Quand certains de nos concitoyens s’arment contre nous d’une manière aussi effrontée et implacable, c’est que non seulement notre Etat, notre gouvernement, mais notre corps politique, mais nous-mêmes avons perdu la capacité de rassembler et d’orienter nos puissances, de donner à notre vie commune forme et force.
Ceux qui m’auront fait l’amitié de lire mon propre livre peuvent entrevoir aisément à ces mots l’étendue de mes accords avec Pierre Manent, au point que je me suis parfois félicité d’avoir été publié avant lui, pour que l’on ne soupçonne pas chez moi de paraphrase. Je le rejoins pleinement dans ce constat d’une France désemparée, d’une France « libre mais désorientée », pour reprendre une formule de Marcel Gauchet. Je le rejoins également ô combien dans l’effroi face au constat que les attentats récents sont venus de citoyens français, nés en France, éduqués en France, suivis en France, et qu’ils ont été commis au nom d’une culture historiquement étrangère à ce pays et de la conception la plus extrême et obscurantiste de cette culture.
A l’opposé, cet ouvrage pétillant est parsemé d’analyses qui sont autant de pépites, pour affronter cette question redoutable, grand enjeu du temps présent, qu’est la rencontre entre un islam fort et un Etat faible.
Pierre Manent constate sans indulgence le caractère incorrigiblement décalé, illusoire et incantatoire de la réponse française à la présence musulmane en France, et aux diverses revendications que cette présence entraîne. Nous nous complaisons en effet dans la contemplation de l’image d’un Etat fort, celui de la IIIème République et nous lui assignons, dans une tentative absurde de répéter l’Histoire, la mission de réaliser avec les musulmans ce que la IIIème République aurait réalisé avec les catholiques. « Sous prétexte d’être en garde contre le retour du même, nous sommes aveugles à l’arrivée du nouveau », écrit-il notamment.
Or l’Etat actuel n’a plus la force de la IIIème République, l’islam n’est pas le catholicisme, il n’a pas le même rapport étroit, presque fusionnel, avec le pays. Il n’a pas davantage le même rapport à l’Etat ni même à la Nation, pas la même potentialité de la laïcité. Plus encore, on voudrait que notre Etat faible réussisse ce que l’on n’a jamais par le passé demandé d’accomplir à cet Etat fort, à savoir « la neutralisation religieuse de la société« . Et pourtant, de présidents en ministres ou en éditorialistes, on n’a de cesse de psalmodier « laïcité » comme si son invocation répétée avait le pouvoir de dissoudre le sentiment musulman. Dans cette rencontre singulièrement nouvelle, la laïcité seule n’aura pas le pouvoir d’assurer une intégration harmonieuse et sans efforts des Français musulmans. « On oppose aux performances décevantes de la laïcité effective les succès en effet impressionnants d’une laïcité imaginaire » (p. 37).
Ô, comme j’ai caressé du regard les pages dans lesquelles il dénonce une laïcité à la fois creuse et surévaluée, tout comme l’inconsistance des « valeurs de la République« , flattée comme l’on caresse son dernier pin’s anti-méchants du parti socialiste !
Pierre Manent est décidément gonflé : dans cette situation qu’il qualifie lui-même, dans l’ordre mondial, de « guerre« , il propose un compromis. Ce choix est éminemment courageux de sa part tant un compromis vous promet avec certitude à la réprobation de chacune des parties. Il est bien plus confortable de faire reluire son intransigeance que d’imaginer la possibilité d’un compromis. Provocateur – à la réflexion – il emploie même le terme de « céder » : « notre régime doit céder ».
C’est que son livre a aussi cette qualité d’être irrigué par un grand souci d’utilité politique. De même qu’il refuse de se complaire dans une laïcité fantasmée, d’entretenir l’illusion que la République pourrait dissoudre la religion, il recherche une solution applicable au temps présent. Ainsi écarte-t-il, comme non pertinente politiquement, l’idée d’une intégration inéluctable des Français musulmans naturellement conquis à la société que nous aimons, idée sympathique et optimiste mais que la situation présente n’étaie pas particulièrement. Ainsi rejette-t-il aussi l’idée qu’une « résiliation unilatérale du contrat serait possible si seulement un gouvernement un peu énergique, et surtout « à l’écoute des Français », parvenait aux affaires » – et chacun aura suivi son regard.
