Emmanuel Macron a annoncé son intention de transformer le Conseil économique, social et environnemental en une Chambre des conventions citoyennes et cette volonté de recourir de façon régulière à des « conventions citoyennes » soulève des questions peu abordées.
Car il y a une différence essentielle et évidente entre le recours ponctuel à un conseil quelconque auquel le président de la République peut tout à loisir recourir, et son institutionnalisation. Qu’il soit technique ou scientifique et désigné par le président (et la Vème a connu ses comités Théodule) ou citoyen et tiré au sort, le président fait ce qu’il veut pourvu qu’il en assume ensuite la responsabilité politique – et, soit en passant, je ne partage pas la fureur de certains contre la Convention citoyenne pour le climat. Mais lorsqu’il institutionnalise la procédure[1], l’enjeu change de nature.
Emmanuel Macron enterre-t-il la Vème République… ou se borne-t-il à prendre acte de son décès ? Le recours institutionnalisé aux conventions citoyennes sonne comme l’aveu de l’incapacité de nos institutions à représenter le peuple, tout comme à produire une politique véritable.
On peut certes rappeler que ce recours trouvera à s’articuler avec les processus ordinaires de responsabilité politique : certaines propositions feront l’objet d’une consultation populaire par référendum, d’autres seront reprises par l’exécutif, et il assumera la responsabilité politique. Mais on néglige souvent la portée de ce qui ne semble être, de prime abord, qu’un aménagement institutionnel – souvenons-nous du quinquennat.
Le travail qui sera délégué aux conventions citoyennes devrait être réalisé par le gouvernement ou par le parlement – voire, et même si le « régime des partis » n’est pas franchement dans l’inspiration de la Vème République, par les partis politiques. Procéder par des conventions citoyennes semble ainsi acter le fait que ni les uns ni les autres, et spécialement lorsqu’ils sont au pouvoir, ne sont capables de produire une politique, une vision, des idées nouvelles. Qui retiendra quoi de ce quinquennat bien entamé, comme des précédents : quel projet, quelle vision, quelle réforme d’envergure ?
En République, Vème ou non d’ailleurs, l’instance ordinaire, logique, légitime, de délibération devrait être le parlement. On sait pourtant à quoi celui-ci est aujourd’hui réduit, coincé entre un agenda législatif surchargé qui ne lui permet en règle générale que d’examiner les textes au pas de charge, selon des procédures qui restreignent chaque fois davantage les temps de parole et les possibilités de débat effectif, et une discipline de groupe majoritaire qui voit les députés adopter sans trop y regarder les dispositions législatives que l’exécutif entend qu’ils votent. Mais c’est ainsi : plutôt que de redonner les moyens de restituer à l’institution légitime les outils nécessaires à l’exécution de sa fonction, on baisse les bras, on abandonne, on reconnaît le discrédit de l’Assemblée, et l’on crée une nouvelle chambre, censée porter un véritable débat citoyen.
Ce faisant, d’ailleurs, on délégitime doublement les députés. Sur le fond, une part de la politique de la Nation leur échappe donc. Sur la forme, elle est transférée à une autre assemblée dont il faut présumer que, contrairement à la leur, elle remplisse les conditions nécessaires de représentativité. Comment ne pas voir qu’il y a, dans cette évolution, une délégitimation du processus démocratique ordinaire de représentation ? Comment ne pas être interpellé par le fait que le tirage au sort, qui ne permet ni l’implication des autres citoyens ni un véritable contrôle démocratique, remplace l’élection – certes imparfaite mais qui organise un minimum de responsabilité politique desdits élus ?
Politiquement, le fait qu’Emmanuel Macron ait choisi d’endosser la quasi-totalité (146 sur 150) des propositions de la Convention citoyenne pour le climat est également lourd de conséquences. D’une part, cela tend à accorder à cette assemblée de citoyens une légitimité renforcée – car la comparaison avec le sort des propositions de loi selon que l’exécutif les approuve ou non serait cruelle, quand en revanche les propositions de la Convention citoyenne sont acceptées en bloc. D’autre part, cela crée une forme de précédent, qui rendra difficile une plus grande sélection parmi les propositions des futures conventions citoyennes.
