Chiffons rouges

chiffon rouge
A quoi joue Valls, avec sa muleta ? On jurerait qu’il tente de rendre furieuse la bête, provoquer l’impossible, susciter la charge. Bien sûr, s’il faut partir du principe que toute décision politique est mêlée de conviction et de stratégie, de fond et de calcul, et s’il ne faut donc pas être dupe du calcul derrière le débat de fond avancé, il ne faut réciproquement pas négliger l’hypothèse que derrière un calcul évident puisse se cacher un fond – si vous me suivez, mais moi ça va, je me suis.

Pourtant, Martine a raison : l’accumulation alerte. Accumulation de sujets qui sonnent comme autant de provocations à l’égard de son propre camp. Son « camp », c’est d’ailleurs vite dit : Manuel Valls réussit tout de même la prouesse d’être au pouvoir alors qu’il n’a cessé d’être marginal au sein de son parti.

Aujourd’hui, le projet de loi El Khomri suscite la perplexité. S’il semble comporter des dispositions intéressantes, il compte aussi nombre de dispositions dont on ne se souvient guère que quiconque les ait un jour réclamées[1], et qui claquent comme autant de chiffons rouges et d’exigences de reniement pour les socialistes. Alors cette fois Martine a vu rouge. On imagine, on brode mais on se demande si le scenario n’est pas crédible : Martine et les siens bouillonnant de longue date, lucides sur les intentions d’un Manuel Valls recherchant le conflit, l’occasion de faire enfin éclater la gauche entre « ces deux gauches irréconciliables : la gauche qui gouverne et la gauche qui s’oppose » (comme le rapporte Atlantico), bien décidés à ne pas lui en donner l’opportunité, jusqu’à ce que…

La rupture est-elle effective ? On peut aussi bien envisager que cette gauche, jusqu’à maintenant « non alignée » et aujourd’hui au minimum alliée des frondeurs, tente par là de créer un point de fixation dans son électorat, de sorte qu’il ne fuie pas tout entier dans les bras de Mélenchon. Mais pourront-ils manger une nouvelle fois leur chapeau ? Valls acceptera-t-il d’amender son texte au point de le dévitaliser totalement ? On l’imagine mal. Et la rupture ne paraît donc pas improbable. Yaël Goosz imagine même qu’un échec de ce projet de loi soit l’occasion pour Valls de quitter le gouvernement sur un sujet symbolique, pour préparer un retour en 2022 sur une ligne social-libérale. L’idée paraît audacieuse mais la probabilité d’un échec de la gauche en 2017 est suffisamment élevée pour qu’un politique tel que Valls réfléchisse déjà à la manière de quitter le navire.

Reste à savoir s’il faudrait se plaindre de cette recomposition, si elle advenait. Devrions-nous regretter que se crée en France un pôle véritablement réformiste à gauche, un parti socialiste tendance social-libérale ? Ou plutôt que les réformistes du parti socialiste larguent leurs complexes révolutionnaires ? Et après tout, cette clarification n’aurait-elle pas du bon, de la même manière que l’on serait bien curieux de savoir si Les Républicains ont une ligne ?

L’idée serait séduisante si elle ne suscitait une autre question : ce pôle peut-il être majoritaire ? Une ligne social-réformiste, social-libérale, réformiste-libérale ou que sais-je encore a-t-elle des chances d’être majoritaire à gauche voire dans l’opinion et sur un échiquier point trop dissemblable à l’actuel ? On peut en douter. On se souvient alors de l’épisode des régionales :  sa façon d’annoncer publiquement, avant même le premier tour, la conduite à tenir après l’élimination de la gauche ressemblait par trop à une façon d’enfoncer ses propres camarades, au bénéfice d’une recomposition globale de l’échiquier politique. L’idée vient ainsi que le coquinou ne se contenterait pas de recomposer la gauche, mais ambitionnerait même de refonder l’ensemble du paysage politique français. Alimentant le Front National, il rendrait plus attirante encore aux yeux de certains – qu’il ne faut déjà pas trop pousser – une alliance entre la frange droite des Républicains et le Front National (sous cette appellation ou une autre, qui faciliterait le rapprochement). Manuel Valls pourrait alors envisager de rechercher des alliances avec une droite sociale, elle-même séparée de sa branche radicale.