C’est au stade des termes du compromis que les choses se gâtent, et il ne pouvait qu’en être ainsi. J’ai noté avec amusement que certains, pourtant plus droitiers, se montraient disposés à abandonner un terrain que je n’estime pas perdu. D’autres ont totalement négligé le fait qu’un compromis suppose, les juristes le savent bien, des concessions réciproques.
Ce compromis reposera nécessairement sur deux principes qui ne peuvent valoir que s’ils sont honorés ensemble : d’une part, les musulmans sont acceptés « comme ils sont », on renonce à l’idée vaine et passablement condescendante de « moderniser » autoritairement leurs mœurs, pour ne rien dire de cette « réforme de l’islam » à laquelle aspirent avec une passion un peu difficile à comprendre tant d’athées de notre pays; d’autre part, on préserve, on défend, on « sanctuarise » certains caractères fondamentaux de notre régime et certains traits de la physionomie de la France.
Pierre Manent ne voit pas pourquoi nous empêcherions les enfants d’avoir accès à des menus sans porc, ni pourquoi nous nous opposons aux demandes d’horaires aménagés dans les piscines pour les garçons et les filles. Je le suis parfaitement sur le premier point et, sur le second, je prends note des clarifications apportées ultérieurement : d’une part, il ne s’agit que des enfants et des adolescents, d’autre part, lorsque lui-même ou nos parents allaient dans des écoles séparées, nul ne songeait à dire que nous n’étions pas en République faute de mixité.
Pour lui, notre pouvoir politique ne peut s’opposer qu’à deux aspects des mœurs musulmanes traditionnelles : la polygamie et le voile intégral. Au titre des exigences, Pierre Manent distingue principalement deux éléments. Le premier est l’acceptation de la liberté complète de pensée et d’expression. Le second est l’intégration pleine et entière des musulmans au cadre national. Cela signifie notamment pour eux de faire de la nation, la nation française, l’horizon véritable de leur vie sociale et politique, de cesser d’entretenir des liens (en particulier de financement) avec les régimes étrangers musulmans.
Or, j’ai à cet égard à tout le moins trois réserves.
- « Je soutiens donc que notre régime doit céder, et accepter franchement leurs mœurs puisque les musulmans sont nos concitoyens. Nous n’avons pas posé de conditions à leur installation, ils ne les ont donc pas enfreintes. Etant acceptés dans l’égalité, ils avaient toute raison de penser qu’il étaient acceptés « comme ils étaient ». Nous ne pouvons pas revenir sur cette acceptation sans rompre le contrat tacite qui a accompagné l’immigration durant les quarante années qui viennent de s’écouler » (p. 69). Je le conçois en partie : les musulmans ne peuvent pas être les seuls auxquels nous demanderions de renoncer à leurs mœurs. Pour autant, n’y-a-t-il pas une idée largement partagée, comme une règle de toute hospitalité, selon laquelle « à Rome, fais comme les Romains » ? Ne pouvait-on légitimement attendre de la part de nouveaux arrivants une certaine observation des mœurs locales ? Et notamment, aussi incantatoire soit-elle, la laïcité est-elle véritablement une surprise ? La première affaire du voile a désormais plus d’un quart de siècle : n’était-elle pas à tout le moins le signe que la société française appréciait une certaine mesure dans l’affirmation religieuse ?
- Le terme de « mœurs musulmanes » me paraît bien imprécis. Si nous devons accepter ce compromis – et je consens tout à fait à dire que le réalisme impose d’admettre que nous ferons des compromis, que nous en faisons déjà, mais sans le dire – nous devons en comprendre mieux les termes. Quelle est l’étendue des mœurs musulmanes que l’on nous demande d’accepter ? Le simple voile fait-il vraiment partie de ces mœurs ? Le voile intégral (mais visage apparent) et la djellabah font-ils partie des « mœurs musulmanes » ? Quelles autres pratiques seraient perçues, par les musulmans, comme faisant partie de leurs mœurs, que nous n’identifierions pas comme telles pour notre part ?
