L’autre islam


Once again, ce billet de temps de campagne ne traitera pas ostensiblement de campagne. Pas de cabinet noir ou d’insularité Guyanaise. Parce que ça me désole. Que ça me troue la la. Une fois de plus, vous, moi, nous allons faire comme si. Comme si cette campagne n’était pas désespérante. Comme si une campagne présidentielle avait une chance de tenir le rôle qu’on aimerait tant lui reconnaître : tenir un débat productif sur les enjeux de nos années à vivre. Parmi ceux-ci, il ne serait pas inconvenant d’évoquer l’islam, mais sur un autre mode qu’éruptif ou accusatoire. Et dans ce monde parallèle, le livre que publie Anne-Bénédicte Hoffner – Les nouveaux acteurs de l’islam – serait utile à notre vie politique.

*

Car le fait est qu’il y a des musulmans en France. Et des musulmans français. Les autres Français peuvent bien tenter de s’astiquer la moelle en songeant remigration, c’est une chimère dont l’unique objet est de masquer leur refus de penser le sujet, d’appréhender la complexité du monde. Remigration, ça peut vous donner des airs intellectuel quand « on les renvoie à la mer » fleure son turfiste aviné mais, au bout du ballon, c’est la même idée. Les autres Français peuvent, aussi, se plaire à songer que « l’islam n’est pas compatible avec la République ». Mais gare : c’est parler comme eux. Eux ? Les fondamentalistes musulmans. Et l’islam tendance wahhabite. Ceux qui entendent convaincre leurs coreligionnaires de s’opposer à la République. Voulons-nous vraiment joindre nos voix aux leurs pour convaincre les jeunes musulmans de l’incompatibilité de principe, radicale, de leur foi et de la République ? De l’inanité de la moindre recherche d’intégration ? Et que croyez-vous qu’un jeune croyant abandonne, si on lui donne le choix entre sa foi et la République ? Que croyez-vous que j’abandonnerais, si l’on me disait : « c’est la République ou le Christ » ?

Bien. Alors la seule voie est de tenter que ce soit l’un et l’autre. La solution peut difficilement venir de nous. Ce n’est pas un non-musulman qui pourra dire à un musulman comment vivre sa foi. Pas un chrétien non plus. Nous pouvons en revanche nous interdire de prêter main-forte à nos ennemis en ignorant ceux qui, avec courage, au prix de leur intégrité, contre leur propre communauté, tentent de trouver des voies, d’offrir un chemin possible à des jeunes musulmans qui vivent une aspiration à la liberté, liberté d’opinion, de vivre, à l’égalité, qu’un islam de gardiens de chèvres transmuté au XXIème rend impossible à satisfaire.

Ces « nouveaux acteurs » sont lucides.

Je n’en pouvais plus d’entendre que l’islam est la religion de la tolérance et de la paix. Je voyais bien les contradictions entre versets
Ils ne se mentent pas sur l’islam. Nayla Tabarra le dit : « je n’en pouvais plus d’entendre que l’islam est la religion de la tolérance et de la paix. Je voyais bien les contradictions entre versets, certains appelant à l’amitié, à l’altérité, d’autres à la méfiance ou même à la guerre ». Aussi a-t-elle cherché comment les prendre tous en compte, comment les articuler. Mohamed Bajrafil lui, souligne – et c’est à vrai dire troublant pour l’idée qu’un chrétien se fait d’une religion – que « l’islam n’est pas un angélisme. Il faut donc non pas faire comme si l’on pouvait se débarrasser de la violence une fois pour toutes, mais codifier son usage, établir les règles qui permettent de la limiter autant que possible, et surtout comprendre que seule la violence peut justifier, défensivement, la vôtre ». Sous réserve d’approfondissement, ce n’est pas si éloigné des lois de la République, qui ne prétend pas se débarrasser de la violence mais en codifier l’usage. Au demeurant, si certains chrétiens reprocheront à l’islam un tel accommodement avec la violence, qu’ils réalisent alors que ce qu’ils nous enjoignent de faire, en réponse, en « ouvrant les yeux », est bien de réagir de la façon qu’ils reprochent aux musulmans : en (re)légitimant la violence.