Est-ce la sauce à laquelle nous voulons être mangés ? Un quadripartisme, avec deux pôles radicaux et deux pôles réformateurs ? Est-il certain que les réformateurs l’emportent, l’un sans l’autre ? Voulons-nous vraiment d’un système qui alternerait les alliances entre réformateurs sociaux-libéraux et réformateurs libéraux-sociaux ? On pourrait s’en satisfaire, plutôt que des coups de barre à droite et à gauche qui donnent parfois à la France des airs de bateau ivre, ou s’en inquiéter en considérant que l’absence de choix clair alimente les frustrations. Une seule chose est sûre : je ne ferai pas tout ça pour un Manuel Valls président en 2022.

  1. ainsi de la durée des congés en cas de décès d’un proche : si un entrepreneur ne refusera jamais une souplesse supplémentaire, je n’ai pas le souvenir que cela ait été une revendication patronale, sur un sujet particulièrement sensible []

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10 commentaires

  • Je propose que le PS échange sa place à l’Assemblée Nationale avec LR. Les choses seraient plus claires. À droite le PS libertaire-libéral-sécuritaire, à gauche LR indéfini-indéfini-indéfini.

  • Que Valls vise une recomposition politique globale, que la montée du FN rend d’ailleurs plus plausible n’aurait pour moi rien de scandaleux. Et il semble qu’une partie non négligeable de l’électorat serait prête à accepter un assouplissement considérable du droit du travail.

    Ce qui me rend perplexe, c’est sa tactique qui donne l’impression qu’il brûle ses derniers vaisseaux .

  • Je n’ai pas encore lu l’article d’Atlantico, mais j’ai la conviction que Manuel Valls prépare gentiment son départ du navire. Un peu de politique fiction…
    Le projet de loi El Khomri arrive au parlement, les débats éclatent, la droite pousse pas trop fort, la gauche amie de Mme Aubry hurle et crie au loup. Arrive le joli mois de mai ! Miracle, les syndicats s’entendent et commencent quelques grèves. Les vieux bastions du syndicalisme gauchiste français se mettent en branle, même les étudiants se mette dans la partie. En gros, une bonne redite de l’histoire du CPE. M. Valls tient bon, soutient sa ministre. Mais au bout d’un petit temps, le Président s’en mêle et enterre d’une façon ou d’une autre le projet. Bref, une gouvernance à la Hollande. Une claque pour Valls ? Que neni ! Son gouvernement hétéroclite pédale, boosté à l’EPO, sur la machine à couac depuis un moment, et là, le président ne le soutient pas sur un projet qu’il a porté comme une pierre angulaire de sa politique. C’est le moment de claquer la porte. Et avec fracas si possible. En 6 minutes top chrono par téléphone. Le message est clair : mon programme est social libéral, je l’ai toujours dit, le président n’assume toujours pas, je n’ai aucune raison de continuer. Nous sommes en juin 2016, pour la rigolade Jean-Marc Ayrault (Avouez qu’on rirait un bon coup !) retourne à Matignon et notre ami catalan part en vacances. Silence radio pendant l’été, de toute façon plus personne n’écoute. Lundi 5 septembre, Manuel Valls est l’invité d’une matinale ou d’un 20h (Inter ou TF1) et déclare sa candidature à la présidentielle de 2017. Pas 2022, 2017 !! Il coupe l’herbe sous le pied de toute la gauche, personne n’est prêt. Il joue la carte de la gauche moderne et qu’il sera le seul rempart à Marine ou au candidat LR. Si la droite choisi Sarko, il a ses chances le bougre ! A gauche, il est presque trop tard pour désigner quelqu’un et je vois bien pas mal de moutons suivre celui qui avance, même s’ils ne savent pas où.

    Politique fiction ? Rendez-vous au printemps !

    Une chose est sûr pour moi, il veut éclater la gauche pour devenir son incarnation face aux révolutionnaires de sa gauche ou de sa droite. La question de savoir si cela fait envie ou pas, chacun aura son idée. Moi, pas trop…

  • Je suis d’accord avec les analyses d’Erwan et d’Augustin quant aux visées qu’on peut prêter au PM et je trouve séduisantes leurs hypothèses de recomposition politique, mais ça ne marchera pas ainsi: les partisans d’une ligne sociale-libérale ont beau être majoritaires dans l’appareil local et national (de peu), ils ne suivront pas majoritairement la direction qui s’ouvrirait dans le sillage de M. Valls s’il partait. Et sans assez d’élus pour vous soutenir, rien à faire, même si bien des électeurs aimeraient oublier la vieille gauche moralisatrice qui nous fait encore la leçon.
    Alors, oui, le projet de loi va trop loin sur des points inutiles, mais il passera et le PM ne partira pas. Et son courage paiera, sans avoir à faire éclater le PS: tel me semble être son calcul, mais aussi le fond de sa démarche. Rendez-vous dans six mois, sinon en 2022?

