Ma mère ne s’en est pas remise. J’ai eu beau mettre les formes pour l’en informer, découvrir sur le tard que son propre fils « menace les institutions » est une désillusion autant qu’une surprise, tant il lui semblait jusqu’alors que la République tenait ferme sur ses fondations. C’est pourtant ce qui ressort d’une tribune publiée le 7 décembre 2022 dans L’Express et signée à la fois par Elisabeth Badinter, Raphaël Enthoven, les dirigeants du lobby pro-euthanasie ADMD et une demi-douzaine de grands maîtres des principales obédiences maçonniques. A l’ouverture de ce « débat apaisé », les signataires célèbrent à six reprises le « combat » qu’ils mènent, désignent un ennemi, dénoncent ce qu’il représente. « Qu’ils expriment la position de leur Eglise dans notre démocratie pluraliste est leur droit le plus légitime, mais qu’ils se prévalent de leurs croyances pour tenter d’empêcher ce débat, d’interdire l’échange à coups d’anathèmes et de menacer nos institutions au nom de leur foi, est inacceptable ». L’accusation pourrait n’être que grotesque et ne mériter que l’ironie. Qui peut soutenir de bonne foi que les croyants aient tenté d’empêcher le débat auquel ils participent, agité des anathèmes ? Qui peut imaginer que les placides interventions dans la presse des représentants des cultes aient fait trembler la République ? Qui peut croire que l’Eglise ici dénoncée, dans le triste état qui est le sien, puisse attenter aux institutions si, par extraordinaire, elle en nourrissait jamais l’intention ? Mais cette accusation est un lourd avertissement. Il n’est pas anodin de désigner des citoyens français comme représentant une menace pour les institutions. Car on réserve ordinairement ce qualificatif aux séditieux.
Ce texte d’une rare agressivité est loin de pouvoir se prévaloir des principes républicains et se parer de la laïcité revendiquée. Son objectif est transparent : il s’agit de discréditer par avance les oppositions en rejetant des citoyens hors du corps social. Comment ceux-ci peuvent-ils seulement débattre si, lors même qu’ils s’efforcent de participer au débat public selon ses usages laïcs, ils en sont congédiés parce qu’ils nourrissent, aussi, des convictions religieuses ? La réalité, dont je peux témoigner, est celle d’une mise en cause permanente à raison de ces convictions. Ce que ces signataires prennent pour de la laïcité n’est en vérité que discrimination à raison des convictions religieuses. On fait guère moins républicain.
Quiconque lira cette tribune pourra encore faire cet autre constat : la personne en fin de vie y fait office de figurante. Pire, elle est l’otage d’un conflit centenaire, celui des tenants d’une laïcité agressive contre ceux des citoyens qui ont le malheur de « croire au Ciel ». Leur agonie n’y est que l’extension du domaine de la lutte pour l’éradication complète de l’influence, pourtant si résiduelle, de l’Eglise catholique en France. Les signataires s’évertuent à raviver les braises froides d’un affrontement bien étranger aux enjeux concrets pour les malades.
Car non, légaliser l’euthanasie ne sera pas une loi de liberté. La liberté, ça s’institue. N’en déplaise aux libertaires, c’est bien souvent l’interdit qui la garantit. Dans le cours ordinaire de la vie, c’est lui qui protège la liberté du salarié, lui qui sauvegarde celle du consommateur. En fin de vie, c’est l’interdit qui a restauré la liberté de ce patient atteint de SLA que son médecin de soins palliatifs a logiquement refusé d’euthanasier, tout en puisant dans son engagement les ressources de créativité médicale nécessaires pour lui offrir dix-huit mois d’une fin de vie apaisée. A l’inverse, au Canada, Jennyfer Hatch est morte euthanasiée le 23 octobre dernier. Personne ne pourra dire que ce n’était pas son choix, mais qui peut prétendre que c’était sa liberté ? En juin dernier, elle témoignait avoir cherché en vain pendant dix ans à bénéficier de soins appropriés, pour finir par s’interroger ainsi : « si je ne peux pas accéder aux soins de santé, puis-je accéder aux soins de la mort ? » Après tant d’années d’inaction, le système de santé y a fait droit, en quelques semaines. Toujours au Canada, Les Landry, 65 ans, a vu ces jours-ci sa demande d’euthanasie approuvée alors qu’elle est principalement motivée par sa peur de se retrouver sans abri depuis qu’une maigre pension de retraite a remplacé sa pension d’invalidité. En Belgique, un médecin témoignait auprès de moi de la mort d’une femme de 90 ans, ayant perdu la vue, terrifiée à l’idée d’aller en maison de repos. De notre côté, avons-nous déjà oublié le scandale Orpea ? Demain, sans conteste, des personnes demanderont à mourir pour ne pas vivre la vie qu’on leur réserve encore. Ce sera leur choix. Mais qui peut se lever et soutenir que ce sera une liberté, que cette loi sera une loi d’égalité ? De fraternité ?
