Puisqu’on ne peut tout de même pas rester inerte en observant le naufrage du PS, offrons-nous un sain intermède culturel et, soucions-nous plutôt de l’eau, puisqu’il la prend de toutes parts et que, c’est déjà ça de gagné, elle a de l’avenir, elle au moins. C’est un académicien qui vous le dit.
Figurez-vous donc que j’ai un point commun avec Claire Chazal, hormis ma poitrine naissante avec l’âge : nous avons tous les deux reçu en avant-première le même livre, L’avenir de l’eau. J’en suis d’ailleurs très reconnaissant aux expéditeurs que je tiens à remercier chaleureusement. Julia, si tu me lis… Mon blog m’aura ainsi rapporté 22 € cette année. Editeurs, si vous voulez enrichir ma bibliothèque, n’hésitez pas, j’adore ça.
Si, donc, j’ai un point commun avec Claire Chazal, hormis le charme, j’ai aussi deux différences : elle a parlé du livre dans les délais[1], je l’ai lu.
Et j’ai passé un bon moment. Parce que c’est possible. Oui, il est possible de passer un bon moment avec un bouquin parlant de la flotte, et sous-titré Petit traité de mondialisation II. Déjà, on commence par se dire que, si on a pas vu le I, on risque d’être paumé dans le II, mais finalement non, ça va, et puis on prend un train d’avance sur le III.
Et puis, j’ai aimé l’objet. Petit et rablé, comme moi, sa couverture est joliment illustrée, et il est fait de « papiers composés de fibres naturelles, renouvelables, recyclables et fabriquées à partir de bois issus de forêts qui adoptent un système d’aménagement durable« . Non seulement cela fait du beau papier, épais, dense, flatteur, mais rien qu’en sachant cela, je me trouvais déjà bon homme. Ensuite, j’ai apprécié le livre. J’en suis même venu à aimer Orsenna. Ah tudieu ! Quel homme, tout de même, cet Erik, qui arrive à vous passionner pour une enquête sur l’eau, à vous en faire sourire dans le RER, et rire dans le soir qui se couche !
Claire écrivait qu’il était poète, pour une histoire de « noir de la terre après l’incendie » et de « jaune de la sécheresse« . Tu parles d’une poésie. L’exemple avait le mérite de se trouver en page 57. J’ai été plus sensible à celui de la page 317 (preuve que je suis bien allé jusque là) :
« Et puis, brusquement, alors que vous croyiez avoir épuisé tous les plaisirs connus, vous arrive un miracle, une caresse, une douceur, le souffle d’un pétale de rose juste avant qu’elle ne fane »
Il faut dire qu’Orsenna avait soudainement pêché, et abandonné là son sujet pour nous l’avouer :
« après tant de semaines obsédées par l’eau, tant de kilomètres entourés d’eau, tant de lectures n’ayant que l’eau pour sujet, j’en avais soudain marre de l’eau, de son sérieux, de sa fadeur, de sa pureté et, par-dessus tout, de son IMPORTANCE. Un impérieux besoin de PLAISIR m’était soudaine venu »
Il s’est roulé dans le Romanée Conti.
Cette propension à agrémenter son petit traité de digressions sociologiques, poétiques, politiques, géopolitiques, est aussi l’un des attraits de cet ouvrage, même si elle contribue à en faire un truc bizarre. Pas une somme sur l’eau, pas un essai politique, plutôt un carnet d’enquête. Avec Erik Orsenna, on voyage. Quand il confesse s’être endormi sous une litanie de chiffres, on le comprend, Erik, on lui pardonne : la fatigue du voyage, que l’on fait avec lui. Ensemble, on rencontre une fermière en Australie, le directeur d’une filiale française à Singapour, des chercheurs en Israël, un autre grand ponte en Chine. Et le Bangladesh. Et le Sénégal. Et l’Argentine. Et puis aussi, la Beauce.
Le Bangladesh. On redécouvre cette terrible terre qui ne semble exister que pour tourmenter les hommes, ses habitants. Là-bas, on trouve des « îles nomades« , les chars, qui émergent temporairement du Brahmapoutre, des îles que le fleuve déplace, recouvre, et qui disparaissent parfois. Y vivent des familles qui n’ont parfois pas même les 5 à 10 centimes d’euros pour payer le passeur jusqu’à la berge. Bangladesh, terre de « tous les maux du monde« , comme l’appelle Orsenna. Comment concevoir, de chez nous, l’abandon de ces hommes ?
