Nous sommes au petit matin de cet « acte IX » des « gilets jaunes », ce mouvement qui interroge notre nation. Pour être un peuple, Ernest Renan posait ces conditions essentielles : « Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent, avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore. » Cette protestation est née sur les déchirures de ces France qui ne se comprennent pas plus qu’elles ne se côtoient, et elle suscite des divisions supplémentaires qui questionnent encore notre volonté de seulement faire quoi que ce soit ensemble – sans même parler de « grandes choses ». Qui sait d’ailleurs si la révolte n’a pas prospéré sur nos insignifiances, quand l’horizon de nos sociétés se borne à la prochaine acquisition, à la prochaine consommation ?
Nous ne sommes qu’au petit matin de ce jour-là, samedi dernier, et des hommes sont déjà morts. Une explosion a crevé nos nuits. Les informations nous rassurent rapidement : il ne s’agit que d’une coïncidence. Puis les fumées se dissipent, apparaissent les visages des deux pompiers, Simon Cartannaz et Nathanaël Josselin, et la coïncidence prend son sens. Car leurs jeunes visages rejoignent ceux de deux autres militaires disparus la même semaine : les aviateurs Baptiste Chirié et Audrey Michelon. Au milieu de nos dissensions, s’impriment les visages de ceux qui « font de grandes choses ensemble ».
Alors, faisons la grâce d’un instant d’attention à tous ceux qui acceptent le risque de donner leur vie pour la France et pour les Français, qu’ils soient d’en haut ou d’en bas, d’un pavillon périphérique ou de la rue de Trévise. Au milieu de nos fractures, ces hommes et ces femmes-là existent, témoins d’une Nation possible, qui vibrent de l’appel du service. Que l’on m’accuse d’angélisme, je l’assumerai, mais je veux au milieu des affrontements me souvenir qu’il subsiste, autour de nous, des gens qui font tenir notre monde ensemble. Ils sont pompiers ou militaires, ils sont enseignants, aides-soignants, éducateurs ou travailleurs sociaux – une liste qui, par bonheur, ne peut être exhaustive. D’autres encore laissent passer la lumière, que ce soit Dom André Louf, dont je découvre la figure, ou Isabelle, Laurence, Olivia, consacrées dont je connais les visages. Tous vivent d’une vocation, cet appel qui dépasse l’être et l’élève vers les plus hauts horizons. Si nous cherchions chacun la nôtre, nous aurions peut-être une chance de vouloir faire encore de grandes choses ensemble.
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Merci pour ce beau texte…
Lumineux.
Merci !