Je ne me suis pas mis à genoux, je n’ai pas prié, je ne me suis pas fait confiance et voilà, le pape a parlé dans l’avion. Si j’en crois les échos médiatiques, il aurait déclaré qu’il fallait arrêter un peu, avec les migrants. Sort of.
A tout le moins a-t-il évoqué la nécessité de faire preuve de « prudence » dans l’accueil des migrants et des réfugiés – en distinguant les uns et les autres – et souligné l’obligation de les intégrer à la culture comme de prendre garde à la capacité d’accueil du pays[1].
De vous à moi, cela me rend malade. Certes pas les propos du pape, mais le vol des charognards sur ses déclarations. Ceux qui, demain, croiront pouvoir prendre appui sur les propos mêmes du pape pour justifier leur rejet compulsif. Ceux pour lesquels le premier pied posé d’un migrant est l’annonce imminente de toute-la-misère-du-monde, et le deuxième, les prémices du Grand Remplacement.
Oui, il m’est insupportable que des chrétiens s’effarouchent à l’idée d’une trop grande générosité quand il est si évident que le réflexe humain n’est pas l’accueil de l’étranger (sans quoi le Christ n’aurait eu nul besoin d’en faire l’un de ses enseignements majeurs). Il m’est insupportable de trouver des chrétiens dans des manifestations contre l’accueil de migrants. Parce qu’ontologiquement, qu’un seul chrétien manifeste contre l’accueil d’une autre personne, cela ne passe pas. Il y a d’autres moyens de faire connaître ses désaccords, et des voisinages que l’on devrait avoir la dignité de s’épargner.
Le pape François a-t-il jamais manqué de « prudence » en appelant chaque paroisse à accueillir une, rien qu’une, famille de réfugiés ?Le pape François manquait-il de prudence lorsqu’il appelait l’an dernier chaque paroisse à accueillir une famille de réfugiés ? Une famille, une seule, rien qu’une, et par paroisse.[2]. Le pape François manquait-il de prudence et de lucidité lorsqu’il évoquait lui-même, il y a un an, le « risque d’infiltration » terroriste ? Le pape François manquait-il de prudence quand il appelait les Européens, et les chrétiens au premier rang, à se laisser d’abord toucher -juste toucher – par le sort de ceux qui meurent par centaines au fond de notre mer ? A-t-il jamais appelé à accueillir sans discernement, sans limite ? Ou n’a-t-il pas plutôt toujours aiguillonné la générosité chancelante des pays riches et de ceux pour lesquels le premier réfugié dépasse déjà leur capacité d’accueil personnelle ?
Est-ce donc un revirement, une correction, une volte-face – comme je l’ai lu – lorsqu’il déclare : « les gouvernements doivent être prudents et calculer comment installer [les réfugiés]. Il ne s’agit pas seulement de recevoir des réfugiés mais de considérer comment les intégrer » ? Est-ce une correction lorsqu’il conseille de tenir compte de la « capacité d’accueil » d’un pays ? Rappelons que, dans La Croix en mai dernier, il employait déjà des mots similaires : « Le pire accueil est de les ghettoïser alors qu’il faut au contraire les intégrer. (…) Cela montre pour l’Europe l’importance de retrouver sa capacité d’intégrer« . Car l’obligation est double : il ne s’agit pas seulement d’accueillir, il s’agit d’intégrer également.
La question de la capacité d’accueil ne s’appréhende pas indifféremment. D’aucuns la trouvent dépassée par définition. Des politiques, pas même à l’extrême-droite, s’enflamment à la vue de… « 14 migrants », ou se réjouissent de n’en accueillir aucun. Non, le pape le dit, à deux reprises dans cette brève réponse : les migrations doivent être toujours appréhendées « avec l’ouverture du cœur ». Son propos est encadré par ces paroles : « On ne peut pas fermer le cœur à un réfugié« , « Il n’est pas humain de fermer les portes, il n’est pas humain de fermer les cœurs« .
Qu’en conscience et pour lui-même chacun s’interroge sur son ouverture de cœur. Combien de temps leur faut-il pour que la compassion s’efface devant la crainte ?
Au demeurant, le pape n’a pas varié durant son voyage en Suède. La veille même de son départ, en audience générale, le pape s’était exprimé très clairement :
Aujourd’hui, le contexte de crise économique favorise malheureusement l’apparition d’attitudes de fermeture et de refus d’accueillir. Dans certaines parties du monde s’élèvent des murs et des barrières. Il semble parfois que l’œuvre silencieuse de nombreux hommes et femmes qui, de diverses manières, se dévouent pour aider et assister les réfugiés et les migrants soit obscurcie par la rumeur d’autres personnes qui donnent voix à un égoïsme instinctif. Mais la fermeture n’est pas une solution, elle finit même par favoriser les trafics criminels. L’unique voie pour trouver une solution est celle de la solidarité. Solidarité avec le migrant, solidarité avec l’étranger…
Au cours de son voyage, dans l’ensemble de ses interventions officielles – et l’on rappellera tout de même que, s’il est plus facile de rebondir sur un échange papal aérien, un discours et une homélie sont d’une portée différente – le pape n’a pas cessé de rappeler la priorité donnée à l’accueil.
Ainsi, à Malmö, le pape a-t-il adressé un remerciement tout particulier aux gouvernements qui secourent les réfugiés, poursuivant ainsi : « toutes les actions en faveur de ces personnes qui ont besoin de protection représentent un grand geste de solidarité et de reconnaissance de leur dignité. Pour nous chrétiens, c’est une priorité d’aller à la rencontre des personnes rejetées – car elles sont rejetées par leur patrie -et des personnes marginalisées de notre monde, et de rendre palpables la tendresse et l’amour miséricordieux de Dieu, qui n’écarte personne, mais qui accueille tout le monde. » Dans l’historique déclaration conjointe entre les Luthériens et les Catholiques, il est encore précisé ceci : « Nous exhortons les Luthériens et les Catholiques à travailler ensemble pour accueillir les étrangers, pour aider ceux qui sont forcés à fuir à cause de la guerre et de la persécution, et pour défendre les droits des réfugiés et de ceux qui cherchent l’asile. »
Je lance un défi à ceux qui se réjouissent du propos d’hier : celui de la cohérence de l’Eglise. Qu’ils reprennent aussi publiquement à leur compte l’exhortation à accueillir les étrangers !
