J’ai commencé sur un clocher et j’ai fini sous un figuier.
Ou plutôt non, je n’ai pas fini. Je m’y suis reposé pour y trouver un nouvel élan.
J’ai, plus clairement, lu trois livres. Il serait peut-être artificiel de prétendre qu’ils parlent tous d’identité et pourtant, je vais avoir la prétention de le faire. La France Identitaire, d’Eric Dupin, l’évoque assurément, avec anxiété. Chrétiens français ou Français chrétiens, conférence-débat de Natacha Polony, Fabrice Hadjadj et Don Paul Préaux, s’y consacre certainement, avec acuité. Quand tu étais sous le figuier…, du frère Adrien Candiard op. ne l’évoque pas visiblement. Pourtant, elle est peut-être bien là, mon identité, notre identité. Sous ce figuier, exactement. Dans l’intimité et l’espérance.
Un jour, Jésus s’est présenté pour commencer sa brève vie publique. On n’a cessé de le questionner sur son identité. Et lui-même a questionné. Tenez, pas plus tard qu’avant-hier : « et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? ». Mais passons. Quand il s’est présenté sur ce bord du Jourdain où il allait recevoir le baptême, la situation n’était déjà pas brillante, en Israël. Les Romains, Hérode, tout ça : je vous épargne le tableau et les lépreux.
Ce n’est pas bien brillant pour nous non plus aujourd’hui. Et il y a matière à s’inquiéter. La présidentielle qui part en sucette, l’Education qui vrille, la biodiversité qui se fait la malle et les Sarrasins qui ont passé les portes.
Des inquiets, sur ce dernier point au moins, on en croise une palanquée dans l’enquête d’Eric Dupin, La France Identitaire, enquête sur la réaction qui vient. Il les a rencontrés, ces identitaires, de Sautarel, le fondateur de FdeSouche, en passant par les cadres de Génération Identitaire jusqu’à Renaud Camus, le plus talentueux de cette galaxie angoissée[1]. Angoissée par une France qui change. Et elle change. Il le constate, le documente, jusqu’à évoquer un nombre de naissances étrangères évalué sur la base d’un dépistage à la drépanocytose dont je m’enquerrai davantage du bien-fondé. Mais c’est objectivement un fait, et un défi culturel. Quand on lit Eric Dupin et ses personnages, on ne peut s’empêcher de s’angoisser aussi, et de réaliser comme cette angoisse a tôt fait de s’insinuer et de s’installer en soi, jusqu’à occuper tout l’espace.
Comme il l’indique en conclusion, « posée par le camp identitaire, la question du même nom est pratiquement insoluble. Son « ethnodifférentialisme » poussé à l’extrême postule l’impossibilité d’intégrer, dans la société d’accueil, les minorités originaires de cultures différentes ». Je ne suis pas certain de vouloir tenter de résoudre la question de la même manière qu’Eric Dupin : nous avons nos sensibilités différentes. Mais une chose est certaine : si nous laissons l’avenir aux thèses identitaires, nous allons à la confrontation. Les plus habiles font mine de la redouter, les plus sincères l’attendent.
Et nous, donc ? Sommes-nous d’abord chrétiens, d’abord Français ? Quelle est notre place dans cette France qui évolue ? Sans apporter une impossible réponse définitive à cette question, la conférence-débat entre Natacha Polony, Fabrice Hadjadj et Don Paul Préaux, bien introduite par Arnaud Bouthéon, y apporte des éclairages substantiels. J’y ai trouvé bien des points d’accord.
Quand Arnaud Bouthéon écrit qu’« il nous semble vain de nous complaire dans la mélancolie d’un âge d’or civilisationnel. Laissons les morts enterrer leurs morts. Nous sommes vivants. Incarnés et ancrés dans la réalité du présent. Dépositaires d’un trésor à diffuser ».
Quand Fabrice Hadjadj souligne que la vocation du chrétien est d’être « sel de la terre et lumière du monde », c’est-à-dire de relever ce qui est déjà là. Quand il pointe le fait qu’il fut une époque où l’on construisait les plus belles églises… « mais à quel prix ? Celui de réduire le fait d’être chrétien à un prix, précisément, ou à un état civil (…) Cette confusion créait une identité « identitaire », une collusion avec le pouvoir en place (…) Qu’en est-il de la distinction entre pouvoirs civils et religieux ? Je crains que cette nostalgie de la chrétienté ne corresponde en vérité à une conception plutôt islamique du pouvoir et de la religion ».
