Lorsque Benoît XVI a été élu pape, j’ai d’abord juré dans ma barbe, puis j’ai pris la peine de l’écouter, et j’ai commencé à l’aimer. Lorsque Benoît XVI a pris des décisions ou tenu des propos qui me heurtaient de prime abord, j’ai pris la peine de les lire et d’essayer de comprendre ce qui le conduisait à les tenir. Et j’ai constaté qu’il avait raison. Certains catholiques, héritiers d’une longue lignée d’arrogance, ces « obéissants désobéissants » évoqués par le sociologue Josselin Tricou – « proclamant haut et fort le devoir d’obéissance à toute autorité ecclésiale, mais prêt à la dénoncer quand elle ne va pas dans leur sens intégraliste » – ne se sont jamais donnés cette peine avec François, et continuent sur cette pente, donnant ainsi la mesure de leur fidélité.
Cette fidélité n’impose certes pas l’approbation inconditionnelle, tant que l’infaillibilité pontificale n’est pas en jeu, ni « une soumission religieuse de l’intelligence et de la volonté » tant que le pape n’énonce pas une doctrine. Mais il n’en reste pas moins qu’un fidèle catholique serait bien inspiré de réserver au pape un respect filial et de lui faire, comme le demandait humblement Benoît XVI, « le crédit de la bienveillance sans lequel il n’y a pas de compréhension possible ». Ce crédit de la bienveillance qui fait lourdement défaut chez certains depuis les premiers jours du pontificat.
Ainsi le pape a-t-il tenu sur le rapport de l’islam à la violence des propos (en italien, pour les meilleurs d’entre vous) qui en défrisent plus d’un, depuis les mieux intentionnés jusqu’aux fieffés abrutis – j’ai pu croiser un confrère n’hésitant pas à qualifier le pape d' »indigne connard ». Est-ce spontanément ce que je dirais sur le sujet ? Non, en effet. Je continue de penser que l’islam a un problème spécifique à régler avec la violence que le christianisme, à défaut de tous les chrétiens, a réglé – « Remets ton épée au fourreau » (Jean 18, 11 – entre autres). Mais le pape n’a pas, contrairement à ce que prétendent certains, mis sur le même plan le christianisme et l’islam. Il a évoqué « les catholiques violents » et « les musulmans violents ». Pour qui s’autorise un peu de cette bienveillance requise, et de la raison ordinaire, ce n’est pas précisément la même chose. Et il enchaîne sur son propos véritable : « si je parle de violence islamique, je dois aussi parler de violence catholique ». Un indice : si évoquer une violence catholique vous hérisse autant que moi, abstenez-vous d’envisager une violence islamique. Car c’est bien le cœur du sujet : le pape refuse le réductionnisme identitaire.
« Credo che non sia giusto identificare l’islam con la violenza. Questo non è giusto e non è vero! » : « je crois qu’il n’est pas juste d’identifier l’islam à la violence. Ce n’est pas juste et ce n’est pas vrai ! ». Achevant son propos le pape revient sur ce qui en est l’essentiel : « Mais on ne peut pas dire, ce n’est pas vrai et ce n’est pas juste, que l’islam soit terroriste ».
Le pape refuse de résumer l’islam. Il refuse de considérer que l’islam est intrinsèquement violent, qu’il offrirait son vrai visage par le terrorisme. Certains, engagés dans un affrontement idéologique et bien décidés à nous y entraîner avec eux, en appuyant sur tous les ressorts compréhensibles de l’angoisse, continuent d’affirmer l’inverse. Et pour ma part, je continuerai à le dire : s’il est vrai qu’une pratique violente de l’islam peut se prévaloir du Coran, il en est de même d’une pratique paisible. Et le pape cite plusieurs exemples, dont ces musulmans en Afrique qui font la queue pour passer la Porte Sainte du Jubilé de la Miséricorde.
Le même jour, et la concomitance est éloquente, on évoquait le dernier numéro de Dabiq, l’organe officiel de l’Etat Islamique. Ses textes et ses illustrations sont révélateurs. A la grande surprise des témoins d’une Europe déchristianisée, l’Etat Islamique motive sa haine pour l’Occident en tout premier lieu par son christianisme. Le christianisme occupe ainsi la première place du podium parmi les six raisons de leur haine.
