«L’essayiste américain Francis Fukuyama, alors néoconservateur, annonçait la « fin de l’Histoire » simplement parce que l’Occident ayant vaincu par K-O, aucune puissance ni aucune idéologie n’allait plus pouvoir s’opposer à lui. Ses valeurs – économie de marché, démocratie – allaient irrésistiblement s’étendre au reste du monde» (p. 8).
Continuer l’Histoire, donc, au contraire. Un titre en forme d’évidence, comme si véritablement, on avait pu croire un instant notre époque si unique qu’elle aurait vraiment vécu cet instant angoissant d’une fin à l’Histoire.
Hubert Védrine réserve donc un traitement spécialement mordant aux tenants du néoconservatisme et à leur idéologie. Une idéologie qu’au vu de ses résultats, et méthodes, on ne qualifierait pas d’emblée d’ingénue. Et pourtant. Mais les néo-conservateurs ne sont pas les seuls à subir ses traits : « européistes » comme « droits-de-l’hommistes» ne sont pas, ultimement, plus épargnés.
Cet essai, publié en janvier dernier, et auquel les spéculations récentes autour du sort d’Hubert Védrine auront certainement offert une nouvelle vie éditoriale, est une occasion d’en connaître davantage sur la vision de celui dont le nom a été brandi par les uns et les autres, chacun s’accordant – quel succès ! – à en reconnaître la compétence, sans que, à l’évidence, tous sachent clairement ce qu’il y a derrière le nom, et l’impression d’ensemble.
C’est, avant tout, la référence à l’Etat qui parcourt cet essai. Qu’il s’agisse des relations mondiales, de l’Europe, de la France, Hubert Védrine croit en l’Etat, au niveau étatique comme véritable échelon pertinent. Tout ce qui conduit à l’abaisser ou à l’amputer de sa souveraineté trouve en Hubert Védrine un adversaire résolu.
*
Ainsi, les grand-messes multilatérales l’agacent manifestement, avec leur cortège de déclarations de principes selon lui certes satisfaisantes mais stériles.
«C’est tout cet universalisme occidental à la fois bien pensant, bien intentionné, hégémonique, paternaliste et sûr de lui, bouffi d’irréalisme et embrumé d’« irrealpolitik », qui s’est heurté aux réalités » (p.32)
Quelle réalité ? Que la fin de la guerre froide ne signifie pas extension inexorable de la démocratie… et concorde planétaire sur la base des « valeurs occidentales ».
De nouvelles tensions, de nouvelles menaces se sont faites jour, au premier rang desquelles la menace islamiste et le risque de « clash des civilisations » – Hubert Védrine affirmant que celui-ci ne doit pas être nié, mais combattu – qu’il paraît clairement, à la lecture de Continuer l’Histoire, plus urgent de combattre et contenir que de se perdre en proclamation de valeurs occidentales prétendument universelles que, de surcroît, le reste du monde regarde avec scepticisme, voire agacement.
L’angélisme n’est en effet pas la tasse de thé d’Hubert. Par chance, il est socialiste. Ce qui lui permet d’ailleurs d’envisager comme une nécessité la realpolitik et d’en sortir sauf, malgré l’énormité de la chose. Il dénonce alors des Occidentaux bloqués au stade de « l’indignation médiatisée et de la véhémence stérile » (p.25), et pointe l’inefficacité de l’ « « hubris » des Etats-Unis, [de] l’ingénuité des Européens, [de] l’idéalisme des français et [de] leur goût persistant pour la grandiloquence » (p.31).
Védrine cite Péguy : « Ils ont les mains pures, mais ils n’ont pas de mains » et relève que les grandes déclarations des sommets multilatéraux, les grandes résolutions de l’ONU, ne trouvent quelque application concrète que pour autant qu’elles sont soutenues par des Etats bien identifiés, présents, structurés et puissants.
Moins que le multilatéralisme en lui-même, c’est surtout l’actuelle inefficacité des instances internationales, l’invocation incantatoire du « multilatéralisme », tout comme la croyance selon lui abusive en l’existence d’une « communauté internationale », qui est fustigée par Hubert Védrine.
Car il ne prône pas un simple retour à l’échelon national ou un désintéressement quelconque de l’organisation du monde, bien au contraire. Celui-ci a besoin d’être ordonné, et ordonné par des Etats. « L’essentiel est de comprendre que nous ne pouvons nous défausser sur la « communauté internationale », l’ONU ou toute autre Providence. Car la souveraineté ainsi abandonnée par les Etats n’est pas transférée au niveau européen ou mondial, non plus qu’à un quelconque nouvel espace démocratique. Si elle est récupérée quelque part, c’est par le marché » (p. 87). Et l’organisation du monde est chose trop sérieuse pour être laissée au marché.
*
La construction européenne reçoit également une certaine dose de scepticisme de la part d’Hubert Védrine. Non, là encore, qu’il y soit défavorable. On pressent que c’est davantage ce qu’il fustige par ailleurs comme un goût très français pour les slogans qui l’irrite, le fait d’énoncer la nécessité d’une « construction européenne » comme une évidence désincarnée. Et la course à l’élargissement, considéré là aussi, alors qu’il ne devait être qu’une modalité, comme un objectif.
« Trois clarifications – sur les frontières, sur le pouvoir, sur le projet – sont indispensables, préalablement à toute relance, pour combler le fossé entre élites européistes intégrationnistes et citoyens « normaux », pas du tout anti-européens mais attachés à leur identité et aujourd’hui déboussolés » (p. 90).