Les quelques parcours que retrace Anne-Bénédicte Hoffner parlent au croyant, non-musulman. Ainsi quand Mohamed Bajrafil, se récitant des passages du Coran, dit : « leur trouver des sens nouveaux en fonction de mon état me met en joie ». Combien de fois découvrons-nous des sens nouveaux à l’Evangile, en fonction de notre état ? Ainsi quand Hicham Abdel Gawad décrit sa « crise d’adolescence intellectuelle », lui qui est passé par le salafisme. « Aujourd’hui, estime-t-il, sa foi a gagné en intelligence ce qu’elle a perdu en merveilleux, en « transcendant »». Et il n’est pas le seul à constater que ne pas s’accrocher au merveilleux n’atteint pas pour autant le cœur de la foi[1].

« La vérité, c’est que la France, aujourd’hui, réalise beaucoup mieux la charî’a que bien des pays musulmans »
Ils prennent des risques. Mohamed Barjafil explique à ses auditoires que « la vérité, c’est que la France, aujourd’hui, réalise beaucoup mieux la charî’a que bien des pays musulmans » en lui rappelant les « critères traditionnels : droit de croire ou de ne pas croire, protection de la vie, droit de propriété, conditions matérielles et juridiques de la perpétuation de l’espèce ». Farid Abdelkrim, ancien Frère Musulman, sur le voile : « Comment remettre ça au goût du jour ? Pourquoi mettre autant d’énergie à porter un voile ? Mettre le paquet sur la forme n’est que le signe d’un déficit d’intériorité. Il faudrait réorienter cette énergie, dire à ces filles « commencez par faire le bien autour de vous »». L’islamologue (et musulman) Michaël Privot ose remettre en question la nature incréée du Coran : « je m’autorise à lire le Coran comme un texte qui va résonner en moi, en assumant ma condition d’homme du XXIème siècle. Le foulard, le halal, serrer la main ou non à une femme… Tout ça n’était pas l’essentiel à l’époque du Coran. Ce devrait encore moins l’être aujourd’hui ». Nayla Tabbara rappelle sa découverte de l’existence de variantes du Coran : « je ne le savais pas et pourtant c’était là, sous mes yeux, puisque tous les commentaires du Coran en font état, en mentionnant « le Coran d’Abdullah », c’est-à-dire la version d’Abdullah Ibn’Masud ».

Ils savent qu’ils sont minoritaires. Et nous ne pouvons pas nous faire davantage d’illusions. Mais les salafistes sont minoritaires aussi, bien qu’influents. Entre eux ? Entre eux, il y a la masse des fidèles, indécise ou indolente, traditionnelle et répétitrice, inquiète à l’idée de ne pas être de bons musulmans, puisque les rigoristes le disent. Je suis à deux doigts de leur dire qu’ils ne sont pas les seuls concernés. Que, plus un croyant est faible sur ses bases, plus il se réfugie dans le fondamentalisme. Moins il comprend sa foi, plus il s’abandonne au littéralisme. Et inversement.

*

Non, nous ne pouvons probablement pas grand-chose pour eux. Sauf peut-être leur donner plus de visibilité. Sauf arrêter de propager, comme le font certains livres récents pour – disent-ils – ouvrir les yeux des Français, une vision tronquée et unilatérale de l’islam. Sauf renoncer à se faire les complices imbéciles de nos propres ennemis, en laissant croire au jeune musulman qu’il n’est qu’un islam, islam violent. Sauf cesser d’essentialiser l’islam. Sauf briser la logique identitaire, la nôtre, la leur. Sauf leur réserver la possibilité d’une amitié. C’est aussi à cela que contribue Les nouveaux acteurs de l’islam.[2]

  1. dans une certaine limite, je le concède []
  2. Je n’ai évoqué que quelques-uns de ces parcours. Ils sont pourtant tous édifiants, notamment par le courage de ceux qui sont souvent passés par un islam radical avant de s’engager dans un islam d’ouverture []

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27 commentaires

  • J’ai grandi dans le Nord de la Côte d’Ivoire (majoritairement musulman). Après mon Bac, j’entre dans à l’Institut Polytechnique au Sud, et là, je découvre un autre islam minoritaire au Nord mais qui semble partout et même qui contrôle l’association des étudiants musulmans. Chrétien, j’ai commencé à être mal alaise avec certains amis musulmans. Un ami musulman avec qui j’avais fait le lycée me confirme qu’il lui ait difficile de prier à la mosquée de la cité universitaire, ne supportant pas les prêches et certaines règles.