Car voilà bien ce que fait Daech et à quoi se refusera toujours le pape : essentialiser l’autre, l’identitariser, le réduire. Pour eux l’Occident est chrétien, comme pour d’autres le musulman est violent. C’est bien une logique de guerre, une logique d’affrontement, qui suppose de dépouiller l’autre de sa réalité, de sa complexité, et de la vérité de toute vie pour en faire l’inévitable ennemi.
La photographie jointe à la couverture est formidablement révélatrice : le dialogue, voilà l’ennemi. Le pape avec le Grand Imam de l’Université d’Al-Ahzar – celui-là même dont le pape a parlé dans cet avion – voilà une image qui leur est insupportable. Elle vient contredire tous leurs discours, toute leur idéologie, et leurs rêves de guerre de religion. Ils rendent hommage à Benoît XVI pour avoir, disent-ils, « accentué l’inimitié entre les chrétiens païens et les musulmans monothéistes » quand François se cacherait « derrière un voile trompeur de bonne volonté ».[1]
Et l’on ne sera pas surpris de trouver de nouveau Robert Ménard dans les rangs d’un réductionnisme identitaire jumeau. Il n’a pas manqué de s’illustrer encore dans son irréductible opposition au pape, et à la foi catholique, par une série révélatrice de tweets, dont celui-ci :
Le #PapeFrancois prône le « dialogue » mais ne comprend pas qu’à #SaintEtienneDuRouvray, celui qui a eu le dernier mot, n’est pas le curé.
— Robert Ménard (@RobertMenardFR) 1 août 2016
C’est bien lui aussi ce dialogue qu’il abhorre – dialogue encadré de guillemets pour souligner son irréductible impossibilité. Et il ne craint pas, lui qui affiche les signes extérieurs du catholicisme, de falsifier les propos du pape. Car bien sûr, le pape ne prône pas le dialogue avec les terroristes, il prône le dialogue avec les musulmans. Encore faut-il être capable de faire la différence, ce qu’un identitaire ne fait pas.
Identitaire pour « eux », identitaire pour « nous », Ménard persiste dans ses confusions et, comme il l’a déjà fait, interroge : « le pape agit-il en chef de la Chrétienté ? ». Non, Robert, le pape n’est pas un chef de clan, un chef de parti, il n’est toujours pas un chef de guerre. Le pape n’est pas le chef d’une Chrétienté en croisade, il est le Vicaire du Christ, Prince de la Paix. Il est là pour enrayer l’engrenage de vos identitarismes réciproques, pour briser l’enchaînement de la haine, casser la marche vers l’affrontement généralisé.
Car c’est bien là l’ennemi : la coalition objective des identitarismes. Aux chrétiens d’être fidèles à leur vocation profonde.
Notre pape, lui, est bienheureux, il est béni, lui qui est calomnié pour sa recherche de la paix, insulté à cause du Christ[2]
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. (…) Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. (Mt 5, 9-11)
Et lorsque de surcroît, il est désigné comme cible jusque dans les organes de Daech, plutôt que joindre sa voix aux critiques, de plus fort, on lui accorde sa fidélité.
- Deux observations : (1) ils passent ici sous silence l’ample travail de réflexion commune menée avec des dizaines de dignitaires musulmans par le Vatican sous Benoît XVI et qui ont au contraire contribué à la compréhension commune et (2) certains qui citent Ratisbonne aujourd’hui ont bien vite oublié que les propos, pourtant mesurés, de Benoît XVI à l’époque avaient déclenché des représailles, causant plusieurs morts et des destructions. C’est un fait : outre sa conviction profonde, le pape interrogé sur le même sujet, fait preuve de plus de mesure et de responsabilité que nos sombres pantins politiques, ou nos misérables boutefeux numériques. Seule leur insignifiance leur permet de tenir leurs propos sans devoir assumer ensuite la responsabilité de la mort de chrétiens. [↩]
- J‘apprends après avoir rédigé ce billet que, sur Twitter, la « fachosphère » au sein de laquelle certains n’hésitent pas à arborer tous les marques extérieures et identitaires du christianisme, se déchaîne sur un hashtag #PasMonPape. Pas leur pape ? Pas leur Christ non plus. [↩]
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Ce billet a fait l’objet d’une négociation avec moi-même dont l’issue est la suivante : je le ferme aux commentaires. Étant en vacances, je ne souhaite pas consacrer mes prochains jours à la modération et aux réponses, sur un sujet qui promettrait de nombreux échanges enflammés. Et mon épouse ne le souhaite pas non plus.