« La France est elle prête à voter en 2007 pour un néo-conservateur américain à passeport français ? »
C’est sur cette accroche que s’ouvrait le petit opuscule du Secrétaire National du Parti Socialiste d’alors, Eric Besson, L’inquiétante rupture tranquille de Monsieur Sarkozy.
D’une certaine manière, « néo-conservateur » se suffisait à lui-même. Sa puissance évocatrice devait provoquer un rejet instinctif. Aux instinctifs défaillants, on précisait : néo-conservateur… « américain« . Avant de préciser « à passeport français« . Après un revirement connu, certains percevront dans cette expression des relents antisémites, et Ségolène Royal affirmera qu’elle était « limite raciste » – sans que cela n’ait empêché le PS de le mettre en vente dans tous les kiosques, ni de le garder en ligne.
Mais passons… Cette péripétie de campagne présidentielle illustre surtout à merveille la perception immédiate du néo-conservatisme en France. L’introduction de Francis Fukuyama laisse penser que la situation n’est guère plus brillante aux Etats-Unis.
Et moi ? Moi, j’ai cité Védrine à propos de Fukuyama, sans contester son propos, et avec quelque ironie envers ce que j’avais lâchement accepté de prendre pour la théorie dudit Fukuyama. Envie de me sentir au chaud dans notre anti-américanisme national ? Mal m’en prit. Et Marquette, au blog discrètement ressuscité, me reprit.
Las, je ne pouvais que l’admettre : en matière de néo-conservatisme, je n’en savais rien de plus que les ébauches lues ici ou ailleurs. Or, la bonne foi ne nous étouffe pas nécessairement lorsqu’il s’agit de l’Amérique, et il faut aussi admettre que la plus évidente réalisation taxée de néo-conservatisme, l’intervention de l’Irak, ne pousse pas à l’indulgence. Bref, je m’étais laissé aller aux ravages de la simplification et, manque de chance, quelqu’un s’en était aperçu…
La pénitence fut douce. D’où viennent les néo-conservateurs ? est d’une lecture aisée.
*
Francis Fukuyama présente les figures essentielles de ce mouvement de pensée (issu de la gauche), des racines, chez Léo Strauss, Albert Wohlstetter, Irving Kristol, pour finir avec de plus contemporains William Kristol (fils du dernier) et Robert Kagan.
La diversité de ce mouvement de pensée et son évolution depuis son apparition au milieu des années 30 n’aident pas à sa juste appréhension. La volonté de certains d’opérer une traduction politique immédiate de travaux qui n’avaient pas été menés à cette fin n’a pas non plus manqué de mettre à mal la perception que l’on pouvait avoir du mouvement néo-conservateur, dont les fondamentaux ne justifient pas l’opprobre qui le couvre désormais.
Une conviction parait toutefois plus spécialement au coeur du néo-conservatisme : comme l’ont affirmé Platon ou Tocqueville, la nature des régimes a un impact direct sur le comportement des citoyens. Autrement énoncé,
« les institutions politiques formelles [jouent] un rôle crucial dans la formation des normes culturelles et des habitudes informelles«
En outre, et c’est essentiellement en cela que les néo-conservateurs s’opposeront aux réalistes, type Védrine, la nature des régimes a également un impact direct sur leur comportement en matière de politique étrangère.
« Les Etats-nations ne sont pas des boîtes noires ou des boules de billard rivalisant indifféremment pour le pouvoir, comme le voudraient les réalistes; lapolitique étrangère reflète les valeurs de la société qui la met en oeuvre. Les régimes qui traitent injustement leurs propores ressortissants ont toutes les chances d’agir de même envers les étrangers. Dans ces conditions, les efforts pour changer le comportement des régimes tyranniques ou totalitaires au moyen de récompenses ou de sanctions extérieures seront toujours moins efficaces que le changement radical des régimes en question » (pp 34-35)
En fin de compte, là où Védrine fait preuve d’ironie quant aux invocations creuses d’un providentiel multilatéralisme, les néo-conservateurs seraient, eux, plus que sceptiques, ce qui expliquerait en grande partie le retrait des Etats-Unis vis-à-vis des grandes conventions internationales.
*
Si l’on s’intéresse ensuite à la traduction politique de ces convictions dans la politique étrangère conservatrice de ces 20 à 30 dernières années, on y verrait, essentiellement, une mauvaise prise en compte des spécifités nationales.