J’ai lu avec un enthousiasme grandissant les pages consacrées à la définition de l’Europe, tant elles sont conformes à mon propre sentiment. « L’Europe a du mal à se définir tant elle redoute à présent tout ce qui relève de l’identitaire » (p. 93). Faute d’une telle définition, les limites de l’Europe ne sont définies que par sa « capacité d’absorption » (ou « capacité d’intégration »), aux critères de Copenhague : être démocrate, pratiquer l’économie de marché et reprendre l’acquis communautaire, ce qui, comme il le souligne à juste titre ne saurait permettre d’écarter à l’avenir le Sénégal, le Japon, l’Inde ou le Brésil…
« Aucun citoyen ne pourra s’identifier politiquement, culturellement, personnellement à cet ensemble gazeux, incertain et trop dilaté, à cette sorte de sous-ONU » (p. 95)
Et Hubert Védrine d’appeler à avoir le courage de déclarer, après, à tout le moins, intégration des Balkans occidentaux et s’ils le souhaitent, de la Suisse, de la Norvège et de l’Islande, que l’Europe aura atteint sa forme définitive…
Concernant la Turquie, je crois me souvenir d’avoir dit en 2001 à une consoeur turque précisément ce qu’il soutient, à savoir que « ce n’est pas se comporter correctement avec ce grand pays que de s’apprêter à le harceler des années durant sur trente-six sujets, sous prétexte de lui faire reprendre à son compte le fameux « acquis communautaire » en sorte de le normaliser ! Sans parler d’exigences surnuméraires inventées en cours de route » (p 97), le tout sans aucune certitude que le futur traité d’adhésion soit en fin de compte effectivement ratifié. « En cas de rejet, que fera-t-on ? Reviendra-t-on, d’ici à dix ans, dans l’amertume et la récrimination, au partenariat privilégié par lequel on aurait dû commencer ? » (p. 98).
Hubert Védrine se montre favorable à ce que soit clairement exposée la théorie des trois cercles, entre noyau central (peu ou prou la zone euro), Union plus large et pays associés.
En ce qui concerne la clarification relative à la répartition du pouvoir en Europe, Hubert Védrine rejette une certaine vision fédéraliste, qu’il juge aujourd’hui, après avoir été stimulante, anxiogène et démobilisatrice, favorisant au bout du compte, par dépréciation de l’Etat « l’insurrection électorale contre tous ces détenteurs illégitimes d’un simulacre de pouvoir, gouvernements et politiciens, boucs émissaires tout trouvés pour cette intolérable dépossession démocratique » (p. 100). Védrine est dès lors favorable à une stabilisation des compétences de l’Union, voire même à la restitution de certaines, et favorable à une conception de l’Union comme une « fédération d’Etats-nations ».
Outre la relance de l’Europe par les projets, Hubert Védrine, qui se montrait (en janvier dernier) dubitatif sur la possibilité de parvenir à l’adoption de ce qu’il appelle un « petit traité », propose de prendre à témoin l’opinion publique européenne à l’occasion d’un référendum général ou d’élections européennes sur le rôle que l’on souhaite voir attribuer à l’Europe et ce, sur la base de la question suivante : « Voulez-vous que l’Europe devienne une puissance mondiale avec ce que cela implique sur les plans diplomatique et militaire ? ». Il souligne enfin les bienfaits que l’on pourrait escompter sur la marche du monde d’une Europe-puissance.
*
Le point le plus frappant de l’ultime chapitre de cet essai, consacré à la France, est bien le propos de Védrine contre « l’autodévaluation, voire la haine de soi » qui y prévaut, que ce soit par une méconnaissance de ses atouts et performances, notamment économiques… ou par sa tendance au « masochisme » historique.
C’est avec regret que je ne recopierai pas ici l’intégralité des quatre pages qu’Hubert Védrine consacre à la dénonciation de cette vogue de la repentance, comme de la propension française à définir l’Histoire par voie législative, en ce comprise l’Histoire de pays étrangers (voir la loi sur le génocide arménien).
Il faudra bien pourtant que j’en cite quelques passages :
« Il est nécessaire de connaître sans tabou tous les épisodes de l’histoire d’un pays, il est malsain de vouloir les passer sous silence, normal d’en débattre. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé ces dernières années en France. L’évocation du passé y a pris un tour souvent masochiste. Des moments tragiques ont été « redécouverts » à plusieurs reprises, comme s’ils avaient été occultés, ce qui n’était généralement pas le cas (…) A chaque fois, il ne s’agit pas tant de mieux savoir, de tirer des leçons plus utiles et de mieux transmettre, que d’accuser pour obtenir une expiation, une demande de pardon, des réparations, de créer pour la collectivité et au bénéfice de tel ou tel groupe de nouvelles obligations légales. (…) Quel sens cela a-t-il de demander pardon pour des actes commis par d’autres dans le passé ? En quoi est-on responsable d’actes perpétrés par nos ascendants ? Y-a-t-il, contrairement aux principes de notre droit, une responsabilité collective, et est-elle transmissible ?» (p. 128)
lus loin, Védrine fustige une conception selon laquelle « la mémoire, qui devrait aller de soi, devient un devoir – bientôt un pensum -et l’on sent qu’y manquer sera vite vu et dénoncé comme un délit ». Terminons :
« tout cela est absurde et traduit une nation mal dans sa peau, obsédée de régler ses comptes avec elle-même » (p 130)
En ce qui concerne la politique étrangère française et dans la droite ligne de sa dénonciation du néo-conservatisme et des bouffissures grandiloquentes, il faut encore souligner sa volonté de s’en tenir à « une conception classique de la politique étrangère – la défense de nos intérêts vitaux, de notre autonomie de décision, et de notre influence » (p. 137), contre les « européistes », « droits-de-l’hommistes » et « multilatéralistes intégraux », dénonçant notamment la tendance à ne plus juger une politique étrangère qu’en fonction de critères moraux stricts, « la question, n’étant plus : est-ce utile ? mais : est-ce scandaleux ? Si c’est jugé scandaleux, la machine à s’indigner couvre toute réflexion de son vacarme » (p. 143)… Etant précisé que la défense de nos intérêts n’empêche pas de défendre également des idéaux.
*
Est-ce justement réaliste, utilement pragmatique, ou désabusé et amer, que de grandement partager les vues de Védrine ? Est-ce la seule justesse de l’analyse, ou une tendance personnelle au pragmatisme qui me séduit ? Comme il le souligne dans le cadre de son approche « multilatéralo-sceptique » (comme on connaît l’euro-scepticisme), l’unilatéralisme de Bush a été perçu par certains comme la démonstration de la nécessité de plus multilatéralisme. Mais ce multilatéralisme ne consiste-t-il pas essentiellement en la promotion de valeurs très occidentales, à prétention mondiales, d’une façon manichéenne qui n’est pas sans rappeler certaines définitions d’Axes du Bien et du Mal ? Bref, les multilatéralistes anti-Bush n’en constitueraient-ils pas – in fine et contre leur volonté – que l’autre facette ?
Et si l’on veut défendre des valeurs morales, ne faut-il pas, auparavant suivre l’enchaînement logique qui va de la défense de ses propres intérêts, à l’acquisition de la puissance, pour gagner l’influence ?
