Je ne vous le cache pas : le sport et moi, ça n’est pas une longue histoire. Que voulez-vous… Il y en a bien qui n’aiment pas le droit. Chez moi, il faut au moins une coupe du monde pour éveiller un intérêt distant. Et non, je ne regarde pas le Tour pour les paysages. Attiré par ce lieu commun télévisuel, j’ai pourtant essayé. Mais pas souvent, et sans succès. Il ne faut pas beaucoup aimer les paysages français pour être comblé par une étape du Tour. Reste la stratégie, qui est mise en avant par ceux qui t’expliqueraient volontiers que le vélo c’est un peu comme les échecs[1]. Mais dans ce cas, la discipline souffre incontestablement du manque de pédagogie des commentateurs. Et je n’ai pas non plus le snobisme paradoxal de ceux qui, du haut de leur petite-bourgeoise, s’achètent une conscience sociale en se disant passionnés par la-grande-épreuve-populaire. Les petits-bourgeois… et les politiques, les présentateurs télés, ces fans de « la petite reine » ou de l’occasion de faire peuple.
Pourquoi ce billet ? La question n’est pas idiote. Moi-même, je m’interpelle. Mais notez déjà que, selon le savoir en ligne, « en 2009, exactement 78 chaînes de télévision retransmettent le Tour de France dans 170 pays. C’est, d’après son organisateur, la plus grande compétition sportive mondiale annuelle« . En termes de sport, ça n’est donc pas rien et lorsque l’on évoque le svaleurs du sport, on ne peut pas éluder le cyclisme. Et puis, ajoutez à cette raison le fait que, nous dit-on, Lance s’est confessé.
C’est amusant.
C’est pas le premier, c’est pas le dernier et ce n’est pas la dernière fois qu’on emploie l’expression sans songer directement au sacrement de réconciliation. Ce n’est pas moi non plus qui réussit la performance de vous recoller du catho dans le vélo : c’est eux qu’ont commencé (+ ouate mille occurrences). Et parce que confession il y a eu, Lance Armstrong « mérite(rait) le pardon« , écrit Prébois (pas Paul). La « grande prêtresse » connaissant ses limites, elle s’est arrêtée aux portes de l’absolution. Pas de bol. Du coup, c’est à nous de juger. De vous à moi, la « confession » d’Armstrong est ainsi bien amputée : il lui manque l’absolution, et on ne connaît pas sa pénitence.
En revanche, elle a bien quelques points communs, ne serait-ce que lorsque l’on évoque le fait qu’il serait libéré du poids du mensonge. La vérité dite, il pourrait avancer de nouveau, puisque « la vérité vous rendra libres » (même si, Jean 8,32 parle d’une autre vérité). Pour cela, il faudrait que nous, nous accueillions le pécheur. Car il a l’air odieux, arrogant, le yankee, mais Prébois soulève tout de même quelques réalités, dont la plus dure peut-être :
« Armstrong, qui n’a jamais connu son propre père, est aujourd’hui un papa déchu aux yeux de ses propres enfants.«
C’est aujourd’hui un homme dont le passé ne vaut plus rien. Et c’est un homme qui a menti à tous, et à tous les siens, qui a dû voir ses enfants le défendre à tort. Peut-on vivre cela sans tomber dans une profonde haine de soi, que les milliards de dollars sont probablement impuissants à dissiper ?
Lance Armstrong ne mérite pas l’acharnement, à tout le moins pas le mien. Mais le pardon n’est pas l’oubli. Armstrong n’est pas un type sans charisme ni caractère, un suiveur, un sans-grade. Dans la pègre du dopage, c’était un parrain. Celui qui intimide les autres, qui les fait taire, qui insulte et assigne celui qui dit la vérité. S’il a maintenant livré une grande part de vérité, il est un peu rapide (comme le fait Prébois) de tirer son chapeau au parrain qui se met à table comme un Boss.
Le pardon n’est pas l’oubli, il ne peut pas être non plus le fait d’une coupable indulgence qui ne ferait grandir personne. Nous attendons donc sa pénitence, signe de sa conversion (au sport propre, dans son cas). Que non seulement il aide à faire la lumière, mais qu’il ne se contente pas du passé : qu’il aide activement, avec toute son expérience du dopage, à la promotion du beau sport, du sport noble. Au changement de culture dans le cyclisme jusqu’à l’Union Cycliste Internationale, dont on apprend qu’elle l’aurait couvert dès 1999. A vrai dire, seule cette pénitence permettra aussi de lever le doute sur la validité, ou la sincérité, de sa confession. S’agit-il d’un acte libre de sa part, ou y a-t-il été acculé par les révélations et les enquêtes ? Cherche-t-il sincèrement la rédemption, ou sa contrition est-elle feinte, pour minimiser les conséquences financières de sa faute et reprendre un jour le sport de compétition ?
Bref. Seul Dieu sonde les reins et les coeurs[2]. Nous ne sommes pas Dieu, le confessional d’Armstrong n’en était pas un, comparaison n’est pas raison, et analogie n’est pas anagogie[3]. Il est vain certainement d’avoir la même exigence ou d’escompter le même bénéfice.
