Euthanasie, empathie et législation

Je sais que je serai partiel, je sais que je serai sommaire, je sais qu’ouvrir ce débat ici est peut-être vain tant les positions sont souvent passionnelles. Je connais beaucoup des arguments qui me seront opposés, pour avoir souvent tenu ce débat. Je sais aussi que l’on aboutira probablement à la légalisation de l’euthanasie en France, d’une manière ou d’une autre. Je sais aussi que je ne convaincrai probablement pas, que je n’en suis probablement pas capable. Mais je serai(s) au moins fidèle à la phrase de Jacques Maritain que j’ai mise en exergue : « l’important n’est pas de réussir, ce qui ne dure jamais, mais d’avoir été là, ce qui est irremplaçable». Etre là, pour faire entendre une autre voix, lorsqu’une seule semble acceptable…

Je suis à vrai dire surtout interpellé par un billet de François Fillon, que j’apprécie par ailleurs, intitulé : Il faut légiférer sur l’euthanasie.

Interpellé par son titre et par quelques phrases :

« Le renvoi devant les assises d’un médecin et d’une infirmière pour euthanasie active en Dordogne appelle une réaction rapide du gouvernement et du Parlement. »

« Jean Pierre Raffarin me répondit que la loi ne pouvait pas régler cette question qui appartenait à la conscience de chacun. J’en conviens mais je ne peut pas accepter que des hommes et de femmes dont la vocation est de soulager la douleur des autres, soient traînés devant les assises comme des criminels. »

« Mes convictions religieuses ne me facilitent pas la tâche ! Mais l’honneur d’un homme politique est justement de répondre à ces questions fondamentales qui naissent de l’évolution globale des sociétés et qui ne se peuvent se régler par une pirouette, même au nom des principes et de la prudence. »



Non, la réaction rapide n’est pas opportune
. Je comprends que les partisans de la légalisation de l’euthanasie ne veuillent pas reporter le débat à chaque nouvelle affaire judiciaire. Pour autant, si légiférer sous le coup de l’émotion n’est déjà pas bienvenu, légiférer sur un tel sujet si peu de temps avant une élection présidentielle ne me semble pas vraiment le gage d’un débat vrai et serein.

Bernard Debré écrivait en 2004, Nous t’avons tant aimé. Euthanasie, l’impossible loi, que je compte reprendre, et dont la seule quatrième de couverture soulevait déjà quelques questions qu’il me semblerait regrettable d’éluder :

“Qu’y a-t-il de semblable en effet entre, d’une part, le refus légitime de l’acharnement médical et de la souffrance et, d’autre part, l’autorisation de donner la mort ou d’accepter l’aide au suicide ? (…) Ne risque-t-on pas de tout mélanger et de tomber dans des dérives dangereuses dont la première serait économique ? Dans un monde où tout est fait pour les bien-portants, ceux qui sont différents dérangent. N’oublions jamais qu’en réalité ce sont les gens en bonne santé qui octroient cette notion de dignité aux autres… (… )Ensuite, il. reviendrait à la société d’estimer jusqu’à quand il serait digne de vivre.”

Faut-il tenter cet impossible à à peine plus d’un an des présidentielles ?

Des hommes et de femmes dont la vocation est de soulager la douleur des autres“. Précisément. La question est de savoir si soulager la douleur des autres inclut le fait de leur donner la mort. Comme je l’ai indiqué en commentaire chez lui, j’aimerais qu’un homme politique soucieux du bien public s’engage fortement sur le terrain des soins palliatifs : les médecins et les infirmières des services de soins palliatifs ont énormément à nous apprendre et méritent un respect absolu. Sans oublier que la question de l’arrêt des soins intervient inévitablement dans ces services.

J’imagine que je ne dois pas comprendre que la « pirouette » évoquée par François Fillon est la conviction fondamentale que la vie comme la mort ne doivent pas être à la disposition de l’homme. Je connais des « pirouettes » plus faciles à assumer en société. Cette invocation de ses convictions religieuses me rend un peu perplexe. S’agit-il réellement de « convictions » religieuses, si on les met sous le boisseau ? « L’honneur d’un homme politique » est-il de s’extraire de ces convictions ? Il me semble que l’honneur d’un homme est de rester fidèle à ses convictions quand bien même il devrait lui en coûter.

Ces convictions religieuses ne lui, ne nous, facilitent pas la tâche ? Effectivement. Il serait plus facile parfois d’entonner le couplet de la mort dans la dignité, de la vie qui ne vaut pas la peine d’être vécue dans ces conditions, de la vie que l’on maîtrise même ultimement, même dans sa négation… Il y a pourtant des solutions qui me semblent de nature à « répondre à ces questions fondamentales qui naissent de l’évolution globale des sociétés ». Il s’agit une fois de plus du renforcement des services de soins palliatifs, il s’agit aussi, comme le souligne notamment Bernard Debré, de refuser l’acharnement thérapeutique, dont découle en fin de compte la question de l’euthanasie.

Et puisque les convictions religieuses sont évoquées, citons la Conférence des Evêques de France, dont la position dépasse, me semble-t-il, le stade de la seule “pirouette“, lorsqu’elle écrit, dans un communiqué de 2003, Ni euthanasie, ni acharnement thérapeutique :

“Tout en demeurant clairement attachée à l’interdiction de toute forme d’homicide, l’Église catholique s’est également toujours prononcée pour un soin raisonnable et humain, qui n’implique aucunement l’obligation de maintenir la vie à tout prix.”

Sur un plan laïc, le Comité Consultatif National d’Ethique a rendu un avis pondéré, qui nécessite une lecture sereine.

Quant au législateur, ne doit-il pas admettre qu’il n’est pas Tout-Puissant ? Qu’il ne lui appartient pas de définir la notion intime de dignité, et le stade à partir duquel elle ne serait plus respectée, pas plus que celle d’acharnement (thérapeutique) ? Que les médecins, réunis avec le personnel soignant, et la famille, sont bien plus aptes à apprécier une situation personnelle que la loi, dans toute sa rigueur.

“Il faut légiférer” ? L’empathie est une chose. Elle n’implique pas nécessairement la rédaction d’une loi.

François Fillon écrit : “Jean Pierre Raffarin me répondit que la loi ne pouvait pas régler cette question qui appartenait à la conscience de chacun. J’en conviens.”

Dans ce cas…


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