Une euthanasie principalement motivée par des facteurs économiques et sociaux peut-elle être accordée ? Ceci a été promptement et instinctivement écarté par de bonnes âmes dans notre presse et pourtant, c’est clairement reconnu par les euthanasieurs. Tous ces documents sont accessibles dans un article qu’il faut aller lire : No Other Options, par Alexander Raikin, au New Atlantis.
L’auteur a eu accès à des webinaires et formations au sein du principal organisme réunissant des praticiens de l’euthanasie au Canada. Ils viennent apporter la démonstration que oui, la pauvreté et le handicap ont été les facteurs déterminants d’euthanasies réalisées au Canada.
Dans l’une des vidéos, un participant à un séminaire s’inquiète de la possibilité de concilier les impératifs moraux : en somme, être pro-euthanasie, en pratiquer et constater que beaucoup sont motivées par la pauvreté. La réponse de l’orateur est remarquable : ainsi dit-il, lorsque l’euthanasie a été décriminalisée, il y a vu un « extraordinaire levier » pour obtenir un meilleur système social, dès lors que seraient rassemblées les histoires de personnes demandant l’euthanasie à cause de la faiblesse du système social.
On pourrait faire une pause et s’interroger sur le sens moral de « Kevin Reel, a senior ethicist at Sunnybrook Hospital and former president of the Canadian Bioethics Society » qui voit dans l’euthanasie de personnes poussées au désespoir un levier politique.
Une autre formatrice évoque le cas de Mary, 55 ans. « Elle est très claire sur le fait qu’elle veut vivre« . Mais elle a atteint ses plafonds bancaires et elle ne pourra pas financer les traitements nécessaires si la souffrance s’aggrave. En gras dans la présentation, on peut lire ceci : « Mary identifies poverty as the driver of her MAid request – food insufficiency and inability to access appropriate treatments » (dans le texte, « the » est mis en italique). La formatrice explique que son travail auprès de Mary a consisté à valider le fait qu’on ne lui offrait pas de meilleure option. Pas de meilleure option que la mort.
Viennent ensuite les exemples de Nancy, 68 ans, Greg, 57 ans, Lucy, 38 ans, tous documentés par la personne qui a procédé à leur euthanasie. Toutes ces personnes ont bel et bien été euthanasiées alors que les motifs sociaux et économiques, coexistant avec une affection, étaient prédominants dans leur demande d’euthanasie. Dans le cas de Nancy, l’incertitude sur son hébergement est clairement identifiée comme déterminant sa demande. Cette présentation se termine par les mots : “Our silence is our complicity« , en ce sens qu’il faudrait modifier le système social… pas remettre en cause l’euthanasie. L’idée qu’il y ait guère de chances que le pays soit plus ébranlé par le sort de personnes qui ont disparu que par le fait de voir concrètement des personnes en difficulté et mal prises en charge ou pas prises en charge ne semble pas les effleurer. A moins qu’il ne s’agisse que d’une façon de s’autoriser moralement à poursuivre.
Cette conclusion fait écho à une autre phrase, glaçante, de Kevin Reel, pour apaiser les cas de conscience des euthanasieurs : « you simply cannot fix the system. » Sans le vouloir, peut-être, ils rendent le meilleur service possible audit système : réduire au silence, éternel, ceux qui dérangent le système. Pour reprendre des catégories actuelles, c’est l’invisibilisation ultime. Par quel détour tortueux en arrive-t-on à ce que ce soit des gens de gauche qui soutiennent le plus l’euthanasie, renoncent à réformer le système (ne parlons même pas de le révolutionner) et lui offrent les moyens d’oublier les gêneurs ?
Ce titre, no other options, me renvoie à un échange me renvoie à un échange avec le Dr Corinne Van Oost au cours duquel, alors que je l’interrogeais sur sa pratique d’euthanasie envers des personnes âgées atteintes de DMLA, elle me répondait en prenant l’exemple d’une patiente : « ce qu’on a comme solution, c’est quoi, c’est de la mettre en maison de repos ? » Belges, Canadiens et Français, sommes-nous arrivés jusqu’ici pour n’avoir d’autre option, d’autre solution, que d’administrer la mort aux gens ?
L’article d’Alexander Raikin étaye bien d’autres points. Il faut le lire. Mais vous y trouverez la démonstration de l’absence de contrôle effectif, de l’interprétation sans cesse plus large des critères – tels que la référence à une situation « grave et irrémédiable. »
Si le système canadien est différent du nôtre, cet article vient clarifier une chose : oui, une demande d’euthanasie peut être motivée par la pauvreté ou le handicap. Y voir encore une loi de liberté et d’égalité procède d’un aveuglement volontaire. Il faut avoir conscience que l’on peut faire le choix rationnel de demander la mort parce que les bonnes conditions de vie ne sont pas réunies. Est-ce vraiment une liberté d’avoir ce choix ?