Et puis, venons-en à une plus petite Histoire… En apprendre davantage sur les vues de Védrine relativise pour le moins les arguments de certains selon lesquels les propositions qui lui ont été faites dernièrement auraient relevé d’un pur opportunisme : à la lecture de Continuer l’Histoire, c’est bien la multitude de points d’accords entre Nicolas Sarkozy et Hubert Védrine qui frappe : rôle de l’Etat, libéralisme très tempéré, pragmatisme, adhésion de la Turquie, dénonciation de la repentance éternelle… La principale divergence paraît évidente : la condamnation de la realpolitik par Sarkozy et, semble-t-il, le recours à Kouchner. On n’en regrettera que davantage que ce soit la couche superficielle du « sarkozysme » qui ait emporté le Quai d’Orsay. Peut-être Nicolas Sarkozy entendait-il trop en incarner seul la véritable substance …
Continuer l’Histoire, Hubert Védrine, avec la collaboration de Adrien Abécassis et Mohamed Bouabdallah, éd. Fayard, janvier 2007, 10 € (seulement !)
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Il y a des problèmes de balise on dirait.
Sinon, pratiquement personne n’est censé lire le billet (dixit la chatbox), ou bien le livre en question ? Pour ce qui est du livre, il a l’air très intéressant d’après ce compte rendu. Seulement, cela fait des années que j’ai prévu de lire La Fin de l’Histoire, et je ne voudrais pas lire la suite de l’Histoire finie sans en avoir lu la fin.
Sur la fin du billet : Védrine est proche de Sarkozy sur bon nombre de points, sauf sur ceux où c’est Kouchner qui en est le plus proche. Cela veut alors dire que Sarkozy est comme un mélange entre les vues de Védrine et Kouchner, tous deux de gauche et approchés pour être ministre des Affaires étrangères.
Oui, je les ai vus ces ù%$*# de problèmes de balises. Heureusement que la rentrée n’est pas vraiment chargée parce que j’ai mis du temps à les résoudre (si une balise non fermée traîne quelque part, le logiciel la ferme, ce qui est une bonne chose mais apparemment, il l’attribue aussi à tous les paragraphes suivants, ce qui m’oblige à les retirer à la mimine…).
Pour ce qui est du livre, il serait dommage de se priver de sa lecture. L’écriture est enlevée et, que l’on partage ou non le propos, il suscite la réflexion, ce qui est le moins que l’on puisse espérer. C’était bien au billet que je faisais référence, sur le chat.
Sur « la fin de l’Histoire », c’est vrai qu’il est un peu risqué de se passer de sa lecture : quant on voit la façon dont nombre de livres sont commentés sans jamais avoir été lus…
En ce qui concerne Kouchner, j’avoue ne pas trop connaitre ses positions. J’identifie bien le « devoir d’ingérence » et je pressens une tendance certaine au multilatéralisme incantatoire que dénonce Védrine mais au-delà…
J’ai surtout été frappé de la similitude des propos de Védrine avec certains de ceux que j’ai pu entendre ou lire de la part de Sarkozy, durant la campagne. Dans mon billet, je n’ai pas souligné la mention de la grandiloquence française par Védrine, mais cela n’a pas manqué de me faire penser à la « grandiloquence stérile » invoquée par Sarko. J’ajoute à cela les développements sur la Turquie et la repentance, comme sur une confiance limitée dans les mécanismes types OMC.
Après, je m’interroge (i) sur les motifs du refus de Védrine et (ii) sur la nature du « sarkozysme ».
Védrine a-t-il refusé par désaccord avec le reste de la politique qu’entend mener Sarkozy ? Parce qu’il pressentait que Sarkozy ne lui laisserait qu’un rôle mineur en politique étrangère ? Par fidélité au PS ?
Quant à Sarko, je me demande souvent dans quelle mesure il n’intègre pas la dimension médiatique comme une contrainte nécessaire, à savoir qu’il percevrait bien la difficulté – voire l’impossibilité – de tenir le discours de Védrine, le « bon peuple » nourri d’audimat et de bons sentiments exigeant que l’on s’indigne haut et fort et que l’on refuse de serrer la main des trop vilains, tout en menant in fine et en partie la realpolitik qu’il dénonce…
L’avenir nous le dira. Peut-être.
Merci Koz pour ce compte-rendu intelligent qui donne envie de lire ce livre de première importance.
Sur les trois cercles dont parle Védrine et dont le noyau central correspondrait à la zone euro, le diagnostic me semble pertinent.
J’espère qu’il met le Royaume-Uni dans le deuxième cercle car l’un des gros problèmes de l’Europe (et de Gaulle l’avait pressenti en son temps) c’est le pouvoir de nuisance et de blocage d’un pays qui a tout fait pour saboter l’Europe à ses débuts et qui ne se sent pas du tout européen (au moins en ce qui concerne la majorité de sa population et une grande partie de ses élites), entend faire cavalier seul sur nombre de sujets, veut rester fidèle aux USA, son allié de toujours, même lorsque les intérêts de l’Europe et ceux des Etats-Unis sont contradictoires, bref un pays qui ne veut de l’Europe que pour servir ses propres intérêts.
Sur la repentance Védrine a sûrement raison mais comme j’ai essayé de le démontrer dans mon billet sur « Eloge de la repentance », il y a repentance et repentance. Sans se sentir responsable de ce que nos ascendants ont fait de mal on peut apaiser le débat en reconnaissant qu’ils ont mal agi. Comme pour la confession des catholiques, la repentance bien comprise permet de ne plus évoquer les problèmes qui empoisonnent le débat public.
On aimerait par exemple que les livres d’histoire reconnaissent le génocide Vendéen de même que la Turquie aurait montré une grande habileté politique en reconnaissant le génocide arménien.
D’ailleurs le seul intérêt de la loi sur le génocide arménien est d’interdire le négationnisme turc en France au cas où la Turquie entrerait dans l’Europe.
Ceci dit il est ridicule d’écrire l’histoire à coups de lois, de même qu’il est ridicule d’envisager de faire entrer dans ll’union un pays dont 3% seulement de son territoire s’y trouvent.
Le RU ne peut être que dans le deuxième cercle : le premier est constitué de la zone euro, le troisième, des « pays amis », non membres… Il ne faudrait pas, il est vrai, qu’une autre conception vienne à s’imposer.