Fukuyama le souligne à propos de l’intervention américaine en Irak :
« Une compréhension correcte de l’interprétation straussienne du régime aurait dû alerter sur les effets de l’effort américain pour provoquer un changement de régime. Selon cette conception, les régimes ne sont pas simplement des institutions et des structures d’autorité formelles : ils déterminent les sociétés qui les sous-tendent et ils sont déterminés par elles«
Ou comment réintroduire la complexité dans une tentative d’appréhension systématique (au sens du système) du monde…
Traduit plus abruptement : si l’idée selon laquelle la nature du régime impacte le comportement des citoyens tout comme la politique étrangère est probablement grandement fondée, si la conviction que les politiques de sanction ou d’incitation seront d’une efficacité limitée suscite l’intérêt, la solution du changement de régime en vue de l’instauration de la démocratie ne vaut que pour autant que les populations concernées disposent de la culture adéquate, et que les réalités locales la rendent possible… ce qui tend à réduire la portée pratique d’une telle théorie.
Chacun connait la situation actuelle en Irak, illustrée par la série d’attentats qui a fait 200 morts dans le Nord de l’Irak hier, qui ne valide pas spécialement cette première prétendue application pratique des idées néo-conservatrices… Et l’on apprend en outre, à la lecture de Fukuyama, que les néo-conservateurs « politiques » se sont sentis confortés dans leur théorie par les circonstances de l’effondrement du bloc soviétique.
Ainsi la menace qu’ils faisaient peser n’aurait pas été levée « par les traités sur le contrôle des armements (comme les négociations sur les forces conventionnelles en Europe) mais par leur transformation en démocratie« … Sauf à ce que le propos de Fukuyama soit à cet égard abusivement simplificateur, ce raisonnement surprend tant il semble méconnaître les facteurs nationaux, internes, qui ont pu conduire à une telle transformation : ainsi du degré de pourrissement du régime, mais surtout de l’Histoire et de la culture de ces pays d’Europe de l’Est, dont certains avaient déjà connu des régimes démocratiques, et qui les prédisposaient favorablement à un tel changement de régime.
Une différence majeure aurait également dû modérer les velléités de tirer, pour l’Irak, des leçons de ce précédent : la démocratie n’a pas été imposée en Europe de l’Est par une force armée étrangère ! On s’étonne qu’une telle évidence ait été, sinon ignorée, pour le moins minorée.
*
Ce billet serait terriblement incomplet s’il ne reprenait, même brièvement, les quatre principes de base caractérisant, selon Fukuyama, la pensée néo-conservatrice :
1° La conviction que le caractère interne des régimes a de l’importance et que la politique étrangère doit refléter les valeurs les plus profondes des sociétés démocratiques libérales (…)
2° La conviction que la puissance américaine a été et doit être utilisée à des fins morales, et que les Etats-Unis doivent rester engagés dans les affaires internationales. Il y a une dimension réaliste à la politique étrangère néo-conservatrice, qui réside dans la compréhension du fait quel’application de la puissance est souvent nécessaire pour atteindre des objectifs moraux.
3° Une défiance systématique à l’encontre des ambitieux projets d’ingénierie sociale.
4° Enfin, le scepticisme au sujet de la légitimité et de l’efficacité de la législation et des institutions internationales pour imposer la sécurité ou la justice (…) A cet égard, les néo-conservateurs sont d’accord avec les réalistes pour affirmer que la loi internationale est trop faible pour imposer des règles et refréner les agressions (…)
La promotion de « valeurs universelles« , au premier rang desquelles la démocratie, est peut-être vue avec ironie par cerains réalistes, dont Hubert Védrine, elle n’est évidemment pas écartée en tant que telle, de sorte que l’idée ne paraît guère propre au néo-conservatisme. En outre, le néo-conservatisme semble être devenu durablement synonyme de « politique de l’Administration Bush« . C’est probablement en grande partie faux, et cruel mais… that’s life.
Restent peut-être (i) la conviction que, à l’image de la politique conservatrice à l’égard du bloc soviétique, les dictatures ne doivent pas être « gérées » mais combattues, et (ii) l’implantation parmi des républicains majoritairement isolationnistes de la conviction que l’Amérique a une responsabilité dans le monde.
A supposer que ces convictions soient appliquées à l’avenir avec plus de finesse, de souci de compréhension du monde extérieur – et d’implication à l’égard d’autres enjeux internationaux tels que le réchauffement climatique – que ne l’a fait l’Administration Bush, ce ne serait pas un acquis négligeable des penseurs néo-conservateurs.