No other options, The New Atlantis, 16 décembre 2022, Alexander Raikin (twitter)
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ils le savent , mais ils le veulent .
Les tenants de l’ Euthanasie font le jeu de la politiques de santé actuel , moindre coût, l’ état c’ est engouffrer dans la brèche comme Poutine en Ukraine.
Bonjour
J’ai noté dans mon agenda une soirée où vous interviendrez sur ce sujet difficile. Mes parents sont très âgés et parlent librement. Maman en particulier ne comprend pas pourquoi « prolonger leur vie » alors qu’elle a de moins en moins de sens. Nous en discutons beaucoup et j’essaye de lui redire combien leurs présences est précieuses pour la famille. Mais le choix de vivre en Ehpad (qu’ils ont fait consciemment) ne facilite pas vraiment un mieux vivre car l’environnement n’est guère réjouissant.
Je crois surtout qu’il y a bien effectivement besoin d’un système social et médical digne de ce nom. Comparer avec un autre pays tel que le Canada est-il judicieux ?? La France en reste dotée pour l’instant et il nous faut le défendre.
Mais c’est aussi la lutte contre l’individualisme qui est importante. Pourquoi tant de personnes sont-elles si seules et affectées par l’abandon qu’elles ressentes de leurs proches?
C’est sans doute le plus important à mes yeux comme message chrétien à porter ensemble.
Robert – Diacre
Dans ma paroisse, je reçois les familles des personnes décédées pour préparer la cérémonie des obsèques. La conversation aborde souvent la souffrance du décédé. Il s’agit souvent de personnes âgées, souffrantes, alitées, en EHPAD. Je réalise avec tristesse que la plupart des gens sont d’accord pour qu’on facilite l’accès à l’euthanasie…Ils ne réalisent pas l’étendue de ce qui risque d’arriver et les abus qui ne manqueront pas de se produire à terme. Je ne me sens pas capable, et ce n’est sans doute pas le moment, d’engager une discussion sur ce sujet. Mais cela m’attriste vraiment.
Merci de ce que vous faîtes et du temps et de l’énergie que vous déployez pour essayer de faire entendre raison. Union de prières
Bonjour Monsieur Erwan Le Morhedec,
Je suis membre de l’ADMD, et je ne comprends pas les opposants à l’aide médical à mourir.
Vous avez cette grâce (que je n’ai pas) ; la foi dans l’Eglise catholique.
Mais je suis révolté par l’indigence de vos arguments.
Ma vie n’appartient ni à l’état, ni à l’église, ni à la médecine.
Est ce la ‘vie’, quand on a perdu tous ses moyens, qu’elle n’est plus que souffrance ?
La souffrance n’a à mes yeux aucune vertu rédemptrice.
Il est des cas où l’aide médicale à mourir doit être considérée comme un soin ! Et objet de droit (art. 1111-4 du Code de la Santé Publique, lequel prévoit la possibilité pour le patient de refuser le soin).
Vous me direz : » il y aura des abus « . En France il ya nombre de violences conjugales, est ce pour autant que l’on envisage d’interdire le mariage ?
Pourquoi opposer systématiquement les soins palliatifs à l’euthanasie ? Les deux choses sont des soins et ce complètent. En Belgique les soins palliatifs se sont beaucoup développés après la loi de 2002 autorisant la ‘aide active à mourir.
Enfin, j’ose évoquer le coût de la prolongation de malades agonisants, et qui ne peuvent pas donner leurs avis sur la question, ou que l’on n’écoute pas; Je suis un ancien soignant (aujourd’hui en retraite).
Qui êtes vous pour juger de la qualité de ma vie, et de ma dignité.
Croyez bien, cher Monsieur, à l’expression de mes respectueuses salutations.
Cordialement.
Bruno GRALL
Cher Monsieur,
Je vous remercie pour votre courtoisie, même si elle ne vous évite pas de dénoncer rien moins que « l’indigence de [mes] arguments ». De vous à moi, lorsque l’on conclut son message en « osant » évoquer le coût de la vie des autres, je ne suis pas convaincu que l’on soit qualifié pour se prononcer sur l’indigence des arguments de quiconque.
Soit dit en passant, faute pour vous de préciser de quels arguments vous parlez, vous me permettrez de penser que c’est une dénonciation générale et généreuse, mais de principe. J’en veux pour preuve l’évocation d’une vertu rédemptrice de la souffrance, vieille rengaine de ceux qui croient avoir décelé la motivation des catholiques : que les gens en chient. Il faudrait alors expliquer pourquoi ce sont des chrétiens qui sont très majoritairement à l’origine des soins palliatifs dont la raison d’être est précisément la prise en charge de la souffrance, de toute souffrance.