En ce qui concerne la repentance, tu sais que je ne suis pas particulièrement sur la même longueur d’ondes. Je perçois ton intention, louable, mais je ne suis pas certain que tu ne sois pas trop tendre quant aux intentions de ceux qui réclament la repentance, comme sur les effets de sa généralisation.
Comme l’écrit Védrine, dans nombre de cas, on ne fait que « redécouvrir » des évènements qui n’ont jamais été niés. Et, parce qu’on les « redécouvre », on somme ensuite les français de cesser de les nier… A quoi il faut ajouter de fortes tendances communautaristes. Je reprends ce qu’il écrit et que je trouve bien pesé :
[quote post= »416″]A chaque fois, il ne s’agit pas tant de mieux savoir, de tirer des leçons plus utiles et de mieux transmettre, que d’accuser pour obtenir une expiation, une demande de pardon, des réparations, de créer pour la collectivité et au bénéfice de tel ou tel groupe de nouvelles obligations légales[/quote]
Il me semble que ta conception de la repentance, ou, positivons, de la contrition, n’implique pas la bonne foi de celui qui la sollicite. Et je ne suis pas convaincu qu’elle soit là.
Quant à évoquer pleinement les Guerres de Vendée, je serais également bien favorable à ce que les manuels cessent de les occulter. Mais pourquoi cela devrait-il se faire sur le mode d’une repentance quelconque ?
Quant à la loi sur le génocide arménien, je suis aussi assez sensible à ce qu’écrit Védrine : non seulement, le Parlement français se pique d’écrire l’Histoire par voie législative, ce qui est déjà plus que douteux – rappelant la pétition « Liberté pour l’Histoire », qui m’avait déjà bien plu à l’époque – mais voilà qu’il se prend à légiférer sur l’Histoire des autres pays… On n’est guère surpris, dans un pays dans lequel on finit par croire que rien de sérieux ne peut exister si ce n’est par la loi (un peu comme pour les antibiotiques : « si t’es pas sous antibiotiques, c’est que t’es pas malade »), mais il ne faudrait tout de même pas oublier les possibilités d’expression offertes à titre personnel aux députés, au Président ou à la diplomatie…
Je suis globalement d’accord avec ce que tu dis et avec ce que Védrine dit. Mais je ne pousse quand même pas l’angélisme jusqu’à ne pas voir les manoeuvre de déstabilisation qui se profilent derrière le devoir de repentance. Mon optique est totalement différente et veut voir dans la repentance (ou dans la contrition) de l’habileté politique pour, justement, couper court au mauvais esprit que d’aucuns se complaisent à répandre.
Au vu de cette note de lecture, il est bien dommage que Védrine ait décliné le poste de ministre des affaires étrangères. A la place, nous avons hérité de Kouchner: un droit-de-l’hommiste, justement.
Mais que fait donc Védrine au PS?
Tout cela me donnerait bien envie de lire ce livre…
Mais dans ce que Koz nous en dit, ce qui me touche le plus, c’est ce paradoxe : autant nous sommes outrageusement sûrs de nos valeurs, imbus de la supériorité de notre morale, de nos jugements, autant nous développons une propension maladive à l’autoflagellation.
‘nous’, occidentaux bien-sûr.
Je vais de ce pas rechercher dans les archives le billet de Dang, et peut-être que je n’aurai pas la même vision des choses après.
Mais là, à cet instant, je me demande si l’excès n’appelle pas l’excès. Y compris dans son contraire.
à Robert Marchenoir
Non la vraie question, c’est comment Sarkozy a pu sérieusement penser en même temps à Védrine et Kouchner comme ministre des affaires étrangères. Tout les oppose ! La seule réponse logique est que c’est du marketing et que le vrai gouvernement n’est pas celui qui est sur la photo mais la dizaine de conseillers qui se réunit à l’élysée tous les jours à 08h30.
Ben pas mieux….
Et pourtant j’apprécie toujours autant l’humanisme de Dang.
Mais je crois toujours plus en l’efficience de la connaissance qu’en celle de la repentance.
@ Robert Marchenoir
Pour ce qui est de Védrine et de son engagement politique à gauche, on peut être de droite et le respecter.
Quant à sa relative prudence envers le gouvernement, un quinquennat dure cinq ans (Lapalisse est mon deuxième prénom), et je préfère de loin qu’il s’investisse à son gré, à son rythme durablement et efficacement plutôt que d’exiger de lui une participation très officielle dès les premières semaines.
Sarko va devoir durer pour que son passage à l’Elysée soit à la hauteur de nos espérances.
Et j’ose croire qu’il a déjà prévu un turn-over bénéfique pour lui et surtout pour la France !
@ JMFayard
Je voudrais quand même bien que vous m’expliquiez quelque chose, mais c’est hors sujet par rapport au billet de Koz.
Le chat si vous voulez bien ?
[quote]une occasion d’en connaître davantage sur la vision de celui dont le nom a été brandi par les uns et les autres, chacun s’accordant – quel succès ! – à en reconnaître la compétence, sans que, à l’évidence, tous sachent clairement ce qu’il y a derrière le nom, et l’impression d’ensemble.[/quote]
Et bien non, je ne me joins pas à ce concert de louanges.
Hubert Védrine défend des théories erronées sur toute une série de sujets. Non, l’Etat au niveau étatique n’est plus un véritable échelon pertinent dans bien des domaines, soit que les problèmes dépassent les frontières et ne peuvent être résolus tant qu’un état a le droit de véto, soit au contraire que les collectivités infra-étatiques peuvent les régler de manière moins bureaucratique et plus au ras du réel. Est-ce un hasard si 80% des avancées en matière d’écologie viennent de l’Union Européenne et si l’Etat Français joue dans le même domaine le rôle d’un poids mord, incapable 40 ans après de dépolluer ses rivières bretonnes gorgées de nitrates.