Si certains se réjouissent aujourd’hui de cette évocation de la « prudence », alors je leur lance un défi, celui de la cohérence, du pape et de l’Eglise : qu’ils reprennent aussi, publiquement, à leur compte, l’exhortation à accueillir les étrangers !
Et puis, enfin, soyons sérieux penchons-nous de plus près sur cet échange de questions-réponses. Car la question qui est posée au pape est celle des pays qui commencent à fermer leurs frontières et, plus précisément, « même la Suède« , qui a rencontré des difficultés l’an passé[3]. Le pape illustre donc sa réponse par le cas de la Suède, longtemps terre d’immigration, qu’il n’entend pas critiquer pour les mesures qu’elle entend prendre aujourd’hui. La Suède, qui a accueilli l’équivalent de 0,71% de sa population en 2015, quand la France accueillait l’équivalent de 0,08% de la sienne… La France se classe ainsi en 14ème position des pays européens. Certains prendront argument des difficultés qui conduisent précisément la Suède à vouloir désormais restreindre cet accueil. Il n’en reste pas moins que la dynamique n’est pas précisément la même, et qu’il serait présomptueux de tirer argument de l’exemple Suédois quand on accueille proportionnellement dix fois moins de réfugiés.
[Mise à jour du 3 novembre]Dans cet article, La Vie va plus loin que mes seules questions spontanées et rappelle que ce n’est pas la première fois que le pape évoque une attitude qui relève de la prudence. Parmi les passages mentionnés, il disait à Lesbos que : « Les inquiétudes des institutions et des personnes, ici en Grèce comme dans d’autres pays d’Europe, sont compréhensibles et légitimes. Il ne faut cependant jamais oublier que les migrants, avant d’être des numéros, sont des personnes, des visages, des noms, des histoires. ». Lors de ses vœux au personnel diplomatique, il avait également déclaré que : « Le phénomène migratoire pose un sérieux problème culturel, auquel on ne peut se dispenser de répondre ». Il évoquait encore lui-même « le double devoir moral de protéger les droits de ses propres citoyens, et celui de garantir l’assistance et l’accueil des migrants. »- Vous en trouverez divers verbatims, que ce soit dans La Croix, au Figaro, sur Crux, le Catholic Herald ou la Stampa, sans compter bientôt les sites du Vatican, à n’en pas douter [↩]
- Car ce qui est malvenu, à Calais jusqu’à il y a peu comme à Stalingrad voire dans les projets pour l’Ouest parisien, c’est la concentration – et je l’avais écrit déjà l’an dernier [↩]
- en même temps qu’un certain bénéfice économique, ceci dit non pour y voir une bonne affaire mais pour répondre à ceux qui en voient une mauvaise [↩]
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Tu sais bien que tu es out . Tu n’étais pas DANS L’AVION ! C’est là que ça se passe. Le pape dit toujours tout ce qu’il faut retenir DANS L’AVION ! Même quand on rate tout le voyage, quand on n’écoute aucun discours, aucune homélie, ne suit aucune rencontre (surtout pas avec des protestants), ce n’est pas grave. Puisqu’on sera DANS L’AVION. D’ailleurs, je n’y étais pas. J’étais juste en Suède pour rencontrer des gens, écouter le pape et les responsables luthériens qui ont dit et redit encore la nécessité d’accueillir les réfugiés. Evidemment.
Vous nous parlez de cohérence dans l’Eglise et vous avez raison. Il existe un véritable problème de conception de la charité par manque de cohérence que l’on pourrait nommer « fausse charité ». Laissez moi expliquer mon point de vue.
D’abord, parlons de nous puisque vous ne faites que ça dans votre billet. Il est évoqué notre richesse et notre manque de générosité. Mais il faut bien se rappeller que l’argent ne peut pas en lui-même tout arranger. Aussi il ne s’agit pas de donner à qui veut sans prudence, sans considérer notre être et leur être et la finalité. Notre principale richesse c’est le Christ, c’est lui qui ordonne nos coeurs. Et la charité est fausse sans justice, on ne peut juger de la moralité ou de l’immoralité d’un acte sans considérer l’incarnation de l’acte dans le temps et le contexte. De quelle charité Jésus a-t-il fait preuve envers les marchands du temple? Peut-être que ces marchands n’avaient que cette façon de travailler pour vivre, qu’ils avaient une famille à nourrir aussi? Le problème est autre mais il y a une clé de lecture.
Cette clé de lecture réside dans le regard vers l’autre. Vous parlez d’accueil, d’intégration mais sans jamais parler de ce migrant. Qui est-il? Que veut-il? Le savez-vous seulement? Souhaite t-il être accueilli? Intégré? Quelle est sa vision d’avenir? Sans répondre à ces questions vous ne pouvez ordonner votre charité à la justice. Vouloir les accueillir, les intégrer sans que eux le veulent est répondre à côté de la plaque. C’est un élan qui procède peut-être même de l’orgueil, de la condescendance. Le même orgueil de celui qui donne 1euro a un mendiant sans lui dire un mot, sans le considérer d’une autre façon que par son état de mendiant et qui s’en va, persuadé d’avoir exercé une véritable charité alors que la charité ordonnée aurait été de considérer l’homme derrière le statut, de découvrir les aspirations derrière les apparences car peut-être seulement cet homme voulait un sourire plutot qu’un euro.
Voilà en quoi consiste la fausse charité. Mettre en oeuvre des conseils de haute vollée sans prudence, sans autre regard que celui des chiffres et des comparaisons entre pays, sans compréhension ni pour l’hôte, ni pour le migrant. Il y a des éléments auquel nous renonçons sous prétexte d’accueil. Bientôt peut-être nous aurons mis sous le boisseau le Christ sous prétexte d’accueil d’un musulman par humanisme? Nous sommes tous frères certes, mais frères au regard du Christ. Sans le Christ il n’y a plus de fraternité, sans le Christ il n’y a pas de charité.