Vous m’excuserez aussi, puisque vous avez cru bon de fustiger « l’indigence » de mes arguments, de revenir sur un point, parce qu’il faut être précis. Il est évident qu’un patient peut refuser un soin. Chaque jour des patients refusent que l’on fasse leur toilette, qu’un psychologue vienne les voir, ou qu’on leur prodigue des massages. L’article du Code de la Santé Publique que vous citez mentionne les traitements, et il serait bon de savoir faire la différence entre les soins et les traitements avant de venir faire la leçon de cette manière. De fait, un patient a le droit de refuser un traitement et, plus encore, il a le droit de demander l’arrêt d’un traitement, y compris si celui-ci le maintient en vie. On lui apportera des soins palliatifs.
Pourquoi opposer les soins palliatifs et l’euthanasie ? Demande-le aux praticiens. Étonnamment, les seuls qui considèrent que les deux sont compatibles sont ceux qui ne pratiquent pas. Quant à la Belgique, sa situation est spécifique dans la mesure où les deux se sont développés concomitamment, mais la Belgique est nettement moins bien classée que la France dans son développement des soins palliatifs. Mauvais exemple, donc.
Quant à juger de la qualité de votre vie ou de sa dignité, ce n’est pas moi qui suis membre d’une association dont le seul nom renvoie à des personnes diminuées que la poursuite de leur vie n’est peut-être pas bien digne.
Un certain nombre de points sur lesquels il vous faudrait vous mettre en cohérence, donc.
Cher Monsieur,
Merci beaucoup pour votre réponse.
Je vais tâcher d’y répondre point par point.
Je pensais à ma propre mort. je ne m’approprie pas la mort (la vie) des autres.
Les chrétiens n’ont pas le monopole de la fraternité ni de la compassion, et je ne me sers pas d’évènements historiques ou récents pou appuyer mes propos, les conversions forcées, l’inquisition etc… pour dénigrer votre foi. Pourtant …/… !
Une société ne saurait exister sans un minimum d’attention à autrui.
Un traitement n’est pas la même chose qu’un soin ! Un traitement c’est contre une maladie, le soin concerne la personne.
Chacun a sa propre idée de la dignité. Personnellement, je ne veux pas être un poids pour la société et les autres hommes , et encore moins faire un vieillard cacochyme et radoteur. (c’est mon idée de la dignité, je ne vous oblige pas à la partager).
De par mon expérience professionnelle (Hôpital) j’ai eu l’occasion de parler avec des gens résident(e)s en EHPAD; si certains (et tant mieux) étaient ravi(e)s de leur séjour en maison de retraite, d’autres n’en pouvaient plus de (sur)vivre! Essayez de mourir en EHPAD ou en hôpital !! Pourtant, croyez moi ! ces personnes, j’ai essayé de les consoler de mon mieux !!
Ce n’est pas faire preuve de compassion et d’humanité que de laisser souffrir son prochain.
J’ai cet ultime argument, ma vie doit m’appartenir !
Prenez soin de vous (pour éviter de faire comme Madame Paulette GUINCHARD, ex secrétaire aux personnes âgées, qui signait une tribune dans ‘le Monde’ contre l’euthanasie en avril (?) 2005 et qui a fini par aller mourir en Suisse).
Ne soyez pas fâché !
Très cordialement.
Bruno GRALL
Cher Monsieur,
Il n’y a que vous qui parliez de mes convictions religieuses, ici. Pourquoi ? Aucun de mes propos ne requiert le recours à la foi ? Vous ai-je par ailleurs opposé un quelconque monopole de la fraternité et de la compassion ? Non. En revanche, je vous confirme que les chrétiens sont largement représentés parmi ceux qui, jour et nuit, soignants comme bénévoles, sont auprès de ceux qui souffrent, en hôpital et notamment en soins palliatifs. Fort heureusement ils ne sont pas les seuls, mais retirez-les, et on en reparle.
Pour ma part, je suis bénévole en soins palliatifs. Des personnes en fin de vie, des personnes très âgées, j’en rencontre chaque semaine. Mais vous devriez envisager l’hypothèse qu’il y a bien d’autres manières de ne pas laisser souffrir son prochain que de l’euthanasier.
Je vous remercie pour la précision sur les traitements et les soins mais, précisément, c’est vous qui citiez à tort le Code de la Santé Publique.
