Macron aux Bernardins : la Réconciliation ?

« Pour nous retrouver ici ce soir, Monseigneur, nous avons, vous et moi, bravé les sceptiques de chaque bord. » Sans surprise, le soir même, il a fallu encore braver non seulement les mêmes sceptiques de chaque bord mais affronter aussi les colériques de tous les autres. L’entrée en matière si forte par les témoignages d’un jeune homme autiste et de son frère, de personnes isolées, seules ou sdf et de ceux qui les accompagnent ont vite été écrasées par le bruit politique. Tandis que des catholiques s’alarment que d’autres cathos puissent tomber en soudaine pâmoison, ignorant les visées funestes d’Emmanuel Macron que ce discours tendrait à occulter, d’autres, déchirant leurs chemises, se lacèrent la poitrine au péril de leur intégrité physique en criant « Laïcité »[1].

La charité me commande de rassurer autant que je peux ces catholiques qui appellent à ne pas être dupes et à attendre des actes – les mêmes, souvent, exigent d’un président qu’il leur souhaite une joyeuse fête de Pâques, comme une marque ultime de considération (ou plutôt, l’occasion de le prendre en défaut). C’est un in-con-tour-nable. Le B-A-ba de la réception d’un discours. Alors, posons ça là : c’est acquis. Personne, plus personne, ne se fie aux seuls discours. Juré. Craché. Vos coreligionnaires ne sont pas si cons. En revanche, si j’ai entendu des politiques se plaindre d’une chose chez les catholiques, c’est bien de leur ingratitude. Vous les choyez et, au premier accrochage, au premier compromis, paf, ils vous lâchent. Ils exigent, mais rechignent à s’engager. Non, donc, Emmanuel Macron ne s’est pas concilié à bon compte les catholiques. Mais s’il ne dit rien des actes, un discours a son propre registre et sa valeur intrinsèque. Il engage, ne serait-ce que parce qu’à l’avenir, il sera opposé de toutes parts à Emmanuel Macron. Par des catholiques pour exiger la cohérence des actions, par des laïcards pour lui enjoindre de donner les signes inverses.

Ces derniers, que le principe même de cette rencontre échauffait déjà, se sont enflammés en ligne à la seule lecture d’un tweet. Drame du raccourci twitterien, drame aussi de la polémique twitteuse où politiques comme éditorialistes semblent juger superflu de se référer au discours, au-delà de son tweet. Car oui, « le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé » et « il importe [au Président de la République comme à celui de la Conférence des Évêques] de le réparer ». Cela déplaît assurément à ceux pour lesquels la laïcité a les atours de ces trois singes de la sagesse, qui se bouchent les yeux, les oreilles et la bouche, pour ne voir ni entendre ni dire le Mal, celui-ci étant incarné par les religions – et plus spécifiquement la religion catholique. Ce n’est en effet pas la vision qu’a développée Emmanuel Macron.

Certains s’angoissent encore à l’idée que l’invitation à s’engager en politique adressée aux catholiques puissent ouvrir la voie à un même engagement des musulmans. A vrai dire, je n’ai pas pris l’habitude de jauger un discours à la seule aune de ses conséquences sur l’épouvantail musulman. Et tant que nous y sommes, ma foi, si des musulmans entendent s’engager en politique, qu’ils le fassent ! Aussi longtemps qu’ils s’engagent selon les principes de la République, non pas pour défendre des intérêts communautaires mais celui de la Nation, non pour faire valoir leur foi en politique mais comme citoyens à part entière éclairés par leurs convictions religieuses, comme d’autres le sont par leur athéisme ou leurs convictions philosophiques. C’est à vrai dire en ces termes qu’à l’exception de quelques individus les catholiques conçoivent leur engagement en politique. Accessoirement, une autre posture ne surprend même pas par son incohérence : celle d’un Benoît Hamon furieux à l’évocation d’un lien à réparer, mais partisan d’en tisser un entre la République et l’« Islam de France ».

Car oui, la relation entre les catholiques et la République, entre l’Église et l’État s’est abîmée. Au-delà même des derniers débats politiques stricto sensu – que ce soit la Manif pour Tous ou la présidentielle – le discours d’Emmanuel Macron prend place dans un climat qui est lourd, et porteur de menaces pour le pays. Qu’on l’estime cela légitime ou non, le fait est que de nombreux catholiques vivent une crise d’identité et de sens, forgée par un sentiment de dépossession et de relégation. De mépris, aussi. Le président et ses conseillers sont évidemment informés des débats qui agitent les catholiques, dont témoigne une production littéraire conséquente (voir ce billet, cet autre et encore celui-là pour les seuls trois derniers mois). A ce double sentiment de dépossession et de relégation, certains répondent par le retrait de la Cité ou par la radicalité. Emmanuel Macron a ainsi pris le risque de ce discours pour éviter qu’à une crise d’identité soit apportée une réponse identitaire et/ou communautaire, et encourager ceux qui n’en ont pas pris le chemin.