Très juste.
Le droit d’asile, et donc le « devoir d’asile » qui en découle pour les Etats concernés, est chrétien par nature. Le pape François rappelle à ce titre des notions élémentaires, au sujet desquelles le CEC avait déjà à peu près tout dit :
n°2241 : « Les nations mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de la sécurité et des ressources vitales qu’il ne peut trouver dans son pays d’origine. Les pouvoirs publics veilleront au respect du droit naturel qui place l’hôte sous la protection de ceux qui le reçoivent.
Les autorités politiques peuvent en vue du bien commun dont ils ont la charge subordonner l’exercice du droit d’immigration à diverses conditions juridiques, notamment au respect des devoirs des migrants à l’égard du pays d’adoption. L’immigré est tenu de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d’accueil, d’obéir à ses lois et de contribuer à ses charges. »
Après réflexion, je crois qu’il était évident que le Pape ne pouvait que faire appel à la mesure dans l’accueil et depuis ses premières confidences d’avion aux journalistes.
Il n’est bien sûr pas pour multiplier le nombre de malheureux. C’est à dire les accueillis et les accueillants.
Il faut que cela se fasse dans la progression de tous et non pas dans l’abaissement de tous par excès de générosité et catastrophe subséquente comme en Allemagne (je ne connais pas la situation de la Suède.)
Mais pour certain ce n’était pas clair.
Dont acte.
On espère seulement que certains prendront cela non pas comme des frontières totalement fermées (qui se limiteraient à un mur bien haut), ni des frontières totalement ouvertes (qui n’existeraient plus), mais comme des frontières qui jouent véritablement le rôle de frontière c’est à dire des filtres.
il faudra juste éviter de continuer à faire le bavard sur ce sujet, et de décider qui est chrétien ou ne l’est pas.
Un peu de silence ferait du bien, comme l’explique le Cardinal Sarah dans le livre magnifique qu’il vient de produire.
Et pendant que le silence nous instruit, enfin construire une véritable politique d’immigration, qui n’existe pas.
Selon le rapport de la Cour des comptes nous en sommes à un très haut niveau de comique d’imprécation en la matière.
Nos frontières sont en fait totalement ouvertes.
Mieux encore : « le pape a-t-il fermé la porte aux migrants, après la leur avoir ouverte ? ». Chaque camp choisira la version qu’il veut retenir. Les uns entendront : « ils faut intégrer les étrangers »; les autres : « il faut accueillir les migrants ». Et chacun croira avoir pour lui la voix de Saint Pierre. Les derniers, qui se fichent bien de cette caution, diront : « ce pape est un jésuite. Il a l’art de louvoyer, sans jamais tenir un cap »…
C’est pourtant bien le cap de l’Eglise. Pourquoi vouloir que le Saint père soit l’otage de deux demi-vérités querelleuses, lorsqu’il a pour lui la vérité pleine et entière ? Faut-il avoir oublié les règles les plus élémentaires de l’hospitalité, pour voir une contradiction là où il n’y en a rigoureusement aucune ?
Pas besoin de faire de la politique. Le bon sens élémentaire d’une maîtresse de maison est suffisant. Accueillir des invités à sa table a toujours été un évènement festif. C’est uniquement lorsqu’il n’y a plus assez de pain pour tout le monde qu’il faut faire des économies et fermer sa porte. C’est quelquefois nécessaire, lorsque les fins de mois sont difficiles; mais personne ne vous dira que c’est là, pour n’importe qui, un idéal souhaitable et une norme. N’en déplaise aux amateurs de barbelés : l’idéal et la norme, la santé florissante a toujours été du côté de l’hospitalité et de la générosité. Bonum diffusi sui, comme dit le boeuf.
Et cette maîtresse de maison aurait encore quelque chose à dire en faveur du pape : que l’hospitalité, la vraie hospitalité, c’est du boulot ! Il ne s’agit pas seulement d’accueillir un étranger chez soi, pour lui donner ensuite la pénible impression qu’il demeure un étranger. Pour qu’il se sente parfaitement chez lui, la politesse exige qu’on le familiarise avec les lieux et les usages de la maison. Et sa politesse à lui consiste à se plier à ces usages, s’il ne veut pas passer pour l’un de ces rustres que personne n’a envie d’inviter.
Nous travaillons avec la communauté baptiste de notre ville. Elle a recueilli une quarantaine d’ados: Maliens, Ivoiriens, Afghans, Centre-Africains, Congolais, Gabonais, etc. et a mis sur pied des cours d’alphabétisation, des cours de français, etc.
Chaque paroisse catholique de la ville et des environs proches (les jeunes n’ont pas de quoi se payer un ticket de bus et viennent le plus souvent à pied) s’ est engagée à les accueillir quinze jours, deux ou trois fois par an. Nous fournissons le repas du soir, le coucher, le petit déjeuner.
Le matin, ils se rendent dans un Centre d’alphabétisation et/ou suivent des cours de français. Le samedi et le dimanche, ils font du sport, avec les sportifs de la paroisse (je n’en fais pas partie…); souvent, le dimanche, une famille qui a sympathisé avec l’un des jeunes le prend en charge.
Revenons à l’organisation de notre accueil: après le repas du soir, où ils dévorent (généralement, ils n’ont pas mangé le midi), nous voyons arriver l’un ou l’autre, pour reprendre avec les adultes accompagnants les cours de la journée; j’ai aidé Ali, seize ans. Le vendredi soir, il m’a demandé de travailler sur les verbes (de quel groupe sont-ils? Quel est leur infinitif?); Le dimanche soir, il me récitait, triomphalement, être et avoir au présent, à l’imparfait et au futur de l’indicatif. J’ai été émue devant tant de bonne volonté. Je lui ai donc expliqué le système des temps à l’indicatif et lui ai promis des livres de conjugaison et de grammaire. Un autre accompagnant m’a confié, sidéré: « En vingt minutes, j’ai expliqué à Muhammad ce que mes élèves de prépa font en trois mois… Et il a tout compris! »
Le souhait de ces jeunes est de s’intégrer. Ils souhaitent aller en classe, puis en université. Être utiles à leur pays, ou au pays qui les accueillera. Mais tout n’est pas si facile: ils n’ont pas le niveau collège, et ils sont bâtis comme des adultes. Les écoles hésitent donc à les prendre. Deux heures d’alphabétisation quelques jours par semaine, c’est peu. Il faudrait leur faire aimer notre langue, notre histoire, leur faire connaître notre culture. Mais , sans les intégrer dans un système scolaire adapté à leurs difficultés, à leur maturité et à leurs souhaits, c’est difficile.