Dernière chose, concernant votre comparaison avec le mariage. Outre le fait que comparaison n’est pas raison, il ne vous a pas échappé que la raison d’être (espérée) du mariage est l’amour entre les conjoints, dont la violence est la négation tandis que l’euthanasie reste l’administration de la mort, dont les excès ne sont pas la négation.
Je vous reconnais bien sûr le droit d’avoir votre propre conception de la dignité. Je trouverais avisé que ceux qui considèrent qu’être très âgé, cacochyme, c’est être un poids pour la société et les autres hommes, s’avisent de garder cela pour eux plutôt que de le publiciser et de diffuser ainsi, pour les autres, l’idée que la vieillesse est indigne.
Enfin, je vous souhaite également de bien vous porter, et vous confirme que les soins palliatifs prendront soin de vous en fin de vie, comme nombre de militants de l’ADMD qui militent bien plus pour l’euthanasie dans le cours de leur vie qu’ils ne la demandent le jour où ils sont concernés.
Je vous invite en outre à lire le billet que vous commentez, par courtoisie encore, et à écouter les vidéos, afin je l’espère de prendre conscience que ce débat n’est pas un sujet de liberté individuelle mais de solidarité collective. Au bout du compte, vous faites bel et bien peser sur les autres le poids de vos convictions.
Cher Monsieur,
Ne voyez absolument aucune offense à mon allusion au sujet de vos convictions religieuses -J’en ai parlé comme d’une ‘grâce’.
La mort fait partie de la vie, et c’est aussi la fin de la souffrance (très souvent). Je considère autrui comme responsable et raisonnable, comme j’attends de lui qu’il me traite de même.
Il ya des gens âgés qui sont tout à fait dignes. Et raisonnablement heureux.
Je me suis autorisé à parler de l’économie de la santé … Ce dont je bénéficie, c’est souvent quelque chose que je retire à autrui. Humm ??
Je pense que dans l’esprit du législateur (je n’oublie pas que vous êtes juriste) le Code de la Santé Publique, en parlant de soins (au sens large), il pense aussi à traitement.
Très cordialement.
Bruno GRALL
Les convictions religieuses sont bien trop souvent utilisées pour disqualifier ceux qui les porteraient, y compris par les dirigeants de votre association.
Concernant l’économie, si ce dont vous bénéficiez est retiré à autrui, alors il va falloir élargir la réflexion car c’est le cas bien au-delà de la fin de vie.
En ce qui concerne la distinction entre les soins et les traitements, la différence est nette et a fait l’objet de débats très précis lors de l’adoption de la loi Clayes-Leonnetti, afin de déterminer notamment si alimentation et hydratation étaient des soins ou des traitements (cf ici ). Lorsque le CSP parle de traitements, il ne parle pas de soins, même si qui peut le plus peut le moins : vous pouvez évidemment refuser des soins puisque vous pouvez refuser un traitement. Pour autant, sauf demande du patient, on peut arrêter des traitements, on ne peut pas arrêter des soins.
Le choix de mourir est souvent multifactoriel.
Une croyance religieuse relève de l’intimité. Je vous dénie, au nom de votre foi, le droit de vous approprier, de disposer de mon bien le plus précieux; ma vie. De plus, la France qui se veut laïque (on pourrait en parler longtemps de la ‘laîcité’; quand c’est pour faire ‘ch… ‘ les musulmans, les français sont (presque) tous laïques. Je préfère la tolérance -qui consiste aussi à ne pas tolérer l’intolérance.
Alors pourquoi, dans le cadre du CESE on invite les religieux ? Ils ne sont pas plus autorisés que vous et moi à discuter de la loi Clayes Leonetti.
Oui, c’est vrai, et si je ne prétends pas être un modèle d’altruisme, je considère comme ‘Boomer’, de la classe moyenne, être un grand privilégié au regard du sort des paysans du tiers monde, par exemple, ou de 80% de l’humanité. Je sais. J’ai eu accès à la santé, aux livres, à l’éducation, à un minimum de sécurité. Et je pense que ce dont j’ai pu jouir, un autre que moi avait autant de droit !
Je sais aussi que je ne vous ferai pas changer d’opinion sur la question et vous ne changerez pas la mienne. Mais respectez ma liberté., mon choix.
Merci encore de votre attention et pour vos réponses, qui me font aussi réfléchir.
Très cordialement.
Bruno GRALL
PS, le 24 mars, je crois, vous serez à Quimper salle du Chapeau Rouge, pour une conférence sur cette question.
J’y serai aussi. Portez vous bien !
Nous y voilà. Vous me déniez … le droit de tenir les arguments que vous me prêtez. Il vaudrait mieux lire ceux que j’avance.
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