Qui pourrait dénier à Alain Cocq, après l’aggravation de la maladie dégénérative dont il souffre depuis 30 ans, le droit de cesser de s’alimenter et de s’hydrater, comme il vient de le décider ? Qui pourrait lui contester le droit de donner un ultime sens à sa vie et de muer le lent écroulement qu’il subit depuis si longtemps en un patient édifice au service d’une cause supérieure ? La détermination à être bien là, encore, au moment où l’on éteindra la lumière, d’opposer votre volonté personnelle au mal qui vous prive d’autonomie et dicte votre quotidien est légitime. Vouloir marquer la force de l’esprit qui vous a fait vivre quand la chair, elle, n’a cessé de se dérober est au-delà du respectable. Il s’agit de se présenter vivant, face à la mort.
Mais il faut aussi, autant que faire se peut, se présenter en vérité face à la mort. Alain Cocq, comme d’autres avant lui, a écrit au président de la République, pour lui demander un traitement d’exception, comme si le Président disposait, en regard du droit de grâce, d’un droit de mort. Il entendait diffuser en direct son agonie sur les réseaux sociaux. La mise en scène, courante dans ces fins de vie militantes, est à son paroxysme. Ce n’est pourtant pas rendre hommage à la force de l’esprit que de l’aliéner à l’emprise des images, à l’empire de l’émotion.
Alain Cocq affirme que l’agonie qu’il va subir est celle à laquelle l’oblige la loi Claeys-Leonetti, et c’est inexact. Alain Cocq a fait un choix personnel, libre : refuser initialement les soins palliatifs et la prise en charge que permet cette loi. Son choix est respectable, mais il ne saurait contraindre la société. Car aujourd’hui, contrairement à ce qu’il dit, nos soignants sont en mesure de lui assurer une mort dans le meilleur état de conscience possible si c’est sa volonté, sans souffrances insupportables, dans le respect de la loi.
On finirait par croire qu’il n’est qu’une façon d’opposer à la mort la force de l’esprit, puisque seules ces agonies sont militantes : en décidant de sa venue. Il en est une autre pourtant. Elle est silencieuse dans l’épreuve et n’en est pas moins noble. Elle passe par le ferme refus, jusque dans son agonie, de conférer à quelque personne que ce soit le droit de donner la mort à une autre ; le refus inflexible que, de fil en aiguille, sa propre mort contribue à ce qu’une personne affaiblie, isolée, puisse un jour demander et recevoir la mort parce qu’elle pense que sa vie est un poids pour les autres, les siens ou la société – ou qu’on l’aura amenée à le croire. Comme un ultime geste d’amour envers les plus faibles.
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Je suis très reconnaissant à mon père d’avoir pris la décision de terminer ses derniers jours de vie dans une clinique privée. Les soins qu’il y a reçus j’étais incapable de les lui procurer et personne dans la famille non plus. Il est décédé à 97 ans intact intellectuellement entouré des personnes qu’il souhaitait avoir autour de lui. C’était le 29 août 2018. Il ne nous avait pas informé qu’il avait un cancer depuis 5 ans. Il avait décidé qu’il ne serait pas opéré et qu’il ne prendrait pas de médicaments. Il est resté intact physiquement jusqu’au 15 août 2018.