C’est que, avec toutes les péripéties de campagne électorale, on en oublierait presque qu’il y a d’autres sujets, dont un qui a même suscité une intervention présidentielle… Je commence avec le sourire, mais c’est avec une vraie réticence que j’écris ce billet. Le blog est-il seulement un espace sur lequel on peut véritablement envisager une discussion sereine à ce sujet ? Mon blog, avec la tonalité polémique que je lui ai donné, que la campagne présidentielle lui a donné, est-il le lieu de telles interrogations ? Ne vais-je pas seulement recevoir des avis trop tranchés, excessifs ? Ma position sera probablement jugée comme insuffisamment catho par les uns, et insupportablement catho par les autres. Et suis-je suffisamment au clair à ce sujet pour m’exprimer ?
Et pourtant, si vous lisez ce billet, concernant la controverse qui s’est élevée entre un certain nombre de membres de l’Eglise et l’AMF, c’est que je l’ai publié. Pourquoi ? Parce que je ne suis certainement pas le seul à penser… ce que je pense. Parce qu’il y a des simplifications du débat qui m’exaspèrent, dans un sens comme dans l’autre. Parce qu’il me paraît difficile d’avoir la prétention de m’intéresser à la société, de débattre du pouvoir d’achat, des 35 heures ou de l’écologie, et ne pas évoquer ce qui devait être l’engagement le plus profond de toute personne : le prix que l’on accorde à la vie. Parce que j’aurais l’impression d’esquiver.
Avouez tout de même qu’il faut être fondu pour entretenir une controverse avec une association qui soigne des enfants atteints de maladies orphelines ! Ce serait toutefois à mettre au crédit de l’Eglise : la certitude de n’avoir que des coups à prendre ne la détourne pas de ses convictions.
Moi-même d’ailleurs, je continue, à l’instant de me demander ce que je vais foutre dans cette galère. Mais soit, allons-y et ramons.
Je suis, à l’évidence, sensible à l’intangibilité du principe voulant que l’homme ne soit pas maître de la vie. Pour faire référence à une discussion récente avec JaK, je n’y vois pas de dogmatisme, dans la mesure où je n’entends pas l’imposer aux autres. Au demeurant, le voudrais-je que je n’y parviendrais pas. Tout ce que je souhaite, c’est que cette petite musique différente ne disparaisse pas totalement. Parce qu’il me paraît indispensable qu’elle continue à tinter aux oreilles de certains. Donc, tant pis si je gêne les voisins : je continuerai à faire sonner la cloche.
Etant ainsi attaché au caractère sacré de la vie, j’ai bien évidemment une certaine répulsion et même une répulsion certaine à imaginer que l’on utilise des embryons, le support d’une vie en développement, comme matériau de recherche. Répulsion au demeurant pas nécessairement spécialement catholique puisque Didier Sicard – qui considère pourtant en substance dans le même élan que l’Eglise a le droit de penser ce qu’elle pense pourvu qu’elle ferme sa gueule – indique lui-même que
« nous observons pour l’heure un développement excessif du diagnostic et notamment de la pratique du diagnostic préimplantatoire. Il n’est pas bon, selon moi, que les scientifiques affirment ou laissent penser que les embryons humains ne sont que des simples producteurs de cellules souches » (source).
Pour autant, pour avoir vécu[1] la confrontation avec le choix de poursuivre ou non une grossesse dont on nous disait qu’elle était à risques, je répugne à me placer au rang du moraliste en chambre, confortablement installé dans son raisonnement désincarné.
C’est pour cela que j’apprécie spécialement l’intervention de Monseigneur Michel Dubost, empreinte d’humanité et spécialement incarnée. Dans un entretien donné à La Croix (rapporté également dans cet article du Monde), Monseigneur Dubost évoque son frère, myopathe, mort à 15 ans, et indique – ce qui n’est pas le passage le plus repris :
« L’AFM est pour moi le symbole de cet espoir.
Comment le mesurez-vous concrètement ?
Il se mesure de manière très simple : mon frère est mort à 15 ans ; aujourd’hui, l’espérance de vie pour ces malades est trois fois supérieure… Ces progrès sont très largement le fait de cette association.
En ce qui concerne l’attitude à adopter à cet égard, j’aime assez également la position qu’il prend :
« Faut-il, pour cette raison, boycotter le Téléthon, comme le propose la « commission bioéthique et vie humaine » de l’évêché du Var ?