Voilà bien ce qu’annonce Emmanuel Macron, dès l’introduction de son discours, et qui revient à plusieurs reprises dans son texte :

Aujourd’hui, dans ce moment de grande fragilité sociale, quand l’étoffe même de la nation menace de se déchirer, je considère de ma responsabilité de ne pas laisser s’éroder la confiance des catholiques à l’égard de la politique – et des politiques. Je ne puis me résoudre à cette déprise. Et je ne saurais laisser s’aggraver cette déception.

Cet enjeu me paraît justifier un discours qui prend quelques risques avec la laïcité.

A vrai dire, de même qu’Emmanuel Macron a évoqué un « humanisme réaliste »[2], son propos est empreint d’une laïcité réaliste. Réaliste au regard de la situation particulière de notre pays. Réaliste également au regard de la place des croyants : il ne sert à rien de prétendre ignorer que les convictions chrétiennes inspirent les convictions politiques des croyants. Il est malvenu d’oublier l’implication profonde des catholiques dans le tissu social de notre pays, pour en soulager les fragilités. Il est absurde d’occulter la part spécifique et considérable du christianisme dans l’Histoire de notre pays. Emmanuel Macron a apporté un signe de la considération de la République pour les catholiques, les a invités comme d’autres à prendre part à la vie politique – ce qui ne lui garantit en rien qu’ils s’impliqueront à son soutien – mais non, il n’a pas fait allégeance, et c’est très bien ainsi.

La place qu’il a reconnu à l’Église est en somme celle qu’un catholique lucide lui reconnaît. Seuls les catholiques qui fantasment un passé glorieux ou les anticatholiques qui façonnent les épouvantails propres à rassembler leurs troupes imaginent encore une Église qui puisse être « injonctive » et pas seulement « questionnante« . Quand bien même la tentation la guetterait, l’Église n’a pas les moyens de dicter quoi que ce soit au pays. Il lui revient en revanche, comme Emmanuel Macron l’a relevé, de poser sans relâche les questions adéquates, de rappeler aussi les devoirs de chacun à l’égard des plus fragiles, à l’égard de notre commune humanité. Et c’est bien ce qu’elle fait.

Emmanuel Macron a donc dit aux catholiques, avec une certaine force, qu’il reconnaissait leur contribution à la vie de ce pays, qu’il entendait leurs questions et les prenait en compte sans s’estimer tenu d’y répondre comme ils l’espèrent – que ce soit sur les migrants ou sur la bioéthique. C’est à la fois beaucoup, symboliquement, et peu, concrètement.

Mais que les laïcards se rassurent : chacun reste dans son ordre propre et non, la Croix n’est pas près de remplacer le faisceau de la République au fronton de l’Élysée.

 

Illustration : libre interprétation personnelle du logo de l’Elysée.

  1. et je passe sur d’autres griefs plus farfelus encore, que je ne veux pas mentionner pour ne pas les alimenter []
  2. A discuter []

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10 commentaires

  • Bonjour Koz,

    Le billet de Phylloscopus, sur Twitter, m’a paru bien plus pertinent que le vôtre; et ce que dit Natacha Polony aujourd’hui me semble davantage viser juste. Je suis assez sidérée de voir les cathos (de gauche ou de droite) si ravis qu’un homme ait employé leurs mots…

    Quant à la porte ouverte à l’islam, c’ est effectivement un danger qu’il ne suffit pas d’esquiver par des paroles de mépris envers des gens qui fantasmeraient. J’habite en banlieue pauvre depuis longtemps, j’en vois partir les rares Français d’origine qui restaient. Mes élèves, juives, car j’enseigne dans un lycée juif, partent de Sarcelles, d’Epinay, de France. Ceci n’a aucun intérêt ? La société multiculturaliste sera pourtant, à terme, islamique.
    Ensuite, vous ne voulez pas voir que ce que nous demande Macron, c’est de nous engager pour accompagner ces réformes scandaleuses que seront la Pma, Gpa, et l’euthanasie. Bref, il nous engagerait dans ses rangs libéraux et libertaires? Non merci.
    Enfin, qu’il ait pu dire dans déclencher de réactions que « peut-être les racines sont mortes mais que la sève circule », c’est étonnant. Notre racine, nous la croyons ressuscitée. Et sans racine, je ne donne pas cher de la sève.

