L’alarme à gauche

Comment la gauche a-t-elle pu devenir la supplétive béate d’un libéralisme qu’elle abhorre en intégrant dans ses fondamentaux  la promotion de la mort provoquée, par euthanasie ou suicide assisté ? Comment la gauche, qui n’a de cesse de souligner les déterminismes sociaux à l’œuvre dans le courant de la vie peut-elle succomber au mirage d’une « loi de liberté » lorsque celle-ci va vers sa fin ? Comment la gauche, qui « s’est fait le chantre d’une société inclusive » peut-elle se résigner à ne l’être qu’« en demandant à l’individu lui-même de savoir s’en retirer quand il est trop vieux, trop dépendant, trop seul » ? Isabelle Marin, médecin, et Sara Piazza, psychologue, exercent toutes deux en soins palliatifs en Seine Saint-Denis. Pour s’y être frotté, l’auteur de ces lignes les sait aussi radicalement de gauche que certainement athées. Et c’est avec toute la flamme de leur incompréhension sincère qu’elles interpellent leur famille de pensée dans un ouvrage tout juste paru (Euthanasie, un progrès social ? éd. Feed Back). Marie-Georges Buffet, qui le préface, n’hésite pas à le reconnaître : ce livre « a provoqué [chez elle] un profond questionnement sur le sens de [son] engagement et surtout sur son ambition ».

Il n’est qu’à lire ce que rapportent les auteures sur les perspectives de genre et de race pour ramener les prétentions de liberté à leur juste mesure. Elles rappellent les études qui soulignent que, pour les populations afro-américaines, « mourir dans la dignité », ce n’est pas mourir d’euthanasie, c’est avoir accès aux mêmes soins que les autres. Elles alertent sur les « gendered risks », qui pèsent sur les femmes, plus isolées, plus enclines au sacrifice. Si la mort provoquée n’était qu’une affaire de liberté, ces disparités n’existeraient pas. Ce ne sont pas Shannah Wouters et Joke Marimam qui contrediront Isabelle Marin et Sara Piazza : en plus d’être femmes, elles sont porteuses de handicap. Était, pour la seconde. Manquant de moyens financiers, Joke Marimam a été euthanasiée en Belgique le 11 septembre 2023. Pour les mêmes raisons, Shanna Wouters le sera bientôt, à 38 ans. « J’ai vraiment aimé vivre, mais si vous devez vous battre tous les jours pour survivre, cela s’arrête à un moment donné. C’est pourquoi je mets de l’ordre dans mes papiers pour mon euthanasie ». La gauche, qui voulait changer la vie, peut-elle se satisfaire d’arranger leur mort ?

Photo de amirreza jamshidbeigi sur Unsplash


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2 commentaires

  • Merci encore de vos belles réflexions. Puissent-elles faire réfléchir ceux qui ont le pouvoir de décider de la vie et de la mort de leurs semblables.

  • Je pose cette question naïvement, car c’est un point que je ne comprends pas : le suicide est totalement légal, tandis qu’il y a une obligation d’assistance à personne en danger. Le suicide est aussi comme quelque chose contre lequel la société doit lutter – campagne de prévention contre le suicide.A ma connaissance, les partisans de l’euthanasie, comme leur opposants, ne contestent pas ces deux points.

    Or si l’euthanasie n’est qu’un autre nom pour le suicide assisté, quels sont les arguments qui justifient que le suicide doit être combattue par la société, mais que le suicide assisté doit être autorisé et supporté ?

    La seule position tenable pro-euthanasie est donc de limiter très très fortement ce droit, pour qu’il soit réservé à : 1) ceux qui ne peuvent pas matériellement se suicider seul et 2) pour lequel il y a consensus dans la société que la situation est ‘objectivement’ insupportable. Ou alors, prendre la position (position jamais défendue à ma connaissance), que le suicide est quelque chose de parfaitement normal et acceptable pour notre société.

    Ma position est la suivante : les rares cas ou l’euthanasie pourrait être acceptables, sont tellement rares qu’ils ne méritent pas de s’attaquer au tabou de donner la mort à autrui. La Justice, qui , elle, doit s’adapter à la situation et aux personnes, est un outil bien mieux adapté pour gérer ces situations. D’ailleurs, de témoignage de médecin, les euthanasies existent actuellement, et personne n’est allé en prison pour cela.

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