Agnès Firmin-Le Bodo, ministre de l’organisation territoriale et des professions de santé, a décrit dans le JDD le cadre du projet de loi à intervenir, légalisant pour l’essentiel l’euthanasie et/ou le suicide assisté. Comme le note le JDD, c’est donc elle qui portera le projet et non le ministre de plein exercice, François Braun, « réservé sur le sujet« . Il n’est pas banal que, sur un sujet aussi grave, le ministre de plein exercice soit écarté, ni que l’on choisisse une personne qui n’a jamais fait mystère de son engagement en faveur de l’euthanasie pour porter le projet, plutôt que celui qui conçoit des réserves. Ce choix est à l’image d’un processus qui prétend se parer des attributs de la concertation, tout en confiant systématiquement les clés du débat aux promoteurs de l’euthanasie.
Un défaut de sincérité constant, depuis la rencontre d’Emmanuel Macron en mars 2022 sur le marché de Fouras avec une personne atteinte de la maladie de Charcot au cours de laquelle il s’était dit favorable à une « évolution vers le modèle belge« . On a appris récemment que cette rencontre, présentée comme fortuite et ne traduisant pas nécessairement ses intentions, avait été précisément organisée au préalable par ses conseillers. Tout ceci est politiquement habile, mais foncièrement triste.
Sur le fond des déclarations d’Agnès Firmin-Le Bodo, quelques observations :
1. Agnès Firmin-Le Bodo soutient qu’Emmanuel Macron a fixé comme ligne rouge le fait que le discernement du patient soit intact. Outre le fait qu’il ait toujours réjouissant de voir présenter comme une « ligne rouge » ce qui procède de l’évidence (qui pourrait imaginer euthanasier une personne qui ne dispose pas de son discernement ?), ce n’est pas exact : Emmanuel Macron a retenu la proposition de la Convention citoyenne d’admettre un « consentement indirect » du patient. Dans ce cas, le « consentement » est rapporté par la personne de confiance, ce qui implique que le patient n’est plus en état de le faire et, partant, que son discernement n’est pas intact;
2. La ministre évoque un texte qui serait établi en « conconstruction » avec les soignants et les parlementaires. Aux dernières nouvelles, et pour ne citer que la profession la plus systématiquement confrontée à la fin de vie, la SFAP (Société Française d’Accompagnement et de soins palliatifs) n’a toujours pas été consultée ni contactée pour faire partie d’un tel groupe de soignants. De deux choses l’une : soit le texte est déjà rédigé, soit le gouvernement croit pouvoir réunir un groupe de travail composé de soignants et parlementaires sur les mois d’été pour parvenir à un résultat à la fin septembre. Il est difficile de penser que cette dernière possibilité, bien peu responsable, ait été retenue;
3. Dans la foulée de ce qui précède, la lecture du détail du cadre législatif prévu (retenant euthanasie et suicide assisté) conduit à se poser tout simplement la question du rôle dévolu aux soignants chargés de « conconstruire » le texte : que leur reste-t-il donc à construire ?
