Les mots que l’on emploie

« La parole frappe parfois plus fort qu’une arme réelle sur le champ de bataille », selon Volodymir Zelensky, s’adressant à Alain Delon. Si le choix de l’interlocuteur détonne, le propos mérite d’être retenu, ne serait-ce qu’en considération de l’inlassable énergie mise par Zelensky lui-même à mobiliser par la parole son peuple et les consciences occidentales.

Chacun sait que les mots sont une arme. Le juste aphorisme de Camus sur le fait de « mal nommer les choses » est devenu un mantra pénible à force de répétition. Les temps de guerre et de propagande portent la trahison du vocabulaire à son paroxysme. Aussi, ce à quoi les Ukrainiens de l’Est ont été conduits, alors que les prétendus votes se déroulent jusqu’à leurs domiciles, entre deux miliciens armés, n’est pas un référendum, c’est un vote forcé. Adjoindre référendum de guillemets est d’une pudeur gracile face à la propagande féroce. Les régions de Louhansk ou de Donestk, pour être souvent pro-russes, ne sont pas des « républiques séparatistes » mais des territoires déstabilisés par l’intervention de « petits hommes verts », ces soldats russes en uniformes banalisés déployés dans ces régions.

Dans une actualité évidemment moins immédiatement tragique, la seule rédaction de l’avis n°139 du Comité consultatif national d’éthique trahit son propos. L’emploi d’un vocabulaire aux influences militantes par un comité censé s’abstraire de ces considérations en disait assez long pour que, dès les premiers paragraphes, un observateur ordinaire en connaisse la conclusion. Il n’a certes pas repris la périphrase militante de la « mort dans la dignité » ni celle en vigueur au Canada, la trompeuse « assistance médicalisée à mourir ». Trompeuse car une telle expression pourrait recouvrir tant les soins palliatifs que l’euthanasie, suscitant à dessein la confusion des esprits – sous la réserve que les soins palliatifs aident à vivre jusqu’à la mort plus encore qu’à mourir. Le CCCNE, lui, a préféré invoqué une « aide active à mourir ». Mais injecter un produit létal, tendre une pilule mortelle,  ce n’est pas aider à mourir, c’est faire mourir. Il n’y a pas d’« aide active à mourir », il y a une mort provoquée. Et, faut-il le dire, provoquer la mort n’est pas un soin.

Depuis des années, le philosophe Jacques Ricot veille, « contre les stratégies étouffantes de la communication », dont la propagande est une forme ultime, à sauvegarder une « éthique du lexique ». C’est assurément la première hygiène de l’esprit.

Chronique du 27 septembre 2022

Photo by Fabio Santaniello Bruun on Unsplash


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2 commentaires

  • Bonjour KOZ.
    Bien sûr « injecter un produit létal, tendre une pilule mortelle, ce n’est pas aider à mourir, c’est faire mourir » mais moi je rêve que quelqu’un soit près de moi lorsque JE déciderai de prendre ce produit ou cette pilule qui m’aidera à mourir ». Juste une main qui tiendrait la même.
    Je lis tous vos articles et connais votre façon de penser. Que je ne néglige pas. Aussi je vous comprends mais je veux garder ma liberté d’agir.
    Bien à vous. Chantal C

  • J’aime bien votre billet. Et c’est une bonne idée de nous inciter à choisir des mots précis pour échanger en vérité. Merci donc!

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