  • Un croyants recherche le salut ,si un auteur théologien ou autre à d’autres intention derrière ( dans le cas de ces « nouveau » acteurs des intentions politique , concorder l’islam et la « République » ) alors je l’écoute clairement pas
    C’est pour cela que le succès de ces sois disent « nouveau » acteurs sera limité doit je
    « Aucun serviteur ne peut servir deux maîtres. Ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. »
    Cordialement un lecteur musulman

  • Merci Koz toujours. C’est clair, c’est juste mais, hélas, ce n’est pas le discours qui prévaut chez tous les chrétiens et encore moins chez ceux qui sont loin de toute religion. Ce n’est guère mieux dans les équipes interreligieuses où là les chrétiens tombent souvent dans l’angélisme en tolérant toutes les exigences (voile, halal…) et même en les expliquant (nous sommes une société muticulturelle donc tout doit être toléré…!). On n’est pas sorti de l’auberge ! Mais je conseille souvent d’écouter les émissions religieuses du dimanche matin, l’émission Islam est bien menée par Ghaleb Bencheich la plupart du temps, et il ne me semble pas salafiste, ou alors je n’ai rien compris.Moi je l’enregistre et comme je ne trouve pas grand-chose à regarder les soirs de semaine, je les écoute. gardons le moral !

  • Merci pour cet intéressant billet, qui laisse tout de même ouverte la question qui hante tous les non-croyants : pourquoi plusieurs religions ? Laquelle est la vraie ? Tous les croyants étant sincèrement convaincus de la justesse de la leur, comment expliquent-ils que tous les autres soient à ce point dans l’erreur ?

  • Un article très intéressant koz.

    Déjà je ne suis pas tellement d’accord pour dire qu’un chrétien n’à rien à dire sur l’Islam, parce que je ne pense pas par réciproque qu’un musulman n’à rien à dire sur le christianisme; « et discutez avec eux de la meilleure des manières »; et donc pas en donneurs de leçons… ce qui ne serait pas ton cas.

    Pour les salafisto-whahabites, je confirme pour la nullité des arguments et vais même plus loin pour l’alliance avec ceux qui veulent les chasser: un thème plus que récurrent est l’OBLIGATION de la hijra, c’est à dire quitter la France.
    A cela la meilleure réponse que je connais est:  » la hijra? Où ça? »

    Par contre pas d’accord avec toi si tu penses que bajrafil n’est rien qu’un isolé: il est connu et écouté, de ce que je peux voir…

  • Merci pour cette lecture!
    Ma vision des choses a partir d’un pays wahabite rejoint enormement la synthese que tu as faite du livre: finalement la France est un pays ideal pour que les musulmans puissent faire en paix et en toute intelligence un travail exegetique et theologique. C’est rassurant de voir que certains embrassent cette opportunite.
    Parce que sinon la contrepartie, que je vois ici dans le Golfe, est que certains Francais musulmans fuient litteralement la France, etant comvaincus que cette derniere ne leur laisse pas de place pour pratiquer leur islam. Je ne suis pas convaincue par ailleurs que l’islam whahabite qu’ils rencontrent ici les satisfasse pour autant, masi c’est un autre sujet.

    Concernant la reflexion sur les chretiens qui n’ont rien a dire sur l’Islam, je pense que si, au contraire, mais dans une posture de dialogue, comme celle de Pierre Claverie (Cf « Petit Traite de la Rencontre et du Dialogue »: un petit bijou…)

  • @ Youtez : ces acteurs (mais on ne peut pas non plus considérer qu’ils aient une vision unique) n’ont justement pas de vision politique, ne cherchent pas spécialement à réconcilier l’islam et la République. Ils se sont même souvent éloignés de tendances politiques de l’islam pour revivifier sa dimension spirituelle. En revanche, ils s’inquiètent assurément de la prédominance d’un islam qui rejette les valeurs communes possibles ainsi qu’un certain nombre de points communément acceptés en France.

