De part en part de l’affiche, des éclairs zèbrent l’obscurité. Car ils ont osé les éclairs. Sur fond crépusculaire, deux visages se découpent : ceux d’Eric Zemmour et de Michel Onfray. Pour la nouvelle année, une « rencontre au sommet » est annoncée. Elle se tiendra dans rien moins qu’un parc des expositions, à Châlons : 3.000 places assises. Il faudra l’être pour suivre cette soirée, au cours de laquelle les intervenants feront mine de s’interroger sur ce thème : « Est-ce la fin de notre civilisation ? ». On le sait, Zemmour y soutiendra l’affirmative. Pour lui répondre, Onfray… la soutiendra aussi. Si les organisateurs sont cohérents, à l’issue de la soirée, les participants se verront servir un cocktail – lytique.
Mais qu’aucune contradiction ne se fraie un chemin, que nulle espérance ne s’aventure dans la salle ! On se prendrait à souhaiter que, s’ils ne sont à l’intérieur, des chrétiens attendent dehors les rescapés pour leur proposer vin chaud voire Bonne Nouvelle.
La fascination morbide et systémique de cette frange millénariste pour la fin, la décadence, le suicide des civilisations est désolante. A l’heure des vœux, l’obsession vire cocasse. Certes elle rejoint le goût séculaire des hommes, que trahit le succès anticipé de cette soirée. Saint Augustin ne disait-il pas déjà lui-même : « Le passé, dont tu crois que c’était le bon temps, n’est bon que parce que ce n’est pas le tien » ?
Alors, sachant comme Eric Zemmour tient la masculinité en estime et comme, dans ces milieux, la quête de virilité tient la corde, je voudrais le dire : ce n’est pas cela, un homme.
Que l’on ne s’y trompe pas, je vois le tableau. Je suis moi-même un mâle blanc hétérosexuel catholique et ma cinquantaine approche à pas lent, mais à pas sûr. Jeune, j’ai lu les Mémoires de la Marquise de la Rochejaquelein, les Champs de braise du commandant de Saint-Marc. J’ai chanté VeroniKa de Jean-Pax Méfret. Je suis héritier de ces hommes qui, génération après génération, plantent leurs racines dans un monde révolu.
Mais ce n’est pas cela un homme, celui qui pleure le passé. La force d’un homme n’est pas de se mirer dans sa lucidité, moins encore lorsqu’elle est partiale et si facile. Qui ne connaît les risques, les écueils, les angoisses légitimes, les abandons douloureux de notre époque : productivisme, relativisme, islamisme et même, pour nous, une déchristianisation ? Si l’on est un homme responsable – et ces deux-là portent une grande responsabilité – le défi, peut-être le panache, n’est pas de pointer obstinément les récifs, mais d’ouvrir une voie entre eux.
La grandeur d’un homme n’est pas de promettre les ténèbres mais de tenter, malgré sa propre nuit, de les éclairer. « Le monde se perd dans l’obscurité, soyons-en la lumière » (Saint Charbel Makhlouf). Voilà tous mes vœux.
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J’aime pas trop vous le dire et l’écrire mais souvent je vous trouve bon, clair et net. Je n’ai rien à redire et critiquer à ce que vous avez écrit. Je partage avec vous et avec celles et ceux qui voudront le lire le lien suivant: http://paris-international.blogs.la-croix.com/lhistoire-de-la-pologne-de-la-mort-dune-civilisation-a-la-naissance-dun-etat-nation/2018/01/10/?from_univers=lacroix
Quand je cède à la tentation de me vautrer dans la nostalgie (ça m’arrive…) d’un passé d’autant plus glorieux qu’on en a oublié la mauvaise part, c’est plus pour m’attrister de voir le débat intellectuel français tomber si bas. Deux tribuns à la pensée facile, réductrice et malhonnête, présentés sur une affiche avec des éclairs et un titre plus-racoleur-que-ça-y’a-que-Ménard… Il y aura des pom-pom girls aussi?
(Ah, et aussi, la petite minute pédante: c’est Chalon, pas Châlons. Crois-en un ancien Chalonnais, pas très joyeux de voir où cette pantalonnade a trouvé refuge.)