Quand Natacha Polony, évoquant la vertu de discrétion qui a été évoqué, dans la polémique, par Jean-Pierre Chevènement au sujet des musulmans, développe ainsi : « la discrétion qui est demandé consiste, dans l’espace public, à ne pas se vivre comme un individu valorisant ce qu’il est, mettant en avant son identité. C’est le travers typiquement moderne auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. Il ne s’agit plus seulement de témoigner d’une foi mais d’affirmer : « moi je suis cela, moi je suis chrétien, moi je suis musulman et j’ai aussi mes racines, mon histoire… » Ce travers-là est profondément destructeur de toute société »[2]. Et encore quand elle s’agace, comme je le fais moi-même, de constater que l’on évoque aujourd’hui une « communauté » catholique.[3]
Après avoir précisé que « l’homme qui espère est un homme dont l’identité n’est pas identitaire justement : il ne peut pas s’affirmer et se définir par lui-même », Fabrice Hadjadj souligne ce en quoi je crois profondément : « l’espérance est opérative par elle-même« . Ma mission, la mission du chrétien, dit-il n’est pas de réussir : la mission du chrétien « est d’accomplir sa vocation ».
Si la question est de savoir « qui suis-je ? », alors, voilà : je suis un homme qui espère, je suis le sel de la terre. Et il n’y a qu’un pas à franchir pour considérer que c’est précisément cet homme qui espère qui est le sel de la terre. Le livre du frère Adrien Candiard op, est exactement l’efficace antidote à l’angoisse identitaire. Comme à son habitude[4], après Veilleur, où en est la nuit ?, Adrien Candiard vient souffler sur les braises de notre espérance. Nous en avons tant besoin. Car si notre identité est d’être le sel de la terre, l’évangile selon Saint Marc nous avertissait hier encore qu’il ne s’agit pas d’une garantie: « C’est une bonne chose que le sel ; mais s’il cesse d’être du sel, avec quoi allez-vous lui rendre de la saveur ? Ayez du sel en vous-mêmes« .
Adrien Candiard n’a pas trouvé le figuier que Jésus évoque auprès de Nathanaël (là : Jean 1, 45-51). Celui-ci, amené par Philippe auprès du Christ lui demande : « Comment me connais-tu ? ». Jésus lui répond : « Avant que Philippe te parle, quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu. » Et ceci provoque cette exclamation de Nathanaël : « Rabbi, c’est toi le Fils de Dieu ! C’est toi le roi d’Israël ! ». Adrien Candiard a cherché dans la Bible : il n’a pas trouvé de figuier explicatif. Personne ne sait ce qui s’est passé sous le figuier mais cette seule évocation a suffi pour que Nathanaël croie. Adrien Candiard imagine ce qui a pu se produire sous ce figuier.
Et voilà qu’un soir, au début de l’été, la lumière était belle et douce, et Nathanaël en rentrant chez lui est passé à côté du figuier de son oncle. Il pensait à autre chose, et l’odeur des figues lui est arrivée, sucrée, familière. Ce parfum, c’était comme une caresse du figuier, comme une caresse du bon Dieu. Et avec le parfum est arrivée une foule de sentiments inattendus, brouillons, contradictoires : à cette caresse, il s’est senti aimé, aimé totalement, aimé comme jamais mais aimé pour toujours, et il en a eu les larmes aux yeux. Il se sentait heureux, pourtant, mais dans le même temps, il découvrait qu’il avait envie d’un bonheur plus grand, il se découvrait au creux de l’estomac une immense fringale de bonheur (…) Il vient de s’apercevoir que son cœur, dont il commençait tout juste à explorer les contours, est fait pour l’infini, et que seul un bonheur infini pourra le rassasier.
Je n’ai pas « rencontré Jésus », comme certains l’affirment. Mais j’ai connu de ces moments si puissants, si profonds, que l’on voudrait sortir de soi. Ces moments où ce n’est pas l’angoisse qui agrippe nos entrailles, mais un feu qui s’allume, qui brûle au-dedans de nous, dans une intense jubilation intérieure. M’a-t-Il vu à ces moments-là ? Était-ce Lui ? Et lorsque je lisais le livre d’Adrien Candiard, n’étais-je pas encore sous le figuier ? Lorsqu’il évoque la prière, cette prière qui n’est facile pour personne et cette recherche stérile d’une réussite spirituelle alors que l’important est d’être présent, d’être là[5], lorsqu’il évoque la vocation personnelle, « notre désir le plus vrai, celui qui nous constitue et nous fait avancer, celui qui nous appelle vers le bien. Celui auquel le Christ faisait allusion quand il nous a dit, à nous aussi : « Quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu ».
