C’est certes répondre par un titre facile à un autre indigent mais, si le Huffington Post et Caroline Mécary ont choisi de placer ainsi le débat au ras des pâquerettes, c’est à n’en pas douter par crainte de perdre l’attention des lecteurs. Je m’en voudrais de faire l’inverse.
« De quoi l’Eglise se mêle-t-elle ? », voilà qui dit abruptement ce que d’autres sous-entendent.
Et Caroline Mécary ne hausse pas non plus le niveau dans l’opposition à l’Eglise et à sa liberté d’opinion et de parole. Il n’y a guère plus de quatre ans, Yves de Kerdrel, éditorialiste au Figaro, tenait un discours approchant et relevait lui-même, pour s’en féliciter que, trente ans plus tôt, l’amiral de Joybert avait vigoureusement renvoyé les évêques à leurs sacristies, alors qu’ils avaient eu le front de s’élever contre la prolifération nucléaire. Qu’ils s’occupent plutôt de remplir leurs églises au lieu de se mêler des choses de la Cité !
La contributrice du Huffington Post n’a donc pas eu à chercher bien loin pour nous gratifier de ce développement indigent. Avant, pour faire bonne mesure, de rappeler la complicité de l’Eglise avec les crimes de l’esclavage, son silence face au nazisme et, par-dessus tout, la capote, la sainte capote, voilà qu’elle fulmine :
« nous ne sommes plus au XIXème siècle et l’Eglise devrait davantage s’occuper de la crise de confiance qu’elle traverse, plutôt que d’entériner des choix d’un autre âge ».
On notera en passant qu’une fois encore l’argument du temps est central : l’Eglise devrait se conformer à l’opinion du moment. Voilà qui lui assurerait la popularité. Seulement, l’Eglise est comme ça, amoureuse de l’intemporel et probablement la dernière à ne pas laisser aller ses positions au gré des enquêtes d’opinion.
Mais ne nous attardons pas trop sur Caroline Mécary. On le sait : tout ce qui est excessif est insignifiant. Et la violence du propos traduit suffisamment l’allergie de la dame à la contradiction, tout comme son souci de mettre à bas l’autorité morale que, finalement, elle reconnaît en creux à l’Eglise (puisqu’elle ne se consacrerait pas à l’abattre, dans le cas contraire). Cette violence contraste d’ailleurs vivement avec la mesure avec laquelle ont été composées les intentions de prière concernées. Chacun jugera :
1. En ces temps de crise économique, beaucoup de nos concitoyens sont victimes de restrictions diverses et voient l’avenir avec inquiétude ; prions pour celles et ceux qui ont des pouvoirs de décision dans ce domaine et demandons à Dieu qu’il nous rende plus généreux encore dans la solidarité avec nos semblables.
2. Pour celles et ceux qui on été récemment élus pour légiférer et gouverner ; que leur sens du bien commun de la société l’emporte sur les requêtes particulières et qu’ils aient la force de suivre les indications de leur conscience.
3. Pour les familles ; que leur attente légitime d’un soutien de la société ne soit pas déçue ; que leurs membres se soutiennent avec fidélité et tendresse tout au long de leur existence, particulièrement dans les moments douloureux. Que l’engagement des époux l’un envers l’autre et envers leurs enfants soient un signe de la fidélité de l’amour.
4. Pour les enfants et les jeunes ; que tous nous aidions chacun à découvrir son propre chemin pour progresser vers le bonheur ; qu’ils cessent d’être les objets des désirs et des conflits des adultes pour bénéficier pleinement de l’amour d’un père et d’une mère.
Et c’est cela qui déchaîne, parmi d’autres, Caroline Mécary…
Mais le plus instructif est bien la permanence du propos, la récurrence de l’argument, depuis l’amiral de Joybert jusqu’à Caroline Mécary, en passant, à un degré moindre, par Yves de Kerdrel.
Une fois encore, on constate que l’Eglise est la seule institution et même la seule personne (morale) en France à laquelle on puisse dénier le droit de s’exprimer : elle devrait gérer l’affluence à ses messes et se cantonner au Salut de ses fidèles. Point barre.
