Les moulins de la déchéance

moulin

Si le monde était ce qu’il doit être à mon sens, alors l’unique leçon que le personnel politique devrait retenir de la débâcle publique du débat sur la déchéance de nationalité serait un sérieux appel à la responsabilité politique et à la déchéance des moulinets. Certes, ce n’est pas leur irresponsabilité, leur futilité ou leur machiavélisme qui les a fait chuter et ils pourraient continuer comme avant – ils le feront d’ailleurs très vraisemblablement. Mais, bon dieu, il y a une justice immanente ! Mesdames, Messieurs, des Assemblées, des Palais et des Hôtels de la République, les affichages et les calculs ne paient pas toujours. C’est que le billard à douze bandes prend parfois des allures de boomerang. Hollande a pris la boule pleine face. Mais il n’est pas le seul. Alors que Nicolas Sarkozy, ancien président et actuel chef du parti d’opposition, avait œuvré pour convaincre les parlementaires de voter cette révision inutile, il s’est retrouvé en minorité.

Car autant François Hollande que Nicolas Sarkozy se rejoignaient dans la promotion d’une mesure d’une incommensurable stérilité. Nicolas Sarkozy la soutenait, pariant que l’opinion publique ne comprendrait pas qu’il s’oppose à une mesure qu’il aurait prônée par ailleurs. Mais, quoi que l’on en pense, il y avait tout de même une différence : cette déchéance, il la prônait dans un tout autre cadre. Elle devait viser ceux qui portent volontairement atteinte à la vie d’une personne dépositaire de l’autorité publique. Et de fait, ce cas-là n’est pas prévu dans la loi[1]. Faut-il vraiment parier que les Français sont incapables de comprendre quand on leur explique ?! Trop con, l’opinion ?

Quant à François Hollande et Manuel Valls, ils se sont précipités sur la première mesure d’affichage qu’ils pouvaient trouver en un week-end. Avec une cerise sur le gâteau : forcer la droite à les soutenir, la forcer à s’afficher derrière le Président de la République candidat à sa réélection. Calcul et affichage ont conduit au désastre. Vous me direz que valeurs et convictions ne mènent pas nécessairement au succès, et c’est bien possible. A tout le moins, perd-on dignement. Alors que la déroute est ici complète, c’est un échec politique total, global, sur la tactique et sur le fond.

Les politiques et, au premier chef, les socialistes, se sont trouvés à jouer à Paris une pièce que les Français ne pouvaient plus comprendre, faite de volte-faces, reniements et vacuité – dont je vous épargne le résumé. Christiane Taubira elle-même, qui croit pouvoir en tirer gloire, n’a toujours pas expliqué comment l’opposition si viscérale et violente qu’elle affiche ne l’a pas empêchée de signer initialement le texte.

Au final, cet échec ne changera strictement rien. La France continuera d’appliquer l’état d’urgence, sans autre difficulté constitutionnelle. Elle continuera également de prononcer la déchéance de nationalité et, rendez-vous compte, plus largement que si la révision constitutionnelle avait été voté !

Mais je lis ici qu’il serait d’autant plus navrant que cette réforme ait échoué qu’elle aurait été symbolique de second ordre :

Cela signifie que même sur des sujets que l’on présenterait presque comme «accessoires», aucune forme d’unité nationale n’est possible dans ce pays. Ni les morts du Bataclan, ni ceux de Bruxelles, ni la menace insidieuse qui rôde partout autour de nous n’auront dissuadé la classe politique de se livrer au petit jeu délétère de la tactique et de la combine.

Mais précisément, toute cette réforme relevait ab initio du domaine de la tactique et de la combine. Bien peu parmi les politiques[2] ont jugé utile d’aborder le fond du problème, l’utilité de la réforme, l’utilité de la constitutionnalisation. Alors je n’espère pas des politiques qu’ils fassent la démonstration d’au moins savoir s’unir dans la médiocrité. Ce que j’attends, ce que j’exige, même, en tant que citoyen français, en tant que travailleur parisien empruntant chaque matin chaque soir la ligne que les assassins pourraient viser, c’est que la classe politique s’unisse au plus haut : qu’elle s’unisse non pas sur des mesures d’affichage mais sur une politique de fond et de conviction.

Cette déroute est humiliante. Mais opinion publique, tactique, combine, sondages ne font pas une politique. A prostituer la politique, la Politique s’est vengée. Je ne vais pas pleurer.