Sur cet ouvrage, vous pouvez également lire ce qu’écrivait dernièrement le précité Marquette
En savoir plus sur Koztoujours
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Pingback: » Questions sur le texte
Article passionant, merci beaucoup. J’ai l’impression que les gouvernants americains actuels ont bien retenu les points 1, 2 et 4, mais ont zappe le 3 qui critique l’ingenierie sociale. Il y a une difference entre soutenir des mouvements de rebellions internes a un pays (Prague, Afghanistan, Ukraine recemment) pour provoquer un changement de regime, et imposer un nouveau regime par la force.
Petit detail, au lieu de « systématique (au sens du système) » tu peux dire « systemique »
[quote post= »428″]la solution du changement de régime en vue de l’instauration de la démocratie ne vaut que pour autant que les populations concernées disposent de la culture adéquate, et que les réalités locales la rendent possible[/quote]
Ca, c’est un truc qui me pose un problème. En effet, à ce compte-là, il n’y a que la Grèce qui aurait droit à la démocratie. Par exemple, la France pré-1789 n’était (dans sa grande majorité) pas plus prête à la démocratie, d’où d’ailleurs le glissement vers le totalitarisme de la Terreur, et elle mettra plusieurs décennies pour arriver à quelque chose d’approchant. A un niveau plus fin, c’est l’argument de ceux qui se prononçaient contre le vote des femmes, ou des Noirs, ou des pauvres, etc. L’argumentaire réaliste implique un sentiment de supériorité qui est plutôt désagréable.
[quote comment= »41021″]Article passionant, merci beaucoup. J’ai l’impression que les gouvernants americains actuels ont bien retenu les points 1, 2 et 4, mais ont zappe le 3 qui critique l’ingenierie sociale. [/quote]
Merci, d’abord.
En ce qui concerne l’ingénierie sociale, il me semble que cela fait davantage référence à tout ce qui est du domaine de la protection sociale, dont les néo-conservateurs critiquent l’impact sur le comportement du citoyen.
[quote comment= »41021″]Petit detail, au lieu de « systématique (au sens du système) » tu peux dire « systemique »[/quote]
Not sure. Il me semble que « systémique » renvoie à autre chose. A vérifier.
[quote comment= »41036″]Ca, c’est un truc qui me pose un problème. En effet, à ce compte-là, il n’y a que la Grèce qui aurait droit à la démocratie. Par exemple, la France pré-1789 n’était (dans sa grande majorité) pas plus prête à la démocratie, d’où d’ailleurs le glissement vers le totalitarisme de la Terreur, et elle mettra plusieurs décennies pour arriver à quelque chose d’approchant. A un niveau plus fin, c’est l’argument de ceux qui se prononçaient contre le vote des femmes, ou des Noirs, ou des pauvres, etc. L’argumentaire réaliste implique un sentiment de supériorité qui est plutôt désagréable.[/quote]
Non pas. Il ne s’agit pas d’affirmer que certains pays ne puissent pas parvenir à la démocratie. La théorie néo-conservatrice, à ce que j’en ai compris, attend des changements rapides, s’appuyant sur l’exemple des pays d’Europe de l’Est. Mais il me semble irréaliste d’espérer une transformation similaire de pays qui n’ont pas une culture qui les prépare déjà au bouleversement.
Comme tu l’illustres par ton exemple, il faut alors assumer le risque du chaos, du bain de sang, durant de longues années. Exactement le contraire de ce qu’a semblé espérer l’équipe Bush qui tablait (i) sur un accueil enthousiaste de la population et (ii) sur une installation rapide de la démocratie.
Si l’on est d’accord sur le fait qu’un changement de régime par la force dans un pays non préparé à l’instauration d’une démocratie a de fortes chances de s’accompagner d’un bain de sang – du type Terreur – les x premières années, qu’on est prêt à l’assumer, voire qu’on l’anticipe, « ça roule ». Non seulement je ne connais pas beaucoup de politiques qui assumeraient ce risque, mais il semble que, précisément, l’équipe Bush n’ait pas préparé cela.
Pas sûr que le parallèle avec le vote des femmes, des Noirs, des pauvres, soit très justifié.
La combinaison des 4 principes qui conclut le billet exprime une (affligeante) conviction de supériorité, que je caricaturerais ainsi : ma morale vaut mieux que le droit, la preuve c’est que je suis le plus fort.
Ça nous rappelle le Berlusconi de fin 2001, le Marenches de 1986 (qui justifiait le vente des armements les plus perfectionnés à Saddam Hussein, « notre ami », celui des démocraties en lutte contre les méchants),… ou la pensée coloniale.