On n’ignore pas, évidemment, que l’instauration d’une Convention citoyenne fait suite à la mise en cause frontale de la représentativité de notre système démocratique lors de la crise des Gilets Jaunes – quand bien même il semble douteux que les propositions de celle-ci soient inspirées de leurs revendications.
Mais faut-il donc entériner le discrédit du personnel politique et l’inadéquation de l’Assemblée Nationale sans engager une réflexion plus profonde, une réforme cohérente et respectueuse des processus démocratiques légitimes plutôt qu’une addition d’ajustements voire d’improvisations ?
Avec l’institutionnalisation annoncée des conventions citoyennes, Emmanuel Macron n’a-t-il pas entériné la faillite de notre système, son manque de représentativité ? Alors, foutue pour foutue, ne serait-il pas temps d’imaginer une nouvelle République ?
- on imagine qu’elle passera par le vote d’une loi organique, conformément à l’article 71 de la Constitution [↩]
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Merci d’exprimer si bien mon trouble quant à cette évolution du système politique.
Spécifiquement, vs la convention citoyenne pour le climat :
Agriculteur, engagé dans l’Agriculture de Conservation des Sols (ACS), j’observe que, les propositions « climat » traitent énormément des questions alimentaires et agricoles.
Certaines sont manifestement totalement déconnectées du climat (interdiction des OGM). Evidemment, on me dira que la biodiversité a été ajoutée à l’agenda de la convention. Mais alors, au nom de quoi ?
est-ce une convention environnementale qui doit tout traiter ?
Sur les questions agricoles, les lieux communs politiquement et médiatiquement corrects (développement de l’agriculture biologique, suppression des pesticides) sont naturellement repris, car le travail des lobbies (générations futures) a été bien fait.
Mais où sont les études macro-économiques et les études d’impact ?
qui connaît les réalités de l’agriculture, des ravageurs ?
sait-on que l’agriculture biologique repose sur un travail du sol intensif (pour contrôler les mauvaises herbes), consommateur d’énergie fossile et destructeur de matière organique ?
Quant à moi, je développe sur ma ferme et comme bon nombre de collègues, une agriculture résiliente qui répond à beaucoup des enjeux de durabilité, avec une exigence de résultats, non de moyens. Ce post n’est pas forcément le lieu pour développer : si vous êtes intéressés, rdv sur le site de notre association l’APAD
Inquiet pour mon métier, je le suis. Et pour l’avenir de mon pays également.
Car, qui peut croire que des questions complexes peuvent être résolues par une poignée de citoyens ?
Quand l’expertise scientifique est régulièrement rabaissée ou ignorée (cf les avis de l’ANSES) et que le pilotage est confié à des quidams même un peu formés, je suis pessimiste sur la capacité d’une société à prendre les bonnes décisions, quand bien même les intentions seraient louables.
Merci pour ce billet, intéressant comme toujours. Il y a un vrai sujet sur le fonctionnement / l’utilité de l’Assemblée Nationale, je partage le constat que vous en faites, en y rajoutant le fait que les oppositions empirent souvent la situation. Je pense en particulier à l’obstruction parlementaire, les dizaines de milliers d’amendements quasi identiques qui ne viennent là que pour forcer le gouvernement à utiliser le 49-3, on aimerait que ce jeu ridicule et sans fin se termine un jour.
Je comprends votre trouble sur ce tirage au sort plutôt que l’élection, mais je vous trouve un peu sévère : on le regrette mais il y a une vraie demande pour ce genre de consultations (du fait de la défiance envers la classe politique), et le résultat me semble au moins honorable, tant pour le contenu des propositions que la communication qui a été faite sur le processus. Cela n’empêche pas la réflexion plus profonde que vous appelez de vos voeux, voire pourrait l’aiguiller un peu en faisant miroiter une sorte de contre-modèle.
