Au-delà de la honte

La contribution de congrégations catholiques aux violences physiques, sexuelles et spirituelles infligées aux populations autochtones du Canada jusque récemment nous engage, au-delà de la honte. La doctrine catholique elle-même y conduit ses fidèles. Jean-Paul II, cité par François dès son premier discours, soulignait que par le lien qui les unit « dans le Corps mystique », ils « portent le poids des erreurs et des fautes de [ceux] qui les ont précédés » (Incarnationis mysterium, n°11). C’est ainsi la douleur de se sentir fidèle d’une Eglise traître à elle-même et à l’Evangile qui nous gagne, lorsque l’on découvre ses membres complices d’un système que le pape a même qualifié de génocidaire. Faut-il n’y voir que la mentalité d’une époque, que l’on jugerait bien vite et rétrospectivement ? On aimerait le croire, car il est vrai que les autorités civiles canadiennes ont initié ces pratiques, et que les autres églises chrétiennes y ayant aussi pris leur part. Mais si le cœur d’un chrétien ne se révolte pas, hier et aujourd’hui, face au mal que l’on a fait « aux plus petits d’entre les Siens », cette fois dans les « écoles résidentielles », à quoi bon pour lui se dire chrétien ? Qu’aux origines de la mission le premier évêque de Québec, saint François de Laval, ait excommunié les chrétiens qui se livraient au commerce de l’alcool avec les populations autochtones, est un signe que la compromission avec le monde de son temps n’est pas inéluctable. Le pape l’a souligné lui-même : la participation au système des écoles résidentielles est aussi une séquelle de la confusion entre foi et identité.

Alors, tout comme « les excuses ne sont pas un point final » (François, 25 juillet 2022), il faut dépasser la honte, inféconde. Respecter l’Histoire des premiers peuples d’Amérique nous invite à interroger notre culture, et le vertige de croissance et d’arrogance qui l’a alors emportée et la consume toujours aujourd’hui. Sans sacrifier à une vision mythifiée de l’histoire indienne ni accabler la nôtre, il faut entendre ce que cette autre culture pouvait dire à celle dont nous goûtons aujourd’hui les fruits amers de désocialisation, de détresse écologique et de stérilité spirituelle. Et, comme le souligne souvent François, ne pas céder de nouveau à la suffisance d’une culture autrement colonisatrice, méprisant le passé, les plus faibles, autant que la nature. Aujourd’hui encore, une saine distance avec le monde et les autorités de l’époque s’impose.

Chronique du 1er août 2022

Photo by Nacho Arteaga on Unsplash


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7 commentaires

  • «  la participation au système des écoles résidentielles est aussi une séquelle de la confusion entre foi et identité ».
    Oui , et c’est l’enseignement majeur que j’en retiendrai. Cette maltraitance n’a pas été réalisée au nom de la foi mais du fait d’une intrication des institutions d’église et du pouvoir temporel. Ce risque est présent dés que les religions trop conquérantes s’installent dans le pouvoir . Réjouissons nous , malgré les difficultés du temps , d’être libres de tout lien avec l’organisation sociale ! N’idéalisons pas une époque où l’église participait de l’identité nationale , occidentale….

  • Il m’est difficile de juger les temps anciens : l’enseignement secondaire en France était encore avant la guerre un monde d’austères internats qu’on intégrait à 10 ou 11 ans, avec un retour tous les trimestres chez soi, comme le décrit le magnifique Battling le ténébreux de Vialatte.
    Hors des enfants originaires des préfectures y échapper signifier commencer à travailler dans le monde des adultes.
    Les maîtres étaient persuadés qu’être scolarisés étaient une chance qui justifiait l’austérité, d’autant que la sortie passait par le service militaire de 2 ou 3 ans;

    De la fin de l’empire romain jusqu’à Ferry l’enseignement était largement assuré par des religieux, parce que l’Etat, bien moins riche que maintenant y voyait avantage, nécéssité faisant loi car les prêtres étaient , hors les seigneurs, les personnes les plus formées des campagnes;
    L’église devait-elle se tenir hors de la société ?

    Bien sur cela ne justifie pas les abus, les abus individuels qui devraient être mieux identifiés dès lors que le péché originel est affirmé, et les abus politiques : le sujet est plus difficile, car s’il faut rendre à césar, alors peut-être faut-il rester hors de la société comme les moines.

    • Je réponds précisément à ce point dans ma chronique, pourtant contrainte en nombre de signes. Tout le monde n’a pas participé à cette logique, des chrétiens ont eu les idées claires. Il n’y avait pas de fatalité. Et surtout, nous parlons des internats catholiques. Si être chrétien ne conduit pas à avoir une approche différente de celle du monde, hier et aujourd’hui, à ne pas céder à ses travers déshumanisants, alors à quoi bon se dire chrétien ?

      Par ailleurs, nous parlons du Canada jusqu’à des années récentes. Le système des écoles résidentielles a perduré jusqu’à la deuxième moitié du XXème siècle. Et s’il y a eu 6.000 morts en leur sein, on peut imaginer combien de dizaines de milliers d’enfants y ont été maltraités – certains encore en vie. Nous ne parlons pas d’un passé hors de portée.

