Héros malgré eux

Les Jeux Paralympiques braquent un projecteur clair-obscur sur notre société. Ainsi, chacun semble communier dans un enthousiasme soudain pour le handicap, la faille, la faiblesse. Ordinairement, ils sont ignorés, quand ils ne sont pas méprisés. Célébrons l’enthousiasme, certes, mais sans oublier ce que l’un de ces athlètes soulignait : « les personnes porteuses de handicap sont la minorité la plus discriminée ». La comparaison des discriminations est assez vaine, mais comment ne pas constater par exemple l’absence de figures médiatiques visiblement porteuses d’un handicap ? Là où la télévision a fait une place à chacun selon son genre, son orientation sexuelle ou sa couleur de peau, combien comptons-nous de présentateurs handicapés ? Le Covid nous avait rappelé que notre société compte 50% de personnes fragiles, les Jeux nous rappellent qu’elle compte 20% de personnes porteuses de handicap. Alors l’exemple de Théo Curin, auteur d’un cri mémorable sur la place de la Concorde, est réjouissant, mais il porte encore la marque de l’exception. Le nouvel animateur de Slam, sur France3, a raison : « c’est fou, le message qui est envoyé », mais il est tout aussi fou qu’il ne soit envoyé qu’en 2024.

Doux-amer aussi, le paradoxe qui veut que l’on célèbre la résilience de ces athlètes quand nous sommes, collectivement et parfois individuellement, responsables des obstacles qu’ils surmontent – de celui qui prend la place de stationnement d’une personne en fauteuil à ceux qui ne réparent jamais l’ascenseur qui, seul, lui permet d’accéder à une station, aux politiques qui s’accommodent du fonctionnement des Maisons Départementales pour les Personnes Handicapées, dont toutes dénoncent les inerties et absurdités. N’est-il pas paradoxal encore de constater que si notre société, d’apparence et de productivité, fait soudain une place à la faille, c’est encore à travers la performance ? Comme s’il fallait démontrer sa résilience pour avoir droit de cité.

Les para-athlètes refusent souvent d’être présentés comme des « super-héros », attendant avant tout de pouvoir mener une vie ordinaire au quotidien. Mais ils ne peuvent nous reprocher notre regard admiratif. Le sourire éclatant de l’escrimeuse Bebe Vio, amputée des quatre membres à la suite d’une méningite, nous appelle à la vie. Margot Boulet a été victime d’un accident de parachute lors d’un stage d’intégration au GIGN, objet de toute sa volonté. Elle s’est demandé si elle voulait encore vivre. Sa présence aujourd’hui souligne la possibilité d’une reconstruction quand tout un monde s’écroule, que l’on soit handicapé ou non. Et quand nombre de personnes porteuses d’un handicap témoignent avoir entendu, au détour d’un rayon : « à sa place, je préfèrerais être mort », lorsque d’aucuns montrent une compréhension empressée aux idées de suicide assisté de certains d’entre eux, ces athlètes démontrent que toute vie vaut la peine d’être vécue. Aux valides parmi nous de ne pas dresser d’obstacles sur leurs routes.


Photo de David Knudsen sur Unsplash

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