« La pauvreté dans les chars atteint le fond, le fond du fond de la pauvreté. Vous en voulez des preuves ? (…)
En voici une autre : perdre tout lorsque survient l’inondation, tout le peu qu’on a, perdre sa vache, perdre ses chèvres, perdre, juste avant la récolte, la terre où l’on a planté, perdre sa maison, une mère, un enfant, deux enfants qui ne savent pas nager, qui n’ont pas eu le temps ni la force de s’accrocher à un arbre, tout perdre, à peine a-t-on reconstruit »
Il y a aussi, évidemment, bien évidemment, Israël et l’Autorité Palestinienne, les palestiniens accusant les israéliens de leur prendre 85% de leur eau, les israéliens accusant les palestiniens de ne pas traiter leurs eaux usées, qui se déversent chez eux.
Et puis Chongqing, qui comptait 10 000 000 d’habitants à la fin des années 80, et en comptent aujourd’hui 33 000 000… Ville construite de force au milieu de montagnes et dont le défi est de permettre une distribution normale de l’eau et un débit constant, alors que les canalisations ne cessent de monter et de descendre, ou de se briser dans des glissements de terrain…
De cet ambitieux panorama ressort notamment une idée force : il n’y aura pas de crise globale de l’eau. Le réchauffement climatique aura des effets divers et opposés selon les régions. Certaines seront plus durement touchées par la sécheresse, d’autres recevront davantage d’eau.
Il n’y a pas non plus de solution globale. Il y a des solutions diverses, des plus impressionnantes, tels les barrages, comme les plus discrètes : la récupération de la rosée sur le toit d’une école en Inde, à Sayarat où il ne pleut qu’un ou deux mois par an, grâce aux travaux du chercheur français Daniel Beysens, « le pape de la rosée« . Ainsi, de la même manière que les solutions sont diverses par leur ampleur, elles le sont par leur pertinence. Ainsi, les barrages ne seraient pas par nature mauvais, mais leur pertinence varierait selon les conditions locales. « Toute eau est liée à des lieux« .
De même, il n’y a pas à choisir entre une gestion publique et une gestion privée par principe. A cet égard, Erik Orsenna m’a foutu la trouille : après avoir de fort mauvaise foi attaqué les avocats, le voilà qui partait dans une séance de louanges à Danielle Mitterrand. Nous avons vraiment failli rompre sur ce coup-là, lui et moi. Heureusement, évoquant la carte du Mouvement des Porteurs d’Eau, nous nous sommes retrouvés : d’accord avec Erik et eux pour dire que l’eau est un bien commun, d’accord pour dire qu’il faut garantir la ressource pour les générations futures mais pas pour considérer que seule la gestion publique peut garantir l’accès à l’eau. Comme le souligne parfaitement Orsenna, il y a de par le monde des diversités de situation qui donnent tout loisir aux deux systèmes, public et privé, de développer leurs dérives : l’obsession du seul profit pour l’un, la corruption, la pléthore, les préoccupations électoralistes pour l’autre.
Et puis, cette angoisse ultime.
« Partout les surfaces cultivées manquent, partout les sols s’épuisent. Où allons-nous développer l’agriculture capable de nourrir 9 milliards d’êtres humains ? La crise globale de l’eau n’aura pas lieu. La crise de la terre commence… »
- Le Figaro Magazine du 31 octobre 2008, page 26 [↩]
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« De cet ambitieux panorama ressort notamment une idée force : il n’y aura pas de crise globale de l’eau. Le réchauffement climatique aura des effets divers et opposés selon les régions. Certaines seront plus durement touchées par la sécheresse, d’autres recevront davantage d’eau. »
Sauf qu’actuellement 1,6 milliards d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau pour des raisons humaines, économiques ou institutionnelles, même si Mère Nature peut fournir cet eau là où ces gens demeurent. Encore 1,2 milliards sont confrontés à de sérieuses pénuries d’eau selon les saisons.
Billet intéressant qui me confirme dans l’idée que ce livre vaut d’être lu. Merci.
Par contre, s’il y en a un qui vous en voudra, c’est bien l’auteur, dont vous écorchez à plusieurs reprises le prénom.
D’accord avec Pepito. Les crises ne naissent pas des moyennes ou médianes, mais des extrêmes (manque d’eau en l’occurence).
