-même la faculté de dépasser les abus qui sont faits en son nom. A mes yeux, la signature par la quasi-totalité des pays du monde de la déclaration universelle des droits de l’homme constitue une christianisation du monde – qui rencontre, bien sûr, des échos dans les différentes cultures.
Vous citez l’Indonésie et la Turquie. Ce sont des pays où effectivement, semble-t-il, la démocratie semble commencer à fonctionner; en Indonésie, les premières élections démocratiques après le départ de Suharto datent de 1999; en Turquie, il n’y a pas eu de coup d’Etat militaire depuis 30 ans. Pour autant, on est encore loin des normes occidentales. Le cas de la Turquie est un peu particulier: c’est un pays frontière entre Orient et Occident, et ce depuis toujours. Mais il y a un point sur lequel on n’attire pas suffisamment l’attention à mes yeux: vous dites, fort justement:
« Des musulmans ont protégé la messe de Noël des Coptes, des Coptes ont protégé des musulmans qui priaient. On nous dit pourtant, on nous ressasse, que musulmans et chrétiens ne peuvent vivre ensemble. »
Bien sûr qu’ils peuvent vivre ensemble. Ils vivent ensemble au Maghreb et au Moyen-Orient depuis des siècles. Mais ils vivent ensemble suivant un modèle qui n’est absolument pas le nôtre: le modèle communautaire. Implicitement ou explicitement, la religion, dans les pays musulmans, fait partie de l’essence d’un individu. On est défini par sa religion, et on n’en change pas. Jamais. C’est la condition de la vie en groupe: musulmans, juifs et chrétiens peuvent très bien vivre ensemble, et même être très proches, nouer des relations interindividuelles extrêmement fortes, voire presque familiales; mais on ne cherchera jamais à convertir l’autre; c’est la règle d’or. Dans la plupart des pays musulmans, la conversion d’un musulman à une autre religion est interdite ou réglementée, par la loi ou par la pratique. En Indonésie, ce n’est à ma connaissance pas le cas; mais le prosélytisme y est interdit. Ce qui montre bien que la conversion est perçue comme un mal.
C’est un modèle d’organisation qui a sa cohérence; mais ce n’est pas le nôtre. Chez nous, l’individu et sa religion, ou son idéologie, sont deux choses différentes. Un même individu peut changer deux, trois, quatre fois, ou une infinité de fois, de religion, de croyance, de système de pensée. Il peut être le cul entre autant de chaises qu’il le souhaite. « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent jamais d’avis », dit-on couramment. La conversion et le prosélytisme sont permis. Ce sont les deux conditions de la liberté de conscience, au sens très radical ou nous l’entendons. C’est le libre marché des idées, théâtre du relativisme nihiliste pour les uns, condition civilisationnelle d’émergence de la Vérité pour les autres – dont je suis.
Cette liberté de conscience n’existe pas vraiment dans le monde musulman. Commence-t-elle à y compter des apôtres? Y est-elle possible à relativement court terme? Je ne sais pas du tout, et je suis preneur d’informations à ce sujet.
@Logopathe
Oups… Je pensais bien sûr à l’ancienne capitale et plus grande ville, Istanbul. Merci.
@Logopathe
Point trop n’en faut, tout de même. La démocratie s’est construite en terre chrétienne, comme vous dites, mais surtout contre la chrétienté, en inversant radicalement les schémas de pouvoir (d’un pouvoir de haut en bas, on a cherché à passer à un pouvoir de bas en haut). L’Eglise catholique n’est d’ailleurs pas démocratique, et n’en éprouve pas le besoin, pour ce que j’en sais. Certes, cette critique radicale du catholicisme a puisé dans les acquis du catholicisme lui-même pour le dépasser, dans une démarche finalement assez dialectique. Espérons que les égyptiens et les tunisiens sauront trouver dans les dizaines d’années de dictature, et les milliers d’années d’histoire, qu’ils viennent de traverser les éléments qui leur permettront de construire leur démocratie.