Dans cette affaire, puisque la confession est publique et que le public est juge, il a aussi sa partie à jouer. Car le public qui s’amasse le long des routes, encore longtemps après que la caravane publicitaire a jeté ses dernières peluches, ne peut plus, depuis longtemps, jouer les naïfs, se leurrer sur le dopage dans le cyclisme[4] et continuer d’acclamer comme si de rien n’était de prétendus « grands champions« . Tant que les coureurs ne seront pas descendus dans les tours[5], il est juste crédule d’imaginer qu’ils soient propres. Reste à savoir si le public y attache autant d’importance qu’il le prétend, ou s’il se satisfait de la triche pourvu qu’il y ait l’ivresse. Si tel n’est pas le cas, à lui de se manifester. De même que le peloton avait eu le culot de faire grève à l’époque, pourquoi le public n’empêcherait-il pas le départ de quelques courses pour exiger un grand ménage ? Puisque le Tour est la plus grande compétition sportive annuelle, et qu’il se déroule en France, le public de France a une responsabilité.
Peut-être alors pourrons-nous nous intéresser au cyclisme, voir uniquement leur effort colossal, et célébrer de véritables grands champions. D’ici là, d’autres méritent cent fois un peu plus de la lumière que l’on jette sur le cyclisme : gloire à Ivan Fernandez Anaya !
- NB : je ne regarde pas dazvantage les compétitions d’échecs : n’allez pas vous faire une mauvaise opinion de moi [↩]
- si, si : Ps 7,10 et Jérémie 17, 10, entre autres [↩]
- celui-là, je l’ai trouvé dans le dicodesrimes avant d’en découvrir le sens : c’est aps un signe, ça, peut-être ? [↩]
- lire à ce sujet l’anecdote rapportée par Michel Drucker au sujet d’Anquetil [↩]
- pas mal, n’est-ce pas ? [↩]
En savoir plus sur Koztoujours
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Assez d’accord avec toi, le pardon ne fait pas que se demander, il doit aussi être accordé.
L’intégration dans le débat public surtout aux USA de l’aveu – remember Clinton – et son analyse (substrat de chrétienté chez nos amis outre-atlantique ?).
Ah, sur le coureur espagnol de cross counrtry qui laisse son devancier terminer devant lui, le truc inquiétant est la remarque de l’entraineur, tout de même
“El gesto le ha hecho ser mejor persona pero no mejor atleta. Ha desaprovechado una ocasión. Ganar te hace siempre más atleta. Se sale siempre a ganar. Hay que salir a ganar”, dice Fiz
http://deportes.elpais.com/deportes/2012/12/14/actualidad/1355506756_770952.html
L’enfer, c’est les autres…
Tiens, je n’avais pas noté que Stéphane Lemessin, sur son tout nouveau blog hébergé par La Croix, propose une interprétation approchante.
@Zeptentrion
la réflexion de l’entraîneur est effectivement regrettable. Peut-être est-ce dû à son rôle d’entraîneur ? Fort heureusement, l’athlète, lui, a une meilleure perception.
@zeptentrion
La fin de votre commentaire n’est pas facile à saisir si on n’est pas hispanophone… merci de proposer une traduction.
Globalement, l’entraîneur explique que l’important c’est de gagner, que le coureur a gâché une occasion et que son geste fait de lui une meilleure personne, mais pas un meilleur athlète.
merci !
@ zeptentrion : tu es néanmoins un peu sévère dans ta sélection de son propos. Ce qu’il dit auparavant n’est pas mal :
(traduction libre et rapide, hein…)
Tu as raison d’insister sur la différence entre pardon et oubli. L’oubli ignore la faute et ne permet pas la rédemption.
Peut-être qu’Armstrong, libéré du mensonge va-t-il tenter de se racheter, c’est tout le mal que je lui souhaite.
Merci d’avoir parlé d’Ivan Fernandez Anaya. Ce qui est très beau dans cette historie c’est la simplicité de son commentaire. « Je l’ai laissé gagner parce qu’il le méritait ». Tout simplement.