 

  1. à moins de la solliciter quelque peu en considérant qu’il y va des « intérêts fondamentaux de la Nation » (article 25 du Code civil) []
  2. Réservons les cas de François Fillon, qui a évoqué rapidement l’absurdité de la réforme – sans négliger le fait que cela avait aussi le bonheur de présenter un intérêt politique pour lui – et, je ne vous étonnerai pas, de Jean-Christophe Fromantin []

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16 commentaires

  • Je suis bien d’accord pour fustiger ces hommes « politiques ».
    Cependant, tirent-ils même les leçons de ces échecs ou continueront-ils leur jeu dans d’autres domaines sans tenir compte du décrochement des Français moyens?

    Qui servent-ils?

  • La vertu ne garantit pas le succès. Heureusement, car sinon elle ressortirait du calcul.

    Le vice non plus, heureusement, car sinon ce serait désespérant.

    Le calcul ne permet pas de départager la vertu du vice. En choisissant l’un ou l’autre, c’est soi-même que l’on révèle.

    La vertu mène peut-être au bonheur, mais c’est une autre question.

  • Autant l’affaire m’a dégoûté par ses multiples calculs, originels et induits, autant je reconnais un certain courage à M. Hollande pour avoir -avec retard c’est vrai- admis qu’il fallait laisser tomber. Il aurait été plus simple de laisser mourir l’affaire en navettes et sous-commissions, et peut-être moins coûteux en termes politiques.

    L’affaire est maintenant enfin derrière nous, on va pouvoir avancer.

  • Tant pis si je me fais encore engueuler pour avoir fait dévier le sujet.

    Quand on voit la somme de mesquinerie, mensonge, incompétence, tromperie, mépris, malhonnêteté etc… que notre classe politique est capable de déployer sur un sujet 100% régalien (sécurité + défense + judiciaire + nationalité) où le sens du bien commun devrait être maximal, ça ne devrait pas nous amener à questionner le postulat de l’Etat bienfaiteur?

  • Bien sûr qui si , Hollande a gagné, il a réussi à sauver les meubles aux élections régionales . Comme Erdogan après les attentats en Turquie : exploitation de l’émotion populaire .

  • Cette lamentable histoire restera, je crois, comme le moment le plus désastreux du quinquennat Hollande. Nous avons longtemps critiqué la réaction américaine au 11 septembre (Patriot Act, etc). La réaction française au 13 novembre n’est pas meilleure.

    Au passage, je ne fais pas grand crédit à ceux de nos élus qui ont annoncé leur opposition à ce texte en janvier ou en février. Je les suspecte fortement d’avoir attendu de voir comment le vent allait tourner avant de se mouiller. Christiane Taubira a certes joué un jeu personnel et exploité la situation, mais au moins a-t-elle le mérite d’avoir exprimé son opposition dès le mois de décembre. Le monumental couac gouvernemental qui a eu lieu a ce moment-là était d’ailleurs annonciateur de la suite.

  • Non, ça ne sera pas le moment le plus désastreux. On retiendra que devant la violence des attentats le gouvernement a proposé une mesure forte (symboliquement) et que le débat démocratique a conduit à son abandon, ce qui fait tout de même partie des possibilités de la démocratie. Un parlement n’est pas (ne devrait pas être, et hélas il tend à le devenir), une chambre d’enregistrement ou de modifications.

    C’était une mauvaise idée, c’était de la gesticulation politicienne, ça visait en effet à « sauver les meubles » socialistes aux régionales, (et ça, c’est une déchéance, partagée par toute la classe politique). il aurait mieux valu ne pas la proposer. Ravie de son abandon. Oui c’est un échec (par définition : on propose une mesure et c’est refusé). Mais pas une déchéance (passer en force aurait été une déchéance), ni même un désastre.

  • Léa a écrit :

    Non, ça ne sera pas le moment le plus désastreux. On retiendra que devant la violence des attentats le gouvernement a proposé une mesure forte (symboliquement) et que le débat démocratique a conduit à son abandon, ce qui fait tout de même partie des possibilités de la démocratie. Un parlement n’est pas (ne devrait pas être, et hélas il tend à le devenir), une chambre d’enregistrement ou de modifications.