« cette critique radicale du catholicisme a puisé dans les acquis du catholicisme lui-même pour le dépasser, dans une démarche finalement assez dialectique. »
Je ne dis pas autre chose.
« La démocratie s’est construite en terre chrétienne, comme vous dites, mais surtout contre la chrétienté »
Non, pas vraiment. Contre les Eglises, oui. Mais pas spécialement contre le christianisme. En France, la Révolution a été en partie anti-chrétienne, mais la France est un cas particulier. La démocratie n’est pas née en France, mais dans les Provinces-Unies et en Angleterre, où elle n’a pas été d’abord une théorie mais une pratique, qui consistait à faire vivre ensemble, concrètement, des fanatismes concurrents. C’est peut-être cette voie, plus que la française, qui correspond le mieux au monde musulman.
Ensuite, dans un second temps, la démocratisation s’est traduite par une sortie progressive de la religion, du ritualisme. Sans qu’on sache encore très bien où ça nous mène. C’est à nous de répondre.
D’une façon générale, nous avons un problème de vocabulaire pour traiter de ces réalités. Le mot « christianisme » désigne à la fois une religion, une civilisation, une cosmologie, une culture, une philosophie…
Euhhh… ma pauvre vanne toute pourrie a fait flop. Bien fait pour moi. (Mais ne manqueriez-vous pas un peu d’humour ?) 😉
Je rends bien volontiers la parole à Logopathe et consorts, très intéressants.
@PMalo
Et pourtant, il y avait du vrai! 😉
@Logopathe
Par ailleurs, il ne faudrait pas oublier que la démocratie a été inventée et théorisée dans la Grèce antique, fort loin du christianisme, quoi que cela veuille dire.
Oui, c’est juste. C’est davantage les droits de l’homme qu’on doit au christianisme que la démocratie. Mais il ne faut pas oublier que la distinction entre héritage grec et héritage chrétien est en grande partie factice: le christianisme est une synthèse, consciente, d’un certain judaïsme et d’un certain hellénisme. Il s’inscrit délibérément dans la double tradition biblique et platonicienne. Ce fut aussi le cas de l’Islam à ses débuts, du reste. Sans qu’on sache très bien pourquoi ça n’a pas pris en définitive.
niamreg a écrit : :
Oui enfin bon, il ne faut pas idéaliser la démocratie grecque non plus ! Ce régime était imparfait, dur, inégalitaire, etc. etc. et finalement pas tellement plus vecteur de liberté que les autres. En outre, les Grecs ne le considéraient que comme l’un des régimes possibles, sans le mettre sur un piédestal comme nous.
Bref, sans les apports de la modernité, la démocratie grecque n’aurait rien d’enviable et notre régime actuel n’existerait tout simplement pas. Arrêtons de penser, ou de laisser penser, que tout était écrit avant notre ère.
En revanche, je vous rejoins sur les liens entre démocratie et christianisme. Non, le christianisme ne promeut pas explicitement, me semble-t-il, la démocratie. Peut-être parce qu’au fond, il ne souhaite pas s’ingérer dans les formes d’organisation politique, qui sont à la fois extérieures et inférieures à son champ d’action. Le salut de l’homme ne passe pas par sa liberté de voter ou non.
En ce sens, les droits de l’homme sont-ils issus, même de façon dévoyée, du christianisme ? Je n’arrive plus à en être aussi certain qu’avant.
Platon n’était pas exactement favorable à la démocratie !
Je crois que la notion d’individu (libre et possédant une essence avant d’avoir une existence), nécessaire à la mise en place des droits humains, a beaucoup profité du christianisme.
@ niamreg
Votre dernière réponse (à Logopathe, je suppose) modère grandement ce que j’avais compris de votre précédent post. Je modère donc la réponse que je vous ai faite à l’instant (sans changer mon propos).