Et cela marque bien la différence avec la pensée conservatrice (sans « néo ») qui est d’essence défensive, alors que le « néo » est offensif ; à l’image de la pensée coloniale, il prétend civiliser le désert, il nourrit son projet constructif par l’ignorance de constructions tierces.
Occasion de rappeler l’excellent billet de Jules de diner’s room sur Nicolas Sarkozy et le néo-conservatisme
http://dinersroom.free.fr/index.php?2007/05/05/478-nicolas-sarkozy-et-le-neo-conservatisme-a-la-francaise
[quote comment= »41038″]
Non pas. Il ne s’agit pas d’affirmer que certains pays ne puissent pas parvenir à la démocratie. La théorie néo-conservatrice, à ce que j’en ai compris, attend des changements rapides, s’appuyant sur l’exemple des pays d’Europe de l’Est. Mais il me semble irréaliste d’espérer une transformation similaire de pays qui n’ont pas une culture qui les prépare déjà au bouleversement.
Comme tu l’illustres par ton exemple, il faut alors assumer le risque du chaos, du bain de sang, durant de longues années. Exactement le contraire de ce qu’a semblé espérer l’équipe Bush qui tablait (i) sur un accueil enthousiaste de la population et (ii) sur une installation rapide de la démocratie.
Si l’on est d’accord sur le fait qu’un changement de régime par la force dans un pays non préparé à l’instauration d’une démocratie a de fortes chances de s’accompagner d’un bain de sang – du type Terreur – les x premières années, qu’on est prêt à l’assumer, voire qu’on l’anticipe, « ça roule ». Non seulement je ne connais pas beaucoup de politiques qui assumeraient ce risque, mais il semble que, précisément, l’équipe Bush n’ait pas préparé cela.
[/quote]
Ah, mais je ne cherchais pas à défendre Bush et son équipe, et si je continue de penser que l’intervention en Irak était sinon justifiée, du moins acceptable, la gestion de ses suites n’a pas été franchement brillante, et comme tu le notes justement, à cause d’un angélisme assez grave à ce niveau-là. Cependant, à côté des actes de terreur quasi-quotidiens, il faut voir qu’on est bien loin en Irak d’une dictature de type Terreur, ou même du bain de sang, et que la situation n’est pas si noire que cela pour une large part de la population. C’est loin d’être parfait, je sais, mais du point de vue de la population irakienne, je ne suis pas sûr que la situation se soit dégradée.
[quote comment= »41038″]
Pas sûr que le parallèle avec le vote des femmes, des Noirs, des pauvres, soit très justifié.[/quote]
Quand j’entends certains dire qu’une population n’est pas « prête » à la démocratie, j’ai parfois le sentiment d’entendre les arguments de ceux qui disaient qu’ouvrir le droite de vote aux femmes, ou aux pauvres, ou aux Noirs, était dangereux car (au choix), ces populations étaient incultes ou influencables ou je ne sais quoi, bref qu’il valait mieux ne pas leur confier la direction des affaires. Et je ne vois pas pourquoi l’argument, inacceptable dans le second cas, serait acceptable dans le premier. Je ne crois pas à la préparation à la démocratie, et je pense qu’il vaut mieux y plonger et apprendre à nager plutôt qu’attendre sur le bord de savoir.
[quote comment= »41039″]La combinaison des 4 principes qui conclut le billet exprime une (affligeante) conviction de supériorité, que je caricaturerais ainsi : ma morale vaut mieux que le droit, la preuve c’est que je suis le plus fort.[/quote]
Un peu caricatural sur la fin, oui. On peut effectivement trouver étonnante la volonté de faire prévaloir sa morale mais lorsque tu dis « la preuve c’est que je suis le plus fort« , je crois que tu inverses le raisonnement à la lumière de ce que les derniers néo-conservateurs et l’Administration Bush ont fait du néo-conservatisme.
On peut aussi y lire : étant le plus fort, je n’ai pas le droit de me désintéresser des affaires du monde. Quant à vouloir faire prévaloir sa, ce n’est pas complètement aberrant dans la mesure où l’on est mieux placé pour faire valoir sa morale que celle des autres.
A l’évidence, cela ne doit pas supposer de mépriser la morale des autres.
