“Dépistage prénatal, alerte aux dérives”
La Croix consacre aujourd’hui un dossier à la question du dépistage prénatal, comme suite à la parution d’une enquête réalisée par une philosophe et une sociologue, Danielle Moyse et Nicole Diederich, et qu’elles publient dans un livre intitulé : Vers un droit à l’enfant normal ?
Les questions qu’elle soulève, et qui sont brièvement retranscrites dans le seul article en ligne, font écho à ce que tout jeune parent a pu expérimenter, je pense. Jeune parent car les dérives dont il est question sont récentes. Elles sont en partie le fruit, raisonné ou irraisonné, de l’arrêt Perruche, et de la judiciarisation de notre société.
A titre personnel, et en tant que jeune parent, j’ai donc été également confronté à ce que ce dossier décrit : l’extrème prudence des médecins, le diagnostic “acharné“, l’insistance à vous conseiller une amniocentèse avec, en arrière-plan, un avortement. Je me souviens de ce médecin nous dépeignant le tableau le plus noir de notre vie à venir, nous prédisant même le divorce, notre demande vaine d’une parole ne serait-ce que rassurante. Et ne serait-ce qu’une parole, pas une attestation écrite…
Et cette façon de présenter les risques. 1 chance sur 50 que votre enfant soit trisomique… Oui, mais 98 sur 100 qu’il ne le soit pas. En ce qui nous concerne, ce taux était du à une erreur d’un échographiste. Après correction par un autre, plus expert, il est passé à 1 sur 200. 1 sur 200, soit 99,5 % de chances que l’enfant ne soit pas trisomique. Je l’ai présenté ainsi au médecin. Quelle fut sa réponse ? “Oui, mais tout de même, c’est un risque élevé à cet âge“. Moins élevé que les 1% de chance de perdre l’enfant au cours d’une amniocentèse. Mais ce risque-là, il est tellement plus acceptable. Puisqu’il ne génère pas de poursuites judiciaires… Juste la disparition d’enfants parfaitement sains.
Je me souviens de ce forum et de l’angoisse palpable de toutes ces femmes , de tous ces couples, auxquels on présente avec le plus de pécaution possible – pour le médecin – le risque de la trisomie. Par un réflexe stupide, je l’avais consulté il y a deux ans. Rien n’y a changé. La première page atteste du nombre de messages paniqués… Et le forum “amniocentèse” compte plus de 12 000 sujets à lui tout seul.
Alors, quand je lis l’entretien accordé par Didier Sicard, Président du Comité consultatif national d’éthique, qui “dénonce l’acharnement dans le dépistage et la traque de la trisomie“, je ne suis pas surpris.
“Nous sommes devenus des obsessionnels du dépistage. (…) [L’exclusion de la trisomie 21] s’est mise en place parce que la société française est particulièrement intolérante au handicap. Résultat, aujourd’hui, la totalité des grossesses sont soumises au dépistage de la trisomie 21. A la quinzième semaine de grosses, on dose automatiquement les marqueurs sériques de toutes les femmes. (…) On accepte dont d’interrompre la vie d’un certain nombre de foetus chaque année, atteints ou indemnes de toute affection, tout cela pour traquer la trisomie. C’est terrifiant. Il faut être courageux aujourd’hui pour mettre au monde en enfant trisomique.”
Oui, courageux. Certains proches m’ont affirmé que c’était égoïste. Pensez-donc : le coût de la Sécu… et la vue du handicap, dans la rue. Pas cool, le handicap. Dérangeant. A-t-on le droit d’imposer la vue d’un trisomique à la société ? Je n’exagère pas. Je l’ai entendu.
Alors, oui, on peut s’inquiéter d’un eugénisme de précaution. Un échographiste que j’ai rencontré récemment me racontait ces parents qui, entrant dans son cabinet, lui promettent un procès en cas d’erreur, avant même de dire bonjour. Ces parents qui lui demandent un “enfant parfait“, en ces termes précis, faute de quoi ils avorteront.