  • Il manque deux protagonistes dans cette fiction : Macron et Juppé. La fiction pourrait donc bien demeurer une fiction…href= »#comment-79467″ title= »Aller au commentaire d’origine »>Augustin de Vanssay:

  • @ Megglé CHANTAL:

    Certes. Mais entre Valls et Macron, le gros des socialistes « modernes » préférera Valls. Juppé est le porteur des antisarkozystes. Si les sarkozystes finissent par comprendre que Sarkozy c’est l’échec assuré et qu’ils le lâchent, le choix à droite s’ouvre à nouveau et Juppé n’est plus le choix obligé de ceux qui ne veulent plus de Sarkozy.

  • @ Megglé CHANTAL:

    Aristote: répond en partie à cela.
    Je ne pense pas que Macron tente plus que cela un coup politique. Il a beau être intelligent, il n’est pas encore armé pour faire face. Macron est un faux problème, c’est un petit caillou dans la chaussure de chacun. Il pourrait même rejoindre Juppé.
    Juppé apparaît effectivement comme le porteur des antisarkozystes, mais la route est encore longue et je ne suis pas sûr que tout soit joué. N. Sarkozy va droit dans le mur. Je ne parierais même pas un kopek pour qu’il arrive dans les deux premiers à la primaire. Bruno Le Maire n’est quant à lui pas dans la même position que lors de l’élection pour la présidence de feu l’UMP. Il n’est plus le seul challenger. Il a beaucoup de perte en ligne et une fois que la campagne médiatique va être lancée, il va descendre. C’est un homme intelligent et, je pense, un homme bien, mais ses axes de campagnes n’ont pas assez de profondeur, pas assez de vision d’avenir. En gros, il a la chantilly et la cerise, mais pas de gâteau en dessous. Pour moi, le véritable challenger d’Alain Juppé, c’est François Fillon. Il a un programme beaucoup plus précis que celui de Juppé, il a une méthode pour appliquer ce programme et il a une vision à 10 ans. Il lui manque la vision à 25 ans. C’est probablement le plus humaniste. Il a une expérience plus récente et avec moins d’échec qu’Alain Juppé. Il est beaucoup plus proche des centristes que tous les autres. Regardez ses positions, vous verrez qu’il a un mélange doux qui va jusqu’au chrétiens de gauche.
    La simili fiction ne parle que de la gauche, mais évidemment, l’écueil pour Valls c’est celui qui sortira de la primaire LR si ce n’est pas Sarko.
    Ceci dit, si la fiction se réalise, je joue au loto !!

  • C’est sûr que la loi El Khomri va dans la bonne direction. Quelques contraintes en moins sur ceux qui proposent des emplois, la lutte des classes un peu moins postulée et encouragée.

    Mais bon, on est encore à des années-lumière de ce que font les pays qui ont réglé le problème du chômage, ou de l’objectif de réintégration du droit du travail dans le droit commun, c’est à dire dans l’état de droit. Un retour à l’égalité devant la loi, où seraient jugés les actes et non les castes, où on ne serait pas présumé coupable car employeur ou toujours innocent car syndicaliste.

    C’est vrai aussi qu’on commence à se rendre compte que le clivage droite-gauche perd de son sens. Qu’émerge timidement une démarcation plus pertinente (amha) autour des libertés et du rôle de l’Etat à leur égard : doit-il être leur garant ou leur fossoyeur? L’alliance naturelle de l’extrême gauche-droite et des plus dogmatiques des deux bords pour condamner la loi travail semble aller dans ce sens, mais ne nous enflammons pas. Sans même parler des manœuvres politicardes que tu évoques dans le billet, on peinera à voir incarner une aile libérale par Manuel Valls qui a fait sombrer la France dans l’état policier.

    Bref, sur les deux sujets, reconquête de nos libertés perdues depuis un ou deux siècles et recomposition des lignes de force politiques autour de la question des libertés, il y a des étincelles d’espoir, mais guère plus.

    Churchill disait en novembre 42 : « Ce n’est pas la fin. Ce n’est même pas le début de la fin. Mais c’est peut-être la fin du début ». Dire cela serait encore trop optimiste aujourd’hui.

  • Bonjour,

    je ne penses pas qu’il y aura quadripartisme, amis un parti centriste fort de Valls à Juppé qui ensuite gouvernerait par alliance avec les petits partis sur cesbords, extrèmes droite et extrème gauche seraient marginalisés pour longtemps meme à 25%.
    Je pense que Valls se voit déjà en patron de ce grand parti.

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