Par ailleurs, il faut se réjouir d’avoir des champions franaçis comme Suez ou Véolia, tant dans l’exploitation des réseaux d’eau, que dans le traitement des eaux usées.
L’eau est un bien précieux. Soyons en économes. Puisqu’on parle beaucoup de Ségolène Royal, ci-joint un lien avec le site de la région Poitou-Charente sur les moyens concrets d’économiser l’eau.
http://www.eau-poitou-charentes.org/eau.php?rpde=menu&v=48
Cassandre a écrit:
Merci, je suis convaincu.
Pepito a écrit:
Si j’ai paru écrire qu’Erik Orsenna disait le contraire, alors j’ai honte. J’ai failli. 😉
Cela dit, son expression de « crise globale » est peut-être trompeuse. Car, si la Terre ne va pas globalement manquer d’eau, la crise locale, en revanche, va impacter tout le monde. Il semble que le Maroc (de mémoire) sera particulièrement touché par la sécheresse : il est probable dans ces conditions que les habitants de pays secs à désertiques immigreront plus fortement. Sans compter le fait qu’on ne peut pas de toutes façons nous en désintéresser.
Zelittle a écrit:
Pas « à plusieurs reprises« . Je l’avais consciencieusement et systématiquement écorché. Mais il n’en saura rien : il ne me lira pas et c’est corrigé.
pour rester pragmatique, quand l’on se rend en Afrique, l’on réalise non seulement combien l’eau est précieuse mais aussi combien la corvée d’eau est lourde (en général réservée aux femmes évidemment !). La multiplication des puits et leurs pompes est donc une amélioration nécessaire or il se trouve qu’il y a plusieurs types de pompes et que les fabricants ne se mettent souvent pas (voire jamais) d’accord pour fabriquer une pompe simple avec des pièces détachées identiques d’où un coût moins important et faciles à réparer par un mécanicien de village. C’était un problème dénoncé dans les congrès internationaux il y a plus de 10 ans… qui n’est toujours pas corrigé !!!
OK, nous sommes loin des pétales de rose…
N…
Le tome I, c’est sur le coton, culture exigeante en eau.
C’est construit sur le même principe des diversités locales , avec les personnes en sujet principal.
C’est tout aussi excellent.
Azerty, c’est un bon exemple. L’eau peut être là, dans la nappe phréatique à 4 m sous la surface, mais les gens n’ont pas les moyens pour forer un puits et installer une pompe très simple. Ils doivent aller la chercher loin à pied à un endroit où elle n’est même pas potable.
Orsenna l’évoque, je ne sais plus à propos de quel pays, en parlant des petites filles qu’il croise, en voiture, qui sont de corvée d’eau, et qui sont autant d’enfants de perdus pour l’alphabétisation.
Juste en passant et sans lien direct, une petit remarque littéraire, puisqu’Erik Orsenna est aussi un écrivain tout a fait estimable …
Je conseille la lecture de son roman « Deux Etés ». Son introduction de 2 pages est une ode a l’attachement a une terre (ou en l’espèce une mer) nourricière.
C’est un prologue qui fait résonner l’émotion de tous ceux qui ont le bonheur de pouvoir se « retrouver » dans un lieu d’origine, celui de ses propres racines.
Je recommande vivement !
Bon week-end.
l’eau est abondante, elle est seulement salée,
l’eau est en permanence recyclée, nettoyée…
sans avoir lu ce livre, à priori donc, j’ai l’impression
qu’un minimum d’attention et un maximum d’énergie (ou l’inverse) devraient permettre aux hommes et femmes de bénéficier d’une eau suffisante, voire abondante…
mais là aussi nous vivons dans une société du gaspi..
collectif: du jaune du maïs au green de golf,
individuel: toute cette excellente flotte qui tombe sur nos toits et s’en va…
L’eau est un beau paradigme. Pourquoi manque-t-telle alors qu’il y en a tant ? Comment articuler les rôles des collectivités publiques et de l’initiative privée ? la gratuité est-elle réellement souhaitable, pour qui, dans quelles circonstances ?
L’exemple de la pompe est excellent. Tout le monde rêve de LA pompe standard. Mais si elle avait été mise au point, mettons il y a 50 ans, elle serait aujourd’hui comme elle était il y 50 ans. Est-ce vraiment souhaitable ?
Bien à vous.