« la souveraineté ainsi abandonnée par les Etats n’est pas transférée au niveau européen ou mondial, non plus qu’à un quelconque nouvel espace démocratique. Si elle est récupérée quelque part, c’est par le marché » (p. 87). Bien au contraire c’est l’impuissance structurelle de l’Etat à régler toute une série de problèmes qui fait basculer le rapport de forces entre le pouvoir politique et le pouvoir économique des multinationales agissant à l’échelle supranationale au profit de ces dernières. La mondialisation de l’économie appele donc comme contrepartie urgente l’instauration d’un pouvoir politique supranational démocratique. Contrairement à ce que dit Védrine, c’est uniquement en transférant les souverainetés nationales devenues des tigres de papier (il suffit que Johnny se casse en Suisse pour qu’on renonce de manière insensée à la progressivité de l’impôt) à une fédération supranationale (et je dis bien fédération, pas à un organisme inter-« nation »al car oui les grand-messes multilatérales sont inefficaces !) qu’on peut rééquilibrer le rapport de forces. La commission européenne a fait plié Microsoft là où les USA avaient échoué. Jean-Pierre Raffarin qui s’aplatissait devant son PDG pour qu’il équipe son futuroscope l’avait il fait, aurait-il pu le faire ?
Quant à l’excès d’auto-flagellation, 98% n’en font pas plus qu’un Sarkozy qui qualifie lui-même de « grande faute » la colonolisation en Afrique. Reste une frange ultra-marginale composée de groupuscules dont tout le monde se fout comme « Survie » pour l’Afrique qui ont des tendances effectivement à l’hystérie mais qui encore une fois représente un pouillème ne serait-ce que de la France moisie de Jean-Marie Le Pen. Là où Sarkozy et Védrine nous prennent pour des gogos, c’est qu’ils tirent parti du comportement de trois pelés qui ne représentent qu’eux mêmes, et encore quand quelqu’un les entend, pour en faire un principe de politique nationale qu’on martèle à chaque occasion.
Non déciment, je me joins de tout coeur au carton rouge décerné par le taurillon à Hubert Védrine. Hubert Védrine est un conservateur nostlagique de l’Etat-Nation (donc par définition étatiste et nationaliste).
Un deuxième article anti-Védrine 😉
[quote comment= »39969″]à Robert Marchenoir
Non la vraie question, c’est comment Sarkozy a pu sérieusement penser en même temps à Védrine et Kouchner comme ministre des affaires étrangères. Tout les oppose ! La seule réponse logique …[/quote]
Disons qu’il s’agit de <em>la seule réponse logique</em> qui vous agrée. Une autre réponse tient notamment dans ce que dit Xerbias : Sarkozy a des points communs avec l’un et avec l’autre. Il avait également pour souhait de pratiquer l’ouverture, pour des raisons de fond comme pour des raisons de pur stratégie, éventuellement politicienne.
Enfin, comme je l’ai écrit plus haut, je m’interroge – mais malheureusement sans informations en primeur – sur la conception qu’a Nicolas Sarkozy de la politique. Il l’a déjà dit : « <em>aujourd’hui, la communication est indissociable de l’action</em> » (en substance), il a même dit (dans Culture et Dépendances) que la communication devait précéder l’action.
Alors, nécessairement, on s’insurge. Quoi, c’est d’la com’, rien que d’la com’ ?! Malheureusement, je crains qu’il ne faille tirer son parti de l’importance de la com’, sauf à se condamner à l’échec. La société a évolué de plus en plus vers cette société du spectacle que nombre de personnes affectent de détester parce que cela fait sage, mais dont ils ne parviennent pas à se détacher. Les medias, et de plus en plus les citoyens eux-mêmes, via notamment les blogs, interpellent les politiques (notamment) au nom d’exigences souvent ingénues, comme l’exigence absolue de transparence, l’exigence de quasi-sainteté des politiques (consentir les sacrifices, mais jamais, au grand jamais, n’admettre que l’on apprécie le pouvoir – ou <em>le fait de</em> pouvoir – et puis enfin, non seulement évidemment ne pas toucher d’argent illicite mais également avoir une rémunération ridicule) etc. On peut dire merde à ces exigences, on peut les dénoncer, on peut vomir la société du spectacle… Je le comprends très bien (et moi-même, parfois…) mais le politique ne vit pas dans un monde rêvé. Il agit avec ce qui existe à l’instant t (oui je sais : i).
Je me demande dans quelle mesure, donc, Nicolas Sarkozy ne donne pas à bouffer aux medias, et au « bon peuple », ce qu’ils attendent pour satisfaire leur fringale de bons sentiments, sans au final renoncer à l’action véritable.
Bref, sans vouloir – non plus parce que c’est toujours non seulement prétentieux mais aussi stupide – prendre Kouchner pour un imbécile, je me demande dans quelle mesure Kouchner n’est pas là pour l’apparat, pour les grandes déclarations de bons sentiments, de défense des valeurs occidentales pour le moment mais universelles à terme, sans qu’au final la réalité de l’action ne relève plus de la tendance Védrine que de la tendance Kouchner.
A part ça, je ne suis pas spécialement surpris que vous n’appréciez pas Védrine, dans la mesure où nous avons tout de même peu en commun.
Mais en ce qui concerne vos reproches, je suis assez dubitatif. Je n’ai pas de certitudes absolues sur l’avenir du monde mais ce que vous affirmez, sur la nécessité d’un « pouvoir supranational démocratique », êtes-vous sûr qu’il ne s’agisse pas d’une chimère totale ? De ce type de chimères que l’on peut entretenir dans des essais politiques, dans des congrès, mais qui ne sont jamais traduites concrètement ?
Un « pouvoir supranational démocratique » ? Ah ? Et démocratique comment ? Envisagez-vous que les membres d’une ONU à compétence plus générale encore soient élus au suffrage universel direct et ce, sans lien avec une nation quelconque ? Ou s’agirait-il de représentants de ladite nation, auquel cas, malheureusement, on ne peut pas oublier que l’ONU continuerait de s’appuyer sur l’existence de nations ?
Et pensez-vous véritablement que des citoyens puissent se satisfaire d’une instance aussi éloignée ? On dit déjà les gouvernements coupés du peuple lorsqu’ils sont à Paris, qu’en serait-il d’un « pouvoir supranational » ? J’ai d’ailleurs tendance à voir dans cette supranationalisation des pouvoirs la racine de nombreuses révoltes, de nombreux conflits, de comportements anti-démocratiques – quand l’instance de décision est si loin, la tentation est grande de revendiquer la vraie connaissance du terrain, et d’agir par la force pour se faire entendre.
On en a connu, de grandes idéologies à finalité généreuses, et qui se révèlent dévastatrices. Etre idéaliste, cela peut être un bon moteur, mais il n’est pas certain que ce soit toujours ainsi que l’on fasse le mieux avancer les choses.