    On retiendra que face au terrorisme le gouvernement a réagi avec une extraordinaire combinaison de faiblesse, lâcheté, précipitation, et sottise. Au lieu de faire l’union du pays dans l’épreuve, il a créé la division. Au lieu de prendre ses responsabilités en recherchant les failles du système de sécurité, il a rejeté symboliquement les criminels en dehors de la communauté nationale, une vaine gesticulation qui non seulement a montré son impuissance, mais a piétiné les valeurs de son camp politique. Au lieu d’étudier les causes du problème, il a déclaré qu’il n’y avait rien à expliquer. Au lieu de définir une stratégie de lutte contre les menaces, il s’est noyé dans une astuce de politique politicienne qui s’est retournée contre lui. Peut-être y a-t-il eu des moments plus désastreux pour François Hollande, mais pour ma part, je n’en vois pas (bon, ce n’est pas un concours, non plus).

    Le Parlement, lui, a joué son rôle de contrôle des excès du pouvoir – pas toujours pour les bonnes raisons, mais il a empêché que se commette une faute. Les institutions fonctionnent, c’est le seul aspect rassurant de cette affaire.

  • Gwynfrid a écrit :

    On retiendra que face au terrorisme le gouvernement a réagi avec une extraordinaire combinaison de faiblesse, lâcheté, précipitation, et sottise.

    Je ne suis pas sûr qu’un Sarkozy ou ses camarades à droite auraient fait mieux : tout ce monde là tourne avec le même logiciel. Depuis plus d’un an que des affiliés Daesh s’en prennent à notre pays, je n’ai pas entendu un seul politicien expliquer exactement aux français de quoi il en retournait avec cette idéologie (si ce n’est des contresens patents : nihilisme, détresse sociale etc.). D’où la sidération, le « je tombe des nues » du citoyen à chaque attentat (mais pourquoi est-ce qu’ils tuent des gentils comme nous ?), à qui on a donné aucun outil de compréhension, aucune grille de lecture valable.

    Ces manifestations publiques larmoyantes sont en fait le symptôme d’une incompréhension (et dune ‘impuissance) que l’on tente d’exorciser avec le reste de rustines morales et rituelles que possèdent encore la société. Je suis bien d’accord qu’on n’ajoute que le ridicule à la tragédie.

  • Courtlaïus a écrit :

    Je ne suis pas sûr qu’un Sarkozy ou ses camarades à droite auraient fait mieux : tout ce monde là tourne avec le même logiciel.

    Il n’y a aucune raison de penser que Nicolas Sarkozy aurait fait mieux. La déchéance de nationalité fait partie depuis longtemps de son dictionnaire. Il aurait peut-être même pu faire pire, en mettant en oeuvre l’internement de milliers de personnes sans jugement, sur la simple foi de leur inscription dans un fichier de police, comme l’ont suggéré plusieurs dans son camp.

  • Clémenceau disait que la guerre est une chose trop grave pour être laissée entre les mains des militaires. Peut-être que la lutte contre le terrorisme est une chose trop grave pour être laissée aux mains des politiques? Une armée de métier peut-elle venir à bout du terrorisme? Peut-elle se passer du soutien de la population du pays qu’elle défend? A-t-elle les moyens financiers et matériels de mener à bien les missions qui lui sont confiées? Peut-elle se passer d’un corps de volontaires pour la libérer de certaines tâches de présence dans les gares, dans les rues, dans les aéroports? Qui sont aujourd’hui nos alliés? nos amis? Est-ce que nos services secrets fonctionnent comme il faut? Quelle est la ligne conductrice de notre politique étrangère? Pourquoi des jeunes nous tuent en se tuant?

  • Gwynfrid a écrit :

    Il n’y a aucune raison de penser que Nicolas Sarkozy aurait fait mieux.

    Peut-être qu’il aurait fait comme le gars qui était président en mars 2012, lors de l’affaire Merah. Tu sais, le président qui n’a pas instauré l’état d’urgence permanent, la loi renseignement, ni la daechéance de nationalité…

  • Je mettrais un bémol, un gros bémol : toute cette affaire lamentable a eu raison de Christiane Taubira, un des plus mauvais ministres de la Justice que l’on ait eu. Il était temps pour notre pays.

  • Je n’ai pas la même lecture; la décision d’envoyer la déchéance de nationalité comme réponse aux attentats a été prise en une nuit par les communicants de l’Élysée, avec un calcul à droite comme on dit.
    A l’occasion du débat, une majorité parlementaire plutôt lucide, sur ce point, a expliqué que le mythe de l’unité nationale ne devait pas conduire à constitutionnaliser le principe des citoyens de second ordre.
    Belle baffe pour les communicants, les parlementaires ont plutôt fait leur boulot, et je trouve que les Français ont gagné à ce recul de l’Exécutif.
    En rester à la ritournelle « tous ces nuls de politiques » est trop superficiel dans cette affaire.

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