Je n’irais pas jusqu’à réduire le débat intellectuel français au match Zemmour – Onfray !
Je me suis en effet trompé de Chalons. Entre Chalon-sur-Saône et Châlons-en-Champagne. Je n’avais pas noté l’orthographe différente.
Vous savez ce que ces orateurs vont dire, avant même qu’ils aient dit un mot. En bon français, ça s’appelle un procès d’intention, mon cher maître, mais c’est un peu un tic de votre profession. Qu’est ce qui vous dit que Zemmour et Onfray seront uniquement dans la critique sans proposer une voie ? Vous n’en savez rien.
La fin d’une civilisation ne veut pas dire la fin du monde, et le retour au néant ou le début du jugement dernier (sauf en cas de catastrophe nucléaire cosmique) Si l’islam comme on peut le prévoir devient majoritaire en France ou en Angleterre, il y aura évidemment un changement de civilisation important. Mais la fin de la chrétienté ne veut pas dire la fin du christianisme.
Le suicide français est un livre excellent, certes pessimiste, mais très argumenté, et qui mérite une autre réponse qu’un rejet par principe de l’auteur.
Vous avez lu Weber et vous savez la différence entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. Un bon chrétien peut suivre sa conscience et les directives de ses évêques. Un politique, et en démocratie le citoyen est par définition un politique, est responsable des conséquences prévisibles de ses actes. Par conséquent, il n’a pas le droit de s’en remettre à la Providence pour effacer les conséquences inévitables de sa faiblesse ou de la lâcheté. Exemple : Un bon chrétien doit certainement empêcher les clandestins de mourir dans la neige au dessus de Névache, mais il n’a pas à les laisser s’installer illégalement dans le pays, et il doit les remettre à la gendarmerie après les avoir sauvés pour que ceux-ci puissent faire leur demande d’asile depuis l’Italie, comme le veulent la loi et les accords européens.
Enfin, le passé n’est le passé que parce qu’on décide qu’il l’est. Si on pense qu’aucune forme de violence n’est légitime, alors effectivement la France est fichue. Mais on peut aussi penser qu’elle mérite d’être défendue, et qu’elle ne doit pas devenir un pays du Tiers-monde, et qu’on a le droit de tuer ou de mourir pour la défendre. Cela s’appelle le patriotisme, et je pense que Zemmour n’en est pas dépourvu, et c’est pour cela que les cathos de droite l’aiment bien.
Si vous, vous ne savez pas ce que ces orateurs vont dire, c’est que vous ne les lisez pas, et cet échange est vraisemblablement stérile. Pour les avoir lus, et présumer qu’ils sont cohérents et tiendront donc les propos qu’ils développent dans tous les écrits, je ne me fais en effet pas d’illusion.
Votre remarque sur les « procès d’intention » est assez dérisoire et absurde, on ne s’attardera pas.
Pour le reste, je m’amuse de voir que revient dans votre propos l’obsession de ceux qui se disent encore catho et seulement de droite : les migrants. Était-ce le sujet de cette chronique, est-ce seulement abordé ? Non. Cette façon de penser immédiatement à l’étranger quand on s’interroge sur le devenir de notre pays est assez remarquable. Il y aurait pourtant tant à dire sur nos dérives purement locales avant d’imaginer que nos déboires viennent nécessairement de l’étranger. C’est, certes, moins confortable.
La distinction faite par Weber est probablement l’une des distinctions les plus galvaudées qui soit. Et l’application que vous en faites n’a pas grande pertinence. De fait, puisque vous considérer qu’un bon chrétien doit remettre des migrants aux autorités, vous estimez que cette responsabilité est en accord avec ses convictions. Ne nous égarons donc pas.
Je suis d’ailleurs heureux de voir que vous avez évolué sur le sujet. En mars dernier, vous étiez de ceux qui pensaient qu’il ne fallait pas secourir les migrants en mer Méditerranée, car l’espoir d’être secourus ne faisait qu’accroître le nombre des noyades. Il fallait donc en laisser crever pour l’exemple, et par charité. Singulier. Vous nous dites maintenant qu’un bon chrétien doit certainement sauver clandestins d’une mort probable voire certaine en montagne, ce qui est pourtant la même chose. On avance. Nous sommes au minimum d’accord sur une chose : il faut les sauver.