- Si, comme le souligne Pierre Manent, ces nouveaux arrivants « n’entrent pas dans un lieu vide, ils ont à trouver leur place dans un monde plein» et, en particulier, dans une société chrétienne, est-il possible de laisser penser que nous n’avons pas d’autre attente, d’autre exigence ? En particulier, l’égalité entre l’homme et la femme, certes catalysée par d’autres contributions à la culture française, ne trouve-t-elle pas quelques racines dans le christianisme ? En somme, si nous leur demandons de trouver leur place dans un monde plein, n’attendons-nous pas en réalité davantage de leur part que nous osons le dire ? Je ne suis guère prêt à résumer la France à la liberté de pensée et d’expression, au visage découvert et à l’Etat-Nation.
Il reste que Pierre Manent termine son propos sur le rôle incontournable du christianisme dans l’avenir de notre pays, ce à quoi je m’empresse d’acquiescer quand bien même je n’en percevrais pas de façon aussi évidente que lui le caractère incontournable. Car ce monde plein, de fait, est chrétien, et ce christianisme est aussi en mesure de fournir le cadre du rapport des sociétaires[1] à la vie civique, celui de l’Alliance, cette « certaine manière de comprendre l’action humaine dans le monde ou dans le Tout, de comprendre à la fois sa grandeur et sa précarité (…) Aussi grand soit l’homme dans sa fierté d’agent libre, son action s’inscrit dans un ordre du bien qu’il ne produit pas et de la grâce dont il dépend ultimement ». A tout le moins suis-je capable de comprendre que Pierre Manent propose un deal aux musulmans, empreint inséparablement d’autant d’exigence que de respect, ce qui me semble éminemment chrétien.
Deuxième information : vous pouvez retrouver nombre d’extraits de Situation de la France que j’ai rassemblés pour moi, et pour vous également, sur cette page.
- Terme qu’emploie systématiquement Manent et que je trouve singulièrement approprié, alors que nous nous désignons trop immédiatement comme des citoyens, ce qui nous place de façon tacite dans un unique rapport à l’Etat. [↩]
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Il faut aussi considérer l’horizon de temps. Ce que l’on peut et doit exiger tout de suite en échange des accommodements auxquels nous consentirions, ce que l’on peut espérer comme le fruit sur le long terme d’une meilleure intégration des musulmans à notre communauté nationale.
Par ailleurs, les « moeurs musulmanes » ne sont bien sûr pas partagées par tous ceux qui se reconnaissent comme musulmans, tout comme les « moeurs chrétiennes » ne le sont pas pas tous les chrétiens. Un discernement un peu plus rigoureux que celui de Manent est sans doute nécessaire, mais exiger une adhésion unanime à des « moeurs » serait absurde.
je crains de sa part un relatif relativisme, qui ne mène à rien.
soit on accepte que les modifications apportées aux lois civiles par le christianisme constituent un progrès (égalité homme femmes, monogamie, liberté de conscience, interdiction du meurtre, du vol, du viol…), et faire un compromis avec les musulmans correspond à une régression,
ce qui n’est pas un bien, pour personne, pas même pour eux,
soit on reste dans le relativisme où tout se vaut, et les musulmans ne sont sans doute pas les plus grands dangers qui menacent notre république: euthanasie, avortement, sexualisation précoce des mineurs, même de moins de 15 ans, orgies sexuelles banalisées et divorce généralisé font plus de mal à l’Homme en général que les quelques meurtres pour l’honneur résiduels, les probables mariages forcés, les voiles divers et la polygamie.
il faut arrêter de considérer les musulmans comme incapables d’évoluer. on doit les évangélise, même si ça revient (c’est ce qui a été fait dans les colonies et en occident) à évangéliser l’Islam: imposer la monogamie, interdire absolument le meurtre et le viol, tout viol, soutenir l’égalité homme femme mais aussi une vision chrétienne de la chasteté, tout cela les avait déjà convertis en grande partie . ce qui les pousse à retourner à l’âge des cavernes, c’est ce que les athées défendent bec et ongles, pas les chrétiens: féminisme outrancier, exhibitionnisme sexuel, moeurs aberrantes (ils ont peur de ça pour leurs enfants, eux aussi), hyper-sexualisation des jeunes filles, et même et surtout la sécularisation.