” « Des parents le regrettent mais ils ne se sentent pas ‘‘capables d’aimer cet enfant”, raconte de son côté Françoise Stampf, de l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges. D’autres disent qu’ils aimeront leur enfant, mais que la société le rejettera. Il y a une telle pression… Beaucoup ne veulent pas entendre parler d’un enfant auquel il manque un doigt ou une main. » Le médecin est alors confronté à une demande d’avortement. “
Pour un doigt manquant…
Une fois de plus, il ne s’agit malheureusement même pas d’une exagération. C’est précisément un cas évoqué par l’échographiste que j’ai rencontré. Et ce n’est pas le seul dont j’ai entendu parler.
Parler d’eugénisme fait certainement bondir nombre d’entre vous, qui y voit probablement une névrose de catho. Mais ce qui suit, issu du même entretien avec Denis Sicard, y fait tout de même irrésistiblement penser :
“Autre exemple : on recherche maintenant dès la naissance les hétérozygotes pour la mucovicidose (NDLR : ceux qui sont dotés d’une seule copie du gène muté), afin de leur éviter d’épouser, plus tard, un autre hétérozygote, ce qui conduirait à la naissance d’un enfant atteint. Où va-t-on s’arrêter ?”
Aujourd’hui, nous savons donc dépister le gène de la mucovicidose. Que saurons-nous dépister bientôt ? Et qui nos enfants, non encore nés, auront-ils prochainement le droit d’épouser ? Si nous en sommes à rechercher les “hétérozygotes pour la mucovicidose“, recherche somme toute compréhensible au regard de l’affection concernée, que recherchcerons-nous bientôt ? Faudra-t-il, lors de la visite médicale obligatoire avant le mariage, fournir son caryotype ?!
Il ne faut bien évidemment pas incriminer le diagnostic prénatal. Comme le précise un médecin, dans l’article précité de La Croix, “la surveillance de la grossesse permet aussi de sauver des enfants atteints d’anomalies cardiaques ou digestives graves“.
Un médecin raconte la difficulté de refuser une IMG, lorsque le motif ne revêt pas une gravité suffisante. Et même en cas de refus, “lorsque les parents sont déjà passés par quatre ou cinq centres, ils ont déjà tellement désinvesti la grossesse que, finalement, on se demande s’il ne faut pas autoriser l’intervention“. Et encore, d’autres perspectives sont ouvertes aux parents… En recherchant le billet dans lequel j’avais déjà évoqué ces questions, j’ai entré “avortement” dans la “Koz Bar“. Voici ce que propose Google, dans sa version française, dans les liens commerciaux :
Rappelons que l’IVG n’est légale en France que jusqu’à 12 semaines. Vous avez donc, ci-dessus, une publicité effectuée sur le sol français pour un acte illégal en France… De cet adword-là, c’est amusant, on n’entend guère parler.
De quoi sommes-nous responsables, nous, maintenant ? Nous le sommes de notre regard car, comme le rappelle encore Didier Sicard, notre société n’accepte pas le handicap.
“On peut comprendre qu’un partie des couples se dise : je n’ai pas envie d’exposer mon enfant à cela, de faire naître un enfant handicapé dans ce contexte”
Il y aurait quantité d’autres sujets à évoquer, comme celui de la “fracture génétique“, c’est-à-dire de l’inégalité sociale devant le dépistage.
Mais il faut bien en terminer. Et je laisserai la conclusion à Dominique Quinio qui conclut ainsi son propre éditorial :
“Comment, au-delà des déclarations d’intention, permettre l’intégration des personnes handicapées pour que les futurs parents envisagent les solutions en même temps que les difficultés – parfois très lourdes – annoncées ? Comment mettre en valeur les capacités de vie, de bonheur, de tant de personnes pourtant blessées dans leur corps, dans leur intelligence ou dans leur psychisme ?
Pour qu’aucune n’en vienne à lire dans nos regards qu’elle n’aurait jamais dû naître.”
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