La vie quotidienne n’est pas facile pour eux: dans un centre ouvert par la communauté baptiste, ils ont droit de prendre des douches, mais il faut aller vite et tôt, car la concurrence avec les SDF est rude : à six heures du matin, il y a encore un peu d’eau chaude.
Le fait de partager avec eux plusieurs repas, de discuter, de prendre conscience de leurs difficultés m’a vraiment fait réfléchir sur nos réticences à ouvrir nos cœurs, et nos maisons. Ce n’est pas le cas des plus jeunes: mon fils, très impressionné de la pauvreté de ces ados, est retourné à la maison et a donné à l’un d’entre eux sa belle paire de baskets et ses belles chaussures de cuir. (« tu comprends, maman, il n’avait que des chaussures de plage, en plastique, et il commence à faire froid »).
Ce que dit notre Pape François est impressionnant d’équilibre et de vérité. Oui, nous devons, ne serait-ce que par humanité, aider ces jeunes, ces familles. Et oui, il faut être prudent. Mais comment « trier » ceux que nous accueillons? En fonction de quels critères dire: toi, tu as droit à ma compassion, pas ton voisin?
Et comment la France peut-elle mieux organiser cet accueil, et créer des structures d’intégration? N’est-ce pas, par exemple, un devoir de l’Éducation Nationale de prévoir un peu partout en France des classes d’enseignement pour ces adolescents dont le profil est « non traditionnel »? (la Réforme des Collèges, qui nous perturbe tant, nous les professeurs, serait facilement adaptable aux jeunes réfugiés et leur permettrait, je pense, de progresser rapidement)
Si la France accueillait avec mesure, pondération et réflexion, comme le demande notre Pape, tous ces réfugiés, si elle était capable de leur offrir nourriture terrestre et formation intellectuelle… Comme je serais fière de mon pays!
@ crxscr: vous me permettrez de vous renvoyer à la lecture du commentaire de @ O.A pour vous apporter une réponse. Elle n’a pas mis le Christ à toutes les lignes mais quelque chose me dit qu’il y est.
Thierry Lhôte a écrit :
Et nous acceptons l’équivalent de 0,08% de notre population au titre des demandes d’asile. C’est dire si, nos frontières ouvertes, peu de monde souhaite entrer. Ce qui n’empêche pas certains de paniquer et de relire en boucle Le Camps des Saints.
O.A a écrit :
Je crains qu’il n’y ait pas de solution pleinement humaine à cette question, et que nous devrons toujours faire avec un système qui refusera l’accueil à certains. J’ai un peu de mal à l’accepter au titre de la « capacité d’accueil », que l’on évoque bien vite chez certains, alors que nous restons la 5ème puissance économique mondiale et que notre accueil effectif est sans commune mesure avec ce que font bien d’autres pays moins aisés. Je l’entends malheureusement davantage au terme de la stabilité politique intérieure, même si c’est un bien pauvre réalisme.
Ce qui me préoccupe, c’est l’aspect « ghettoïsation ». Peut-être l’évacuation de Calais aidera, mais je vois mal comment le campement pourrait ne pas se reconstituer, éventuellement avec les mêmes. Mais je constate malheureusement que nos cités ghettoïsent, que nos centres d’accueil ont tendance à ghettoïser…
Merci, en tout état de cause, pour votre commentaire, qui nous change des idées bien arrêtées sur les migrants, plaqués par ceux qui reprocheront aux autres leur volonté d’accueil malgré leur ignorance de la réalité des migrants tandis que leur propos ignorance les conduit, eux, à les rejeter par principe.
Cela nous change aussi des propos d’un Philippot ou d’une Morano qui, sans les connaître, préfèrent postuler qu’il se trouve chez eux des terroristes voire des violeurs, et exciter une population qui n’en peut déjà plus.
Clivestaple a écrit :
Je suis assez d’accord avec vous. Son propos laisse en effet penser que l’obligation n’est pas uniquement d’accueillir mais d’intégrer. L’intégration supposant des efforts au minimum réciproques.
@ Henrik Lindell : c’est assez sidérant en effet. Je me demande si nous n’avons pas droit à un double-effet « avion ». Le pape qui s’exprime de manière plus spontanée, mais les journalistes qui sont aussi certains de recevoir plus d’attention parce que le propos aura été tenu dans l’avion. Il semble difficile pour certains de tenir la cohérence d’une position pourtant exprimée de façon constante.
Merci pour ce billet.
Juste une remarque, pour avoir discuté maintes fois de cette question de l’accueil des migrants et/ou des réfugiés, notamment avec des tenants de la thèse du « grand remplacement ».
Je crois que nombre de français n’ont plus bien conscience du confort dans lequel ils vivent. Chrétiens, ils sont convaincus qu’il faut savoir « accueillir en théorie », mais il faudrait que ça ne change rien à ce confort. Et puis, ils n’aiment justement pas qu’on leur parle de confort, parce qu’on a nos pauvres à nous aussi, parce qu’on paie des charges quand on est patron, parce qu’il y a du chômage, parce que l’éducation nationale c’est le bordel, parce que le trou de la sécu, etc. Et puis, en plus, y a quand même beaucoup de musulmans dans ces migrants, alors bon !
Mais c’est oublier qu’on a une éducation nationale (gratuite), un système de santé qui permet de sauver des personnes qui, dans d’autres pays, seraient condamnées, … Est-ce qu’on mesure deux secondes ce que ça peut représenter de l’extérieur ? Est-ce que parce qu’on est musulman, on a juste le droit de se faire envoyer se démerder tout seul avec son pays d’origine, et tant pis si c’est pour y crever ? Non, être né français ne justifie en rien de s’accaparer ces privilèges.