Un des buts de cette réforme pourrait être moins de députés avec plus de moyens pour travailler sérieusement les lois (d’ailleurs c’était censé être prévu… j’imagine que c’est tombé à l’eau depuis le temps). Je me souviens d’une interview d’Edouard Philippe avant la présidentielle pointant justement le fait qu’avec le cumul des mandats, la plupart des députés-maires de villes moyennes choisissaient de conserver le mandat de maire plutôt que celui de député, entre autres par manque de moyens à leur disposition. Je n’ai jamais compris pourquoi nous avons 577 députés et les Américains 100 sénateurs. Les Allemands ont certes plus de 700 députés mais du moins leur élection législative détermine directement la couleur du gouvernement, ce qui n’est dans la pratique plus notre cas.
Merci de ces questions, et de cette élévation du débat.
J’avoue que je ne sais pas trop quoi en penser. La mécanique législative actuelle est très grippée, et je comprends que l’on puisse appeler de ses voeux une VIe république.
Cependant, je ne vois pas comment dépasser le fonctionnement en partis avec utilisation des médias et financements (et donc potentiels dérives et apports occultes) lors des élections.
J’ai bien peur que « plus ça change, plus ce soit la même chose ».
Mais le désaveu du Parlement, comme vous le soulignez, fait mal à la démocratie.
Je reste réticent à l’idée d’une autre République. Celle-ci a été faite pour que l’exécutif soit capable de prendre des décisions fortes dans des circonstances exceptionnelles, et je pense que nous y sommes. Le risque qu’une nouvelle constitution soit un pas en arrière me paraît élevé.
Ce que prouve le « succès » de la convention sur le climat et sa possible institutionnalisation est à mon avis plutôt l’échec du quinquennat, qui a fait du Président le chef, de facto, de la majorité. Le couple exécutif-législatif fonctionne pour l’essentiel en circuit fermé, malgré la soupape sénatoriale; le Président, qui devait être un arbitre, se trouve à la fois juge et partie. Évidemment, l’élection de députés novices, sans ancrage, devant leur succès au parrainage du Président, n’arrange rien. L’Assemblée nationale est déjà marginalisée: plus personne n’attend qu’elle fasse preuve d’initiative autre que téléguidée ou qu’elle contrôle efficacement l’exécutif. Il est à cet égard frappant de voir que l’homme populaire soit le Premier ministre, qui a toujours refusé d’adhérer au parti majoritaire.
Avec ces données, la seule façon de rétablir une respiration est de créer une institution ou une procédure nouvelle, extérieure au circuit du pouvoir. Le tirage au sort est là pour ça. Je ne sais pas si la formule fera recette longtemps, d’ailleurs, car un soupçon de manipulation devrait bientôt apparaître: je suis d’ailleurs surpris qu’il n’y ait pas plus d’interrogations sur la façon dont le consensus s’est créé, au sein de la convention, sur une ligne écologique plus punitive que ne le souhaite, à mon avis, la population.
Punitive ? On mesure peut-être simplement pour la première fois les efforts à faire pour atteindre notre cible carbone !
Je ne suis pas un spécialiste du droit de nos institutions mais je partage votre inquiétude et celle des quelques personnes qui ont commenté l’article. On peut en effet se demander à quoi servent les députés que les élections ont envoyé siéger à l’Assemblée nationale. Même si, comme vous le soulignez, les « débats » sont conduits au pas de charge, sans vraie discussion, ils ont au moins le mérite d’exister et les députés qui y participent justifient leur présence et exercent au moins leur responsabilité de nous représenter (indépendamment du fait qu’on soit ou pas d’accord avec les lois votées).
Je suis d’autant plus inquiet que le débat (existe-t-il ?) est relancé dans la précipitation après la crise sanitaire sur la loi de bioéthique. In fine je me demande vraiment qui gouverne et s’il y a une tête pour gouverner … ou, un pilote dans l’avion.