je rajouterais un déficit d’accueil de la part des français, qui n’ont jamais été hostiles aux étrangers, mais qui leur ont été très largement indifférents, ce qui n’est pas tellement plus vivable par les enfants d’immigrés. c’est le même déficit d’accueil des riches envers les pauvres qui a crée un clivage aussi profond entre les chrétiens de gauche et ceux issus de la bourgeoisie.
il faut d’abord recréer des passerelles vers ces publics, et rendre visible notre vision de la religion, notre vision de dieu, alors les musulmans viendront d’eux-mêmes non pas vers un « sentiment français », dont on n’a cure, mais vers une façon de vivre plus humaine, pour nous, mais aussi pour eux !
et c’est pour eux plus que pour nous qu’on devrait le faire, si on était authentiquement chrétiens.
Aristote a écrit :
Je le veux bien mais Pierre Manent soutient ailleurs que, puisque nous n’avons rien exigé les 40 dernières années, nous ne sommes pas en droit de le faire aujourd’hui sans briser le pacte social. Dans ce cas, ce que nous ne posons pas aujourd’hui, pourrons-nous le demander demain ?
Aristote a écrit :
J’aurais quelques scrupules à demander à Pierre Manent un « discernement plus rigoureux » 😉 Eventuellement, d’entrer davantage dans les détails.
Cela dit, je ne suis pas certain de comprendre parfaitement ton observation, mais il ne demande pas aux musulmans d’adhérer intégralement à des « moeurs musulmanes ».
do a écrit :
Il me semble assez audacieux d’imaginer que Pierre Manent soit du genre relativiste. Je le pense essentiellement du genre pragmatique, c’est-à-dire du genre à envisager ce qui est faisable.
Ensuite, même s’il évoque l’Eglise, nous sommes ici dans un cadre laïc, celui de l’Etat et de la République. Je ne crois pas que la proposition de l’évangélisation soit une réponse pertinente dans le cadre d’un contrat social. Je crains également qu’elle relève aussi un peu d’une forme d’incantation, incantation symétrique à celle de la laïcité : les uns voudraient que les musulmans cessent d’être des croyants, les autres voudraient qu’ils cessent d’être musulmans. Travaillons avec les réalités, plutôt.
Cela n’interdit pas en revanche à la société de faire valoir les valeurs que tu évoques, et qui puisent aux sources du christianisme. J’ai un peu d’espoir dans le fait que nombre de femmes musulmanes – pas forcément visibles, mais pas moins musulmanes pour autant – entendront adopter (ou adoptent déjà) ce que notre société a de bon à leur proposer.
@ Koz:
Je ne pense pas à « exiger » plus dans 20 ans, je pense simplement qu’une meilleure intégration conduira à une évolution naturelle des moeurs. Le pari, car il y a bien sûr un pari, c’est que par exemple, si on évite de braquer les filles musulmanes en leur donnant l’impression que nous rejetons globalement les moeurs musulmanes, elles deviendront sur la durée motrices pour faire évoluer le statut réel de la femme dans les communautés musulmanes. Vouloir leur imposer de force le féminisme à la Badinter pourrait être contre-productif.
Sur l’unanimité mon propos est simple : on trouvera bien sûr des musulmans qui se contre-fichent de la mixité à la piscine pour les scolaires, ce n’est pas une raison pour refuser un arrangement si la demande est suffisamment partagée.
En matière de moeurs, l’EN est devenue aujourd’hui la catéchiste en chef de la morale bobo, qui n’a aucun titre à se prétendre la morale « nationale ». C’est de fait un obstacle à l’acceptation par les musulmans de l’école de la République. Et cela rend plus difficiles les combats qu’il est capital de mener sur la liberté d’expression et de critique, l’enseignement raisonnablement objectif de l’histoire, etc.