    @ Hugues KOUADIO : cela illustre la diversité de l’islam. Et, clairement, l’enjeu est compliqué dans notre cas, dans la mesure où une part notable des musulmans présents en France semble influencée par un islam rigoriste voire wahhabite. Pour qu’un autre islam soit possible, il me semble indispensable à tout le moins qu’il soit connu des musulmans français, et qu’il ne soit pas discrédité – par les musulmans tenants du premier, ce qui sera compliqué mais, c’est la moindre des choses et c’est notre intérêt, par nous aussi.

    @ Jean-Luc : et encore, si vous saviez, Jean-Luc, on ne s’arrête pas là. Il faudrait encore ajouter à ceux-là tous les athées convaincus non seulement de l’erreur dans laquelle se trouvent les croyants mais encore de leur infériorité intellectuelle. Il y a, de fait, assez peu de personnes pour considérer que ce sont les autres qui ont raison et eux-mêmes qui sont dans l’erreur, et fermement résolus à y rester. Croyants, ou athées.

    Mais Nayla Tabbara vous répondra mieux que moi (p. 177) :

    « Les croyants de toutes les religions considèrent encore souvent la vérité comme un ballon : soit je l’ai, soit c’est toi. Dans l’Eglise catholique, le concile Vatican II a battu en brèche cette conception en affirmant que nul ne peut affirmer la posséder en totalité. Comme musulmane, je considère qu’il y a davantage de vérité dans l’islam, mais je peux reconnaître aussi les « rayons de vérité » dans le judaïsme, le christianisme, les autres religions et cheminements personnels qui se basent sur la foi et la bienfaisance »

    Je serais heureux qu’un athée puisse écrire une chose similaire. Ca n’est pas si souvent le cas que cela.

    @ Jacotte : non, en effet, je ne pense pas que cela soit un discours majoritaire, mais j’ai un peu l’habitude de ne pas me trouver majoritaire. Je suis même parfois vaguement inquiet quand c’est le cas, craignant d’avoir raté quelque chose. Mais bon, je plaisante un peu : je ne pense pas que ce soit le discours que l’on entende le plus, parce que ses adversaires sont des braillards, mais je ne suis pas sûr qu’il ne soit pas plus largement partagé que cela.

    Après, il est certain qu’il est plus facile de se laisser aller à la défiance, de « reprendre ses billes » à la première faute de l’autre justifiant que l’on ne devait pas lui faire confiance, d’agiter la peur. Chacun commet des fautes. Il y a des inquiets, des violents, et des cons partout. La crainte, c’est qu’ils mènent le monde. Parce que chacun prend prétexte de ce que commet le mec d’en face. Refuser cet enchaînement est un volontarisme.

    @ Panouf : ce que je veux dire par là, c’est que si l’islam doit se réformer, dans l’état actuel des choses, je ne pense pas qu’il soit imaginable que cela puisse venir de l’impulsion des chrétiens. Je ne veux pas être catégorique : il est possible en effet que quelques questions sincères puissent aider. Mais pour un jeune embarqué dans un islam fondamentaliste, quelle légitimité a un chrétien ?

    Pour ce qui est de l’audience des personnes citées, je ne suis pas un bon connaisseur de l’islam, et je suis même assez ignorant de ceux qui sont écoutés ou non. Mais le fait que ces acteurs (Hichem Abdel Gawad, Iqbal Gharbi, Michaël Privot, Mohamed Barjafil, Farid Abdelkrim et Nayla Tabbara) ne soient pas majoritaires en islam, affirmé dans le livre, me semble assez exact pour la perception que j’en ai néanmoins – et compte tenu du crédit que je fais à l’honnêteté intellectuel de l’auteur du livre.

    @ Tellou : l’influence de l’islam wahhabite est d’autant plus un problème que nous nous mettons en position de débiteur, économiquement. On ne peut pas imaginer que cela n’emporte pas une influence culturelle et religieuse.

  • Merci Koz.

    Il y a cette théorie de la zone grise. Cet espace de cohabitation entre les musulmans et le reste du monde dont la disparition serait l’objectif stratégique de l’Etat Islamique. Chacun de leurs forfaits espère une surréaction anti-musulmane, une méfiance diffuse…

    J’achète cela mais je pense qu’il y a aussi une deuxième zone grise, symétrique. L’espace entre Daech et le reste des musulmans. Et cette deuxième zone grise, peut-être que sa disparition devrait être notre objectif stratégique.

