« C’est l’alarme »

Voici deux ans, Emmanuel Macron engageait la France dans une démarche inédite, ambitieuse, nationale. De la piscine Maurice-Thorez à la paroisse Saint-Pierre-Saint-Paul, en passant par toutes les mairies, les murs se couvraient d’appels au grand débat national. Des milliers de Français se mobilisaient et contribuaient à ce que l’exécutif lui-même avait appelé des « cahiers de doléances ». Ceux-ci devaient être analysés par les politiques, numérisés, puis livrés à la postérité pour fournir une rare photographie de la France. Que sont devenus ces cahiers de souffrance et d’espérance ? Rien. À l’image de la numérisation, leur analyse a été abandonnée. La démarche audacieuse s’est noyée dans les sables mouvants ordinaires des consultations de façade, dont l’actualité immédiate continue de nous fournir plus d’un exemple.

C’est toujours un jeu périlleux que de décourager ceux qui participent et de discréditer ceux qui dialoguent. C’est aujourd’hui une option plus hasardeuse encore, alors que cette colère a été enfouie sans être désarmée et que la situation sanitaire suscite l’inquiétude des professionnels sur la santé psychique de Français angoissés, fébriles, irascibles. Lorsqu’elle déploiera tous ses effets économiques, cette crise fournira le carburant d’une explosion sociale.

Ces lois qui sont autant de restrictions de nos libertés publiques nous habituent dangereusement à les abandonner, et forgent un legs douteux pour un pouvoir plus autoritaire, dont l’avènement se fait peu à peu moins improbable.

Un tel pays n’a pas besoin que l’on craque une allumette. Or, confronté à des circonstances d’exception, le pouvoir qui n’a pas vraiment consulté hier, se raidit aujourd’hui au lieu d’apaiser. Il fait fondre d’en haut des décisions parfois arbitraires, souvent inexpliquées, et multiplie les textes aux faux airs de « démocraties illibérales ». Ces lois qui sont autant de restrictions de nos libertés publiques (de l’information, des cultes, d’association…) nous habituent dangereusement à les abandonner, et forgent un legs douteux pour un pouvoir plus autoritaire, dont l’avènement se fait pourtant peu à peu moins improbable : la révolte des « gilets jaunes » n’est même pas oubliée que la situation économique pourrait la relancer, on voit les plus légitimistes flirter avec la désobéissance civique et, sur d’autres rives de notre société, les violences policières nourrissent une rancœur légitime. Qui peut assurer que, demain, une coagulation des ressentiments ne fera pas advenir un tel pouvoir ?

Emmanuel Macron vient de rendre hommage à Daniel Cordier. Eh bien, Président, « c’est l’alarme ». Le pays va profondément mal, et il sera bien tard, en 2022, pour lui demander d’élever quelque barrage que ce soit aux extrêmes et aux flots grondants de la colère.

Chronique en date du 2 décembre

Photo by Florian Olivo on Unsplash


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9 commentaires

  • Hélas Koz,comme j’aimerais ne pas être d’accord avec vous,vous reprocher à la fois votre lucidité ,et votre pessimisme…
    Mais voilà,votre constat est juste du début jusqu’à la fin…..Il n’y a pas une virgule à enlever…..
    J’espère que l’avenir sera moins sombre que vous ne le pressentez,mais je suis loin d’en être sûre….
    Prions,gardons toujours l’espoir,c’est une force qui nous reste …..J’espère qu’elle nous servira à construire,ou à reconstruire un futur plus rose.

  • N’est il pas un peu facile de critiquer à ce point le pouvoir en place ? Celui qui ferait mieux on le cherche vainement. Cette pandémie qui bouleverse nos vies et nos rapports avec l’autorité devrait nous inciter à des remises en question fondamentales.
    Mais cela ne peut se faire qu’après avoir vu l’ampleur des dégâts. Comme après guerre,

    • On demande aux journalistes de se signaler à la préfecture avant de couvrir une manifestation, on entend interdire la diffusion de vidéos de policiers (en pratique, la prise de vue), on fait signer des conventions aux sociétés de reportage prévoyant que le Ministère de l’Intérieur aura le dernier mot sur le contenu du reportage (imposant, donc, que le contenu soit positif). Pour le reste, on prétend systématiquement consulter, pour en réalité décider de façon tout à fait verticale et autoritaire, sans renier l’absurde. Chaque partie consultée par le gouvernement s’aperçoit que, lorsqu’elle joue le jeu de la consultation, elle est le dindon de la farce, et se trouve déconsidérée par rapport à ceux qui jouent la carte de la radicalité. Alors, je ne sais pas si en effet on a le nom de celui qui ferait mieux. Mais le fait de ne pas l’avoir n’impose pas de fermer sa gueule pour autant.

  • Koz, vous e surprenez grandement à taper comme vous le faites sur ce gouvernement qui incontestablement fait des erreurs mais qui, sérieusement, à quelque chose d’autre à proposer face à une situation inconnue et un « ennemi » tout aussi inconnu Bien sûr nos libertés fondamentales sont plus ou moins touchées et il est très fatiguant de devoir passer don temps à justifier cet que l’on est en train de faire Mais sommes-nous oui ou non dans une situation particulière,et puis que je sache la liberté de la presse existe toujours et donc les opposants ne sont pas condamnés à se taire que je sache.Nous ne sommes pas sous le régime de la censure, loin de là et votre allusion à Daniel Cordier me parai tout à fait incongrue

      • « irrémédiablement »??? il me semble que décidément vous allez vite en besogne,
        Je n’ai décidément pas l’impression d’être en Allemagne en 34 et Macron ,pour moi , n’a rien à voir avec Hitler ou alors c’est quasiment toute l’Europe qui vit en dictature.

        • Je vous remercie pour ce commentaire éclairant, qui vient corroborer mon propos. Chacun son point de référence. En ce qui me concerne, j’entends agir avant 34, et avant Hitler. Vous pouvez attendre ce moment pour vous réveiller, mais ça n’a pas bien réussi aux Allemands.

  • Ce Brexit est possible, a ete possible et rentre en vigueur dans quelques heures parce que nous avons fait de l’Europe trop souvent un bouc emissaire de nos propres difficultes, parce qu’aussi nous n’avons pas assez change notre Europe. Plus que jamais nous avons besoin d’Europe Je suis conscient que l’Europe ne pourra continuer d’avancer que si nous la reformons en profondeur, pour la rendre plus souveraine, plus democratique, plus proche de nos concitoyens et donc plus simple aussi dans son quotidien et que nous reussissions a rebatir un projet europeen plus clair pour vous toutes et tous

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