D’autres le disent plus posément mais, en rappelant le caractère laïc de la République française, ou en composant une prière républicaine, ils signifient d’une certaine manière que la parole de l’Eglise serait illégitime.
Prolifération nucléaire, travail dominical, roms, mariage et adoption homosexuels… L’Eglise ne devrait pas s’en soucier.
C’est passer à côté du christianisme, et de la foi en général.
Que serait donc la foi si elle ne se traduisait pas au quotidien ? Que serait un croyant qui se contenterait d’assister à la messe le dimanche sans que sa foi n’ait la moindre incidence sur son quotidien ? Combien de fois Jésus fustige-t-il ceux qui se bornent au respect formel de la Loi et croient s’être acquittés de leur devoir par quelques ablutions (quelques Notre Père, aujourd’hui) ? Je crois entendre Jacques Brel fustiger les bourgeois, ces cochons, qui se pressent à l’église pour oublier aussitôt toute charité. Et, Brel mis à part, combien en ai-je entendu critiquer ces catholiques hypocrites qui, sortant de la messe, seraient les plus belles vipères ?! « Ah, ça se dit catho et puis… »
On ne peut pas être catholique et indifférent au sort de l’autre. On ne peut pas être catholique et considérer que, tant que cela ne nous touche pas nous-même et notre famille, nous ne sommes pas concernés. Oui, un catholique et l’Eglise en général sont solidaires des hommes et femmes avec lesquels ils vivent. Ils sont solidaires de la société et du pays dans lequel ils sont établis, dont ils sont citoyens (même si, soit dit en passant, leur fidélité dernière va à Dieu et non aux lois temporelles – et temporaires : quand bien même la laïcité interdirait aux catholiques de s’exprimer en tant que tels, ce qui n’est heureusement pas le cas, ils seraient fichus de ne pas s’y tenir). Alors ils se préoccupent de la marche du monde et leur foi irrigue leurs positions de citoyens, comme leurs convictions philosophiques et morales irriguent les positions des autres citoyens. De la même manière, et aussi légitimement.
C’est aussi ce qui conduit l’Eglise, après s’être efforcée de discerner la position conforme, à intervenir pour la paix, pour les pauvres, pour les faibles. Cela fait d’ailleurs généralement consensus (on en veut pour preuve l’absence de réaction aux autres intentions de la même prière universelle, alors qu’ils ne sont pas moins intrusifs dans la vie de nos concitoyens), mais que le propos se fasse plus concret et, au lieu d’en débattre, on intimera aux catholiques de se taire. Il ne paraît pourtant pas objectivement insoutenable de penser qu’il est de l’intérêt des plus faibles d’entre nous, les enfants, d’être préservés des expérimentations sociales des adultes, et de bénéficier d’un père et d’une mère.
De cela, on peut débattre – n’en déplaise à ceux qui voudraient faire passer ce choix fondamental sans discussion. Il se trouve d’ailleurs que l’Eglise semble être la dernière à ne pas céder sous la terrible menace de la « ringardisation » (elle est certainement immunisée). Mais, de grâce, que l’on ne nous sorte plus l’argument sournois de la crise de l’Eglise, ni même la laïcité, pour tenter de museler les catholiques.
Au final, puisque de Joybert à Mécary, pour les sujets les plus divers, on utilise le même argument, on aura bien compris la réalité du problème : des divergences de fond et non une question de laïcité. Que les adversaires ou contradicteurs de l’Eglise aient donc le courage et l’honnêteté de se porter sur le terrain des idées au lieu de lui dénier le droit de s’exprimer.
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L’agitation a eu raison de ma retraite estivale. Pour autant, je m’en vais fermer, autoritairement, les commentaires. Parce que je n’ai pas le temps de les gérer ni, en fin de compte, l’envie d’y consacrer les jours prochains, alors que ma tendre épouse a d’ores et déjà eu l’incroyable patience de me laisser rédiger ce billet aujourd’hui. Many kisses.