    J’aime ce que tu dis de ce livre car il renforce la première zone grise et réduit la seconde. Oui, on peut être musulman et libre, mais il faut pour cela renoncer aux extrêmes. Tu as raison, on distingue des parallèles avec ton propre livre.

    A contrario, la triste controverse du burkini allait dans le mauvais sens. Tout le monde assimilait la burka à l’islam mainstream, soit pour la rejeter, soit pour l’accueillir.

    Et tu as aussi raison de souligner le courage de ces gens. Car l’islam extrémiste est violent et assassin. Et il frappe surtout ceux qu’il voit comme des tièdes, car ils sont ses principaux ennemis stratégiques.

    Je termine en te félicitant pour le choix de la photo qui illustre ce billet. La calligraphie islamique est vraiment magnifique. Peux-tu nous dire ce que ça veut dire?

  • Je n’en ai radicalement aucune idée 😉 J’ai extrait la calligraphie de la couv du livre (cf en vignette). La quatrième de couv indique qu’elle a été réalisée par Asayish Hassan Barzanji.

    Lib a écrit :

    Et tu as aussi raison de souligner le courage de ces gens. Car l’islam extrémiste est violent et assassin. Et il frappe surtout ceux qu’il voit comme des tièdes, car ils sont ses principaux ennemis stratégiques.

    Je cite souvent, ces derniers temps, le numéro de Dabiq – la revue de Daech – paru l’été dernier. Je l’avais évoqué dans ce billet. Cela illustre à merveille comme dans chaque camp – avec certes une violence fort différente dans le camp islamiste – certains s’appliquent à mettre à bas toute tentative de dialogue. C’est l’une des raisons pour lesquelles je le soutiens : parce que, contrairement à ce que prétendent ses contempteurs, c’est un véritable défi, une vraie difficulté, une discipline qui requiert une énergie renouvelée et guère naturelle, quand le ressentiment et la méfiance ne demandent pas beaucoup d’efforts pour être pratiqués.

  • Je sais bien que comparaison n’est pas raison mais si les personnes qui fuient Daech se comportent comme les Républicains espagnols ils vont remettre en cause l’islamisme pur et dur comme les Républicains espagnols ont remis en cause le catholicisme pur et dur de l’Espagne d’alors.Et s’il y a quelques milliers de personnes pour rejoindre Daech il y en a des centaines de milliers qui les fuient et qui viennent vers nous. Je pense qu’ils finiront par dire et écrire pourquoi et par remettre en cause un islam dont ils ne veulent pas. Sur les deux dernières années j’ai participé à des repas cathos-musulmans en Lot-et-Garonne et j’ai bien senti combien c’est dur pour les musulmans de vivre les événements en cours. Il y un côté tragique dans l’Histoire en cours. Depuis les premiers massacres de musulmans en Bosnie jusqu’à ce qui se passe maintenant.

  • Koz a écrit :

    Les croyants de toutes les religions considèrent encore souvent la vérité comme un ballon : soit je l’ai, soit c’est toi. Dans l’Eglise catholique, le concile Vatican II a battu en brèche cette conception en affirmant que nul ne peut affirmer la posséder en totalité.

    Merci beaucoup Koz pour cette citation pleine d’ouverture, d’espoir et extrêmement prometteuse !

    Ne sous-estimons pas la tâche cependant, tant il paraît délicat d’extraire des « rayons de vérité » fragmentaires d’une religion sans la dénaturer entièrement. Par exemple le Christ peut-il n’être que partiellement sauveur voire pas du tout, tout en préservant une vérité au christianisme ? Ou sinon, comment les autres religions s’accommodent-elles d’un Christ sauveur ? La tâche paraît plus ardue encore lorsqu’on inclut bouddhisme, shintoïsme, et toutes les religions non abrahamiques.

    Les athées me semblent suivre un questionnement différent, de l’ordre de « pouvez-vous nous montrer que vous avez un ballon ? »

    En tous cas le dialogue constructif inter-religieux paraît une clé essentielle de l’avenir de nos sociétés voire de nos civilisations. Merci encore d’avoir ouvert ce débat.