Et du coup, je me dis que peut-être que si on passait moins de temps à râler contre ce qui ne va pas dans notre beau pays, et qu’on rendait grâce une fois de temps en temps pour tout ce dont on bénéficie, on tiendrait moins de positions scandaleuses sur par exemple un conditionnement de l’accueil des migrants aux « bonnes manières » qu’on serait en droit d’attendre de leur part en retour. Et même, soyons fous, on se mobiliserait pour leur bonne intégration, pas parce que ça nous rendrait la vie plus belle et que ça nous permettrait de continuer de vivre sans être trop bousculés, mais parce qu’on voudrait vraiment leur faire profiter de tout ce qu’on a de beau et bon à leur faire partager.
Quand on dit que « Aimer son prochain comme soi-même » suppose un petit peu de s’aimer soi-même, ça vaut aussi pour son pays. Réapprenons à aimer notre pays, notre société, à la trouver belle, à rendre grâce pour ça, en sorte d’avoir mieux conscience de tout ce qu’on a sans le mériter, et de retrouver l’envie d’y accueillir ceux qui ne sont pas aussi favorisés que nous.
Je remercie aussi OA pour son témoignage, ci-dessus. Il me rappelle aussi que les enfants sont un merveilleux exemples : enfermés sur eux-mêmes, ils feront caprices sur caprices pour accumuler jouets et loisirs, sans plus avoir conscience de la chance qu’ils ont. Mais donnez-leur ne serait-ce qu’une fois l’occasion de passer un peu de temps avec des personnes défavorisées, et ils sauront spontanément se priver pour partager. C’est peut-être aussi pour cela que la Christ nous demande de devenir semblables à des petits enfants.
« A-t-il jamais appelé à accueillir sans discernement, sans limite ? »
Mais quand on appelle à cette prudence, quand on appelle à ces limites, on est, je vous cite encore, un « charognard » au « rejet compulsif ».
Cohérent. Comme toujours sur le sujet… En prétendant appeler à la nuance, vous tomber dans la haine la plus pure de quiconque ne pense pas comme vous. En prétendant ouvrir le débat, vous l’interdisez totalement en disqualifiant d’office quiconque oserait penser autrement que vous.
@ Pneumatis:
« on tiendrait moins de positions scandaleuses sur par exemple un conditionnement de l’accueil des migrants aux « bonnes manières » qu’on serait en droit d’attendre de leur part en retour. «
Encyclique « Pacem in Terris » (Paix sur la terre) – Jean XXIII
11 avril 1963
in « Le sort des minorités »
« 97 – On observera pourtant que ces minorités, soit par réaction contre la situation pénible qui leur est imposée, soit en raison des vicissitudes de leur passé, sont assez souvent portées à exagérer l’importance de leurs particularités, au point même de les faire passer avant les valeurs humaines universelles, comme si le bien de toute la famille humaine devait être subordonné aux intérêts de leur propre nation. Il serait normal, au contraire, que les intéressés prennent également conscience des avantages de leur condition : le contact quotidien avec des hommes dotés d’une culture ou d’une civilisation différente les enrichit spirituellement et intellectuellement et leur offre la possibilité d’assimiler progressivement les valeurs propres au milieu dans lequel ils se trouvent implantés. Cela se réalisera s’ils constituent comme un pont qui facilite la circulation de la vie, sous ses formes diverses, entre les différentes traditions ou cultures, et non pas une zone de friction, cause de dommages sans nombre et obstacle à tout progrès et à toute évolution. »
Il parle d’un sujet différent mais similaire, qui sont les minorités.
A partir où vous êtes pris en charge, accueilli et sauvé par une autre culture, la moindre des choses en terme de valeurs universelles est bien de chercher à constituer un pont avec l’accueillant en faisant preuve de bonne volonté.
Cela me parait frappé au coin du bon sens. Et cela ne m’étonne pas pas d’un Pape saint.
@@ Koz:
« Et nous acceptons l’équivalent de 0,08% de notre population au titre des demandes d’asile. C’est dire si, nos frontières ouvertes, peu de monde souhaite entrer. Ce qui n’empêche pas certains de paniquer et de relire en boucle Le Camps des Saints. »
Un dernier petit commentaire et après je me tais.
Le chiffre est certainement indiscutable.
Cependant la Cour des comptes signalait que les déboutés du droit d’asile n’étaient tout simplement pas reconduit chez eux, même après décision formelle de justice en ce sens.
La loi n’est tout simplement pas appliquée.
Même si sur le papier nous avons une politique d’immigration, elle n’existe pas en réalité.
Bien d’autres lois ne sont pas appliquées me direz-vous.
De par son métier et ses engagements associatifs Sylvie Blanchet est depuis longtemps déjà au contact des migrants. Elle tient un blog sur le journal La Croix dans lequel elle nous fait part de son expérience sur le terrain et nous livre beaucoup de réflexions intéressantes. Voici le lien de son blog « Venir d’ailleurs, grandir ici »: http://aide-a-l-ecole.blogs.la-croix.com/
J’ai commencé la lecture de « Ma part de Gaulois » de Magyd Cherfi, chez Actes Sud. Il a été le parolier du groupe Toulousain Zebda. Je l’ai entrevu dernièrement dans une émission télé. Je n’en suis qu’au début de son livre où il raconte son enfance déchirée entre les siens et nous. Son désir de s’intégrer et ses difficultés à le faire, toutes ne venant pas de nous au passage. Il date de mai 2016.
Pneumatis a écrit :
C’est probable en effet. Quand on a perdu confiance dans son pays, quand on se sent en perte de vitesse, difficile d’envisager d’accueillir. Je m’efforce de ne pas oublier que, quelles que soient nos difficultés par ailleurs, nous sommes toujours la 5ème puissance économique au monde.
@ Thierry Lhote : si vous entendiez vraiment comparer, vous vous plongeriez aussi dans l’effectivité de la politique migratoire Suédoise, la réalité des reconduites à la frontière chez eux, etc.