Je veux me garder de tout jugement à l’emporte-pièces ou teinté d’anti-américanisme (on a un peu trop tendance à mon goût à nous entretenir dans l’idée que ce sont des cons brutaux, sans prendre garde à la vie intellectuelle qui y a court) mais les américains ne me semblent pas véritablement les champions de l’inculturation, que ce soit les conservateurs ou les démocrates. Si j’ai bon souvenir, l’intervention en Somalie n’a pas été un échec que du fait de leur assaut raté mais aussi parce qu’ils prenaient insuffisamment en compte les cultures locales. Encore une fois, c’est à vérifier, mais il me semble que certaines villes avaient été confiées à l’armée française précisément parce qu’elle savait se faire accepter par la population locale.
Par ailleurs, j’ai repris le propos de Fukuyama, sur les 4 conditions. Le terme « légitimité » est-il bien traduit ? Et traduit-il fidèlement la pensée néo-conservatrice ? Si oui, ce n’est évidemment pas quelque chose que je partagerais : le droit international est évidemment légitime à gérer les régimes dictatoriaux. En revanche, le questionnement sur son efficacité ultime ne me parait pas inutile à mener.
[quote]Et cela marque bien la différence avec la pensée conservatrice (sans « néo ») qui est d’essence défensive, alors que le « néo » est offensif ; à l’image de la pensée coloniale, il prétend civiliser le désert, il nourrit son projet constructif par l’ignorance de constructions tierces.[/quote]
Cela dit, cela se fait au nom de quoi, sinon au nom de la démocratie ? Est-ce fondamentalement erroné de penser que la démocratie est réellement le meilleur système et qu’il devrait être promu tous azimuts ?
Que les modalités soient insatisfaisantes, je le conçois : s’il s’agit d’instaurer la démocratie uniquement telle que la conçoit le gouvernement américain en place, sans prise en compte des conceptions locales (pour autant qu’on ne soutienne pas localement que la corruption endémique fait partie de la culture nationale), avec en prime la « culture américaine », je te suis.
C’est aussi pour cela que l’instauration d’un régime démocratique par la force me parait assez illusoire.
J’y vois non seulement le risque d’intervenir ainsi dans un pays non préparé, mais également celui de provoquer l’identification du régime démocratique à l’occupation étrangère et, de fait, de le disqualifier, outre celui de plaquer un régime sans cohérence avec la nature sociale, culturelle etc, du pays.
So ? Eh bien, rien ne vaut un soutien discret mais efficace aux mouvements d’opposition nationaux… Vive le financement des mouvements de guérilla par les services secrets occidentaux ! 😉
[quote comment= »41042″]Quand j’entends certains dire qu’une population n’est pas « prête » à la démocratie, j’ai parfois le sentiment d’entendre les arguments de ceux qui disaient qu’ouvrir le droite de vote aux femmes, ou aux pauvres, ou aux Noirs, était dangereux car (au choix), ces populations étaient incultes ou influencables ou je ne sais quoi, bref qu’il valait mieux ne pas leur confier la direction des affaires. Et je ne vois pas pourquoi l’argument, inacceptable dans le second cas, serait acceptable dans le premier. Je ne crois pas à la préparation à la démocratie, et je pense qu’il vaut mieux y plonger et apprendre à nager plutôt qu’attendre sur le bord de savoir.[/quote]
Deux choses :
– dire qu’une population n’est pas prête à un instant donné ne signifie pas que l’on imagine qu’elle est incapable de vivre en démocratie. Mais que certains pays sont d’évidence plus prêt que d’autres : voir donc le cas des pays d’Europe de l’Est.
– une différence avec le cas des femmes, noirs, pauvres, c’est qu’ils évoluent, pour leur part, au sein d’une même culture, ce qui laisse penser qu’ils n’ont pas de raisons d’être moins prêts que d’autres.
[quote comment= »41045″]
Deux choses :
– dire qu’une population n’est pas prête à un instant donné ne signifie pas que l’on imagine qu’elle est incapable de vivre en démocratie. Mais que certains pays sont d’évidence plus prêt que d’autres : voir donc le cas des pays d’Europe de l’Est.
– une différence avec le cas des femmes, noirs, pauvres, c’est qu’ils évoluent, pour leur part, au sein d’une même culture, ce qui laisse penser qu’ils n’ont pas de raisons d’être moins prêts que d’autres.[/quote]
Point 1: je ne suis pas sûr que tout le monde soit du même avis que toi et je trouve que le concept d’aptitude à la démocratie sert un peu de cache-sexe à la Realpolitik la plus a-morale
Point 2: je fais juste le lien entre les deux conceptions (et encore, j’ai bien dit que c’était mon sentiment), et de la différence d’acceptation entre les deux.