  • Déceler un rayon de vérité ne peut évidemment pas porter sur le cœur même de la foi. Des croyants de bonne volonté, disposés à échanger, n’en attendent pas autant de l’un ou de l’autre. Ce ne serait plus un dialogue mais une conversion. Mais chacun peut reconnaître en l’autre une disposition spirituelle respectable, voire admirable, une volonté de rechercher la vérité et la justice. Certes pas avec tous, mais autant se préoccuper de ceux avec lesquels c’est possible.

    Plus formellement, voici ce que l’Eglise en disait lors du Concile Vatican II :

    L’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s’ils sont cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu’ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète ; ils honorent sa Mère virginale, Marie, et parfois même l’invoquent avec piété. De plus, ils attendent le jour du jugement, où Dieu rétribuera tous les hommes après les avoir ressuscités. Aussi ont-ils en estime la vie morale et rendent-ils un culte à Dieu, surtout par la prière, l’aumône et le jeûne.
    Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le saint Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté.

    Je serais peut-être amené à moduler d’ailleurs ce propos, étant discutable que les musulmans se réfèrent au même Jésus et à la même Marie que les chrétiens, mais je peux sans difficulté reconnaître les dispositions admirables d’un musulman, prises au nom de sa foi.

    Quant aux athées, je serais heureux que leur questionnement soit si bienveillant. J’aurais tendance à considérer que c’est le cas des agnostiques, quand les athées ont plutôt tendance à dire : « vous pensez avoir un ballon, vous n’avez qu’une panse de brebis rance ».

  • Personne ne possède la vérité, mais toute personne qui cherche sincèrement la vérité est convaincue que ce qu’elle perçoit comme étant la vérité est la meilleure approximation de celle-ci. Sinon elle changerait de conviction.

    Le fait qu’un musulman ne partage pas ma foi n’empêche donc pas qu’il cherche sincèrement la vérité. Et prétendre que s’il ne se rend pas à mes raisons, c’est qu’il n’est pas sincère dans sa recherche serait parfaitement outrecuidant.

    Mais à quoi reconnait-on que quelqu’un recherche sincèrement la vérité. Que lui-même accepte aussi que la vérité ne se possède pas ?

    Pour les chrétiens la vérité n’est pas une thèse, mais une personne et donc par définition on ne peut la posséder. Comment le problème se pose-t-il pour les autres, je ne sais pas trop.

    Il faut certes être particulièrement ouvert à l’autre islam. Peut-être pas de façon trop ostensible car cela peut leur rendre la vie plus difficile dans leurs relations avec la zone grise.

  • Merci de nous faire connaître ce livre, qui s’annonce passionnant et plein d’espoir (commandé hier, j’ai hâte de le lire).

    Vous avez raison d’écrire que si la nécessaire réforme de l’islam ne peut venir que de l’intérieur, nous pouvons au moins nous attacher à donner plus de visibilité aux musulmans français et étrangers qui oeuvrent dans ce sens.

    A ce titre, permettez-moi de conseiller à tous l’excellent numéro hors série de Courrier International : « les libres-penseurs de l’islam ».
    Permettez-moi aussi de souligner que les différents acteurs religieux non-musulmans (dont vous êtes, Koz) ont aujourd’hui une responsabilité immense, celle de toujours rester ouverts au dialogue tout en exigeant de leurs interlocuteurs musulmans cohérence et honnêteté.
    Trop souvent s’affichent des « représentants de l’islam » dont l’objectif est de se poser en victimes ou de balayer toute critique de la religion, (alors que, pour citer Abdelwahab Meddeb, « l’islamisme est la maladie de l’islam, mais les germes sont dans le texte ») au détriment de ceux de nos concitoyens musulmans qui font preuve d’un esprit de dialogue sincère et, souvent, d’un vrai courage à la fois intellectuel et physique (j’ai mentionné nos concitoyens, mais n’oublions pas les risques que prennent des personnes comme Kamel Daoud).

    Je pense en particulier à la question sensible de la liberté de conscience, c’est à dire du droit à la conversion, donc à l’apostasie. Dans la plupart des pays musulmans, le fait pour un musulman de se convertir à une autre religion est illégal, puni de prison (comme au Maroc) voire de mort (comme en Arabie Saoudite). En France, le CFCM dans ses statuts a explicitement refusé d’accepter le droit de changer de religion.

