Dans mon quartier, un cafetier écrivait des blagues à la craie sur l’ardoise postée à sa devanture. Des blagues de bistrot, des blagues inégales, et puis l’une d’elles effectivement déplacée. La mairie est dépêchée, le cafetier s’excuse, remise son ardoise. Mais l’affaire a investi le groupe Facebook de la ville. La presse nationale s’en fait l’écho, les tribunaux sont saisis : pour harcèlement d’un côté, provocation à la commission d’une infraction de l’autre – rien de moins.
Autre cas, sur Twitter : l’été dernier, un entrepreneur anonyme poste un Tweet malvenu sur les Gay Games. Le réseau s’organise. On dévoile son nom, on alerte ses clients et, ultimement, on diffuse la photo de son épouse et de ses enfants.
Plus récemment, Bilal Hassani est sélectionné pour l’Eurovision, avec un sens assumé de la provocation. Immédiatement, le jeune homme croule sous des tombereaux d’injures homophobes, on exhume ses Tweets d’adolescent, on l’accuse faussement de complaisance avec le terrorisme.
Et l’on découvre ces jours-ci les errements de jeunes journalistes « stars » des premières heures de Twitter, petits marquis de petite cour, harceleurs et satisfaits, réunis dans un groupe Facebook, la Ligue du Lol. Comme un péché originel.
Ces affaires n’ont en commun que de céder aux mêmes vices : harcèlement, dénonciation et petits dossiers. Les fiches sont en ligne. On invoquait la menace des pouvoirs totalitaires, en fin de compte c’est la masse anonyme qui s’empare de nos traces numériques. Les foules sentimentales ont cédé le pas à la meute brutale. Il n’y a plus ni pardon ni mesure. La troupe s’assemble et dénonce, elle compile et réclame son trophée : l’éradication de l’adversaire, sa mort sociale… En attendant pire.
D’où vient cette hargne ? De nos fractures et divisions en mille groupuscules d’intérêts divers, d’identités variées et cloisonnées, regroupés en ligne par affinités, par solidarité – et puis pour mieux frapper. Probablement aussi de la déshumanisation de notre société, de sa numérisation et de notre difficulté à nous rencontrer, de visage à visage. Dans le même temps et le même quartier, nous nous sommes réunis pour un « grand débat ». On débattra de sa mise en œuvre nationale et de ses débouchés, mais ce n’est pas le sujet, pas cette fois. Le processus vaut pour lui-même : voilà que l’on se parle. La multiplication de ces débats sous toutes leurs formes et l’effervescence qui saisit le pays sont un signe. Le signe d’une urgence, celle de se retrouver, le signe d’un appel, celui de la fraternité. Il faut s’y engager.
Chronique du 12 février 2019
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JEn vous lisant, me vient le souvenir d’un film vu dans mon enfance , le 7eme juré. L’accusé relaxé, mal exfiltré je vois encore le lynchage par « la foule ». J’aimais beaucoup certains acteurs.
Pas de compte Twitter, pas de compte Facebook. Inconvénient: je ne suis pas en phase avec mon époque. Avantage: je ne vois pas passer bien des choses qui me déprimeraient, voire m’empêcheraient de dormir. Tout bien pesé, je crois que les avantages l’emportent.
IDEM
Nous pourrions former un club des réfractaires qui vivent par eux-mêmes, sans se sentir obliger de supporter… l’insupportable !
Entièrement d’accord, il faut que nous nous parlions. Mais les journaux, les gouvernements successifs, les réseaux sociaux que nous utilisons tous souvent trop et mal, tout concourt à nous diviser.
Mais y a-t-il encore un « nous » ?
Qu’est-ce qui rassemble les Français ? Mille cultures se présentent en même temps, et l’individualisme divise encore les gens : tout, là encore, empêche que nous nous rassemblions.
Significativement, vous dites d’ailleurs « on ».
Je suis personnellement pessimiste et déplore la guerre du tous contre tous. Loin de nous rassembler autour d’un bien commun, Hollande et Macron ont agrandi des fractures déjà très grandes. Et il nous devient quasi impossible de nous identifier comme Français ; une certaine idée de la France a tout simplement disparu. Sans idéaliser le passé, qui comportait bien des défauts, il nous était possible d’être contents d’être français. Les films d’avant les années 80 montrent une France identifiable, pleine de caractère. C’est quasiment interdit maintenant, et de toute façon, impossible. Notre société est liquide, partout les individus sont interchangeables, partout ils sont des consommateurs avant tout.
Ce qui faisait lien, le quartier, le métier, la région, le syndicat, la foi, tout ça a été broyé.
Alors, nous parler, oui, mais qui sommes-nous ?
Seuls les musulmans n’ont aucun doute sur ce « nous » qu’ils forment. Il y a là matière à réflexion.
Marie
Pardon pour les coquilles. J’écris d’un portable sans pouvoir voir le texte..
D’après René Girard, voilà qui ne date pas d’hier…
Il ne faut pas négliger l’impact du média lui-même. Les réseau sociaux n’ont de social que les participants. Pour le reste, ce sont des entreprises privées qui n’ont d’autres règles que les leurs et qui se défaussent sur les auteurs lorsque ça « dérape ». C’est inédit.
Il faudra un jour réguler ces réseaux de manière publique, de la même manière qu’est régulée la presse, à savoir que si un auteur publie dans un journal une tribune illégale, le journal sera accusé au minimum de complicité. Il est temps.
Parler plus, oui, mais pas que !
Derrière ces lynchages verbaux il y a le retour du bouc émissaire.
Plutôt que de se demander comment gérer , réparer, construire face à une problématique, il est tellement plus facile de dénoncer.
Nous avons commencé par changer les mots pour cacher les problèmes ( non voyants, quartiers, défavorisés etc…) puis , cela fait, nous cherchons des responsables et les menons au bûcher public par internet.
Il s’agit de la même foule, des mêmes manipulateurs, des mêmes observateurs ( et souvent des mêmes parias ) qu’il y a des siècles, on a juste changé le mode de transmission passé du bouche à oreille au smartphone et le type d’assassinat.
Il y a certes une nouveauté avec les média devenus des charognards en quête de financement facile qui joent le rôle de la foule normative.
Alors, parler, oui……….certes mais respecter aussi l’autre dans sa différence