4. La ministre explique que les patients atteints de maladies psychiques et les mineurs n’auront pas accès à l’euthanasie. Il n’y a aucune illusion à se faire sur l’élargissement imminent d’un texte, dont il y a tout lieu de craindre que les rares limites actuelles ne servent qu’à en faire passer le principe, avant de le compléter. Le Conseil économique, environnement et social s’est visiblement senti assez fort pour éventer la tactique dès les premières lignes de la conclusion de son avis du 9 mai 2023[1]. Dans le discours de présentation de l’avis, la Rapporteure du groupe de travail a clairement mentionné l’euthanasie des mineurs comme futur élargissement, sans être contredite;
5. Agnès Firmin-Le Bodo cite deux « garde-fous. » Le premier serait l’existence d’une clause de conscience pour les soignants. Au-delà des critiques que formulent les soignants eux-mêmes sur cette clause de conscience, au-delà encore des limites dont l’exercice pratique d’une telle clause est confronté, c’est une proposition destinée à circonvenir l’opposition des soignants, mais il ne s’agit en rien d’un garde-fou pour les patients. Donc, en rien d’un garde-fou dans la réalisation de l’euthanasie. Le deuxième garde-fou serait que l’on propose aux patients une prise en charge palliative. Outre le flou de cette proposition, il ne s’agit que de la moindre des choses. Que la ministre en charge du projet ne soit pas en mesure de citer des garde-fous crédibles en dit long sur l’attention qu’elle y porte;
6. La ministre se voit interrogée sur le fait qu’elle prévoirait « contrairement aux pays étrangers, un contrôle à la foi a priori et a posteriori. » On ne pourrait qualifier de contrôle a priori que l’examen de la demande d’euthanasie par une commission indépendante. Il n’y a aucune indication en ce sens dans l’interview. S’il s’agit seulement de vérifier que la demande d’euthanasie correspond aux critères légaux avant de la réaliser, il est quelque peu audacieux de prétendre que la France serait le premier pays à le prévoir;
7. Agnès Firmin-Le Bodo prévoit que la loi comportera un lexique « afin de s’assurer que chacun ait la même définition. » Loin de pourvoir ici à une bonne compréhension grâce à une éthique du lexique, la ministre poursuit immédiatement sur une nouvelle redéfinition des termes – alors qu’elle nous gratifie déjà de l’obscure « aide active à mourir. » Ainsi explique-t-elle qu’elle « préfère l’appellation « mort choisie » à celle de suicide assisté, qui évacue la mort. Je suis persuadée qu’il faut justement la remettre au cœur de notre société. » Semi-habileté, qui entend ainsi faire droit à une observation assez consensuelle de l’évacuation de la mort pour, aussitôt, évacuer le suicide – ce qui constitue à l’évidence la raison d’être de ce nouveau vocable. Outre le fait que la loi n’a pas vocation à se faire le réceptacle des périphrases politiques mais à définir clairement ses termes pour les distinguer, il y a au moins deux conséquences à ce choix de vocabulaire :
(i) loin d’introduire de la clarté, on persiste à introduire de la confusion, car l’euthanasie comme le suicide assisté peuvent être tous deux qualifiés de « mort choisie » ,
(ii) on valorise le suicide, mort choisie plutôt que subie, ce qui est profondément nuisible à la prévention du suicide par ailleurs. A cet égard, le Comité Consultatif National d’Ethique, dans son pourtant regrettable avis n°139, disait clairement que « choisir une autre terminologie n’est qu’une manière de déguiser un parti-pris, orienté en faveur de la légalisation du SMA. » Agnès Firmin-Le Bodo déclarait pourtant, en début d’interview : « Un ministre fait de toute façon fi de ses opinions personnelles quand il s’agit de porter un tel enjeu. » Essayer de faire croire cela aux Français n’est pas exactement rendre hommage à leur intelligence.
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- « Les évolutions sociétales, les progrès de la recherche médicale mais aussi les futures évaluations et rapports sur l’effectivité de l’accès de chacun et chacune à ce droit de l’accompagnement de la fin de vie rendront nécessaires de nouvelles évolutions législatives« [↩]
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Ils n’ont même pas besoin d’être demi-habiles, parce que la demande sociale est là : transférer la responsabilité de la mort de la « biologie » au système de santé. Le discours sur l’autonomie n’est qu’une feuille de vigne.
Je partage toutes vos réserves.
La question pour moi est pourquoi l’aveuglement de la plupart sur les conséquences de ce choix, aveuglement qui n’est pas le propre de la France, mais celui de bien des pays, alors que les expériences belge et canadienne illustrent ces conséquences avec une terrible clarté.
On pourrait détailler longuement les raisons de cet aveuglement, mais je crois que cela correspond tout de même très bien à une volonté de maîtrise, couplée entre autres choses à une telle angoisse de la souffrance et de la mort que les gens ont envie d’y croire. Envie de croire qu’ils maîtriseront, envie de croire qu’ils résisteront à toute influence ou pression, envie de croire que ça se passera bien et qu’on saura faire respecter les limites.
Merci pour votre message.
Vous évoquez régulièrement l’indifférence que ces problèmes rencontrent dans l’opinion.
A notre échelle, quel serait le meilleur moyen de manifester que nous ne sommes pas indifférent ?
Difficile à dire. Se manifester auprès des politiques : écrire aux députés, sénateurs. Prendre la parole sur les réseaux sociaux, notamment Twitter. Journalistes et politiques y sont présents, cela contribue à donner une « ambiance globale ».