    Or, ce refus a été brillamment dénoncé par des musulmans français (notamment Leïla Babes et Michel Renard http://www.liberation.fr/tribune/2000/06/26/quelle-liberte-de-conscience_328669), sincèrement musulmans (quoi que leur vision de l’islam soit minoritaire) et en même temps bien plus fidèles aux valeurs de la République et à la culture française que ceux qui ont laissé faire l’hypocrisie du CFCM. Voilà ceux avec qui nous pouvons et devons dialoguer.

  • David M a écrit :

    Trop souvent s’affichent des « représentants de l’islam » dont l’objectif est de se poser en victimes ou de balayer toute critique de la religion,

    Alors, vous lirez avec intérêt ce que développe Farid Abdelkirm qui « refuse d’entretenir les musulmans de France « dans une posture victimaire, comme s’ils n’étaient jamais responsables de ce qui leur arrive ».

  • Merci pour ce billet. Tant qu’il y aura des gens pour réfléchir à construire des ponts plutôt que des murs (pour reprendre une parole bien connue de François), tout espoir ne sera pas perdu. Mais, pour construire un pont, il faut aussi partir d’une base solide sur sa propre rive: c’est ce que font ces « nouveaux acteurs » en interrogeant et en approfondissant leur foi. Et c’est ce que nous faisons de notre côté, en les écoutant et en relayant leur réflexion – qui pourrait bien enrichir la nôtre.

  • Le principal problème dans l’Islam c’est qu’il est divisé en plusieurs courants qui ont des interprétations différentes du Coran. Ils n’ont pas de hiérarchie comme nous les catholiques qui leur donne des pistes pour vivre leur foi au quotidien. J’ai l’impression que les imams font un peu ce qu’ils veulent. Peut être que je me trompe car ils sont probablement avec leurs exégètes. Cependant, nous ne sommes pas légitimes pour leur demander de changer de religion. Par le passé, la Révolution française avec la Constitution Civile du Clergé ou la Réforme ont montré que lorsque des idées étaient imposées de force, cela pouvait mener à la guerre. Par contre, on peut s’arranger pour faire respecter les lois qui condamnent les appels aux meurtres ou font l’apologie du terrorisme (à condition de bien définir cette notion pour éviter tout abus de pouvoir).

  • Le débat Coran créé/incréé qui permettrait de « moderniser » l’exégèse a eu lieu il y a 1000 avec les Mutazilites.Les partisans d’un Coran incréé ( donc immuable) ont gagné, et clos le débat….
    Il n’est pas sûr que la crise de civilisation que subit le monde musulman à cause du choc avec la modernité permette cette « agiornamento »… On constate plutôt que cela va en sens inverse ( Turquie par exemple)

  • Koz a écrit :

    L’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes.

    C’est une belle synthèse. Je pense cependant que l’Église regarde aussi avec estime les bouddhistes et les shintoïstes, même s’ils ne répondent à aucun des critères donnés ici. C’est pourquoi je crains que si on combine les « rayons de vérité » perçus dans les autres croyances il ne reste plus en commun qu’un vague déisme voire même un simple humanisme. Au risque que chacun campe sur ses positions.

    Aristote a écrit :

    toute personne qui cherche sincèrement la vérité est convaincue que ce qu’elle perçoit comme étant la vérité est la meilleure approximation de celle-ci.

    C’est très juste. C’est pourquoi il me semble que l’athéisme se situe sur un autre plan, qui s’efforce de clarifier les critères permettant de définir « la vérité ». En faisant l’hypothèse qu’il existe un « monde réel » universel et extérieur à chacun d’entre nous, qu’il existe aussi de pures productions de l’imagination humaine, et qu’il convient de tenter de faire la part des choses entre ces deux aspects.

    Grand merci en tous cas pour ces échanges qui stimulent la réflexion !

  • En 1808, Napoléon a donné définitivement la citoyenneté aux juifs de France. Il leur a imposé un certain nombre de conditions, et notamment celle de porter un prénom en usage dans la langue française : Jacques plutôt que Jacob, par exemple. Il y a longtemps que les maires n’ont plus de droit de contrôle sur les prénoms donnés aux enfants, mais il est sûr que si les musulmans prenaient les mêmes habitudes que les autres descendants d’immigrés, ce serait un pas important: Joseph plutôt que Youssef, et pourquoi pas Nelson, Bryan ou Océane qui n’ont plus rien de chrétien.