Par ailleurs, vous vous trompez sur ce que dit Védrine, et que je pensais avoir souligné dans mon billet. La mondialisation, la globalisation, ne lui ont pas échappées. Il ne prône pas une résolution à un échelon national de phénomènes globalisés (encore une fois, il ne faut pas prendre les autres pour des imbéciles, ça conduit trop souvent à commettre soi-même des erreurs de jugement). Il dénonce le caractère incantatoire de l’invocation du multilatéralisme, prône une véritable organisation mondiale, sans se leurrer sur la capacité des Etats à promouvoir des valeurs plutôt que des intérêts – il est notamment de ceux qui proposent l’instauration d’une Organisation Mondiale de l’Environnement – mais en asseyant véritablement ces organismes sur des Etats, et des Etats structurés.
Tout ceci ne signifie pas que j’approuve intégralement ce que peut penser Védrine. Je trouve notamment son essai peu clair sur les compétences qu’il prétend voir restituées aux Etats, au sein de l’Union, ne voyant pas clairement celles qui auraient été illégitimement conférées à l’Union.
Quant à l’excès d’auto-flagellation, la gauche semble avoir pour stratégie de nier désormais qu’il y ait de quelconques revendications de repentance. C’est une bonne chose si cela signifie qu’elle revient à la raison et cesse de frétiller dès lors qu’un épisode sombre est, donc, prétendument redécouvert. Je m’en réjouis. Cela doit signifier qu’elle nous épargnera à l’avenir les essais, livres, manifestations et films dédiés aux pages sombres, qu’elle affectionne tant.
[quote comment= »39936″]Je suis globalement d’accord avec ce que tu dis et avec ce que Védrine dit. Mais je ne pousse quand même pas l’angélisme jusqu’à ne pas voir les manoeuvre de déstabilisation qui se profilent derrière le devoir de repentance. Mon optique est totalement différente et veut voir dans la repentance (ou dans la contrition) de l’habileté politique pour, justement, couper court au mauvais esprit que d’aucuns se complaisent à répandre.[/quote]
Certes, certes, je ne prétendrai pas que tu sois aveugle. Mais j’ai du mal à donner satisfaction à des revendications illégitimes pour leur couper l’herbe sous le pied. La démarche d’humilité continue de me paraître excessive
[quote comment= »39969″]
Non la vraie question, c’est comment Sarkozy a pu sérieusement penser en même temps à Védrine et Kouchner comme ministre des affaires étrangères. Tout les oppose ! La seule réponse logique est que c’est du marketing et que le vrai gouvernement n’est pas celui qui est sur la photo mais la dizaine de conseillers qui se réunit à l’élysée tous les jours à 08h30.[/quote]
La réponse à la « vraie question » me paraît simple.
Sarkozy dirige enfin la France comme elle devrait l’être, c’est à dire comme une entreprise. Dans une entreprise, un dirigeant digne de ce nom prépare à la fois la meilleure solution et la solution préférable à défaut de la meilleure, au cas où la première ne pourrait être mise en place. D’après ce que j’ai compris, Védrine a été sollicité en premier. Il a refusé. C’est donc Kouchner qui a été pris. Pas besoin de faire appel à l’éternel bateau du marketing pour expliquer cela.
Enfin, si les conseillers de l’Elysée ont un poids important, je m’en félicite. J’ai voté Sarkozy, je tiens donc à ce que ce soit lui qui commande. Et non Thibault, Chérèque, Besancenot, Gérard Filoche, Pierre Frackowiak, Philippe Meirieu, Jean-Pierre Rosenczveig et tous ces clowns associés.
à Koz
Bien noté votre scepticisme. J’essaierai de répondre un jour,
mais les termes d’un tel débat sont bien évidemment gigantesques.
à Robert Marchenoir
Un jour vous m’expliquerez la pertinence qu’il y a à définir quelquechose
par ce qu’elle n’est _pas_. Est-ce que l’Etat est une organisation
de même nature qu’une entreprise ? Est-ce que le budget de l’Etat
est de même nature que celui d’un bon père de famille ?
Si non, pourqoi le meilleur mode de gestion pour l’un
devrait automatiquement être le meilleur mode de gestion pour l’autre ?
Sur le coeur du sujet, vous avez tout à fait raison quand vous dîtes préférer
que ce soit l’entourage de Sarkozy qui dirige le pays plutôt que Besancenot
et Rosenczveig.
Donc je précise ce qui me gène :
Tous les mercredis matins, il y a une réunion au Salon Murat
présidée par Sarkozy à laquelle participent des gens comme :
Fillon, Morin, Boutin, Kouchner, Fadela, Bockel, …
Tous les matins à 08h30 il y a à l’Elysée une réunion présidée par Sarkozy
à laquelle participent des gens comme :
Mignon, Guéant, Martinon, Louvrier, Guaino, Levitte, Peyrat, …
Dans laquelle de ces deux réunions se prennent les vraies décisions ? A quel
endroit sont rendu les arbitrages les plus importants quand il y a divergence
de vue ? Si c’est la première, c’est très bien. Si c’est la seconde, c’est
très bien. Ça ne me dérange ni dans un cas ni dans l’autre.
Par contre il y a quelquechose d’important, c’est de respecter le principe qui
veut que le gouvernement (celui qui gouverne en pratique) puisse être contrôlé
par le parlement – pas seulement l’opposition, par les députés de la majorité
également. Or quand la commission des affaires a interrogé Bernard Kouchner
pour cerner ce qu’il s’était passé en Lybie, certains de ceux qui y siégeaient
ont eu l’impression qu’il était mal à l’aise comme s’il ne détenait que des
informations partielles et/ou de seconde main. Peut-être faudrait-il envoyer
Lavitte et Guaino dans ce cas ?
Védrine est toujours pour moi celui qui a eu un rôle trouble au Rwanda au cabinet de François Mitterrand.