Comme en toute chose, on peut choisir de ne retenir du sport que ce qui est moche, ou au contraire chercher la grandeur et le dépassement. Tiens voila 2 videos assez bluffantes :
Derek Redmond qui finit sur une jambe le 400m olympique. http://www.youtube.com/watch?v=kZlXWp6vFdE
Mats Wilander qui fait rejouer la balle de match qu’il a gagnée en demi-finale à Roland Garros, à 17 ans. http://www.youtube.com/watch?v=y2n9PsEC8Ek
Bon article! Et puisque LA a choisit de faire une confession « publique », il faut que sa penitence soit publique aussi. Moi, je lui conseille de suivre le prochain tour de France A GENOUX! Dans le style du film The Mission. D’apres mes calculs, il devrait arriver a Paris pour Noel – ce qui est parfait. Une autre solution, c’est de donner tout son argent et d’aller vivre 7 ans (pour les 7 titres qu’il a vole) en silence dans un monastere, mais ca c’est surement plus difficile que ma premiere proposition. Que le monde laic utilise le vocabulaire religieux (confession, penitence etc) moi je trouve ca fascinant. Mais il faut que nous, les croyants, nous saisissions ces oportunites pour en parler en ajoutant la lumiere du Christ (ce que vous faites tres bien, KOZ). Quand vous dites que le public a son mot a dire, et bien il le dit effectivement de nos jours encore plus qu’avant par les medias, facebook et twitter et tout le reste. J’ajouterais finalement que ce genre de confession mediatique (sans la grace du sacrement) est quand meme limitee – car la psychologie ne fait pas beaucoup avancee la societe, ce n’est pas assez, par contre l’amour, la charite, l’espoir et la foi, ca ce sont des moteurs magnifiques.
J’aime le sport, j’ai écrit plusieurs billets dont le dernier; aussi, je pense que dans tout cas répréhensible le pardon est de droit. Aussi, combien de faits autrement admirables (certains commentaires en parlent) que ce qu’a fait Amstrong. Il y a quelque chose qui me gêne dans ses déclarations, c’est qu’elle ne me paraissent pas vraiment complètes et qu’il nous prend pour des c..s.: combien d’intérêts derrière?
Pour le reste, votre analyse, Koz, est intéressante.
La demi-confession (faute à moitié avouée est-elle pardonnée ? :p) m’a également inspiré : http://fautledirevite.fr/2013/01/le-bon-peuple-sans-confession/
Je ne puis m’empêcher de faire le parallèle avec DSK, qui se rachète aux yeux du public en reconnaissant « une faute morale » : Je l’ai dit, maintenant foutez-moi la paix !
on nage en pleine hypocrisie. D’un coté un AMSTRONG qui veut nous faire pleurer et qui avoue s’être dopé avant même être atteint d’un cancer ,qui a bati une machine de guerre terrible et donc ne mérite pas la moindre indulgence.De l’autre des organisateurs qui savent pertinemment que le Tour de France et ses 26 étapes de 6 heures à souvent plus de 40km/H est inhumain et qui pour améliorer les choses ont programmé 2 montées de l’Alpes d’Huez le même jour en 2013 Donc de qui se moque t on ? .Ce n’est plus une épreuve sportive c’est un show ,point barre
Bonsoir,
le tour de France est régulièrement montré du doigt, mais je trouve cela parfois injuste.
Le dopage est aussi très répandu dans le sport amateur. On prendra des pilules magiques pour être dans les 50 premiers de la cyclo du canton. Et il faudrait aussi regarder le football de plus près. Quand au rugby, le sport préféré des BCBG, le dopage y est à peine caché, à tel point que l’on parle parfois ouvertement stéroïdes dans le Midol.
Alors faut-il faire comme les américains, et l’autoriser partiellement ? Je ne sais pas trop. Et si je suis honnête, en tant que spectateur, je préfère voir mon équipe préférée gagner sans trop me poser de questions. La coupe du monde 98, par exemple, restera un de mes souvenirs marquants, et je me moque de savoir ce qu’il y a derrière.
« La discipline souffre incontestablement du manque de pédagogie des commentateurs. » C’est exact, et c’est hélas le grand drame des passionnés de cyclisme dont je suis. Il faut cependant reconnaître qu’en matière tactique, le Tour n’a plus beaucoup d’intéret. Je vous conseille bien plus Paris-Roubaix ou le Tour des Flandres, qui valent bien cent étapes du Tours chacun quand il s’agit de stratégie cycliste.
Sur le cas Armstrong, les doutes sur la sincérité de cette confession sont nourris par de nombreux éléments : il avoue à la télévision mais refuse – pour le moment – de témoigner devant la justice ; il n’a donné aucun détail, aucune information qui ne soit déjà connu ; en particulier, il n’a rien avoué sur ses réseaux, sur ses médecins, ou sur les périodes qui ne sont pas visées par le rapport de l’USADA. En avouant s’être dopé entre 1999 et 2005, mais en niant l’avoir été en 2009, année où il termine 3e du Tour à presque 38 ans, il décrédibilise sa confession en n’avouant que ce qui ne pouvait plus être nié.
Merci pour la mention ! Je te pique l’expression « le savoir en ligne » pour le prochain billet, qui sortira ce dimanche ! (mais je te mentionne aussi !
Pas fan de sport?Je crois me souvenir d’un koz fan de rugby?
Tu parles d’une responsabilité du public, et elle est indéniable. Peut-être pourrions-nous également parler de celle de France Télévisions, télévision publique, qui continue à subventionner largement le Tour avec les droits télé. On pourrait attendre du diffuseur, qui vit entre autres de la redevance, qu’il mette un peu la pression aux organisateurs.
Et enfin enfin enfin the last but not the least Cahuzac s’est confessé!!!!! Faut donc pas désespérer de la nature humaine…