C’est un homme sans domicile fixe. Il occupe sa chambre à sa manière, le matelas posé au sol, lui-même assis par terre, tout près de la porte. Il lui arrive d’en sortir, et de marcher à quatre pattes dans le couloir, délicatement repris par les soignants. Au nouveau marché de la dignité, le gars n’aurait pas la cote. Sa toute fin de vie n’a pas été médicalement bien jolie, y compris pour des soignants habitués à ce que nous voulons ignorer. Mais lorsqu’il est mort, la jeune infirmière qui a accompagné cet homme, qui n’avait rien et qui n’avait personne, a voulu revenir pour la levée du corps. Parce qu’elle avait besoin de repos après des heures éprouvantes, une bénévole lui a suggéré d’écrire ce qu’elle aurait aimé dire. A la place, elle a laissé un poème, quelques mots de douceur pour celui qu’on ne regardait plus. Le poème a été placé dans son cercueil, où nul ne le lira. Nul ne saura même qu’il est là, comme un viatique en cadeau. Une tendresse éternelle. Tous les soignants du service, même ceux qui ne s’étaient pas directement occupés de cet homme, se sont interrompus et sont descendus au salon funéraire pour consacrer un temps à ce patient si seul. Cela s’est passé au sous-sol d’un établissement hospitalier, en silence, et le couvercle du cercueil s’est refermé sur cet homme et sur son poème pour l’éternité. S’il n’y avait ces lignes, personne ne le saurait jamais. D’ailleurs, combien de fois l’ont-ils fait sans qu’aucun mot ne vienne en rendre compte ? C’est entre cet homme, eux, leur conscience, et nous. Oui, nous, car c’est notre humanité qu’ils honorent par leur présence. C’est nous qu’ils sauvent dans cette courte veillée où ils ont rendu les honneurs à un homme inconnu.
Lendemain, dans l’exact même monde. Un people se met en scène : c’est Moundir. Ce Moundir que l’on a connu il y a 20 ans dans Koh-Lanta, robinson impulsif et sommaire, avant de tourner les Gladiatrices. Sur le plateau apparemment incontournable du fatal Hanouna, il se fait chroniqueur politique et interpelle Elisabeth Lévy : « la Gestapo, ça, c’est un nom qui doit vous parler, sûrement ? (…) Dachau. Vous connaissez ça aussi je suppose ? ». Si Madame Lévy connaît Dachau… Polémique, bruit, fureur, carton d’audience.
C’est ainsi, de plus en plus. Quand certains tiennent ensemble à grand-peine et en silence les fils de ce monde, d’autres s’appliquent à les trancher. Aux seconds, la notoriété. Mais nous garderons dans nos cœurs la mémoire de ces soignants. Et nous relirons les mots de George Eliot, mis en lumière dans le chef d’œuvre de Terrence Malick, Une vie cachée : « Si les choses ne vont pas aussi mal pour vous et pour moi qu’elles eussent pu aller, remercions-en pour une grande part ceux qui vécurent fidèlement une vie cachée et qui reposent dans des tombes que personne ne visite plus.» Avant d’y reposer, ils vivent leur vie parmi nous. Souvenons-nous d’eux maintenant.
Photo de Matt Collamer sur Unsplash
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Ainsi va le monde!
Merci pour cet article tellement juste et émouvant.
Merci Monsieur de nous faire connaître ce beau témoignage d’Humanité!
Ah ben c’est malin, je voulais juste faire une petite pause au bureau en lisant votre chronique. Et maintenant je pleure.
Merci.
Merci à chacun d’entre vous pour sa réponse. Je peux difficilement ajouter des mercis à chaque merci, ou il faudra que vous m’en remerciez, mais je lis, je lis !
J’espérais encore un projet moins délirant, moins inhumain… erreur de ma part