Bonsoir,
Juste histoire d’ajouter mon petit grain de sel ; cela fait deux fois en peu de temps que j’entends ou lis cette idée : »Cela signifie notamment pour eux de faire de la nation, la nation française, l’horizon véritable de leur vie sociale et politique, de cesser d’entretenir des liens (en particulier de financement) avec les régimes étrangers musulmans. »
L’autre fois c’était il y a deux jours sur Europe 1 (je n’ai pas fait attention s’il s’agissait de Pierre Manent).
J’ai l’impression qu’on touche là un vrai problème dans la mesure où le pèlerinage à la Mecque fait partie des cinq piliers.
Qu’en pensez-vous ?
Cordialement,
J-M P
Koz a écrit :
Peut-être parce que, si les menus sans porc ne sont imposés à personne, l’interdiction d’accès à la piscine s’imposerait à tous. Etre capable de supporter la vue d’une personne du sexe opposé, cesser de considérer les femmes comme des proies ou des trophées, et les hommes comme des prédateurs, me paraît une étape essentielle vers l’égalité des sexes.
Comme vous le soulignez il est impérieusement nécessaire de préciser ce que sont les « mœurs musulmanes traditionnelles ». La non-mixité des piscines ? La non-mixité d’autres lieux publics ? La supériorité du Coran sur les découvertes scientifiques ? La non-représentation du prophète ? L’interdiction de la critique, de la caricature ou de l’attaque d’une idée, dès lors que cette idée est religieuse ?
Je doute pourtant que la voie de la conversion des musulmans au christianisme soit plus prometteuse que le « terrain neutre » proposé par la laïcité. J’entends bien que votre enthousiasme évangélisateur vous y pousse, mais pour ma part le dialogue inter-religieux me paraît un leurre et l’évangélisation un mirage.
Convaincre une personne, et a fortiori un groupe, que la religion de ses ancêtres était erronée et que le « vrai Dieu » était en fait depuis tout ce temps dans la religion d’en face, est un challenge qui ne se gagnera pas sur les échelles de temps dont nous avons besoin ici.
Bon gré, mal gré, il faudra en passer par la laïcité.
Numéro N a écrit :
Il serait intéressant que vous m’indiquiez le passage dans lequel j’aurais fait valoir qu’il convenait de convertir les musulmans pour apporter une solution à la « situation de la France ». L’échange sera certainement plus productif si vous ne répondez pas à ce que vous croyez lire, mais à ce que j’écris.
Numéro N a écrit :
Comme indiqué dans le billet, Pierre Manent parle essentiellement des adolescents. Nous fonctionnions ainsi il y a encore peu de temps et personne ne considérait que c’était une atteinte à la République.
@ Jean-Marie Poublanc : il est probable que ce soit Pierre que vous ayez entendu. La nécessité du pèlerinage à la Mecque et peut-être une facette du problème. Pour autant, nous parlons surtout des liens étroits avec de nombreux pays musulmans, y compris le Maroc et l’Algérie.
@ Aristote: c’est précision étant faite, je crois que nous sommes assez d’accord. Je suis pour une forme de souplesse. Que l’on se concentre sur les vrais enjeux de la pratique de l’islam par certains en France, sans nous focaliser sur des anicroches accessoires.
Je suis d’accord pour dire que le féminisme À marche forcée et laïcité castratrice ne seront pas d’une grande aide, bien au contraire.
Ensuite, et c’est surtout la position de Pierre Manent, la question de l’évolution véritable des musulmans reste tout de même assez ouverte. Avons-nous raison d’imaginer que ces populations s’occidentaliseront, ou est-ce nous entretenir dans un mythe flatteur ?
Je sais bien que le compromis par définition est insatisfaisant des deux côtés, mais enfin réduire l’inacceptable à la polygamie et au voile intégral, c’est plus qu’un compromis, c’est un abandon en rase campagne : et la primauté de la pensée scientifique? Et l’égalité homme-femme? (pour ma part un voile intégral choisi est plus égalitaire qu’une femme non voilée qui signe un contrat de soumission à son mari -et je parle d’expérience, ici en France- incluant l’exclusivité de la foi musulmane dans son foyer) Et la liberté de se vêtir comme on veut, de sortir dans la rue sans un homme? Et le droit d’épouser un non-musulman pour une femme? Et de changer de religion? Etc.