Beaucoup de catholiques sont engagés dans l’animation du Téléthon avec une grande générosité et ils ont raison de le faire. Je trouve très insupportable que l’on commence une guerre avant d’avoir épuisé les solutions qui sont nécessaires pour résoudre un vrai problème. Quand un problème se pose – et un problème se pose effectivement –, il peut être résolu non par la polémique mais par le dialogue. Je préconise donc une rencontre entre les gens qui s’opposent au Téléthon et les responsables de l’AFM qui ont toujours été prêts à rencontrer ceux qui le souhaitaient. Ils se conforment à la loi et contribuent à des entreprises qui sont par ailleurs aidées par l’Inserm, c’est-à-dire l’État. Je ne vois pas pourquoi on les attaquerait plutôt que l’État.
Mais faut-il, oui ou non, aller jusqu’au boycott ?
Pour moi, je ne boycotterai pas le Téléthon, mais j’appelle et les uns et les autres à entrer en discussion pour que ce qui ne convient pas soit abandonné. »
Je ne sais pas si j’aurais employé le terme de « guerre » mais l’essentiel n’est pas là, quoique des esprits malicieux chercheront probablement à focaliser dessus. L’essentiel est effectivement qu’il est assez regrettable, pour ne pas dire stupide, si les faits se sont effectivement déroulés ainsi, d’avoir initié le débat sur cette question par un positionnement polémique. A cet égard l’évocation d’une « stratégie eugéniste » du Téléthon me paraît, de là où je suis, bien déplacé. Tout au plus y vois-je une indifférence. Mais une « stratégie »…
Comme le dit ensuite Monseigneur Dubost,
« Il nous faut accepter que l’éthique chrétienne ne soit plus, à elle seule, celle qui soutient et anime l’éthique de la société. En même temps, on doit entendre notre avis, notre divergence. La question est alors de savoir comment l’exprimer. Il est clair que nous ne sommes pas obligés de donner de l’argent à des causes qui iraient contre ce qui nous paraît essentiel. Mais cela ne sert à rien de condamner sans appel, surtout quand il s’agit de recherches menées dans un cadre purement légal et dans un esprit de défense de la vie. Si, après discussion, on ne réussissait pas à atteindre un avis commun, alors il serait normal que les catholiques puissent refuser de participer »
Il en est, malheureusement, que les premières phrases de ce paragraphe feront hurler. Et pourtant, escompter que l’Eglise se prononce doctement, du haut de son magistère, est peut-être satisfaisant pour notre éthique personnelle, mais ce serait assurément maladroit[2]. Je ne serais pas extrèmement surpris que le Téléthon, cette année, rencontre un succès supérieur aux années précédentes, grâce à des donateurs qui l’auront estimé en danger. Et l’Eglise y gagnera quoi ? Sinon la confirmation de ce que sa parole n’a pas le poids qu’elle espèrerait. Sinon un désaveu médiatique, que certains dédaigneront, heureux de se penser « martyrisé en [Son] nom »… pour, ultérieurement, regretter le peu d’influence de l’Eglise, regretter que « le monde » s’en écarte.
A la suite de Monseigneur Dubost, j’aurais donc tendance à demander « pourquoi on les attaquerait plutôt que l’État ». L’AMF n’est pas une institution catholique. On ne peut pas attendre d’elle qu’elle adopte un comportement autre que le strict respect de la loi, quand bien même notre propre éthique nous incite à aller au-delà – et ce n’est certainement pas en la sommant de se conformer à notre éthique qu’on l’amènera à évoluer. En revanche, parce qu’elle fait appel à notre générosité, et que l’on répond présent à un tel appel en fonction de notre sensibilité à la justesse de la cause concernée, je regrette que l’AMF s’oppose à un « fléchage » des dons, permettant à chacun de participer selon sa conscience.
La présidente de l’AMF apparaît assez intransigeante sur la question. On peut penser que l’initiation du « débat » n’est pas étrangère à l’intransigeance actuelle. Et l’on espèrera que les fils du dialogue puissent être renoués, pourquoi pas grâce à Monseigneur Dubost ?
Ce billet a été initialement publié et commenté ici
- brièvement et avec une intensité assez relative, puisque la question s’est posée à un stade « préliminaire » [↩]
- A noter qu’il n’y a pas, à ce jour, de position unique, et que Mgr Dubost se prononce notamment pour que certains points restent bien au seul stade du légitime débat [↩]
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Sicard persiste et signe…