L’épreuve de vérités

Ils sont plus d’un à s’envoler vers l’Orient compliqué avec des idées simples. Soutiens inconditionnels d’Israël ou pro-palestiniens enfiévrés, ne feignons pas de les envier : quand le Proche-Orient nous semble simple, c’est que nous sommes dans l’erreur. Il faut accepter d’y trouver non pas une vérité, mais des vérités concurrentes et concomitantes. On ne peut supporter de voir le Liban tomber sous le marteau-pilon israélien mais on ne peut négliger que, depuis un an, le nord d’Israël s’est vidé de ses habitants sous la menace permanente des roquettes du Hezbollah. On ne peut ignorer non plus que le Hezbollah a choisi de soutenir le Hamas, dans son attaque terroriste, ouvrant un front avec Israël sans se soucier du peuple libanais lui-même. De même, si le Hezbollah comme le Hamas ont établi délibérément des positions à proximité des civils, cela sert aujourd’hui Israël à raser des zones entières sans que l’on puisse savoir si, réellement, elles abritaient des positions armées.  

C’est vrai : Israël est la seule démocratie de la région, le seul pays où des voix critiques ont droit de cité. Mais la majorité populaire ne vaut pas bénédiction de toutes les politiques – que ce soit la politique de colonisation ou la conduite de la guerre. Israël est une démocratie, mais le fait que ce soit par la voie démocratique que des extrémistes prennent le pouvoir n’a jamais valu absolution, pas plus aujourd’hui en Israël qu’hier ailleurs. C’est démocratiquement qu’Itmar Ben Gvir, condamné pour possession de propagande terroriste, admirateur assumé de l’auteur du massacre d’Hebron, est devenu ministre de la Sécurité nationale : ça n’en fait pas un allié. Schématiquement, le gouvernement israélien ne peut pas être le seul pouvoir d’extrême-droite auquel nous accorderions un soutien inconditionnel.

Aujourd’hui, quand les images nous parviennent seulement, nous contemplons de longues lignes de civils Palestiniens exténués s’écoulant sans espoir du Sud au Nord et du Nord au Sud de Gaza entre les ruines et les cendres. Nous ne pouvons pas tout à la fois condamner les frappes russes sur des habitations civiles ukrainiennes et garder le silence sur l’annihilation d’un territoire entier. L’argument d’une agression initiale palestinienne tandis que l’Ukraine serait l’agressée n’est pas infondé, mais il se perd dans la disproportion de la riposte israélienne, frappant la population de façon indifférenciée. Si nous nous taisons, nous envoyons au monde le signal que, pour les Occidentaux, une vie arabe a moins de prix. Plus encore, nous accréditons l’idée, déjà insidieusement alimentée, que les Droits de l’Homme ne sont que des discours de convenance pour le maintien d’une hégémonie occidentale. Nous ne pouvons défendre l’Occident au mépris de ses valeurs. Si cette référence – cette exigence – disparaît, aussi maltraitée soit-elle ordinairement, c’est aussi notre propre sécurité que nous mettons en péril.


Photo de Mohammed Ibrahim sur Unsplash


En savoir plus sur Koztoujours

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Billets à peu près similaires

6 commentaires

    Laisser un commentaire

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

    Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

  • Un bon article , une fois de plus. Il faut cependant ajouter que, si Israël ne fait pas dans la nuance dans sa trop énergique réponse à l’attaque du 7 octobre, c’est aussi parce que plus de 100 otages israéliens sont encore prisonniers à Gaza dont la population protége les terroristes, de gré ou de force.

    Répondre
    • Merci. Sur le point que vous soulevez, je ne suis pas vraiment convaincu. Ce qui transparaît plutôt, c’est le peu de souci des otages dans le gouvernement Netanyahu – qui vient d’ailleurs de limoger son ministre de la Défense qui se montrait critique à cet égard. Et puis, raser un territoire n’est pas la meilleure manière de protéger les otages qui y sont détenus.

      Répondre
  • Cela ne m’étonne pas que tu aies eu des oppositions … il est très difficile de critiquer Israël même si tu le fais d’une façon nuancée ! Ton analyse quant à moi me semble la bonne mais Netanyahu vient de virer son chef d’état-major, le trouvait-il trop mou ?

    Répondre
  • Merci pour cette chronique très nuancée et fine.

    Un point que je me permets d’ajouter : n’imaginons pas que nous regardons tout cela d’un œil neutre : chacun lit la situation en fonction de ses affinités et on voit dans la posture de LFI/NFP l’impact d’une immigration nord-africaine importante.

    Répondre
    • C’est clair. Avec un oeil neutre, on ferait au moins semblant de vouloir défendre le droit international.
      Comme l’avait rappelé Henry Laurens dans son cours sur la guerre de 1967, les Français ont largement vu la victoire israélienne comme une revanche pour l’Algérie. Et si les Palestiniens n’étaient pas arabes, serions-nous aussi patients face aux massacres et dépossessions commis depuis1948 ? Après tout, en 1948, la France possédait un gros bout de la Méditerranée du Sud.

      Répondre
    • Il est certain que la neutralité est difficile à cet égard, quand bien même nous nous y efforcerions. Le poids de l’Histoire joue, que ce soit la colonisation ou la Shoah. Et les considérations électorales ne sont évidemment pas absentes. Mélenchon lui-même a changé radicalement de positions sur bien des sujets sensibles pour la population musulmane en changeant de cible électorale.

      Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.