C’était il y a cinq ans, dans les studios d’une radio nationale, ma toute première participation à une émission. Des filles en soutien-gorge dans des fontaines. Voilà tout ce que la chroniqueuse à mon côté avait perçu des JMJ de Madrid. Ce que l’on peut affronter comme objections cons, des fois, rendez-vous compte… Notez bien que le catholique n’est pas un eunuque : si je devais me confesser publiquement, je reconnaitrais sans ambages une disposition personnelle à louer les merveilles du Créateur dans de telles circonstances. Mais tout de même. Il fallait être bien imperméable à toute démarche spirituelle, bien incapable d’imaginer que des jeunes puissent avoir d’autre motivation que la plage, l’alcool et les gonzesses pour leurs vacances d’été. Tous ne vont pas pour autant aux JMJ, mais certains le font.
Il y a cinq ans, j’aurais volontiers profité de l’enquête diligentée par La Vie sur les jeunes cathos participants. C’eut été une révélation pour mon interlocutrice : des jeunes peuvent avoir une vie spirituelle. Comme je vous le dis ! La preuve : les jeunes cathos y vont pour « vivre une expérience spirituelle forte » (à 71%). Et rencontrer des garçons ou des filles ne motive que 6% des inscrits aux JMJ : 94% des inscrits n’y vont donc pas pour ça. Après, évidemment, si l’amour a le bon goût de venir par surcroît…
Toi, jeune homme, toi, jeune femme, qui pars à Cracovie, tu étais un beau projet quand j’ai moi-même participé aux JMJ de Paris. Tu ne m’es donc pas étranger. Et j’ai une certaine tendresse pour le portrait que cette enquête dessine de toi. J’y perçois aussi des enjeux et des défis, auxquels certains d’entre vous devront bien se consacrer. Avec moi peut-être, parce que, vois-tu, si l’on dit que « les jeunes, c’est l’avenir », à quarante balais, j’ai encore dans l’idée d’être un peu le présent.
Tes motivations me touchent, par leur justesse. Je ne sais pas à quel point tu vivras cette expérience spirituelle forte que tu appelles de tes vœux. Il faudra que tu ne le perdes pas de vue, au cœur d’un si grand événement. Mais c’est une saine motivation. On me dira certes que c’est bien ce que l’on attend d’un participant. Peut-être, mais je suis content de te savoir au rendez-vous de cette attente. Amusant, en revanche, mais « donner une image dynamique de l’Eglise » est une motivation qui recule fortement depuis Madrid : à 33%, elle recule de douze points. Bien vu. Nul doute que l’effet François rende ce souci moins nécessaire. Mais même avec cet effet : l’essentiel est ce que tu vivras, pour toi, pour t’affermir pour les années qui viennent, pas l’image que l’on donne.
Politiquement, comment dire ? Autour de toi, tu trouveras 5% de gars de gauche et d’extrême-gauche. Si 19% ont explicitement déclaré ne se reconnaître dans aucune sensibilité politique et si 12% n’ont pas répondu – soit près d’un tiers qui ne souhaite pas se situer sur ce clivage politique – 44% se disent proches de la droite. Et 9% proches de l’extrême-droite – soit 25 points de moins que les cathos non-pratiquants, et 15 points de moins que les pratiquants réguliers (si l’on estime pertinente la référence aux dernières régionales).
D’ailleurs, si un paquet d’observateurs s’autorise à penser que toi, apparemment conservateur, tu aurais « des réserves » sur le pape François voire même « un malaise », tu leur réponds clairement : seuls 3% ont une opinion moins positive de l’Église depuis son arrivée. 45% en ont une opinion (encore ?) plus positive, 48% équivalente. Et tu adhères assez fortement aux positions que l’Église catholique développe, avec le pape François, y compris dans les domaines où l’on pourrait te soupçonner en retrait. Tu l’es un peu d’ailleurs, mais cela ne se traduit que dans le degré d’adhésion. Car tu es proche des positions du pape sur l’accueil des migrants et des réfugiés à 62% (très proche à 25%, assez proche à 32%). Figure-toi que tu me surprends, et que je trouve néanmoins cela intéressant, dans le palmarès de ton adhésion : car tu adhères grave sur la défense de la vie et la bioéthique (72%) mais tu adhères comme une moule sur son rocher aux positions sociales (à 82%). Ouais. 82% d’adhésion sur les questions sociales ! Ça fait tout de même de toi un « conservateur » pour le moins singulier et très sérieusement imprégné de la doctrine sociale de l’Eglise.
On ne va pas faire toute l’étude ensemble. T’as qu’à lire un peu, après tout, hé, gamin : va voir ta vie spirituelle, elle n’est pas triste non plus. Un dernier point, tout de même, puis deux observations.
Tu peux être fier de ton sens des priorités. Dans une société qui met tant en avant l’apparence, « se faire plaisir » et la réussite matérielle, voilà le top de tes critères « pour réussir ta vie »:
Toi qui pars, tu places même la réalisation de tes propres « rêves personnels » en cinquième position de tes critères pour réussir ta vie, deux rangs derrière le fait d’aider ceux qui en ont besoin !