    Cordialement,

    Marie

    • Bonjour Marie,

      Ayez donc la bonté, comme je l’ai indiqué en début de billet, de ne pas prendre vos amis cathos pour des truffes. Certains, peut-être, et encore, en vireront macronistes. Cela compensera ceux qui sont antimacronistes pour des raisons guère moins primaires.

      Concernant l’islam, mon billet ne parle pas de fantasme à cet égard. Je ne vois donc pas bien à quoi vous vous référez.

      Si je ne « veux pas voir que ce que nous demande Macron, c’est de nous engager pour accompagner ces réformes scandaleuses que seront la Pma, Gpa, et l’euthanasie », c’est que ça n’est pas le cas et, si tant est qu’il le voudrait, il pourrait se brosser. Avez-vous lu son discours, au fait ?

      En ce qui concerne les racines et la sève, voici son propos :

      Et surtout, ce ne sont pas les racines qui nous importent, car elles peuvent aussi bien être mortes. Ce qui importe, c’est la sève. Et je suis convaincu que la sève catholique doit contribuer encore et toujours à faire vivre notre nation.

      Cela ne dit pas que les racines soient effectivement mortes mais que l’essentiel est que la sève coule encore, ce que je trouve tout à fait pertinent. Quant au Christ, non, il n’est pas une « racine ».

      • Mais il est bien la sève ! Qu’on ne voit pas si on ne s’y intéresse pas mais qui alimente l’arbre et le fait verdir chaque printemps, aussi froid qu’ait pu être l’hiver.

      • Oui, de toutes façons, je ne suis pas un chaud partisan des métaphores et des choix trop binaires. J’avais aimé en son temps ce que disait René Rémond, quand il se disait « assez près de penser que le nombre de la réalité n’est pas le duel mais le pluriel ». La question est toujours dans l’équilibre que l’on adopte, dans la branche d’une alternative sur laquelle on porte son attention. A défaut de racine, on peut dire que le Christ est le rocher. Ce qui a un caractère statique. Mais il est aussi le Chemin. Bref, il peut être racine mais s’il n’est pas aussi la sève alors c’est que la racine est morte.

  • Merci beaucoup pour ces billets toujours très intéressants.

    Pour ma part, je trouve que le discours de Macron avait 2 grands mérites :

    – Rendre sa place au spirituel : il assume le fait que « laïque » ne veut pas dire qu’il faut faire taire les religions et qu’elles ont, au contraire, toute leur place pour s’exprimer et s’engager. Encore mieux : un Président de la République peut leur parler et il l’assume.

    – Une reconnaissance des valeurs chrétiennes, de leur cohérence, de la contribution des cathos pour le bien de la société et un hommage à certaines grandes figures… bref, de la bonne pub :).

    Ça me plaît déjà bien :).

    Sur le reste, « en même temps », je l’ai trouvé très adroit parce qu’ambiguë :

    – Il dit ‘Engagez-vous en politique, on a besoin de vous. Participez aux débats…’ ; mais c’est un discours de Président à ses citoyens, quels qu’ils soient.
    De plus, « Sens Commun », qui se veut areligieux (et c’est très bien), est une des concrétisations les plus évidentes – avant que Macron n’en fasse la requête il y a 3 jours – d’un engagement des cathos en politique.
    (Je ne dis pas que tous les cathos engagés en politique sont chez Sens Commun mais que beaucoup de ses membres le sont :)).
    Donc rien de neuf sous le soleil.

    – Sur les sujets d’inquiétude des cathos (notamment bioéthiques), il ne dit pas grand-chose à part : ‘Vous avez votre voix, débattez, faites-vous entendre…’ …
    Je me trompe peut-être (parce que je n’y connais absolument rien :)) mais rien n’obligeait Macron à ouvrir ces sujets bioéthiques qui aujourd’hui divisent… Il nous demande donc de débattre mais sur le fond, je pense qu’il n’est pas en accord avec la vision des cathos sur ces sujets (sinon pourquoi les aurait-il ouverts ?) et qu’il n’en fera pas grand-chose… mais je me trompe peut-être :).