Fikmonskov a écrit :
Il ne tient qu’à vous d’éviter d’être l’un de ces charognards, en évitant de tomber dans la récupération hâtive des propos du pape. Relevez le défi : accepter la cohérence des propos du pape dans leur ensemble. Ne faites pas votre marché, ni dans ses propos, ni dans l’Evangile. Ayez des propos miséricordieux pour les migrants, cela vous autorisera davantage à évoquer la prudence. Nous revoilà trois ans en arrière. Même conseil.
Car non, navré, ce n’est pas à la prudence que vous, et le milieu identitaire dans lequel vous évoluez, convoquez. Et le pape a peut-être bien pensé à ce milieu en faisant cette distinction essentielle :
Lorsque, à la suite de la mort atroce que l’on peut imaginer de migrants, noyés au fond de la Méditerranée, certains se trouvant incapables de trouver la sortie du bateau pour aller mourir lentement, vous n’avez pensé qu’à évoquer Le camp des saints dépeignant l’arrivée de migrants (à l’époque des boat-people, signe que le rejet compulsif n’attend pas de connaître la capacité d’intégration des personnes) comme celle d’une masse grouillante, ce n’est pas à la prudence que vous en appelez, c’est à la peur. Celle que vous ressentez, celle que vous entretenez chez les autres. Et nous étions deux ans avant la véritable crise migratoire.
Pour le reste, de la haine, non. N’allez pas tout de suite créer un Observatoire de la fachophobie, ce serait un peu ridicule.
On peut s’opposer sans haïr. Et radicalement de surcroît. Vous l’avez certainement écrit pendant le Mariage Pour Tous. Mais de la colère oui, très certainement. Colère spécialement contre ceux qui travestissent la Parole et le christianisme. Ceux qui le convoquent au rang du patrimoine identitaire. Qui le traînent dans la boue des extrémismes. Qui imposent le silence . Et si cette colère nécessite ma vigilance, si elle ne me plaît pas, j’en veux davantage à ceux qui la suscitent que je ne m’en veux de la ressentir.
« Il y a des colères saines », comme disait Ségolène Royal 🙂
@ Thierry Lhote:
Vous avez raison de rappeler ces paroles de Jean-Paul II. Mon propos ne consistait en rien à les nier : il est évident que la personne accueillie a un devoir envers le pays qui l’accueille. Mais selon la même logique qui fait que Koz a rédigé ce billet, je reste scandalisé quand ce devoir qui s’impose aux migrants devient prétexte, par anticipation, à refuser d’accueillir ceux qui arrivent, particulièrement quand ils sont en situation de grande vulnérabilité, et de leur donner leur chance.
Relisez bien les propos de Jean-Paul II dans leur ensemble : nulle part il ne dit que l’on pourrait refuser d’accueillir des étrangers si on juge par avance que – au hasard, parce qu’ils sont musulmans, par exemple – ils ne pourront pas s’intégrer. Un tel jugement, auquel on subordonnerait notre devoir d’hospitalité, n’aurait rien de la prudence : il relèverait du plus pur préjugé sur les personnes. En disant cela je ne prétends pas que l’intégration ne pose aucune difficulté, je dis juste que devant ces difficultés, le rejet a priori est une solution aussi facile qu’elle est inique.
Pneumatis a écrit :
+1.
Il existe bien des façons d’évacuer la parole du Pape quand elle dérange. La méthode la moins subtile est de dire qu’il parle de ce qui ne le regarde pas et que les prêtres devraient rester dans la sacristie qui est leur place – c’est un classique. Plus finement, on peut déformer et sélectionner dans ses propos, avec le résultat décrit par Koz. Autrement, on peut essayer de détourner la conversation vers des principes soi-disant plus élevés (quitte à en inventer) comme le montre crxscr ci-dessus. On peut aussi opposer un Pape à un autre, même s’il faut pour cela faire un peu de tri. Il y a sûrement encore d’autres types d’échappatoires que je n’ai pas recensés.
Au bout du compte, l’objectif est toujours le même: surtout ne rien changer, rester dans le confort d’une position déjà établie. Les pharisiens en faisaient déjà autant il y a 2000 ans…
@ Koz:
J’espère. Je ne prétend pas savoir où le Christ se trouve. Je ne prétend PAS être prophète.
Mais je crois sincèrement que l’on ne peut pas tout accepter, que savoir dire NON est aussi important que de savoir dire OUI. Que l’on eut dire NON en étant chrétien, non pas guidé par un sentiment de peur ou de haine, mais par l’autorité que nous avons à exercer. Nous sommes doués de raison, non pas seulement de sentiment, nous pouvons porter un regard critique.
La question du mal dans le monde nous amène à réaliser qu’on peut tolérer un mal parce qu’il amène un bien plus grand.
Certes la vague d’immigration qui emplit le pays montre que nous n’avons pas su aller suffisamment vers les pauvres et que se sont les pauvres qui viennent à nous. Mais il serait incohérent, incomlet de ne considérer que cet aspect!
Peut-on penser qu’il est illusoire de croire que l’on peut intégrer, dans des conditions largement dégradées, toute une génération de migrants alors que nous avons échoué depuis 50 ans et que c’est une évidence criante dans de nombreuses villes française ? Est-ce ne pas être charitable, est-ce être peureux que de considérer ce fait ?
Peut-on penser que la cohabitation pacifique de deux masses aux asirations différentes, aux religions affirmées, avec une vision de l’avenir différente ne peut que mener que ce qu’il est convenu d’appeler la « libanisation » de notre pays ? Vous évoquez la ghettoïsation possible, mais la ghettoïsation est un fait dans toutes les grandes villes de France et dans beaucoup des moyennes. Est-ce ne pas être charitable, est-ce être peureux au regard de ces faits, que de ne pas vouloir de guerre civile comme toutes celles qu’ont pu vivre l’Algérie, le Liban, le Soudan, la Syrie ?
Peut-on penser qu’il imprudent de vouloir supporter cette charge nouvelle alors que notre état peine à faire respecter ses lois, ses frontières, peine à trouver un équilibre budgétaire (5 000 milliard de dettes), peine à créer des emplois, à assurer la sécurité de ses ressortissants sur son propre territoire, à faire rêver ses petites têtes blondes qui partent aux Etats Unis ou en syrie ? Est-ce ne pas être charitable de penser que charité bien ordonnée commence déjà par soi-même ?