Si ça n’est pas clair dans mes propos, je précise que je ne suis pas forcément en désaccord avec toi sur le fond de ton article 🙂 mais peut-être plus avec la position « réaliste », dont je ne suis même pas sûr que tu la partages 😉
Intéressant : au hasard de mes pérégrinations, je tombe sur cet article de Védrine, à propos d’un précédent livre de Fukuyama. Pour mieux distinguer néo-cons et réalistes.
Ce que je trouve curieux, c’est que si réalistes et néo-conservateurs sont censés s’opposer sur le papier, Kissinger n’a pas été le dernier à approuver la guerre en Irak, alors que d’un point de vue strictement réaliste je crois qu’elle ne se justifait pas vraiment.
Si vous voulez lire une génèse et une brève histoire du néo-conservatisme et de son ascension dans les milieux de pouvoirs américains qui ne provienne pas de l’une de ses figures éminentes (mais je ne remets pas en cause l’honnêteté de la présentation de Fukuyama, hein), vous pouvez lire « Fitna » de Gilles Kepel.
[quote comment= »41039″]La combinaison des 4 principes qui conclut le billet exprime une (affligeante) conviction de supériorité, que je caricaturerais ainsi : ma morale vaut mieux que le droit, la preuve c’est que je suis le plus fort.
Ça nous rappelle le Berlusconi de fin 2001, le Marenches de 1986 (qui justifiait le vente des armements les plus perfectionnés à Saddam Hussein, « notre ami », celui des démocraties en lutte contre les méchants),… ou la pensée coloniale.[/quote]
Pas d’accord.
Pour moi, cette foi absolue dans la supériorité de leur morale au point d’ignorer le droit est un vestige des origines gauchistes des neo-cons.
La Confédération Paysanne détruit des plants d’OGM, l’UNEF bloque des universités, le DAL viole la propriété privée, Greenpeace immobilise des convois, les syndicats de la SNCM piratent un navire… Il est difficile de trouver une organisation de gauche radicale qui ne fonde pas son action sur l’illégalité légitimée par des postures morales.
Berlusconi n’a jamais invoqué la morale, pas plus que ceux qui ont vendu des armes à Saddam (d’ailleurs ce n’était pas illégal). La primauté de la morale sur le droit est une « valeur » de gauche. Ca ne la rend pas moins dangereuse pour autant, bien sur.
le commentaire de Libéral est sectaire et reproche paradoxalement à la gauche d’avoir un complexe de supériorité tout en le pratiquant allègrement.
Sur les néos-cons,voir ce mémoire sympa d’Akli
http://www.aklipolitique.com/article-11568544.html
Non. Mon commentaire est très factuel.
Je donne de nombreux exemples d’organisations de gauche qui revendiquent l’illégalité au nom de la morale, pouvez vous me citer l’équivalent à droite?
Les mots ont un sens et l’invective ne constitue pas un argument.
Les faucheurs, l’Unef et les syndicalistes corses agissent au nom de la morale ? Vous plaisantez Libéral ? Ils ont des visées purement politiques et pratiques, au contraire. Il ne se battent pas pour des valeurs abstraites, mais pour des objectifs tout à fait concrets.
Je vous accorde que votre commentaire était factuel, mais il était juste complètement hors-sujet.
@ux derniers commentaires : je m’émerveille de cette capacité à classer l’oscurantisme comme de droite ou de gauche.
Concernant M. Berlusconi, je faisais référence à la déclaration « Notre civilisation est supérieure à l’islam. (…) Il faut être conscient de notre supériorité, de la supériorité de la civilisation occidentale. (…) L’Occident continuera à s’imposer aux peuples. Cela a déjà réussi avec le monde communiste et une partie du monde islamique. »
(26 septembre 2001).
(je ne garantis pas la traduction).
@koz : merci pour cette réponse détaillée ! je crois en effet que les mots « culture », « démocratie » … ont des sens et des portées bien différentes dans la pensée démocrate et dans la pensée néo-conservatrice. Et sans doute, des sens bien différents entre Europe et Etats-Unis, à ce qu’il me semble en ce moment – où je découvre l’Amérique avec les yeux du paysan briard.
Je suis pour ma part un peu étonné de voir décrété que les démocrates américains sont « de gauche ». Par rapport aux républicains américains, sûrement ! Mais par rapport à la France ?… S’il fallait classer l’UMP sur l’échiquier politique américain, nous déborderions largement sur le parti démocrate, quand le PS serait allègrement relégué à l’extrême-gauche.