Initialement publié ici
Je vous propose un nouveau concept qui vient de frapper mon esprit brillant. Ce concept est à manier avec prudence et délicatesse voire même à réserver aux salons acquis à vos propres thèses, sauf à ce que vous ayiez eu à supporter, un long dîner durant, un paltoquet noniste et complotiste. Dans un tel cas, il n’est pas dit que le prix à payer pour l’animosité que vous ne manquerez pas de provoquer à votre encontre soit supérieur à celui que vous aurez payé durant toute cette soirée et que vous paierez encore en regrettant plus tard de ne pas en avoir fait usage.
Vous l’avez compris, il s’agit de l' »ignorance péremptoire« . Je vous raconterais bien à quel propos ce concept miraculeux m’est apparu mais je préfère en venir au fait. Je me contenterais juste de vous suggérer la lecture d’un blogueur qui devrait écrire plus souvent – citrouille – et surtout qui, dans un commentaire laissé dans une antre de complotistes, semble vouloir dissuader un lecteur-rédacteur de penser que CNN serait aux ordres de Bush…
Bref, le concept d’ignorance péremptoire me semble de nature à caractériser l’attitude de nombre de complotistes, et de certains nonistes, mais ne saurait, sans risque d’obsolescence rapide se limiter à ces cas. Aussi l’élargisserai-je à certains aspects du ségolénisme. Vous aurez noté l’utilisation des réserves « certains » et « nombre de« , destinées à écarter le reproche potentiellement fondé de sombrer dans une généralisation trompeuse.
Ceci étant dit, donc, un certain nombre de mes concitoyens semble s’être mis en tête de se livrer à une petite révolution culturelle consistant à assumer sa méconnaissance du sujet sur lequel ils se prononcent.
Il pourrait s’agir d’une étape ultime, après la déconsidération des enseignants : la revendication de l’ignorance. Ainsi certains vont jusqu’à prendre leur ignorance pour une pureté virginale et, loin d’avoir honte d’ignorer tant de choses du sujet de leur propos péremptoire (voilà pourquoi « péremptoire« ), ils en tirent argument pour exiger une refonte de la matière. Illustration : Etienne Chouard, manifestement ignorant des réponses apportées par des siècles de réflexion politique aux questions qu’il croit soulever aujourd’hui.
Dans le débat sur le référendum, combien ont tiré argument de leur incapacité à comprendre vraiment le texte pour le rejeter. Je leur concède volontiers toutefois qu’il y avait probablement une erreur politique à soumettre un texte de cette nature et complexité à référendum mais il y avait un réflexe consistant pour beaucoup de ceux avec lesquels j’ai débattu – réellement ou virtuellement – à refuser que les spécialistes d’un domaine leur fournissent des explications au motif que, si le recours à des spécialistes était nécessaire, c’est qu’on leur cachait nécessairement des choses.
Cette « ignorance péremptoire » se trouve aussi opportunément flatté par le ségolénisme, et son recours aux « citoyens-experts« , qui amènent les citoyens à se prendre pour des experts – sauf à ce qu’elle recourre à de réels experts citoyens, mais dans ce cas, citoyens, nous le sommes tous – et à considérer leur ignorance légitime.
On habille tout cela d’une prétendue volonté de confiscation du débat par « les élites » – une dialectique qui me fait toujours frémir, et penser au Cambodge et à ses camps de rééducation – alors qu’il ne s’agit que du processus naturel selon lequel certains disposent davantage que d’autres de certaines aptitudes. Ce n’est pas qu’ils ne comprennent pas, non, comment osez-vous seulement dire cela ? Ce sont « les élites« , qui veulent les empêcher de s’exprimer !
Je pense trouver aussi de l' »ignorance péremptoire » dans le discours de nombre de complotistes, qui vont, eux aussi, jusqu’à tirer argument de leur méconnaissance. S’ils ne comprennent pas, ce n’est pas qu’ils ne disposent pas des outils pour cela, ce n’est pas parce qu’il leur manque des informations, ce n’est pas parce que comprendre supposerait des recherches, des larmes et du sang, non, c’est… parce qu’il y a un mystère. Un mystère, donc un complot.
Voilà.
Je ne sais si ce concept vous conviendra. Une fois de plus, à supposer qu’il vous aille, je vous recommande de n’en faire qu’un usage prudent.
Moi, en tout cas, il me plaît bien.
NB : à toutes fins utiles, je me permets d’ajouter la pancarte trop souvent nécessaire « second degré » après « mon esprit brillant« , à la première ligne
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