Le lien que vous êtes faites entre les migrants, le Tiers-monde, le droit de tuer pour défendre la France, les chrétiens et le patriotisme m’échappe quelque peu en revanche. J’imagine que l’idée n’est pas qu’il serait bienvenu pour un chrétien d’être violent avec les migrants, voire d’en tuer, pour être patriote.
Quant à considérer que « les cathos de droite » (je vous rappelle que ce n’est pas parce que vous me regardez de plus à droite que moi que je suis à gauche) aiment Zemmour parce qu’il serait patriote, j’ai quelques réserves. Il y a de multiples manières d’être patriote. Songer à « tuer ou mourir pour la défendre », c’est supposer que le pays est agressé (et l’on voit par qui, à vous lire). C’est aussi une façon d’être patriote, ou de penser l’être. Trouver une voie d’avenir pour ce pays, c’en est une autre. Elle me plaît davantage.
Ce dont les catholiques devraient être le plus friands, ce qui devrait influer plus fortement sur l’affection qu’ils portent à un intellectuel, c’est bien l’espérance, qui leur est plus fondamentale.
Quant au passé, il ne l’est pas parce qu’on le décide. Il l’est parce qu’il nous est chronologiquement antérieur.
« Avant », il y avait les matchs de catch, avec tout autant de suspense !
Et autant d’éclairs sur les affiches, d’ailleurs.
Des hommes d’hier et d’aujourd’hui:
« Benoît est un chrétien instinctif; il suit l’Evangile à la lettre, à la trace. Jésus marche: Benoît l’accompagne. Le Fils de l’Homme jeûne: Benoît se prive. Le Seigneur souffre: il morfle à l’unisson. Il sait bien que sans le faste et la puissance, la Chrétienté n’existerait plus depuis belle lurette; l’Eglise n’est pas une hutte de branchages, une maison bleue accrochée à la colline. Benoît s’entête à déployer sa foi comme un drapeau blanc au sommet d’une hampe brisée. Il est prêt à mourir pour que résonne la Bonne Nouvelle, mais cette clameur, qui se propage en averse, en vagues, en flocons, il ne lui semble pas nécessaire de l’imposer, ni de la défendre, il lui suffit de l’écouter. Benoît est un vitrail en miettes. Un morceau de verre que la lumière transperce de part en part. »
Extrait de « Frère des astres » de Julien Delmaire chez Bernard Grasset, page 147. Roman librement inspiré de la vie de Saint Benoît Labre, vagabond mystique du XVIII ième siècle.
Bonjour,
La lecture de ce billet m’a poussé à regardé la vidéo d’un précédent face à face Zemmour-Onfray, qui en fait ressemble exactement à ce que vous attendez de la prochaine rencontre au sommet.
Mais à vrai dire ce n’est pas la noirceur du diagnostic qui est l’aspect le plus marquant. Les deux se plaignent d’être accusés de complotisme, au fil d’une discussion parsemée de phrases du type « On a tout mis en place pour [ex. « que Macron soit élu »] », « tout a été fait pour », etc.
Le moment magique c’est quand Onfray affirme qu’une partie des électeurs ayant voté FN à un moment peut très bien voter Mélenchon par la suite. Réponse de Zemmour: « non, c’est faux », Onfray: « si c’est vrai! », Zemmour: « non c’est faux », …
La réalité, voilà le problème. Ca promet un débat passionnant.
Dans 20 ans pourquoi pas une « Tournée des vieilles canailles » avec Zemmour, Onfray, Dieudonné, BHL et autres. Avec des polémiques stériles et des prises de position plus qu’hasardeuses on arrivera toujours à remplir quelques salles des fêtes.
C’est sûr qu’un débat entre deux marxistes assumés, on se doute bien que ça ne va pas être une ode au Christ ou à la liberté.