Il n’y a pas que « l’espérance [qui soit] opérative par elle-même », l’angoisse l’est aussi. Le livre d’Adrien Candiard, lui, nous en dit tant sur la confiance, l’amour, et la joie du chrétien qu’il ravive nécessairement l’espérance. Ce n’est qu’avec elle que nous relèverons les défis qui nous étreignent.
J’ai fini son livre littéralement enthousiaste. Alors, j’y retourne.
Sous le figuier. Relire Adrien.
Après, je me lèverai, j’irai trouver ma vocation véritable. Vous pouvez me le souhaiter.
- pour finir avec Houria Bouteldja, l' »identitaire d’en face », du Parti des Indigènes de la République, identitaire musulmane dont le raci(ali)sme n’a rien à envier à celui de l’extrême-droite [↩]
- Je poursuis en note de bas de page car elle précise aussi : « il doit être distingué, je pense, de la simple volonté pour un croyant de témoigner sa foi ». Et ce n’est pas moi qui dirait le contraire ! [↩]
- Je remercie aussi Don Paul Préaux, modérateur de la Communauté Saint Martin pour cette citation du Cardinal Henri de Lubac, qui vient à point nommé répondre aux critiques de ceux qui semblent s’inquiéter que l’on tire quelque enseignement de sa foi, par fidéisme, catharisme ou esprit dévot : « La croyance en l’éternité ne nous arrache pas au présent, comme on nous le dit quelquefois, pour nous perdre dans le rêve : c’est exactement le contraire. Bien plutôt, est-ce en manquant à l’éternité que les chrétiens ont manqué à leur temps » (Paradoxes, Cerf, 1999, p. 63) [↩]
- en droit, l’habitude commence à deux fois [↩]
- « Nous sommes mauvais juges de notre vie spirituelle. Nous sommes mauvais juges de notre vie chrétienne. Le monde nous envahit au point que, comme lui, nous voulons réussir. Réussir notre vie. Réussir notre vie avec le Christ » [↩]
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Merci de ces invitations à la lecture! Et bonne route sur le Chemin qu’est le Christ, après cette pause sous le figuier.
Merci Koz, pour le partage de ces lectures… 🙂
Je vous souhaite de tout cœur de vous lever et de trouver votre vocation véritable. Il me semble que vous êtes déjà sur le bon Chemin…
Merci pour vos écrits, il font du bien, ils me font du bien.
L’illustration qui accompagne votre texte me plait. Elle correspond assez bien à « l’arrêt sous l’arbre » que je pratique régulièrement.
En lisant Amouroux la grande histoire des français sous l occupation je retiens son évocation des cahiers clandestins de Témoignage chrétien entre novembre 1941 et mai 42 qui réaffirment les valeurs chrétiennes contre l antisémitisme. J espère retrouver ces textes pour compléter les vôtres 🙂
Le livre d’Adrien est définitivement sur ma liste des lectures futures. Merci de ces recensions et merci de partager avec nous non pas la « rencontre avec Jesus » mais ces guiliguili chauds au coeur…
Merci Koz pour ces suggestions de lecture, je vous souhaite un très bon Carême !
Cette table ronde « chrétien français, français chrétien » est à voir et à revoir:
Je retiendrai cette idée de Hadjadj -> l’identité catholique est un don, elle ne nous appartient pas, ce n’est pas notre propriété d’où le fait que l’identité chrétienne soit en qq sorte toujours en route. « Je suis le Chemin »
Très belle interprétation du discours sur la montagne par Polony qui se revendique catholique athée! Le sens de sa vie réside justement dans cette perpétuelle quête de sens. Un bel exemple à suivre de pauvreté de cœur. « J’ai soif »
@ Koz « J’ai fini son livre littéralement enthousiaste ». Enthousiaste, je le suis aussi ! J’ai lu « Quand tu étais sous le figuier » d’une seule traite et je le reprends maintenant au compte-goutte, pour le déguster et le méditer. C’est devenu mon livre de Carême 😉 Merci pour votre recension.
Et je me réjouis qu’Adrien Candiard ait obtenu le Prix 2017 des Librairies religieux pour « Veilleur, où en est la nuit », autre excellent ouvrage.
C’est un livre qui se relit, en effet 🙂
Je l’ai lu deux fois et souhaite le parcourir de nouveau pour retrouver les points que j’ai appréciés. Je le trouve, en particulier et comme le précédent, très libérateur.