Quant aux « moeurs musulmanes » c’est une expression au mieux vides de sens, au pire insultante. Il n’y a pas de moeurs musulmanes. Il y a des règles de l’Islam et des croyants qui décident ou pas de les respecter. Il y a des moeurs de pays qui sont majoritairement musulmans (mais dont les moeurs ne résultant jamais seulement de l’Islam) et que l’immigration a amené dans notre pays, dans toute leur diversité. La religion influe une culture locale qui influe elle-même la façon de vivre la religion.
Je ne parle même pas des horaires séparés à la piscine, là c’est faire injure aux musulmans. Soit on juge qu’il est bon qu’à l’adolescence garçons et filles aient des plages séparées à un moment où ils seraient amenés à exposer leur corps, c’est une réflexion qui mérite d’être menée (c’était pratiqué dans mon collège public très laicard dans les années 80) mais qui n’a rien à voir avec l’Islam, soit on estime que la mixité est un apprentissage comme un autre et il n’y a pas de raison d’en dispenser les musulmans. D’autant plus que beaucoup de musulmans ne voient pas de problème là-dedans, ce qui veut dire qu’on appelle abusivement « musulman » ce qui n’est que l’expression de la partie la plus rigoriste des musulmans.
Il s’agit donc de respecter la liberté religieuse, et en effet d’accepter les gens tels qu’ils sont (et laisser les gens définir ce qui leur convient dans la modernité), et d’assumer ce que nous sommes, et les frottements que cela peut générer. Cela demande du temps, de la pédagogie, du dialogue, et comme le disait fort justement un autre commentateur, de passer de l’indifférence à la rencontre, et c’est difficile.
Je trouve qu’il y a dans ce livre (tel que vous le présentez) quelque chose de l’assignation identitaire des musulmans à des choses qui sont revendiquées par certains au nom de l’Islam mais qui n’ont pas à être étendus à tous et qui ne relèvent pas forcément de l’Islam. Il y a aussi un aspect un peu condescendant à juger qu’il y aurait une « incapacité » à faire les adaptations nécessaires pour vivre en France avec ce que la France a de coutumes et vision du monde, comme ils le font ailleurs. Et pourquoi pas de développer un « sentiment français » (et là encore le biais médiatique nous mène à sous-estimer le sentiment français déjà présent chez bien des musulmans), qui nous importe, en tout cas qui m’importe
La crispation identitaire sur l’Islam résulte beaucoup de l »exclusion économique et sociale de populations qui sont pauvres car issues de la migration, et par ailleurs musulmanes, et qui s’attachent à un Islam fort dans un contexte d’Etat faible et de crise économique, comme vous l’exprimez dans une formule à reprendre.
Mais bon, va falloir que je lise ce livre, il a le mérite de partir d’une démarche d’accueil et de ne pas en rester aux tiédeurs habituelles.
Koz a écrit :
Je suis vraiment désolé si je vous ai mal compris : je vous vois simplement rejeter tour à tour l’Etat faible, l’Etat fort, la laïcité « creuse », la laïcité « castratrice », et me demande alors que nous reste-t-il ?
Que nous reste-t-il ? Selon vos mots et votre citation : « ce monde plein, de fait, est chrétien, et ce christianisme est aussi en mesure de fournir le cadre du rapport des sociétaires à la vie civique, celui de l’Alliance (…) un ordre du bien que [l’homme] ne produit pas et de la grâce dont il dépend ultimement ». Ce que j’en comprends, détrompez-moi, c’est que vous proposez aux musulmans un cadre d’accueil qui se revendique chrétien plutôt que laïc, en supposant qu’ainsi vous obtiendrez leur adhésion.
Peut-être dépassé-je votre pensée en interprétant cela comme un appel à l’évangélisation (ce qui me paraissait pourtant dans la droite ligne de vos billets précédents), mais j’y lis la conviction que nos valeurs seront mieux acceptées par les musulmans si elles s’affichent comme chrétiennes. Ce qui soulève en moi un léger doute.
