Combattre nos démons

Dans ce tribunal correctionnel, deux salles et chaque fois un contraste saisissant : le président du tribunal, les assesseurs, la procureure, les avocats sont blancs. Les prévenus sont d’origine extra-européenne, maghrébine ou africaine. Le public aussi, à la seule exception de mon fils et de moi-même. De part et d’autre, le choc est tragique. Sommairement : des Blancs jugent des Noirs. Deux France, visiblement distinctes. A la barre, un homme interpellé en possession de plusieurs kilos de cannabis. Il est désemparé, parfois en pleurs, et son récit instille le doute. On le recroise dans les couloirs, et il nous interpelle, tout sourire cette fois. Fier de son coup ou ordinairement bravache ? Un jeune homme passe dans l’autre salle. A peine majeur, sans casier, bachelier en route vers le supérieur, il a soudainement acheté une arme pour commettre dès le lendemain un vol à main armé contre une jeune femme, sans que rien ne permette d’expliquer le passage à l’acte de ce garçon timide. Les questions du président sont patientes, bienveillantes. Trop ? Comment former son jugement ? Quand la bienveillance se dégrade-t-elle en naïveté ?

De mêmes questions résonnent face au drame de Crépol. Quand les efforts pour comprendre, à l’instar des questions du président, basculent-ils en culture de l’excuse ? Comment discerner entre l’instrumentalisation forcenée et la minimisation coupable ? Cet été, la petite ville de Montargis s’est réveillée groggy devant l’irruption des émeutes en son sein. C’est le même surgissement d’une violence de quartier dans un village rural de 532 habitants qui choque, en écho aux pires craintes de ces villages qui n’ont jamais vu d’immigrés mais votent Le Pen. Ne sous-estimons pas Crépol : ce nom est maintenant un symbole.

Nos démons intérieurs s’agitent. Comment les combattre ? En n’assignant pas les quartiers à résidence. En se souvenant de Mehdi, livreur, qui a interrompu sa course pour venir à notre aide un soir de panne. Ou de ces jeunes de quartier qui ont organisé le ravitaillement des personnes défavorisées durant tout le confinement, sans distinction aucune. De ce garçon en scooter qui, pour nous avoir frôlés sur un passage piéton, a fait demi-tour pour s’excuser. De la jeune femme victime du vol à main armé, elle aussi d’origine africaine et bientôt avocate. De ces aides-soignantes, que je vois au chevet de notre dignité. En n’oubliant pas que la petite délinquance a toujours voyagé de concert avec la précarité, mais qu’aujourd’hui la sociologie est visible. Mais combien retiennent leur colère ? Combien ont déjà cédé à la prophétie autoréalisatrice d’une guerre civile à venir ? Ce combat intérieur est à ajuster sans cesse pour sauver la bienveillance de la naïveté, dans l’inconfort permanent de la complexité de nos sociétés. Mais c’est aussi notre rôle quand, plus que jamais, c’est l’unité de notre pays qui est en cause.


Photo de Alex McCarthy sur Unsplash


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5 commentaires

  • Merci de tout coeur. Vous nous permettez d’introduire dans ce drame de Crépol et les autres, un regard qui n’est ni celui de la haine, ni de l’instrumentalisation, ni de la mauvaise fond et vous prenez du recul pour essayer d’expliquer la petite délinquance, sans jamais l’excuser. Au milieu de ce tournoiement de haine mon maîtrisée, vous nous apportez un fraicheur bienvenue, une source qui s’origine, je suppose de votre foi en un dieu qui s’est fait homme.

    Merci encore et bon Noël !

  • Bravo, merci, c’est tout à fait juste! C’est bien de l’avoir formulé et écrit publiquement. L’autre est toujours mon frère, créé à l’image de Dieu.

  • « ces villages qui n’ont jamais vu d’immigrés mais votent Le Pen. »

    Pourquoi ce « mais » ?

    Ecririez-vous « ces villages qui n’ont jamais vu d’immigrés mais votent Macron » ?

  • Vos écrits trahissent un goût du vrai avéré mais gâché d’un phénomène curieux : Vous préférez si fort la « minimisation coupable » à « l’instrumentalisation forcenée » que vous pataugez systématiquement dans la première catégorie, loin du juste milieu.
    Vos mots ne sont jamais assez doux pour ceux qui pêchent par le premier excès, jamais assez durs pour ceux qui pêchent par le second.

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