Oui, c’est vrai, le lien entre christianisme et démocratie est indirect. Il n’y a pas, dans l’évangile, de contenu politique; aucune préconisation quant à l’organisation de la Cité. Ce que le christianisme implique, en revanche, c’est 1)l’égalité de tous les hommes – ce qui tend à désigner la démocratie comme régime privilégié et surtout 2)la liberté ontologique de l’homme, co-créateur du monde avec Dieu. Mais l’apport évangélique n’est sans doute qu’un des ingrédients du cocktail civilisationnel qui a conduit l’occident à inventer la démocratie. J’appelle ce cocktail « christianisme », parce que pour moi c’est le nom le plus pertinent, mais je conçois qu’on en adopte d’autres.
@Logopathe
« J’appelle ce cocktail « christianisme », parce que pour moi c’est le nom le plus pertinent, mais je conçois qu’on en adopte d’autres. »
Pourquoi pas ne pas l’appeler « culture européenne », ce cocktail, tout simplement? Le christianisme étant une part essentielle de la culture européenne, mais qui le nierait… :-).
Aristote (le Stagirite), distinguait trois types de régime politique, la monarchie, l’aristocratie et la démocratie. Son problème était moins d’établir une hiérarchie entre ces types d’organisation que de distinguer entre leurs formes viables et leur corruption : monarchie vs. tyrannie, aristocratie vs. oligarchie, et démocratie vs. règne de la populace.
Il me semble que la réflexion chrétienne sur le politique s’est de même plus intéressée à ce qui distingue le « bon » prince du « mauvais » prince, ou aujourd’hui aux limites à fixer à « l’arbitraire » démocratique, qu’à un jugement absolu sur telle ou telle forme d’organisation politique. Cela me semble sage.
@ Aristote
Tout à fait. Il me semble que contrairement à ce qu’on dit souvent, le débat ne porte pas sur le côté intrinsèquement bon de tel ou tel régime – ni d’ailleurs sur la condition que celui qui détient le pouvoir soit vertueux, qu’il soit monarque, aristocrate ou citoyen. Un régime qui dépend uniquement de ce dernier paramètre n’est pas pérenne.
Un régime sain me paraît résider dans une démocratie qui conserve des éléments de monarchie et d’aristocratie. Le dernier livre de Manent (La métamorphose de la Cité, que je n’ai pour le moment que survolé) donne quelques pistes sur ce sujet et mener une réflexion intéressante sur les rapports entre ce qu’il appelle l’un, le petit nombre et le grand nombre.
@ Henry le Barde:
Le livre de Manent est aussi dans ma pile, il approche du dessus…
@Vivien: justement, certains le nient… Mais vous avez peut-être raison, c’est l’appellation la plus logique.
@Logopathe
Excusez-moi, j’ai voulu faire court, et ironique, je risquais donc de n’être pas compris.
Je faisais justement allusion à ceux qui voudraient nier « les racines chrétiennes » de l’Europe. Pour moi, il s’agit d’un déni grave, symptomatique d’une Europe qui va très mal puisqu’elle ne sait pas ou ne veux pas savoir ce qu’elle est. C’est à dire, entre autres, l’héritère de la Chrétienté médiévale.
Les échanges sous ce billet l’illustraient assez bien, à mon sens:
Les Européens ont un role de précurseurs en ce qui concerne nombre de valeurs politiques modernes: démocratie, droits de l’homme, séparation des pouvoirs…
L’apparition de ces valeurs s’inscrit dans l’histoire longue de l’Europe, et le christianisme y joue donc forcément un role essentiel, sinon unique.
Ce n’est même pas particulièrement chanter les louanges de l’Eglise que de le constater. On peut défendre l’opinion que ces valeurs se sont essentiellement constituées en réaction à la foi chrétienne et à l’Eglise, même si ce n’est pas mon avis.
Tout cela me parait assez évident, et semble-t-il à vous aussi. Et pourtant…
@Vivien: j’ai compris l’ironie, mais après avoir posté ma réponse, en fait… Je ne suis pas un bon décodeur de smileys.
Une analyse intéressante sur le sujet, le point de vue d’Olivier Roy publié dans le Monde :
http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/02/12/revolution-post-islamiste_1478858_3232.html
Comme toi j’observe et j’espère, mais cette analyse qui me semble pertinente renforce mon espoir. Inch Allah.