Ah, romain, peut-être est-ce injustifié de réagir ainsi après votre commentaire puisque je ne vous connais pas mais je ne peux pas m’empêcher de sourire face aux réactions des militants quand l’un des leurs « passe à l’ennemi » (Védrine n’étant d’ailleurs qu’en charge d’une mission). Ainsi d’Eric Besson, dont les membres du PS (et l’ex-candidate) s’accordent à dire que sa formule, sur le « néoconservateur américain à passeport français » avait des relents antisémites, sans pour autant s’en être aucunement distancié lorsqu’il était encore dans leurs rangs. Ainsi de Simone Veil qui, pour les UDF est passé du rang de l’icône au stade de « la vieille ». Et pour Védrine, on évoquera son rôle trouble… Mais quel rôle trouble, romain ? Que savez-vous précisément de ce qui s’est passé au Rwanda ? Que certains estiment le rôle de la France pas très clair ? Mais jusqu’où ? A quel point ? Avec quel degré d’implication de Védrine ? Sur ce sujet, après avoir vu Hôtel Rwanda, j’ai lu le livre du Général Dallaire, présenté comme très virulent contre les français. Puis j’ai lu celui du Colonel Hogard (français). J’ai lu aussi quelques articles. Mon sentiment essentiel à la lecture de tout cela est que la France n’a probablement pas eu, dans un premier temps, le comportement strictement vertueux, peut-être bien entâche d’irrealpolitik que l’on pourrait attendre d’elle mais surtout que bien malin serait celui qui pourrait prétendre avoir des certitudes dans cette affaire. Du livre de Dallaire ressort notamment que, si les forces du FPR étaient mieux disciplinées que celle du gouvernement, leur rôle prête lui aussi pour le moins à quelques interrogations (ainsi du peu d’empressement mis par Kagamé, apparemment, à s’emparer de Kigali, qu’il savait aux mains de génocidaires)… Alors, les jugements à l’emporte-pièce, sur ce sujet, plus encore que sur d’autres…
Merci Koz de cette fiche de lecture qui donne envie de lire l’ouvrage.
Le point de vue d’Hubert Védrine alimente la réflexion, c’est vrai, quand bien même l’on ne partage pas ses points de vue.
Sur la construction européenne et la haine de soi, tout cela me semble marqué au coin du bon sens.
Sur la référence à l’Etat, déjà, on peut être plus réservé : l’Etat n’existe pas en tant que tel. C’est une technostructure utile, mais qui ne saurait se substituer aux réalités bien tangibles que sont l’individu et la nation. Il s’agit d’un instrument, pas d’une fin.
En revanche, sur le néoconservatisme, je crains que l’on observe une description un brin caricaturale. Il n’y a pas d’un côté des néoconservateurs boursouflés, grandiloquents et irréalistes, et de l’autre des realpoliticiens froidement concentrés sur les intérêts nationaux et sur le jeu des puissances. Ce serait un peu manicchéen.
Pour ma part, je regrette l’assimilation au néoconservatisme de la politique conduite par George Bush actuellement en Irak. Cette guerre aura beaucoup fait pour discréditer un courant de pensée de politique étrangère qui ne se réduit pas aux caricatures que l’on en fait trop souvent en France.
Pour reprendre l’extrait que vous avez choisi de placer en exergue de ce post, on ne peut que relever plusieurs erreurs en un seul paragraphe :
«L’essayiste américain Francis Fukuyama, alors néoconservateur, annonçait la « fin de l’Histoire » simplement parce que l’Occident ayant vaincu par K-O, aucune puissance ni aucune idéologie n’allait plus pouvoir s’opposer à lui. Ses valeurs – économie de marché, démocratie – allaient irrésistiblement s’étendre au reste du monde» (p. 8).
Première rectification : Fukuyama est toujours néoconservateur. Il le revendique même dans un excellent petit ouvrage dont je vous conseille la lecture, si ce n’est pas déjà fait : « D’où viennent les néo-conservateurs ? », chez Grasset (présentation ici).
Seconde rectification : Fukuyama n’a jamais prétendu que l’Occident avait vaincu par KO et qu’aucune puissance ni idéolologie ne s’opposerait à lui. Ce serait absurde, complètement idiot.
La thèse de Fukuyama est la suivante : il existe un désir universel de vivre dans « une société moderne incluant la technologie, un niveau de vie élevé, les soins de santé et l’accès à un monde élargi…La démocratie libérale est un produit dérivé de ce processus de modernisation, quelque chose qui ne devient une aspiration historique que dans le cours des temps historiques » (« D’où viennent les néoconservateurs », p. 75). Et il conclut : « la démocratie est appelée à s’étendre universellement sur le long terme ».
C’est, concédons le, affaire de croyance, à ce niveau-là.
Mais c’est une croyance qui aide à vivre.
Je n’arrive pas à admettre que tous les hommes n’aspirent pas à vivre dans une société dans laquelle les libertés fondamentales sont respectées, où ils ont la possibilité de choisir leurs gouvernants, et où la dignité de chaque être humain est reconnue.
Que proposaient les realpoliticiens lorsque Sarajevo était bombardé et que les puissances européennes ne bougeaient pas le petit doigt ? Que proposent-ils pour le Darfour ? Il y a tout de même quelque chose d’un peu désespérant (certains diraient même munichois) dans cette focalisation sur le jeu des puissances et sur une conception étroite de l’intérêt national.
La suggestion est entendue : je viens d’acheter le livre. Je veux bien croire que le propos de Védrine soit parfois réducteur. Son essai a, dans sa formulation, des airs de billet d’humeur. Peut-être force-t-il parfois le trait…
Pour ce qui est de l’aspiration à la liberté, à l’accès à la santé etc, Védrine ne dit pas l’inverse. Si j’ai bien compris ce qu’il dit, il dit surtout qu’une fois que l’on a affirmé cela, on n’a pas dit grand-chose. il moque surtout ces grandes assemblées où chacun se réjouit d’avoir posé une affirmation grandiloquente, mais qui ne débouche pas sur grand-chose.
Que proposaient les realpoliticiens lorsque Sarajevo étaient bombardés ? Je ne sais pas. Peut-on imputer une impuissance à un courant ? Chacun connait ses échec. Par exemple : la guerre en Irak. Et que proposaient les néoconservateurs pour Sarajevo ?
Je n’ai pas compris la « diplomatie classique » comme un appel à l’indifférence. Plus à une différence de méthodologie, et à ne pas se contenter de se référer à des « communauté internationale » et autre « multilatéralisme » évanescents.
Quant à l’Etat, oui, c’est un rouage. Mais il est plus facile de le considérer comme un simple rouage lorsque l’on dispose d’un Etat structuré, fort. Peut-être peut-on ranger au rang des aspirations d’un certain nombre de citoyens de vivre dans un pays dans lequel l’Etat est effectivement structuré ?
Védrine écrit d’ailleurs, en substance, que l’on souffre bien davantage (collectivement) des conséquences de l’impuissance des Etats que de leur excès de puissance.