L’intérêt d’une consultation (dont le mode reste à définir) sur l’écologie n’est pas nul mais il me semble périphérique comparé aux enjeux de la loi de bioéthique qui détruit les repères anthroplogiques sur lesquels une société devrait se construire.
… et après l’abstention historique des dernières élections on est en droit de se demander si la France est toujours une démocratie et les responsables politiques devraient se poser sérieusement la question de savoir pourquoi un tel désaveu.
« et après l’abstention historique des dernières élections on est en droit de se demander si la France est toujours une démocratie »
Je vous propose d’aller poser la question aux gens de HongKong, de Moscou, de Caracas…
» les responsables politiques devraient se poser sérieusement la question de savoir pourquoi un tel désaveu. »
Ce qui est une question qui doit être posée à tous depuis, oh, au moins Chirac. Quinquennat, panne de la gouvernance, incapacité à définir un projet commun, j’en passe et des meilleures.
L’égalité entre la durée du mandat du Président de la République et celle du mandat des députés est un vice originel du remplacement du septennat par le quinquennat. On ne s’en sortira pas tant qu’il n’y aura pas d’élections législatives au cours du mandat du président. Mais les français seraient-ils prêts à revenir au septennat ? Certes deux septennats sont trop longs, mais ne peut-on imaginer qu’en cas de réélection, le second mandat du président serait limité à 3 ans ?
Je le sentais venir… il y a 13 ans…
https://www.koztoujours.fr/segolene-royal-lhypothese-totalitaire
Je crois qu’il faut franchement arrêter de traiter nos adversaires de « totalitaires » ou équivalents. En dépit de sa puissance institutionnelle, Macron n’a pas été fichu de faire sa réforme constitutionnelle. Détendons-nous.
Cette fois-ci, je ne partage pas votre scepticisme ou votre inquiétude. Oui, il était temps de passer à autre chose. Les organisations pyramidales, hiérarchisées et descendantes ont vécu, que ce soit en politique, dans le monde du travail ou ailleurs (dans l’Église catholique par exemple). Si vous ne l’avez pas fait, je vous invite à regarder les quelques minutes accordées aux représentants de la Convention Citoyenne pour le Climat pour présenter leur rapport au Président. Impressionnant et j’ose le dire émouvant. Je vous invite également à aller voir ce qu’à fait Jo Spiegel dans sa ville alsacienne depuis plusieurs mandats avec les citoyens de sa commune. Contrairement à ce que l’on entend, ces conventions n’ont pas vocation à se substituer au Parlement, mais à le compléter en regardant plus loin, sans arrière pensée électorale. C’est vital aujourd’hui et c’est l’inutile Sénat qui devrait disparaître. Alors vive les Conventions Citoyennes et merci à ceux qui les ont proposées, animées et aidées à exister.
Merci
Je relie personnellement le manque de légitimité au manque de pédagogie (c’est un argument fréquent et sans doute facile je sais..). Mais l’ecotaxe, comme la taxe carbone, bien expliquée, 90% des citoyens devraient la soutenir. Et c’est encore et toujours perçu comme une taxe de « l’Etat » lointain contre le gentil citoyen, et ça ne passe pas.
Alors on prend de simples citoyens pour construire des propositions a notre hauteur, c’est à dire légitimes car construites par nos égaux, là où l’on ne reconnaît pas l’intérêt général porté par un député.
Les Français n’étant pas bêtes, le manque de pédagogie procède en fait d’un manque de confiance total : on ne les écoute même plus. Les Fillon, Balkany, Cahuzac… font très mal à la démocratie. Tout comme un certain journalisme : combien d’articles sur une loi importante bien construite par rapport à la dernière gaffe de la chargée de communication ?
Authueil a écrit quelques bons billets sur le sujet. J’aime bien une de ses questions : qui va encore avoir envie de faire de la politique ?
La fin de la Vème République a déjà été actée avec la suppression par Chirac du septennat remplacé par le quinquennat… une grosse erreur qui a conduit le chef de l’Etat à sortir de son rôle !