Après, sur le fond du billet, je trouve très restrictif de dire que Zemmour se contente de pleurer le passé. Difficile de corriger une erreur si on ne la reconnaît pas. Zemmour ne se limite pas à critiquer, il indique des pistes. Le fait que ni toi ni moi ne souhaitions les emprunter est une autre question. J’ajoute que ses prises de position publique lui apportent énormément d’hostilité qui se traduit par un risque juridique et physique important. On ne peut nier qu’il lui faut du courage pour continuer.
Enfin, les commentaires sur l’appauvrissement du débat d’idée en France sont savoureux sous un billet qui fustige le fait de pleurer le passé. Je rappelle que le débat d’idée en France avant consistait à affirmer préférer avoir tort avec Sartre qu’avoir raison avec Aron et à pousser Kravtchenko au suicide pour conserver son petit confort moral.
Zemmour et Onfray sont deux hommes très érudits, bons orateurs et capables d’articuler une pensée argumentée. C’est largement mieux que la moyenne de ce que nous offrent les media depuis que j’ai l’âge de m’y intéresser.
Enfin, quand on voit comment se fait massacrer Brigitte Lahaye pour avoir employé les mots qu’il ne fallait pas (et surtout soutenu une position hétérodoxe) il ne faut pas s’étonner que seul les « intellectuels » les plus brutaux survivent.
Peut-être que si on levait un peu le pied sur les accusations de nazisme, racisme, sexisme etc… on permettrait à des penseurs plus subtils d’émerger.
Voila, moi aussi je propose une voie.
Ah ?
Le second degré de mon commentaire t’a échappé, on dirait. Mais, même en le prenant au premier degré: au moins le débat entre Aron et Sartre opposait-il des gens qui avaient des idées profondément opposées. C’est quand même une notion de base si on veut pouvoir parler de débat.
Pour ce qui est du courage de M.Zemmour, il me semble relatif. C’est le courage d’exprimer l’air du temps. Cela lui vaut une tribune proéminente dans le premier quotidien national, un rond de serviette à son nom à la télé et à la radio, et un fan club sur Internet. On a déjà vu plus risqué.
Ah, par contre, on dirait que les éclairs sur l’affiche n’ont pas suffi à attirer les Chalonnais en nombre suffisant pour financer la chose.
Le débat n’est pas de rechercher où le bât blesse dans le camp adverse mais l’inverse, c’est à dire de trouver des points de convergence. Ça s’appelle la bonne volonté dans le débat. Zemour et Onfray sont deux outsiders en joutes oratoires; je n’irai pas mettre le doigt entre le marteau et l’enclume, laissons débattre les deux prophètes de la fin des temps, ils ne sont pas les premiers dans le genre. S’ils attirent tant de monde, c’est qu’ils inspirent toujours une certaine fascination en exaltant plus le drame que la joie. Ils se sont créé une réputation comme on construit une casemate et attention, on tire à vue. Qu’ils viennent dans le bistrot du village et je leur promets une rigolade éclatante. je ne leur dirai pas auparavant qu’ils seront les dindons de la farce. Les deux larrons auront l’impression de n’être pas compris du bas peuple et repartiront honteux comme un renard qu’une poule aurait pris. Chez nous,on n’est pas des machines à penser, Monsieur, chez nous, on parle pour se faire plaisir, c’est plus local, plus à notre portée. Ah, que nous sommes des ignares par rapport à ceux dans les lumières et ombres de la ville ! La lutte entre ce qu’ils connaissent et ce qu’ils ne connaissent pas va être torride. Il y aura des points marqués et des points perdus mais on peut douter que la terre en tienne compte pour tourner moins rond. Est-ce que les fans vont se taper dessus comme à la sortie des matchs de foot ? Le débit du débat des bœufs fera le spectacle Et on appellera ça les « informations », tout ce qui fait oublier l’essentiel, l’essence du ciel, et vogue la galère ! Il auront piégé le peuple en se piégeant eux-même, c’est biunivoque. Et pendant ce temps d’occupation du populo, les hedge funds et tous leurs algorithmes vont faire leur œuvre. Onfray et Zemmour sont des catalyseurs de ce système de dupes à dupes en une complicité remarquable et non remarquée. Vous ne trouvez pas qu’il est bizarre le monde en lequel on vit ?