    Bref, pour me résumer, je trouve ce discours positif, nécessaire mais trop adroit / ambiguë pour rassurer sur les sujets qui vont nous agiter dans les mois qui viennent…

    Bienveillance mais vigilance ;)…

    • Sur la bioéthique, la loi de 2011 prévoyait une révision périodique des lois de bioéthique en 2018, et la procédure était également lancée avant son accession au pouvoir. Ce n’est donc pas un choix de sa part. Je ne dis pas qu’il soit contre mais, en tout cas, il n’a pas fait le choix personnel d’ouvrir ces sujets. C’est plus discutable sur l’euthanasie, qui n’entre pas formellement dans ce cadre, et qu’il a consenti à examiner. Toutefois lui comme Agnès Buzyn ne sont officiellement pas favorables à une nouvelle loi. Reste à savoir s’ils ne se défausseront pas sur une initiative parlementaire. Mais cela ressort plus de l’équilibre interne à sa majorité.

      Sur l’engagement des catholiques en politique, je crois au contraire qu’il y a un vrai reflux. Lui-même n’est pas exempt de critiques puisqu’il a joué aussi sur la mise en épouvantail de Sens Commun pendant la campagne. Mais on ne peut pas non plus lui demander d’être d’accord avec toutes les formes d’engagement politique des catholiques. J’en connais chez Mélenchon, j’en connais au FN, et ne suis d’accord ni avec les uns ni avec les autres, tout en trouvant intéressant que des chrétiens s’engagent.

      Après, la vigilance, pour moi, c’est une donnée de base de la vie politique. On ne donne jamais de chèque en blanc à personne. Je prends ce qu’il y a de positif à prendre, mais je n’ai pas franchement l’intention de canoniser Emmanuel Macron.

  • Je n’ai pas voté Macron (ni FN !). EM est clairement d’une envergure qui tranche par rapport à FH. Il ne fait pas que des bêtises et je lui reprocherais plutôt ce qu’il ne fait pas que ce qu’il fait.

    Mais enfin, si ce n’est qu’un discours, c’est quand même un bon discours. Et Macron a pris des risques en le prononçant. Il faut le reconnaître. Pour les actes on verra bien sûr, mais en attendant un bon discours vaut mieux qu’un mauvais discours qui aurait pu laisser augurer du pire.

    • Nous sommes bien d’accord. Certains ne semblent pouvoir être satisfaits que si leur interlocuteur dit ce qu’ils pensent. On sait qui est Macron, on sait d’où il vient, on sait qu’il a promis de faire la PMA. Je n’imagine pas qu’il s’aligne soudain sur mes positions. En revanche, je prends ce qui est positif.

      Et comme tu le dis, il a pris un risque en le prononçant. Catholiques ou anticatholiques le lui opposeront. Et il y a d’autres bénéfices à ce discours, ne serait-ce qu’un regard peut-être plus bienveillant d’une part de l’opinion publique à l’égard es catholiques (sans vouloir en surestimer toutefois la portée).

  • Macron peut bien déclarer : »Le politique partage avec l’Eglise la responsabilité des [Chrétiens d’Orient] persécutés car non seulement nous avons hérité historiquement du devoir de les protéger mais nous savons que partout où ils sont, ils sont l’emblème de la tolérance religieuse »
    et encore « Les sacrifier, comme le voudraient certains, les oublier, c’est être sûr qu’aucune stabilité, aucun projet, ne se construira dans la durée dans cette région. »

    Depuis le début de la guerre civile en Syrie, Hollande, Fabius et le Drian n’ont eu de cesse de soutenir et livrer des armes à des « rebelles démocrates » comme al Nostra qui persécutent les Chrétiens syriens, comme à Maaloula en septembre 2013.

    Je n’ai pas entendu Macron, secrétaire général adjoint au cabinet du président de la République puis ministre, faire de tels discours à l’époque.

    Depuis l’élection de Macron, gouvernement et media sont extrêmement discrets sur une éventuelle inflexion de cette politique. On connait en revanche les excellentes relations de Macron avec l’Arabie saoudite et le Qatar, autres soutiens de ces groupes armés.

    Macron peut bien déclarer : « J’ai décidé que l’avis du Conseil consultatif national d’Ethique n’était pas suffisant et qu’il fallait l’enrichir d’avis de responsables religieux. »

    Lors de renouvellement pour moitié des membres du CCNE en janvier dernier, Macron a-t-il réinstallé les représentants religieux débarqués par Hollande en 2013 ?
    Non.

    « Actions, not words, are the true criteria. » (George Washington)

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