[quote comment= »40029″]
Un jour vous m’expliquerez la pertinence qu’il y a à définir quelquechose
par ce qu’elle n’est _pas_. Est-ce que l’Etat est une organisation
de même nature qu’une entreprise ? Est-ce que le budget de l’Etat
est de même nature que celui d’un bon père de famille ?
Si non, pourqoi le meilleur mode de gestion pour l’un
devrait automatiquement être le meilleur mode de gestion pour l’autre ?
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Mais tout de suite, tout de suite, JMF.
Je commence par votre deuxième question: non, le budget de l’Etat n’est pas tout à fait de même nature que celui d’un bon père de famille, même s’il y a des points communs. Mais le budget d’une entreprise n’est pas non plus tout à fait d’une même nature que celui d’un bon père de famille.
Or, j’ai comparé l’Etat à une entreprise et non à une famille. Donc je considère cette objection comme non fondée.
Deuxième question: oui, bien sûr, l’Etat est une organisation de même nature qu’une entreprise.
Une entreprise est une collectivité humaine qui travaille ensemble à la réalisation d’objectifs communs, sous la direction d’une autorité reconnue et dans le cadre de contraintes financières.
Un Etat démocratique aussi.
En conséquence, il est parfaitement souhaitable d’emprunter aux entreprises les méthodes qui marchent pour elles, afin de les utiliser au sein de l’Etat.
Je pulvérise immédiatement l’objection qui bouillonne sous votre crâne: l’entreprise a pour but de faire d’immondes PROFITS. L’Etat n’a pas des objectifs aussi répugnants. L’Etat est là pour répandre le bonheur sur terre, la liberté, l’égalité, la fraternité et la retraite des conducteurs de TGV à 38 ans et demi.
La preuve que cette différence n’a aucune importance n’est pas bien difficile à faire. Quelle est la différence entre un hôpital public bien géré, une clinique privée à but lucratif bien gérée, et un hôpital privé à but non lucratif bien géré?
Il n’y en a pas.
Dans la vie quotidienne des gens qui y travaillent et qui les dirigent, ces trois entités ont, en gros, le même objectif: guérir le plus possible de malades et soulager leurs souffrances.
Quel que soit cet objectif, le profit n’est qu’un indicateur de bon fonctionnement. La preuve: dans une association ou une fondation à but non lucratif, le profit existe toujours, mais on ne le nomme pas comme ça: il change simplement d’appellation comptable.
Mais la réalité est la même. Le travail des uns et des autres est rémunéré. Les produits et les services nécessaires à l’accomplissement de l’objectif coûtent de l’argent. Les recettes rapportent un certain montant. Le tout doit s’équilibrer, et même dégager une marge pour permettre l’investissement.
Quant aux difficultés, elles sont de même nature. Il faut recruter du personnel qualifié. Le motiver. Organiser son travail. Trouver de quoi le payer. Définir en commun des objectifs acceptables par tous. Répartir les tâches. S’assurer que les volontés individuelles concourent au but commun, et que chacun y trouve son intérêt. Suivre la réalisation des objectifs. Surmonter les égoïsmes, sanctionner les incapables et les malhonnêtes. Etc, etc.
Bref, ce qui rapproche les entreprises de l’Etat est infiniment plus important que ce qui, certes, les sépare, et que je vous laisserai le soin d’expliciter.
Il n’y a pas une façon capitaliste de conduire une voiture et une façon socialiste de la conduire. Il y a de bonnes pratiques de conduite, un point c’est tout. Après, vous pouvez utiliser une voiture pour travailler, partir en vacances, draguer les filles, livrer du charbon, préparer un hold-up ou un attentat… Mais c’est toujours une voiture.
Le management est toujours du management. La gestion des ressources humaines est toujours de la gestion des ressources humaines.
Or, en France, nous sommes très éloignés de l’application de ces bonnes pratiques, de haut en bas de l’Etat. Du gouvernement au plus humble fonctionnaire.
Voilà pourquoi je m’empresse de souligner ce qui rapproche les entreprises de l’Etat, et non ce qui les sépare.
Koz:avant que Védrine passe chez sarko j’étais déjà trés bloqué sur lui et son role en afrique, ayant même évité de lui serrer la main dans un meeting des régionales.
Le livre de Dallaire est orienté sur ses rapports avec l’onu plus qu’avec la france.Je vous conseille « Un génocide sans importance » de Gouteux, qui est certes dans l’association Survie, sympathique structure certes trés portée sur l’auto-flaglellation mais bien informée en général.
Je comprends très bien le souci de pragmatisme de Védrine et son constat d’inéfficacité de toute cette « communauté internationale ».
Néanmoins je m’interroge toujours pour savoir si cette « bonne conscience internationale » n’est quand même pas le vecteur de stabilité face à des Etats (dont certains existent grâce ou à cause de la démocratie) dont les dirigeants, peuvent changer du jour au lendemain, avec tous les changements et déséquilibres que cela peut engendrer…
Possible également. Il n’y a de toutes façons certainement pas une « école » détenant la vérité en la matière (comme en d’autres). Et puis, si -toujours – j’ai bien compris, ce ne sont pas les finalités que Védrine critique mais plus les modalités.
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Je vous remercie de faire une fiche aussi complète sur cet ouvrage. L’auteur principal, Hubert Védrine, a un premier mérite : il indique dès la couverture les nom de ses collaborateurs : Adrien Abécassis et Mohamed Bouabdallah. Rares sont les hommes politiques à accepter de voir figurer sur la couverture de leurs éminents ouvrages, un autre nom que le leur, hormis le nom de leur éditeur.
Cet ouvrage sur les relations internationales est un résumé éclairant de l’époque. Il est plaisant à lire, avec ses formules chocs, comme « la démocratie, ça n’est pas du café intantané ». La dénonciation de « cet universalisme occidental à la fois bien pensant, bien intentionné, hégémonique, paternaliste et sûr de lui, bouffi d’irréalisme et embrumé d’ « irrealpolitik » » fait du bien. Védrine n’est tendre ni avec la France ou l’Europe, sans tomber dans la déclinologie.
Ce livre nous met face aux vraies questions qui se posent à la diplomatie. Quand à l’étatisme dont vous affublez Védrine, n’est-il pas un raisonnement naturel à tout (ancien) ministre de la politique étrangère ? Quelle voie autre que l’étatisme peut être pronée en matière de diplomatie ?
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