Les contempteurs des chrétiens dans ce débat ont raison sur un point : ces derniers sont nombreux à être engagés. Dans les unités de soins palliatifs que j’ai visitées, j’ai rencontré parmi les soignants et les bénévoles en soins palliatifs bien des agnostiques, des athées et jusqu’à des bouffeurs de curés, souvent tout aussi opposés à l’euthanasie. C’est heureux, car c’est avec toute la diversité de la société française que l’on répond le mieux aux attentes des personnes en fin de vie. Mais c’est aussi un fait : les chrétiens y sont en nombre. Depuis Cicely Saunders à Londres en passant par le Père Patrick Verspieren en France et jusqu’à aujourd’hui, ces pionniers se sont révoltés autant contre la souffrance, l’abandon que contre l’acharnement thérapeutique appliqué aux personnes en fin de vie. Pour une fois, sera-t-on tenté de dire, les chrétiens sont là où ils sont appelés à être, au plus près de la personne souffrante – comme on en trouve auprès du prisonnier, du sans-abri ou de l’étranger. Alors, menace pour les institutions ? Je crois plutôt qu’ils sont ici des témoins de ces actes humbles mais multiples qui font tenir la société, témoins de la fraternité – chrétienne et républicaine. Une fraternité vraie, qui s’exerce sans administrer la mort à celui qui la reçoit. Ceux qui témoignent de la chaleur inattendue des soins palliatifs, du réconfort qu’ils ont pu y trouver dans les moments de plus grande angoisse, de l’apaisement de leur proche décédé, de l’attention reçue jusque dans les plus petits détails les ont croisés sans le savoir, car ils agissent dans le respect d’une laïcité cette fois bien comprise. Ils sont présents là où personne ne veut aller, dans ces lieux que nos concitoyens, pris dans le cours bouillonnant de leur vie bien-portante, ne veulent même pas connaître. Il est singulier alors qu’au lieu de recevoir une écoute ajustée à leur contribution, ils soient aujourd’hui discrédités, en raison de ce qu’ils croient, prétendument au nom de la République.
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Cher Monsieur
Ce que vous écrivez, est très juste
Merci
Merci Erwan, bravo pour votre engagement !!!
J’admire que vous ne cėdiez pas à la colère. C’est une des grandes difficultés: ne pas se dresser « contre », garder ses convictions en essayant de les assumer publiquement, ne pas céder à la tentation de l’extrêmisme en réaction… et idéalement prier pour les tenants de la culture de mort (plus moyen de ne pas utiliser cette expression).
C’est une honte de tenir les propos qui sont tenus par les auteurs de la Tribune de l’express. Nous revoilà retournés au XIX° siècle, à l’époque du cléricalisme face à l’anticléricalisme. Mais si l’Eglise, par la voix du pape François a sû se remettre en question sur les déviances causées par le cléricalisme, le camp d’en face n’a pas perdu sa faculté à user du sectarisme, de la bêtise, de la mauvaise foi et du refus de respecter l’autre dans un vrai dialogue qui serait d’abord l’écoute de l’autre et le respect de ses positions. Merci pour vos sursauts bienfaiteurs qui nous font tant de bien, et qui nous rendent heureux de défendre ce combat pour la vie, du début à la fin de celle-ci. Je vous en supplie, CONTINUEZ ET NE RENONCEZ JAMAIS.
En réalité, dans ce débat, quelles sont les religions qui s’opposent au débat et menacent les institutions ? Précisément celles des convaincus de l’ADMD, des loges maçonniques, etc.
C’est un signe courant de perversion : accuser ceux qui ne les portent pas de ses propres maux.
Merci cher ERWAN pour votre belle réaction face à cette levée de boucliers d’intellectuels que je croyais plus scrupuleux en matière de liberté d’opinion ! Sachant que je cotise à la Sécu depuis nov. 1950, je pensais que j’avais acquis quelques « bons points » pour mes vieux jours…
Mais le président de ma Mutuelle (MGEN) se réjouit du contenu du projet de loi sur la fin de vie dans son édito de « Valeurs Mutualistes » N° 329 où il se fait l’écho de 6 000 militants […] « nous nous battrons pour de nouveaux droits : pour que les personnes en situation de maladie grave et incurable disposent d’une liberté supplémentaire; » Il est vrai que cela permettra de substantielles économies pour la MGEN
Courage ! Continuez à nous défendre, à défendre la Vie !
Bonjour, tout ceci cache des histoires d’ argent tant de l’ état que des particuliers.
Je le vois déjà vis à vis des personnes âgées beaucoup trouvent que cela est une surcharge économique et temporelle.
Belle tribune du Figaro Vox, avec beaucoup d’éléments pour alimenter les discussions.
Les « libres penseurs » partisans de « l’humanisme laïque libérateur » sont toujours au premier rang chaque fois qu’ils ont l’opportunité d’attaquer l’Eglise. Ils ne ratent pas une occasion, en 2022 comme en 1905. Même avec 4% de « messalisants » (se rendant à la messe au moins une fois par mois) les catholiques de 2022 restent coupables de tout (à les entendre) alors que nous ne sommes plus responsables de grand-chose et n’avons plus l’oreille des hommes de pouvoir depuis bien longtemps.