  • Sans doute il n’est pas possible de trancher par la logique humaine la question de Dieu.
    Le coeur est converti par une force mystérieuse qui lui fait goûter, un jour, dans le silence du coeur, la parole de Dieu à travers l’Evangile, pour les chrétiens.
    Dieu vient en chacun , en celui qui le demande, par un silence qui n’est pas de ce monde.
    Les chrétiens ont une quantité impressionnante de données sur la vie du Christ, et sa photographie à ce jour toujours inexpliquée et surtout unique, par le linceul, ou bien encore par le mouchoir de Véronique ou encore la sainte tunique.
    D’autres évoqueront Maria Valtorta qui donne une lecture historique parfaite de la vie du Christ, grâce à 4 années de visions ininterrompues entre 1943 et 1947.
    D’autres s’appuieront sur la vie de Padre Pio pour y voir l’oeuvre de Dieu, vivante, actualisée, jusqu’en 1968, année de son retour au Père.
    Il sera vain de comparer la foi de ceux qui ont le goût du Christ en eux avec une autre Foi.
    Il faut voir le fruit du christianisme par les congrégations, les communautés, le don de soi de milliers de frères et de soeurs pour enseigner, soigner, guérir, sans chercher à convertir, pour saisir la beauté de ce que le Christ nous a confié : aimer le prochain, quelqu’il soit.
    C’est seulement par l’humanité et l’exemplarité que le chrétien peut convertir, sur un plan céleste et terrestre à la fois.

  • Jean-Luc a écrit :

    En faisant l’hypothèse qu’il existe un « monde réel » universel et extérieur à chacun d’entre nous

    Bien sûr. Car sinon il est impossible d’échapper au solipsisme qui met fin à toute tentative de mener avec son prochain une conversation substantielle.

    Le problème, c’est la définition de ce « monde réel ». Elle est loin d’être évidente. La question divise aussi bien les athées que les croyants, notamment parce que la vision traditionnelle d’un monde « matériel » dont la définition serait indépendante de nos capacités d’êtres humains pensants, est de plus en plus difficile à défendre. Les neurosciences s’inscrivent dans un postulat matérialiste, légitime en tant que principe méthodologique, mais qui n’apporte pas de lumière sur ce problème fondamental.

  • Aristote a écrit :

    la vision traditionnelle d’un monde « matériel » dont la définition serait indépendante de nos capacités d’êtres humains pensants, est de plus en plus difficile à défendre.

    Cette question nous emmènerait trop loin, je le crains, et ne me paraît pas changer le fond du problème ici.

    Quelle que soit la définition du « monde matériel » je pense que vous admettez que chaque individu dispose d’une imagination, d’un inconscient, de biais de perception, etc … qui lui permettent de bâtir un monde intérieur propre et possiblement sans aucun rapport avec ce « monde matériel », extérieur, universel et partagé.

    La question de base de l’athéisme, et surtout le problème de fond pour rapprocher les « vérités » de chacun, est de savoir comment distinguer les deux.

  • Jean-Luc a écrit :

    je pense que vous admettez que chaque individu dispose d’une imagination, d’un inconscient, de biais de perception, etc … qui lui permettent de bâtir un monde intérieur propre et possiblement sans aucun rapport avec ce « monde matériel », extérieur, universel et partagé.

    Chrétien convaincu, je ne crois pas être déterminé sans reste par un monde « matériel, extérieur ».

    Mais un athée matérialiste dirait que si, acceptant tout au plus que le jeu du hasard perturbe le déterminisme au sens classique. Que mon comportement soit la résultante de déterminismes ou d’évènements aléatoires, cela ne change rien, je n’ai pas de réelle autonomie. Ce n’est pas la thèse que je défends, mais elle a ses défenseurs, notamment dans le monde scientifique.

  • Aristote a écrit :

    Chrétien convaincu, je ne crois pas être déterminé sans reste par un monde « matériel, extérieur ».

    Sans doute, mais mon ambition était plus modeste. Elle se résume à :

    1) il existe un monde matériel, universel et partagé

    2) chacun porte un monde imaginaire, psychique et privé

    les vérités universelles et partagées entre tous les humains ne peuvent se manifester que dans le 1), comment faire pour le distinguer du 2) ?

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