D’aucuns pourront m’opposer Matthieu V, 43-48 et je vous répondrais « Quis ut Deus ? »
« Soyez donc prudents comme les serpents, et simples comme les colombes. » (Mt X 16)
Pourquoi être prudent? Le serpent de la genèse sait se jouer de la simplicité.
@ Gwynfrid:
Je vous demande pardon de m’être mal exprimé, de ne pas être pertinent. Je ne comprend pas tout, mais la réponse à cette question ne réside pas dans l’opposition de principe à une refus d’accueil. Le Pape parle de capacité d’accueil. Sans vouloir extrapoler ou inventer, peut-on simplement reconnaître que la notion de capacité implique des bornes, des limites? Qui peut juger de ces limites alors que le migrant frappe à la porte ? Le migrant ou l’hôte ? Le migrant et l’hote ? Serait-il juste de ne considérer que l’avis du migrant au mépris de l’avis de l’hôte ? Pourquoi avoir des frontières, pourquoi avoir une politique migratoire si l’Etat n’a pas voix au chapitre alors qu’il est souverain chez lui ?
En guise de comparaison: pourquoi l’Eglise a-t-elle toléré le principe de la peine de mort alors que c’était en contradiction littérale avec le Décalogue ?
C’est-à-dire, puis-je refuser d’accueillir quelqu’un qui frappe à ma porte ? Je ne sais pas, mais ce n’est pas parce que c’est en contradiction littérale avec des préceptes évangéliques que c’est forcément inconcevable dans des conditions données.
En Lot-et-Garonne il y a eu et il y a une présence des immigrés depuis longtemps déjà. Les vallées du Lot et de la Garonne ont été et sont toujours des lieux de passage. Quatre fois par an sort la revue « Ancrage en partage » qui s’intéresse à ce phénomène historique « éternel » dans notre histoire locale. Voici un lien pour s’en faire une idée: http://www.ancrage.org/nos-publications/bonus-num%C3%A9rique/
Merci Koz pour ce billet qui permet de se remettre dans le droit chemin.
A force d’entendre sans cesse des faits divers sur les migrants, l’existence de campements sauvages en plein Paris ou aux frontières, de voir ces hommes (en majorité il faut bien le reconnaître) errer dans nos rues, de constater les dégâts engendrés par l’immigration à la porte de chez moi (Gennevilliers), j’ai tendance à me laisser aller et à me dire que « ça suffit, laissons les à leur (triste) sort en Méditerranée ».
A près avoir lu ton billet, j’ai plutôt tendance à me dire: après tout, nous avons encore un peu à partager de nos richesses.
Merci donc.
Un grand merci pour ce blog, à Erwan son animateur que je salue amicalement et à vous tous ses contributeurs. Comme beaucoup d’entre nous, je suis habité par la question suivante : comment répondre à l’appel du Christ (« aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé ») dans notre société et notre pays aujourd’hui ?
Concernant notre attitude vis-à-vis des migrants, il me semble que le message du Pape est clair : oui, comme disciples du Christ, nous avons un devoir d’accueillir et de venir en aide à tout pauvre, et les migrants qui arrivent jusqu’à nous sont bien évidemment des pauvres à accueillir et à intégrer. Merci à O.A de son témoignage, merci à toutes les familles et associations qui viennent en aide à nos frères migrants. Plus largement merci à tous ceux, chrétiens ou non, qui se dévouent auprès de tous les autres pauvres (SDF, handicapés, vieillards, malades, prisonniers, habitants des zones de non-droit, femmes en détresse…). Le Pape vient nous rappeler avec force , à travers la crise migratoire, l’exigence de la charité. Chaque chrétien a le devoir urgent de s’engager personnellement, de sortir de son confort, pour faire une action concrète et si possible dans la durée au service des plus pauvres.
Mais oui nous avons également un devoir collectif de prudence (d’ailleurs toujours dicté par la charité). Nier, même au nom de l’Evangile, les difficultés économiques et sociales de notre pays et les très graves tensions internes qui le minent et risquent de le détruire, est suicidaire. Il me semble que nous devrions tout de même nous interroger sur notre capacité collective à offrir un avenir, un emploi, une véritable intégration à ces migrants, alors même que nous peinons à offrir des perspectives à nos propres enfants. Dès lors, si nous avons un devoir d’engagement réel et concret au niveau personnel pour les migrants qui sont sur notre sol, il me paraît indispensable au niveau collectif de créer les conditions pour limiter et gérer leur flux. Cela impose une révision complète de toutes les politiques menées depuis 40 ans dans le domaine européen, international et social, « bref de sortir du cadre ». Pardonnez-moi d’avoir été si long.
La question, Tonio, est avant tout pour moi celle du sentiment premier, et ce fut celle aussi du pape. Quelle est notre réaction face aux drames qui frappent les immigrés (qu’ils soient migrants ou réfugiés) ? Nous laissons-nous toucher ? J’ai été choqué de constater que beaucoup de chrétiens (à tout le moins les plus visibles) étaient dans un rejet a priori, « fermaient leurs coeurs« , en considérant qu’il fallait sauter immédiatement l’étape de la solidarité, de la compassion, parce qu’elle pertuberait notre jugement, et en passer directement à la question des politiques publiques. Choqué que des catholiques, quand on nous annonçait que 400 personnes avaient sombré à quelques mètres des côtes européennes, n’aient manifestement comme première préoccupation que la crainte que cela incite à accueillir.
Cela ne signifie pas qu’il faille lever toutes les régulations, qu’il faille abandonner toute politique migratoire. Cela signifie simplement qu’il faut se laisser toucher d’abord. Accepter de ressentir ce que peut être pour ces gens la nécessité d’émigrer.
