L’information, tombée un 5 novembre, ne pouvait pas surpasser la tourmente américaine dans l’actualité, et pourtant : le débat sur la fin de vie revient à l’Assemblée Nationale fin janvier. On en devine l’issue. Ainsi s’achèverait 40 ans de débat fondé notamment sur cet argument : le bénéfice de disposer d’un choix, quand bien même nous ne l’exercerions pas. L’argument est simple, populaire, et faux. Il est contesté depuis aussi longtemps que dure le débat, par exemple par un philosophe pourtant favorable à l’euthanasie, J. David Veleman, dans un article de 1992 : Against the right to die. En fait de bénéfice, ce choix sera un préjudice. Pour nous tous. Quand bien même nous ne l’exercerions pas. Car disposer d’un choix n’est pas bénéfique par nature. Pensons seulement au choix de travailler le dimanche, ou de nuit. Avoir ce choix implique la nécessité de le refuser, et de s’en expliquer. Et nous ne parlons pas de travailler le dimanche.
Dès lors qu’une personne aura le choix de vivre ou de mourir, elle sera mécaniquement considérée comme l’agent de sa propre survie. Ce qui constituait pour elle un simple donné – vivre sa vie jusqu’à son terme naturel – devient sa décision. Or si c’est sa décision, ou si les autres considèrent que tel est le cas, alors ils pourront l’en tenir pour responsable, et lui demander d’en justifier. Cette demande de justification pourra emprunter toute la palette allant du tacite à l’explicite. Elle se logera même dans l’intime : si ce n’est pas la famille dysfonctionnelle qui évoque les frais de la maison de retraite médicalisée, ou la société qui calcule les dépenses publiques engagées pour la garder en vie, c’est dans son for intérieur que la personne pourra s’interroger. La question du sens de sa vie et du poids imposé aux autres – aux enfants et même à la société – épargne peu de personnes en fin de vie. Alors cessez cette lecture. Prenez un instant pour imaginer que vous ne trouviez pas, aux yeux des autres du moins, de raisons satisfaisantes pour justifier le choix de continuer d’exister. Et imaginez ce que devient votre propre perception de vos raisons de vivre encore.
Veleman le notait en 1992 : « notre culture est extrêmement hostile à toute tentative de justifier une existence faite de passiveté et de dépendance ». Depuis, notre société confrontée au mur du vieillissement qui se dresse s’est même mise à valoriser par préférence le courage des personnes qui choisissent le suicide. Qui donc aura le plus fort à faire pour justifier sa décision de vivre, sinon les plus fragilisés, âgés, dépendants, pauvres ? En fait de liberté, cette loi sera un poids. Adoptée pour le confort moral des bien-portants, qui y trouvent un échappatoire à leurs angoisses de mort et de souffrance, elle viendra peser sur les plus faibles. Ce sera : ton choix, ta responsabilité. C’est effrayant et c’est l’époque dans laquelle nous entrons.
Photo de razi pouri sur Unsplash
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Je suppose que ce doit être lassant ou fatiguant de lutter ainsi presque vainement contre la majorité. Mais sachez que vos articles n’ont pas été inutile. Je suis passé d’un soutien mou pour le droit a l’euthanasie, a la conviction qu’elle ne peut être toléré que dans des cas réellement exceptionnels, et que la légalisation n’est pas le meilleur moyen de gérer ces cas.
Donc merci de m’avoir ouvert les yeux, et je souhaitais vous assurez que vous contribuez réellement à faire changer l’avis des citoyens.
Merci pour ce témoignage.
J’y adjoindrais volontiers mes remerciements, ceux d’un lecteur trop passif sur ce sujet, mais qui se réjouit de pouvoir compter sur des personnalités du calibre de Koz pour le porter justement et habilement dans le débat public.
Merci. Si vous le pouvez, partagez ces textes. Nous n’avons un peu que ça, quand en face, ils ont entre autres… France Télévision.
Merci infiniment pour votre message. Il est vrai que c’est un peu désespérant parfois de comparer les moyens dont je dispose et celui dont disposent les partisans de l’euthanasie.
Merci pour votre commentaire. En plein accord avec vous. Notre société entendra t »elle ces arguments éthiques et psychologiques de bon sens ? Prions à cette intention.
C’est en effet loin d’être certain. J’ai le sentiment que, par peur, par volonté de se préserver, beaucoup refusent d’entrer réellement dans le débat et se contentent des arguments rhétoriques du type de celui que j’évoque ici : « c’est un choix, qui ne vous enlève rien »
Vous exprimez, avec les bons arguments, ma conviction intime. J’ai commencé ma vie et passé une partie de ma jeunesse dans un pays totalitaire. Ma vision de la vie a été influencée par cette expérience-là et je pense que la légèreté des positions occidentales (ah, cet Occident que nous avions idéalisé !) me choque d’autant plus. Je vous lis avec le sentiment que tout n’est pas perdu… Merci!
On ne peut évidemment pas regretter l’autoritarisme (l’euthanasie pourrait nous être imposée autoritairement) mais le libertarianisme – entre autres courants de pensée parties prenantes – cause ses propres dégâts
Je ne suis pas sûre que vous ayez bien compris l’influence que j’évoquais précédemment et ce que j’ai appelé la « légèreté » des gens libres. Le manque de liberté et le poids d’une souffrance infligée par un régime politique autoritaire vous poussent à apprécier les petites choses de la vie, celles qui vous ont été refusées et qui, dans un monde « normal », semblent aller de soi. Je constate une tendance à aller vers la facilité et vers le mimétisme, à se laisser convaincre facilement par les modes sans réfléchir soi-même aux conséquences des actes trop vite approuvés.
Non, je n’avais en effet pas saisi précisément, mais merci de l’expliciter. Je suis assez porté à vous croire.
Merci de si bien exposer les effets indésirables de la possibilité de “choisir” le jour et l’heure de sa mort.
Et merci à ce philosophe de m’avoir aidé à le formuler.
Merci Koz, votre démonstration est limpide : c’est un nouveau carcan qui nous amène évidemment tout droit vers l’euthanasie civique !
La propriété privée est sacrée (art 17 de la DDHC), mais qu’en est-il exactement pour la vie humaine au XXIeme siècle ?