Tout à fait. Ce n’est pas une atteinte à la République mais à l’égalité des sexes. Les femmes n’avaient pas le droit de vote que nous étions déjà en République également.
Je n’ai rien lu de Pierre Manent, j’ai lu le blogon de Koz et tous les commentaires à ce jour. Je propose donc pour participer aux échanges en cours « Les lois fondamentales de la stupidité humaine » de Carlo M. Cipolla. En voici un extrait: « L’humanité est dans le pétrin. Ce n’est pas une nouveauté cela dit. Aussi loin que l’on puisse remonter, l’humanité a toujours été dans le pétrin. Le fardeau des soucis et des misères que doivent porter les êtres humains, comme individus ou comme membres de sociétés organisées, est à la base la conséquence de la manière hautement improbable, j’oserais même dire stupide, dont la vie fut vécue dès l’apparition de l’humanité. » L’auteur développe ensuite plusieurs lois fondamentales pour expliquer les catastrophes où nous nous mettons régulièrement depuis la nuit des temps. Pour en savoir plus: http://www.puf.com/Autres_Collections:Les_lois_fondamentales_de_la_stupidit%C3%A9_humaine_%282%29
do a écrit :
Je trouve cette idée très intéressante. D’une certaine façon la laïcité a cessé d’être l’exigence de la neutralité religieuse de l’Etat pour devenir un ensemble de commandements plus ou moins formels qui finit par ressembler à une religion d’Etat.
La question de la mixité des piscines fait réfléchir car effectivement, elle n’est devenue une exigence laïque qu’assez récemment. Je n’ai pas de mal à imaginer qu’une adolescente, quelle que soit sa religion, puisse ne pas être enthousiasmée à l’idée de devoir se présenter en maillot de bain devant les garçons de sa classe. Quand on y pense, il est tout de même absurde que la laïcité en vienne à signifier exhibition sexuelle et que le féminisme piétine la pudeur des jeunes filles.
In fine, peut-être que leur rejet par beaucoup de nouveaux entrants provient du fait que nos valeurs manquent cruellement de cohérence. On l’a vu avec Charlie quand on mettait en GàV le gamin qui disait « je suis Kouachi ». On le voit avec l’égalitarisme qui a totalement supplanté le beau principe d’égalité devant la loi et qui est devenu la justification d’infinis privilèges. On le voit avec le mariage entre personnes de même sexe qui affaiblit considérablement l’argument contre la polygamie, sauf à, pour reprendre l’expression de Numéro N, « considérer les femmes comme des proies ou des trophées, et les hommes comme des prédateurs ».
Peut-être que si nous revenions aux principes fondamentaux : liberté, égalité devant la loi, neutralité de l’Etat, les musulmans auraient moins de mal à les accepter. Peut-être que sous la IIIe république, ce n’était pas l’Etat qui était fort mais la société.
Lib a écrit :
« la République a besoin de rites. La démocratie, c’est une véritable religion, elle a besoin de rites pour être reconnue et acceptée. » Claude Bartolone (à l’époque du mur des cons il me semble).
Donc clairement dans l’esprit de certains de nos responsables actuels (Peillon était très fort dans le genre aussi), c’est bien ça oui. C’est l’idée que j’ai aussi dès que quelqu’un se met à revendiquer la laïcité comme « valeur ». Liberté, égalité, fraternité, oui, ce sont des valeurs. La laïcité, ce n’est qu’un mode d’organisation le la vie politique et sociale – que j’approuve, certes, mais qui ne « vaut » pas pour soi-même comme l’une des « valeurs » précitées le fait. Cette identification de la laïcité comme valeur fait partie de ces glissements sémantiques que je trouve dangereux depuis quelques années parce qu’ils s’imposent même à des gens tout à fait ouverts et équilibrés par ailleurs.
Lib a écrit :
Ca, il y a en effet tout une branche du féminisme prétendument « libertaire » qui est à fond sur cette ligne, et ça m’est aussi incompréhensible qu’à toi.