      • je critique en rien votre position, mais notre différence d’âge nous donne un regard différent.

        mon âge me fait voir les chiffres -terribles – différemment : au fond dans notre belle France, la mort était omniprésente il y a pas si longtemps avec les maisons drapées de noir, et les rubans noirs que nous portions si longtemps en signe de deuil. : 4000 morts, 6000 peut-être, mais les générations sur deux siècles sont d’environ 1000 enfants par an, en 1900 dans notre pays si développé la mortalité de 6 à 15 ans était d’environ 2 % par an, dans ces établissements la mortalité est donc un peu supérieure à la notre, est-ce étonnant ? Peut-être pas supérieure si l’on enlève la population des villes universitaires françaises, car la mortalité dans la creuse n’avait rien à voir avec celle du XVIème arrondissement.
        Même dans ma génération d’après-guerre il y a eu quelques élèves de mon lycée décédés durant les 7 ans du secondaire.
        Quand à la brutalité des internats, Törless de Musil nous en dit tout.
        Cette brutalité était inacceptable, mais en Europe elle était acceptée.

        Si je juge le passé, je me demanderais comment François a-t-il pu cohabiter avec les généraux : les saints étaient ceux qui tombaient des hélicoptères dans l’océan : mais qui serais-je pour juger ?

        • Vous savez, à bientôt 47 ans, l’argument de la différence d’âge commence à faire long feu avec moi. En l’occurrence, je ne le crois clairement pas pertinent.

  • Ce serait équitable de reconnaître qu’avant l’établissement de pensionnats répondant aux directives du ministère fédéral des affaires indiennes, les missionnaires oblats francophones, dans leur travail d’évangélisation, ont été très nombreux à produire toutes sortes d’ouvrages catéchétiques dans les diverses langues autochtones, en plus de grammaires et de dictionnaires grâce auxquels ces langues ont été mises par écrit. Même longtemps après : dans les années 1960, le père Lucien Schneider publiait un cours de langue « esquimaude » en plusieurs volumes pour les non-Inuit qui venaient au Nunavik (j’en ai trouvé des exemplaires encore en vente dans une librairie des Publications du Québec à Montréal vers 1995) et un dictionnaire qui fait toujours autorité. http://publicationsnunavik.com/fr/other/cd-ulirnaisigutiit-an-inuktitut-english-french-dictionnary-of-northern-quebec-labrador-and-eastern-arctic-dialects/?fbclid=IwAR0plVxzBVb7uHTvPtqI3S8jvBFjVJ8J67VaDXSTft6Bxxm_THvzcXVHJUU

    • Un petit extrait des « actes du dix-septième colloque du Centre d’études franco-canadiennes de l’Ouest » tenu à la Faculté Saint-Jean, Université de l’Alberta, du 22 au 24 octobre 1998)
      (Edmonton, 2001)
      Il est assez bien connu que les oblats vinrent dans l’Ouest pour servir les populations autochtones dans les domaines de la spiritualité, de l’éducation, des soins de santé et des services sociaux, ainsi que dans l’adaptation à une société agricole et industrielle. Nous nous concentrerons ici sur un aspect beaucoup moins connu du travail des oblats : leur rôle dans la sauvegarde des diverses langues amérindiennes, et par là-même de la culture amérindienne. Les Pères Albert Lacombe, Émile Legal, Valentin Végréville, Émile Petitot, Laurent Le Goff, Léon Doucet, Jean-Louis Le Vem, Léo Balter et Jean Lessard rentrent dans cette catégorie d’oblats qui ont permis de sauvegarder les langues autochtones des diverses régions où les ont amené leur ministère.
      Parmi tous ceux qui sont venus dans l’Ouest canadien, citons à titre d’exemple les mieux connus : Albert Lacombe70 qui a produit des sermons cris, une grammaire du pied-noir, un dictionnaire français-pied-noir ; Émile Legal qui a transcrit les légendes des Pieds-Noirs dans leur langue et a compilé des dictionnaires du pied-noir et du cri, une grammaire du pied-noir ainsi que publié des sermons, Évangiles, Histoires Saintes et catéchismes en langues amérindiennes ; Valentin Végréville, dont les papiers personnels ont dévoilé des dictionnaires du montagnais, de l’assiniboine, du cri et diverses grammaires autochtones ; Émile Petitot73 qui a produit un vocabulaire français nuk, des textes religieux en montagnais, un lexique du montagnais, des grammaires du cri et du pied-noir et un dictionnaire du déné et du dindjié ; Laurent Le Goff qui nous a transmis des textes religieux, des cantiques en montagnais et des dictionnaires du montagnais ; Léon Doucet, qui nous a laissé dans ses écrits des vocabulaires du cri et du pied-noir ainsi que des textes religieux en pied-noir ; Jean-Louis Le Vem, qui a composé entre autres des cantiques et des sermons en pied-noir, ainsi que des grammaires et un dictionnaire du pied-noir ; Léo Balter, qui nous a donné lui aussi des grammaires et des dictionnaires du cri et du montagnais en plus de nombreux textes religieux ; enfin, Jean Lessard dont les écrits religieux en cri, les grammaires du pied-noir, le lexique cri et les leçons de saulteux ont aussi grandement contribué à la connaissance des langues autochtones.
      On ne peut non plus manquer de signaler l’importance des oblats dans la presse écrite de l’Ouest canadien. En effet, de 1897 à 1900 le Père Zéphyrin Lizée a publié un journal polyglotte (français, assiniboine, anglais et cri), L’Écho du Lac Sainte-Anne, qui en 1900 ne garda que le cri pour prendre un nouvel essor pendant cinq autres années sous le titre de La Croix de Sainte-Anne. Ce journal a été remplacé en 1906 par une publication en cri de Léo Balter, Le Messager du Sacré-cœur, qui continua à paraître jusqu’en 1972.

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