En outre, en tant que pays, que nation, nous sommes coresponsables de la marche du monde. Notre responsabilité n’est pas exclusive et peut-être même pas première, mais elle n’est pas inexistante dans la déstabilisation des pays d’émigration ou de transit. Je pense spécialement à la Syrie ou à la Libye (tout en reconnaissant qu’il y a des facteurs locaux essentiels). Nous ne pouvons pas, moralement, refuser d’assumer les conséquences de cette responsabilité. J’aurais tendance à penser qu’au demeurant, la Syrie et la Libye paient les conséquences de leurs propres facteurs internes de déstabilisation (que ce soit l’islamisme ou la folie des dirigeants).
Enfin, j’ai un peu de mal avec la notion de « capacité d’accueil ». Elle est parfois évoquée avec une légèreté certaine. Que la cinquième puissance économique mondiale n’ait pas la « capacité d’accueil » de la population immigrée actuelle me paraît bien discutable. C’est aussi le cas parce que nous ne voulons pas que cela nous bouscule un tant soit peu. Je n’ignore pas qu’il faut aussi mettre dans la balance les questions culturelles et pas seulement économiques. La comparaison avec les vagues d’immigration antérieures ne me paraît à cet égard pas convaincante, en raison du fait que les Italiens, Espagnols, Polonais avaient des différences culturelles mais un fond commun.
Pour autant, l’intégration doit se faire dans les deux sens : les arrivants doivent rechercher à s’intégrer mais encore faut-il que les locaux veuillent bien qu’ils s’intègrent. Or, ceux qui fustigent le plus fortement leur incapacité à s’intégrer sont aussi ceux qui les ont toujours rejetés.
Bref, tous ces facteurs doivent être pris en compte. Je n’adhère pas vraiment non plus à la distinction entre la charité personnelle et la solidarité d’Etat (concept que je vois passer et que je pressens forgé très à ma droite). Nous pouvons, évidemment, être contre la solidarité d’Etat et pour la charité personnelle. Mais je pense que notre charité personnelle doit aussi avoir des conséquences sur notre vision des politiques publiques. Je ne peux pas m’empêcher de penser aussi que bien nombreux sont ceux qui font cette distinction mais n’ont jamais rien entrepris au titre de la charité personnelle – coup double, en sorte.
Tout ceci n’étant pas une réfutation de ce que tu écris, qui n’en est pas très éloigné, mais une poursuite de la discussion, que ce soit clair 😉
@koz, « La comparaison avec les vagues d’immigration antérieures ne me paraît à cet égard pas convaincante », j’ai souvent entendu évoquer la notion de fond commun (pays de culture catho) pour les immigrés Italiens, Espagnols et Polonais. Mais je me souviens enfant d’avoir entendu dire des Polonais « leur catholicisme n’est pas compatible avec le nôtre » et je me souviens d’avoir entendu bien des réflexions désagréables sur les Espagnols parce que trop communistes et trop anarchistes. Mais bon le passé est le passé et la situation est nouvelle. Ce que j’ai remarqué à mon niveau c’est que nous trouvons plus facilement les bonnes raisons de ne pas accueillir que d’accueillir. La situation présente fait un peu peur tout de même. Il faut faire un effort sur soi-même pour dépasser les craintes et les hésitations.Mais sur le fond je partage votre point de vue et je pense que vous avez raison d’écrire ce que vous avez écrit.
Les sentiments, les réactions instinctives, les affects,…
Concrètement : accepte-t-on ou non les reconduites à la frontière ?
J’ai beaucoup d’admiration pour ceux qui visitent les prisonniers, se décarcassent pour aider ceux qui sortent de prison, etc. Je ne suis pas pour la suppression des prisons.
@ Aristote:
Concrètement : accepte-t-on ou non les reconduites à la frontière ? Je trouve votre question intéressante parce qu’elle soulève un autre problème. Il paraît que les non reconductions sont nombreuses parce que certains migrants n’ont aucun papier et refusent de dire d’où ils viennent. ( je ne sais pas le nombre exact) Et il paraît aussi que certains pays refusent le retour des migrants chez eux. J’ai entendu cette affirmation avant hier soir sur Arte dans l’émission « 28 minutes ». (Je ne sais pas combien cela concerne de personnes et je ne connais pas la liste des pays qui refusent le retour des migrants chez eux.)
@ crxscr:
Votre argumentation sonne juste. Il n’empêche que le Pape François en personne est allé à la rencontre des migrants. Il les a personnellement accueillis notamment dès 2013 à Lampedusa. Il a joint les actes à la parole.
Le Pape François n’a pas peur des migrants. J’ose même dire qu’il n’a peur de personne, ni des assassins, ni des voleurs, ni même des terroristes de Daech. Il est un exemple à suivre. Plus que de légitime prudence, c’est surtout de courage chrétien dont nous avons besoin.
Il faut replacer les propos du Christ dans leur contexte juif. l’étranger est en général celui qui n’a pas de terre ou de ressource ,tout simplement parce qu’il n’est pas dans sa tribu. Il est d’ailleurs régulièrement assimilé à la veuve et à l’orphelin. Bien sûr ces mots au singulier ont un sens général, mais chez des peuples semi-nomades les étrangers qui arrivent en masse sont des ennemis (Voyez les guerres de l’AT)
je voudrais remercier @crxscr pour avoir mis l’accent sur des mots (charité – justice, capacité d’accueil, prudence) qui nourrissent le débat si bien qu’il m’a semblé que koz finissait par les accepter (« Bref tous ces facteurs doivent être pris en compte »).
Il y a 3 ou 4 mois, je roulais dans un véhicule d’entreprise dans la direction d’un couvent dominicain qui héberge des migrants. A 1 kilomètre du couvent, je vois sur le trottoir un Africain marcher dans le même sens que moi je roulais. De par l’endroit où il se trouvait, la direction où il allait et son aspect général, je me dis que c’est sûrement un migrant qui va au couvent. Juste à ce moment, l’Africain tourne la tête vers moi et fait le signe de l’auto-stop. Instinctivement, je m’arrête à sa hauteur, je lui dis de monter et je le dépose 1 kilomètre plus loin à l’entrée du couvent qui était effectivement sa destination.
Je n’ai pas fait grand chose (à part désobéir à mon employeur qui interdit formellement de prendre des auto-stoppeurs) mais j’essaierai de mieux faire la prochaine fois.