Lib a écrit :
Conclusion très intéressante et qui m’a l’air assez pertinente, ça ouvre en tout cas des perspectives de réflexion à creuser.
@Koz : ça donne envie d’aller voir le bouquin de P. Manent en effet. Mais je vais déjà commencer par le tien que je viens enfin d’acquérir…
La caractérisation de la laïcité comme « religion d’Etat » est un constat.
Il a des conséquences: le concept de laïcité étant dans sa définition même une volonté de neutralité vis à vis des religion; s’il devient une religion il y a trois cas:
– le concept est vide, et il ne peut y avoir de neutralité, le religieux est partout, et il faut choisir son camp, que le meilleur gagne, il faut combattre l’Islam au nom de la religion catholique.
– le concept est instrumentalisé par une nouvelle religion, de fait la franc maçonnerie, protégée par son ésotérisme et active en son nom propre avec tous ses dérivés.
– Il faut donc une vraie laïcité et détruire vraiment le religieux, non pas au nom d’une nouvelle religion mais de celui du vrai dégout de la calotte, de toutes les calottes, de tous les tabliers, de tous les bonnets de bain, de tous les voiles. A mort les moutons !
Que penser ? Pierre Manent, fin et intelligent, cherche des voies et ose céder sur une partie pour tenter de sauver le tout.
La loi de l’Islam, inscrite dans l’inconscient musulman, édicte :
Quand l’Infidèle est le plus fort, courbe toi.
Mais s’il est faible, alors chasse-le.
Les suites de cette situation vont être intéressantes à observer.
Il faut tenir à deux choses. D’une part la charité, l’accueil de l’autre dans sa différence.
D’autre part apprendre à connaître le système idéologique islamique qui ne cache pas sa vision de faire progresser l’islam non seulement par la persuasion mais aussi par la contrainte.
Pour comprendre il est un atout indéniable c’est la compréhension de l’arabe. Un érudit comme Remi Brague connaît l’arabe et dit que c’est aux musulmans eux-mêmes de se définir avec plus de précision s’ils le veulent.
Il défend aussi avec force l’idée qu’on a le droit de critiquer l’islam ce qui ne veut pas dire rejeter les personnes qui y adhèrent chacune à leur façon.
A mon avis le pape s’oppose frontalement à l’islam quand il défend l’idée de liberté religieuse en ce y compris celle de quitter l’islam. Pour l’islam la liberté religieuse signifie la liberté pour chacun de se reconnaître musulman ! On est dans la novlangue d’Orwell.
Plus il y aura de musulmans dans ce pays, plus les choses seront compliquées à gérer.
Or, dans vos prises de position sur les réfugiés syriens, vous vous prononcez clairement pour un accroissement du nombre de musulmans, qui par ailleurs n’est pas nécessaire.
Ces réfugiés sont réfugiés en Turquie, où ils sont en sécurité. Il faut qu’ils y restent, ce qui fait l’objet d’un bras de fer avec la Turquie :
http://www.lefigaro.fr/international/2015/11/20/01003-20151120ARTFIG00349–l-appel-de-paris-l-union-europeenne-renforce-ses-frontieres.php
« L’enrôlement de la Turquie comme garde-frontière de l’Europe, face à l’exode de la mer Égée, tarde à se concrétiser: la date du sommet décisif entre le président Erdogan et les vingt-huit chefs d’État et de gouvernement de l’UE reste en suspens, bien qu’espérée avant la fin du mois. Recep Tayyip Erdogan veut obtenir l’engagement européen sur trois points: une assistance non remboursable de l’ordre de 3 milliards d’euros, des sommets réguliers avec les Vingt-Huit au complet et un déblocage rapide des discussions sur l’adhésion à l’UE. «
Tous ceux qui se sont positionnés pour un accueil inconditionnel de ces réfugiés font donc, purement et simplement, le jeu de la Turquie en affaiblissant les positions de négociation (d’ailleurs très mal gérées) de nos dirigeants.
Remarquez qu’une entrée de la Turquie dans l’UE, pays qui deviendrait le plus peuplé de l’UE et comme chacun sait musulman de moins en moins laïc, n’arrangerait vraiment rien à l’affaire.