J’avais promis deux observations, voici la première : comme en tout sondage, il ne faut pas oublier les minorités. Il serait même assez logique de la part d’un JMJiste d’y attacher une attention particulière. 71%, pour prendre un exemple au hasard, c’est massif. Ça ne signifie pas que les 29% restants soient négligeables. Il ne faut pas davantage oublier que cette étude concerne les participants aux JMJ. Contrairement à ce que j’ai lu ici ou là, et même si elle est probablement en partie représentative, ce n’est pas une étude concernant les jeunes catholiques dans leur ensemble. Il y a d’autres rendez-vous pour les jeunes durant l’été, et il y a des jeunes qui ne sont pas à l’aise dans ce type d’événements.
La deuxième est de l’ordre de l’enjeu, du défi. Il n’est pas satisfaisant que le profil sociologique des participants soit si homogène. L’éloignement et donc le coût supposé du voyage ne l’expliquent qu’en partie : les participants viennent à 71% de catégories moyennes et supérieures. Seuls 10% des participants viennent d’un catholicisme populaire. Tu as la tête sur les épaules, mais n’oublie pas cela. Nous ne pouvons pas vivre sans un catholicisme populaire, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un catholicisme bourgeois, pas plus que de la non-implication d’un catholicisme « de gauche », numériquement en déclin. Le christianisme doit souffler partout, dans tous les milieux, sur tout l’échiquier. Or, tu n’y es certes pas pour grand-chose mais ce catholicisme bourgeois est un tableau qui prend malheureusement corps aujourd’hui. Les valeurs que tu affirmes – ton adhésion aux positions sociales et ton souci de ton prochain avant toi-même – sont toutefois de belles raisons d’espérer que tu te montres à la hauteur des défis. Il te faudra être missionnaire, parfois auprès de ton entourage, et même parfois auprès de ton entourage croyant.
Mais pour le moment, si je peux me permettre : va et sois heureux ! Affermis-toi ! Profite pleinement de ce moment fondateur. Tu poses les fondations pour ta vie, et les bases de notre avenir. A Cracovie, vis la foi, vis la joie, et la fraternité, et l’amitié ! Et garde une place dans tes prières pour ceux qui ne sont pas avec toi. Y compris, petit frère, petite sœur[1] pour le vieux, là, qui reste à l’arrière.
Fraternellement,
Koz.
- non, vous n’avez pas l’âge d’être mes enfants, mes neveux et nièces, en revanche… [↩]
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Et à cinquante balais, que dit-on ?
Ma réponse est que nous devons, parents, adultes et responsables, faire croître notre pêche pour les suivre, les écouter, les accompagner sans les assister … aimons-les plus, plus, plus même si nous ne savons pas où ils vont nous embarquer ! merci pour ce billet spécial JMJiste, merci pour eux.
Vous l’avez noté : malgré les sollicitations multiples pour que les paroissiens participent financièrement à l’organisation des JMJ, il y aura cette année une proportion plus faible de jeunes de milieux populaires qu’à Madrid. Le voyage est plus long et plus couteux, est-ce la vraie raison ?
N’empêche que cela me rend bien triste, si j’étais jeune, je ne partirais sans doute pas à Cracovie. Mes parents étaient anti-cathos, entre autres, parce qu’ils se sentaient rejetés par ce qu’ils percevaient comme « une caste dominante » ; j’essaie de vivre en disciple du Christ mais il y a des lieux de foi où je ne me sens pas accueillie. La périphérie, c’est loin ?
Que l’Esprit souffle !
T’inquiète pas Koz, les « neveux et nièces » t’embarquent aussi avec eux, au moins par la prière !
j’en profite pour aller relire l’article « spiritualité » et « vie spirituelle » de Saint Edmond Prochain. ça faisait valser les commentaires https://edmondprochain.wordpress.com/2009/07/21/virez-moi-toute-cette-spiritualite/
@ Camille-madeleine : il est certain qu’il y a des attitudes qui peuvent être blessantes voire simplement la trop grande homogénéité d’une assemblée qui fait que l’on ne se sent pas à l’aise, pas chez soi. Je me souviens d’une femme dans un groupe scout, qui restait en arrière parce qu’elle était divorcée et ne se sentait donc pas à sa place. Personne ne lui avait pourtant fait aucune remarque et, connaissant le groupe, je doute que qui que ce soit ait eu une réserve quelconque. Mais on ne peut pas empêcher quelqu’un de se sentir malgré tout mal à l’aise. Cette homogénéité est aussi un problème dans le sens où l’on se met à parler comme si tout le monde avait la même culture, les mêmes opinions, la même spiritualité. Simplement par habitude. Et, oui, parfois, il y a aussi des attitudes explicitement pas accueillantes. A la décharge des milieux d’Eglise, on notera tout de même qu’ils n’en ont pas le monopole, et qu’ils ont parmi les rares à en concevoir des scrupules.
@ Dljsouris : et je les en remercie 😉